▬ Le fameux.

Je pince les lèvres. Je n'ai absolument rien à me reprocher, une très bonne réputation mais les circonstances de notre séparation ne restent sans doute dans pas l'esprit de Dorreh comme la plus belle soirée qu'il a vécue. Je lève sensiblement le menton. Toutes les petites remarques acerbes que j'ai envie de lui faire, je les garde coincées dans le fond de ma gorge. Le fait que Dorreh ne serait jamais sien, elle me brûle, elles me font afficher une sorte de visage mi-grimace, mi-sourire.

L'envie de l'empoigner par le col. Rester maître de soi-même. Je regarde ensuite la jeune femme se suspendre au cou de Dorreh, sans que cela me gêne. Il n'a pas ce genre d'attirance pour les femmes. Donc je peux concentrer mon attention sur Yulian. Elle étreint mon compagnon, je les observe du coin de l'oeil. Je saurai bien apprendre son nom à elle plus tard. Je place mes mains dans mon dos et les joints fermement pour bloquer quelque mouvement répétitif. Finalement, je lance un regard plus appuyé vers Dorreh et réponds tranquillement au croque-mort :
▬ On m'a aussi beaucoup parlé de vous, M. Letov.

Je me retourne vers Bambi, un soupçon de colère dans le regard. Envie de lui dire : Oui, oui, je sais ce qu'il faut savoir sur lui. Qu'est-ce que tu fais, qu'est-ce que tu fais, mon amour, avec lui ? Lui au milieu de ces étranges amis, ces amis « incroyables » ou que sais-je. Je me retourne. Lui tourne le dos. Je lance un regard vers le point d'intérêt général, masquant probablement la vue à Dorreh d'ailleurs. Ma main droite serrant la gauche, aussi fort que possible. Passer le masque de l'indifférence pour leur cas. Étouffer le relent de colère. Inspirer profondément.

Ding. Essayer de desserrer la mâchoire. Observer les inconnus aux alentours. Croire reconnaître une amie perdue de vue pas bien loin. Dong. Se retourner sur le trio. Vouloir empoigner son visage entre tes mains, assouvir le besoin de l'embrasser. Passer l'index dans ses cheveux. Ding. L'enlasser tellement fort que la foule disparaîtrait. Que le temps s'effacerait. Que la place s'éclipserait. Dong. L'empêcher de voir le tsar, garder son regard pour moi seul.
▬ Rocambolesque.

Parce que bon, il fallait bien que je fasse au moins un commentaire, même vague.

Spoiler:

Son pas s’engouffrait avec fougue dans l’étau restreint de la foule. La jeunesse la portait sur son nuage, à rêver de bonnes nouvelles ou de changements vers un avenir meilleurs. Aussi, la masse autour, morose et agacée, ne pesait pas lourd face à ses espoirs. Certains les traiteraient de dérisoires au milieu de leurs idées noires. Cependant, Artémis ne les entendait pas. Bien sûr, quelques échos de conversations brouillaient ses oreilles sans qu’elle n’y prête attention. Les mains dans ses poches serraient un morceau de papier et dans son sac trainait un calepin et un crayon. Comme si elle avait pu prendre des notes ici-bas.

Igor Romanov va parler après une attente longue et interminable, probablement. Vivement qu'il arrive car lui, contrairement à tous les orateurs qu’elle avait jusqu'alors écouté promettait d’être intéressant. Son coeur frappait d'excitation sa poitrine presque douloureuse. La foule, l'ambiance environnante et l'effet de groupe la grisait, comme ivre de monde. Ses joues avaient rosi et son souffle s’accélérait. C'était mieux que l'attente du nouvel épisode de sa série favorite!

Son blouson en cuir noir sur les épaules la protégeait trop maigrement de l'extérieur et la camouflait dans l’anonymat de la masse. A cette heure, elle devrait cirer les bancs de l’université ! Peu d'étudiants avaient choisi de rejoindre les cours. Les professeurs eux-même étaient venus assister à l'élocution.

Spoiler:

« Dominique, nique, nique S'en allait tout simplement, Routier, pauvre et chantant … »
Néhémie s’ennuyait comme une ceinture Chanel de 2019 oublié au fond du Closet. C’était officiel. Il y avait de plus en plus de gens sur la place, tout du moins dans la foule. Parce que là où elle se trouvait, il n’y avait pas grand monde et en tout cas, personne de vraiment intéressant. Du coup, elle avait eu le temps de checker ces emails, d’envoyer quelques messages à ceux de ses minions qui, elle le sentait, n’accomplissait le travail demandé et surtout, pas avec la qualité requise. Elle avait aussi fini de prévoir les diverses tenues et shooting qui l’attendait et les détails pour la fashion wee en était encore au stade embryonnaire. Elle n’avait donc plus rien à faire. Sauf jouer à Angry Birds. C’est donc ce qu’elle fait depuis plusieurs minutes mais elle est beaucoup trop hyperactive pour que cela l’occupe très longtemps. Et voilà qu’elle avait cette chanson horrible dans la tête. Par Oscar, Christian, Pierre, Yves, Gabrielle et tous les autres dieux de la Mode, faites que son cousin de tsar s’amène vite fait pour ses salamalecs, débiter ses palabres à la populace pour qu’elle puisse rentrer chez elle et siroter un verre de vin dans son bain.

Et la chose en elle qui n’est toujours pas tranquille, qui s’agite et semble lui vriller le crâne avec ses griffes acérées. Il ne se passe rien pourtant alors qu’est ce qui a bien put se loger dans son fondement pour qu’elle soit aussi peu tranquille ?

- … En tous chemins, en tous lieux, Il ne parle que du Bon Dieu, Il ne parle que du Bon Dieu …

Elle chantonne pour elle-même, sa jambe secouée de soubresauts alors qu’elle tente de ne pas se liquéfier d’ennui quand une voix familière se fait entendre près d’elle. Andreï ! Le tranquille, tranquille Andreï ! Peut-être qu’il pourrait apporter un peu de vie à tout ça.

-Andreï ! Thank god you’re here !  Pressée c’est même pas le mot. Je savais que j’avais raison sur ma théorie du fashionably late. Parce que je suis en avance aujourd’hui et attendre, je crois que y a rien de plus chiant et d’ennuyeux.

Tout en parlant, elle indique le siège vide à côté d’elle pour accueillir le violoniste et observe sa tenue, comme elle le fait toujours quand elle rencontre quelqu’un, déformation professionnelle. Son ami est fidèle à lui-même, avec son air perpétuel d’artiste de rue échappé du 20e siècle. Elle ouvre la bouche pour le taquiner quand la cloche retentit sur la grand place. Un frisson parcourt l’assistance et l’atmosphère s’alourdit tandis que l’excitation l’imprègne.

-Oh ! Ca commence enfin ! Igor a vraiment pris son temps.

Que le tsar dise ce qu’il avait à dire, le plus vite possible, pour qu’elle soit enfin libre de se tirer d’ici vite fait.

Spoiler:

Dorreh était peut être incapable de correctement lire une ambiance, mais il connaissait Ilya et il comprit immédiatement que ce dernier était … en colère. Sans qu’ils le comprennent vraiment parce que de ce qu’il savait, Ilya n’avait aucune raison d’être en colère contre quiconque. Lui-même n’avait rien fait pour s’attirer sa colère et il ne connaissait ni Esfir, ni Yulian. C’est avec regret que Bambi sentit l’autre s’éloigner de lui, sa main quitter sa poche, mais c’était certainement ainsi. D’abord parce qu’ils n’étaient, ni l’un ni l’autre versé dans les démonstrations publiques d’affection surtout dans leur situation, mais aussi au vu de la situation avec Yulian. Par tous les saints, Drreh avait parfois l’impression que sa vie était un soap opéra et cet instant en faisait partie.

Esfir et Yulian s’approchèrent d’eux puis la jeune femme se retrouva accroché à son cou. Si le conservateur en fut surpris, il ne fit aucune remarque se contenant de lâcher un petit rire surpris avant de la serrer contre lui pendant un instant. Elle l’embrassa sur la joue et se plaça derrière lui. Il ne comprenait pas très bien ce qu’il se passait, il lui semblait en fait être en périphérie d’évènements qui lui échappait, mais il accepta facilement sa requête. De toute façon, s’il devait se passer quelque chose, comme il le craignait, il défendrait son amie bec et ongle, qu’elle en fasse la demande ou non. Il allait justement lui dire cela quand son attention fut détourner par Ilya et Yulian. Et surtout par la tension qui venait de s’installer entre eux.

Bambi grimaça en entendant la remarque de l’employé de pompes funèbres. Il se souvenait très bien de toutes les fois où il lui avait parler d’Ilya, où il s’était plaint et épanché de tout son soûl auprès de son ami. En revanche, la réponse d’Ilya était beaucoup plus ambigüe. Yulian n’était pas le genre de personne qu’il fréquentait, c’était aussi simple que ça. Alors qui avait bien pu lui parler de lui et pourquoi Ilya les avait-il écoutés ? A moins que …  Il leva un regard chargé de suspicion sur Ilya qui s’était déplacé afin d’être juste devant lui, lui bouchant la vue. Il nota également la mécanique infernale qui commençait à prendre chez l’autre homme, ces signes qu’il avait apprit à reconnaitre durant leurs années ensemble. Bambi posa sa main sur une de celles de Ilya en un geste inconscient pour le calmer.

-Ilya … Dis-moi que tu n’as pas fais ce que je pense ? Tu ne me fais pas surveiller j’espère ?[/colo]

Il posait la question mais une affirmation ne l’aurait même pas surpris. Avant qu’ils ne puissent aller plus loin, la cloche sonna indiquant le commencement des évènements. Il soupira et leva un regard qui se voulait décider sur son ex.

-On en reparlera plus tard. Et pousse toi un peu s’il te plait, tu sais que tu es trop grand, je ne peux rien voir.

Le tsar allait parler.

▬ Ilya … Dis-moi que tu n’as pas fais ce que je pense ? Tu ne me fais pas surveiller j’espère ?

Je le considère. Je pose le regard sur ses deux amis, ses deux incroyables amis. Mon visage est fermé, je suis songeur. Et pourtant sa main couvre la mienne. Je ne sais pas ce qu'il voudrait que je lui réponde réellement. Est-ce qu'il veut la vérité, voudrait-il que je lui dise que c'est pour sa sécurité ? Il ne sait pas se protéger, il peut avoir mal, il peut être blessé. Il traîne avec n'importe qui... la peine que je lui ai infligée est un moindre mal en comparaison de ce qui aurait pu ou dû arriver. C'est pour veiller sur lui, de loin, savoir où il est, quand, avec qui, à défaut de comprendre pourquoi. Il y a sa main sur ma main. Je ne sais pas ce qu'il voudrait que je lui réponde réellement. Un mensonge ? Prétendre que ce n'est pas le cas, alors qu'il sait très bien que j'ai assez de moyens pour le faire, et que ni gêne ni honte ne m'en empêcheraient jamais. Ce n'est pas grave. Je pourrais faire pire. Je ne devrais pas y songer, je ne devrais pas le planifier. Je pourrais faire pire.

De ma main libre, je prends doucement la sienne, l'écarte de la mienne et plonge ma main dans ma poche où je pourrais m'adonner à ma mécanique sans crainte d'être observé par les quatre yeux inconnus et potentiellement indiscrets. J'entrouvre les lèvres. La cloche. « Ta vie misérable vaudrait-elle tant de temps ou d'énergie ? » aurais-je dit à n'importe qui d'autre. Mais pas à lui. Parce que ce n'est pas vrai. Je lance une œillade vers le point de convergence de toutes les curiosités.

▬ On en reparlera plus tard.

Il se veut convainquant, il se veut ferme, il se veut incisif. Je repose le regard sur lui. Je suis fier de lui. J'esquisse un sourire sans lui répondre, juste à le voir... comme ça.

▬ Et pousse toi un peu s’il te plait, tu sais que tu es trop grand, je ne peux rien voir.

J'arque un sourcil et l'empoigne sans tendresse par le col afin de l'amener vers moi. Machinalement, ma main sort de ma poche pour aller s'interposer entre moi et Yulian, pour lui sommer sans mot de ne pas intervenir. Je glisse un regard vers la jeune femme et lui souffle poliment que tout va bien. Je me penche à l'oreille de Dorreh, mon regard amusé posé sur le croque-mort. Je lui souffle doucement, veillant à ce que lui seul entende :
▬ Oblige-moi. Ou supplie-moi.

Je le repousse sans douceur puis me redresse, lui offrant un dernier regard avant de lui tourner le dos pour pouvoir écouter l'allocution de notre tsar. Je regarde autour de moi, de peur de voir un furieux brandir une arme mais rien qui ne sorte de l'ordinaire parmi les vagues qui nous entourent dans cet océan humain, et moins humain.
▬ Et en plus le temps est avec nous. Fantastique, n'est-ce pas ?