Depuis son arrivée en Russie, Astrea se découvrait de nouvelles limites – en perpétuelle évolution, dans un changement constant voué à donner naissance à son « moi » véritable. Sa rencontre avec Malphas, et plus tard Mikhail, en était un exemple parfait. Elle n’aurait jamais pensé être aussi à l’aise avec d’autres, pas depuis la mort de Jake, pourtant ils parvenaient à rendre leurs flirts presque naturels. Innocents, si ce n’étaient le vice qui se dissimulait dans chaque parole susurrée près de l’oreille. Mikhail était doux, tendre. Le dragon plus impétueux. Ils se complétaient à la perfection, et si la jeune femme se demandait souvent quelle était désormais sa place dans ce monde, ils étouffaient ses doutes en l’acceptant pleinement. Nulle question, nul jugement. Bien évidemment, cela ne pourrait donner naissance à une véritable relation, mais c’était plaisant, bien qu’irrationnel. Elle avait l’avantage de pouvoir oublier sa culpabilité auprès d’eux, tout en assouvissant son besoin de faire justice avec les briefings qu’elle faisait en compagnie des Dementors. Jongler entre le travail et le plaisir ne semblait pas déranger ses compagnons – quant à elle, elle était surprise de leur intérêt mutuel. Flattée, surtout, que sa personne puisse attiser une envie si sincère. Pourtant, cela n’avait jamais dépassé la barrière des mots. Sauf ces derniers temps. Un long frisson lui parcouru l’échine au contact de la main de Malphas, courant électrique qui se nicha au creux de ses reins quand il descendit bien trop bas. Sous le regard intelligent du corbeau, elle lutta pour conserver un visage impassible. L’amant du dragon se rapprocha de manière imperceptible, laissant sa chaleur l’entourer – et le poids, sur la dextre audacieuse, s’alourdit. Si elle n’avait pas commencé à connaître Mikhail, elle aurait pu se sentir en danger. Menacée par ce contact, mal à l’aise par la concupiscence évidente qu’elle leur inspirait, mais c’était tout le contraire. Elle en avait besoin. Elle évoluait. « Oui, une amie… » qu’elle confirma en hochant doucement la tête, ses prunelles d’or rivées au visage d’Imala. Charmée. Tant de distractions et si peu de temps. Elle savourait ce moment, consciente que sa culpabilité envers Jake reviendrait l’étouffer bien assez tôt. Il n’y avait pas de moyen d’y échapper.

Mariposa. Elle lui avait demandé ce que cela signifiait, et avec un sourire moqueur, la peintre l’avait éclairée. Papillon de nuit. Le surnom avait été adopté sans plus de cérémonie. L’entendre le dire à haute voix, en public, lui prodiguait presque autant de chaleur que la caresse des deux hommes qui l’accompagnaient. Son esprit en oublia de s’inquiéter de la présence de Régulus dans la foule, ou de passer en revue tout ce qui pourrait mal se dérouler. Elle vivait. Elle vivait, et c’était déjà suffisant. Ses doigts se tendirent pour effleurer ceux du corbeau, si légers en vérité que le contact fut aérien. « Peut-être plus tard ? J’ai promis de leur accorder toute mon attention. » Comme une mimique involontaire à l’oiseau abyssal, elle pencha la tête sur le côté, mutine. « Ce qui serait impossible tant que tu es près de moi. Mais je te promets de venir te voir dès que je le pourrais. » Serment du bout des lèvres. Intérêt léger pour les autres femmes derrière. Cette fois, la main se referma sur la serre pour une pression presque tendre. « Bonne soirée, Imala. Profite du spectacle. »

Ils s’en vont alors, bras dessus bras dessous, s’éloignant et délaissant les rangs bien sages des personnes suffisamment puissantes – ou suffisamment pressées – pour avoir l’opportunité de s’asseoir. Rester debout ne dérangeait pas Astrea. Mais c’était sans compter les ressources de Mikhail qui s’excusa brièvement, une lueur espiègle dans le creux de son regard. Laissée seule avec Malphas, la luciole se tourna pleinement vers lui. « Merci. Pour tout à l’heure. » Puisant dans l’intensité de son regard l’audace nécessaire, elle crocheta d’un doigt la ceinture du dragon pour se hisser sur la pointe de ses talons et effleurer sa joue d’un long baiser. Sa peau était chaude sous ses lèvres, sa barbe plus douce qu’elle n’y paraissait. Le nez de l’australienne frotta contre sa pommette, puis elle se recula pour observer sa réaction. La main glissa de son accroche, effleurant la cuisse et revenant sagement auprès de sa propriétaire. « Plus de rencontre forcée. Je l’ai promis à Mikhail ; mais toi, alors, qu’est-ce que tu attends de ce soir ? » Ils avaient décidé, d’un commun accord, de ne pas mentionner le contrat qui les liait tous les trois. C’était une manière de se voiler la face, mais le jeu était amusant.

Après la réponse du Dementor, ils furent rejoints par Mikhail – qui apportait avec lui trois chaises pliantes, chapardées on ne savait où. Il avait l’air infiniment fier de sa trouvaille, et il installa la première pour Astrea, la seconde pour son compagnon, la dernière pour lui, juste à la suite des rangées déjà préétablies. Ils se greffèrent ainsi, avec insolence, comme des gamins qui rejoindraient la cour des grands en se moquant de leurs règles absurdes. Astrea croisa les jambes, la fente sur sa robe dévoilant en grande partie le galbe légèrement hâlé de sa peau. « La pièce a intérêt d’être intéressante, » conclu-t-elle en laissant son regard d’or vagabonder sur la foule qui s’agglutinait progressivement autour d’eux.

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