Mon latin est loin.
Les yeux courent sur les tranches, caressent les pages, bondissent le long des étagères et la lumière inonde les pupilles car même si le russe se désagrège au coin du cortex par manque de culture, la curiosité s’échappe en arabesques par tous les orifices, détecte une palabre fine d’une autre langue, d’un autre temps. L’anglais se cache au coin des gondoles, entre deux volumes, et procure un sentiment de familiarité aussi inattendu qu’il est chaleureux.
Car je m’en fous.
Pour moi les négociations c’est une bonne paire de claques et une bouteille de rhum.

Les pensées épicées se dissimulent derrière l’apparente naïveté du regard ; ce ne sont pas les livres qui vont lutter contre la guerre, bien sûr. Mais Mimi n’est pas meneur. Non, surtout pas.

Qui parmi elles est pour le peuple ?
Les prunelles sautillent sur les épaules d’Oda.
L’argent.
Caressent le plumage de la Corbelle.
Le pouvoir.
Saisissent l’étincelle du regard de l’Invisible.
Les enfants.
L’humain. Peut-être ?

Je m’arrête, un lourd volume dans les mains.
Un espoir, peut-être. Peut-être.

Quand Orphedia prend place entre les deux demoiselles, c’est un triangle de femmes puissantes qui plante ses serres dans le bois de la table comme dans la chair moscovite. Je me sens vraiment con, pour le coup. Les paroles s’égrènent et elles semblent s’accorder, violons graves qui murmurent promesses de guerre mais aussi assurance de répression. Avant que les paires de regards ne se tournent de concert, surtout celles d’Oda, qui me fiche plus la trouille que ce satané Kraken, je prends la parole, petite flûte mal accordée, petite fée dans ce monde de putes.

« Pas d’autres issues que l’abordage du peuple ? »

Le vieux glossaire reste coincé au fond de la gorge – ah, putain, sur un navire tout était plus simple. Attaquer pour ne pas avoir à se défendre contre un peuple en rage semble demeurer meilleure solution. Mon frère se doutait-il de cela avant de me convier entre ces murs ?
Le gros volume atterrit sur un coin de la table, comme un rempart, ou le code d’une marche à suivre – l’Astrée, tu parles. Notre ère n’a pas le temps pour ces conneries.
Elles causent trop, ces pintades, roh.

« Il va falloir s’épargner le Tsar, mesdames. L’épargner j’en sais rien, mais s’épargner son aide, j’crois que l’émeute qu’a eu lieu l’a assez bien prouvé. »

Sur un navire, le pouvoir est au peuple malgré la présence d’un capitaine. Le Tsar abandonne le navire peu à peu ; faudrait être con pour pas le voir.

« Faut laisser le peuple causer. Se rebeller, s’il le faut. Pas contre nous, c’est tout. Y’a trop de choses ruminées. Ca donne rien de bon, si ça reste à l’intérieur. Ca pue l'injustice, dans cette ville.»

Et les Mimi détestent les injustices.