L'aube nouvelle - A mon créateur.L'humanité crépitait sous mes doigts autrefois. Comme un murmure venant se faufiler à mon oreille pour me rappeler la fragilité d'un corps qui ne l'était plus. Pas alors qu'un rituel m'avait arraché au trépas annoncé par la maladie qui avait marqué ma peau avec avidité. J'avais ouvert les yeux, noyé de ton regard fasciné par le résultat de ce tu avais fait, sans ma permission. Visage si proche du mien, draugr, vile créature dont je sentais l'essence grouiller au plus profond de mon être. Pur égoïste réclamant que je survive pour parfaire la taille d'autres joyaux. Mais la mort, je pouvais encore sentir la noirceur qui m'étouffait, les ténèbres suintant de mon âme. Funeste frissonnement. Qui suis-je ? Où suis-je ? Les poings se serrèrent. Cri étouffé à mes lèvres étonnement souples. Je te repoussais d'un geste brutal, comme pour tenter de respirer, avaler l'air qui glissait sur ma peau intacte. Tel un Dorian Gray au portrait tenu secret dans l'un de ses passages secrets. L'air poisseux du caveau familiale me donnait envie de vomir. Boyaux dérangés par tout ce qui se dégageait de ces lieux. Je ne pouvais entrevoir mon reflet, mais j'étais intact, le drap de mon cercueil à peine froissé de mon corps immobile. Le sommet avait été relevé, tel Dracula renaissant après que l'arme plantée lui fut retirée. Vêtement haute couture. Costume hors de prix. J'étais mort, et mes doigts vinrent chasser le maquillage destiné à dissimuler l'invasive présence de la cadavérique vérité flouée par tes prières. Je ne l'étais plus. Mort. Cadavre ambulant au ventre crevant de faim. Pas assez idiot pour ignorer ce qu'il se passait. J'étais l'un des tiens. Le sang. Comme une ombre cramoisie venant nimber mes iris. Je crevais de faim. La sensation désagréable d'avoir comme du sable sur ma langue... Que suis-je ? Draugr. Tu finirais par me le souffler. Mais pas à cette seconde qui me voyait m'arracher, colérique, de cette boîte exiguë qui manquerait de me dévorer. Peur panique d'y devenir poussière.
« Pas un merci ? » Mes yeux acides braqués dans ta direction.
Je devrais ? Non.
Où était mon portrait ? Je devrais en avoir un, non ? Raclement de gorge, comme si je tentais d'étouffer une quinte de toux qui ne vint pas. L'aurait-elle dû ? Plus à présent que la mort m'avait aimé suffisamment pour me laisser revenir. Baiser sournois de la princesse aux bras décharnés.
Où étais mon... Les doigts poisseux du maquillage qui les maculaient, je les frottais contre mon pouce, contre ma paume. Je n'avais pas de portrait. Je le savais brusquement. Je n'étais pas de ceux-là. J'étais... j'étais...
« Du sang. » que je crachais violemment dans ta direction. Timbre doux. A cent lieues de celui que j'aurais pu imaginer. Ma langue glissa sur mes lèvres. Goût de baume, de rouge. Costume d'un clown parodique.
« Pas de s'il te plaît ? Où sont donc passé les bonnes manières de Milan Sedov ? La mort, notre représentant, t'aurait-elle pris plus qu'elle ne t'aurait donné ? » Pas rapides. Vifs. Sans fioriture, sans souffle fuyant, celui d'autrefois. Je n'étais plus moi. Je perdais pieds. A vouloir m'en arracher chaque lambeau de ma peau. Pour ressentir. Mes doigts vinrent s'agripper au col de ta chemise.
« Je veux ce putain de sang ! » Ce n'était plus moi. Plus moi. Souffle devenu plus rapide. Je te relâchais déjà. Le folie grattait. Je l'entendais. Petit animal lové quelque part sous la chair. L'autre monde insufflant des tremblements dans mes membres. J'étais mort. Cadavre. L'odeur. Ce n'était pas que celle des lieux. C'était... toi... c'était... moi. Et tu me la tendis cette poche de sang de laquelle je m'abreuvais comme un assoiffé. Naufragé aux doigts crispés sur le plastique. Ca chassait le sable sur ma langue.
Obsession abyssale - A Wilhelm.J'étais un Draugr, comme tant d'autres. Nous n'étions pas bien nombreux cependant. Pas autant qu'il le faudrait si nous voulions nous imposer. Encore faudrait-il que l'on soit un clan, mais il n'en était rien. Peut-être n'étions-nous pas capable de nous apporter ce que nous voulions. Ou alors était-il question d'autres choses ? Je n'en savais rien à vrai dire. Je ne m'étais jamais documenté sur les monstres peuplant la Russie, et je ne m'étais jamais réellement arrêté à ces différences. Noblion trop riche de notre si douce patrie. Je n'arrivais pas réellement à me souvenir de ce qu'était ma vie avant. De sa saveur. Larmes putrides venant me dévorer, j'avais été réclamer mon identité, mes possessions, mon héritage. Créature ou non, j'avais des droits, et ma richesse me permettait de ne pas finir enfermé dans l'un des pires quartiers de la capitale moscovite. Et le manoir ancestral des Sedov me revenait de droit, tout comme les trésors qu'il contenait. Et ce foutu tatouage qui ornait à présent mon derme, pour me condamner à être une créature aux yeux de tous. J'aurais craché volontiers sur cette politique désastreuse. Je n'étais pas bien différent pouvais-je affirmer. Mais sans doute était-ce faux. Ma passion pour les pierres n'étaient rien comparé à avant. Je pouvais passer des heures à affiner les aspérités, à vouloir lui donner une forme absolument parfaite pour la monture que j'avais déjà imaginé bien avant. Je manquais d'enthousiasme. Comme si la vie prenait parfois une fadeur incomparable à mes yeux. Désintérêt notable. La musique, les livres, l'art... trouvaient encore grâce à mes yeux. Mais le reste avait perdu de sa saveur. Il y avait pourtant ce besoin qui pulsait au fond de moi. Brûlure douceâtre d'un désir pugnace de ne pas rester seul. J'avais effectué le fameux portrait, tel un Dorian Gray en recherche perpétuel d'une étincelle offrant la sensation brûlante d'être vivant, et non pas de me noyer sous cette impression douloureuse et perpétuelle. Du moins l'avais-je fait peindre, n'ayant pas ce talent. Étalé dans l'une des pièces du manoir, il demeurait inchangé, nullement nécrosé, et me servait de repère lorsque je me retrouvais face à mon propre miroir, à la chasse des traces du temps que je repoussais de lampées de sang délicieusement ferreux.
M'imaginais-tu me pourlécher les lèvres que tu n'aurais pas tord, alors que mes pieds embrassaient les tiens à distance. Chemin similaire, le regard fixé sur ta haute silhouette, la noirceur de ta chevelure, la barbe naissante venant ombrager tes traits. L'ambre de tes yeux avait été saisissant la première fois que je l'avais croisé. L'impression de redevenir l'humain souffreteux d'autrefois m'avait heurté de plein fouet à ta vision. Pourtant, il n'en était rien. Je restais inchangé. Figé dans cette éternité que j'anéantissais d'un repas assaisonné. Je te suivais, conscient de ma propre déraison, mais je savais que je te voulais, toi. Uniquement. Pas celui qui se tenait à tes côtés. Non, uniquement celui qui avait su m'inspirer cette étrange impression. Tu étais le compagnon parfait, et j'en étais certain. On m'avait soufflé des mots te concernant. Et j'avais aimé. Murmure audacieux de mes lèvres, alors que je suivais chacun de tes gestes avec la discrétion que la distance m'offrait. Regard appuyé que ne ratait pas certains passants. Mais je voulais que tu me vois également. Je souhaitais te croiser à nouveau, goûter à la saveur de ton âme. De ta peau. Inavouable perfidie de ma nouvelle nature. Inspiration troublée, paupières papillonnants. Je t'observais comme je pouvais le faire avec mes pierres, sans lassitude, mes rêves à portée de mains. Non que je voudrais te tailler. Tu l'étais déjà. Je pouvais presque imaginer les rayons dorés jouer sur ta peau, souligner une autre teinte dans ta chevelure. Facettes multiples. Obsession terrifiante. Me fuiras-tu lorsque tu comprendras la déraison brûlante qui me dévore ? L'envie de te posséder ? De te garder ? De te préserver ? Sans réellement te connaître ? Mais je te connaissais déjà, à ma manière. Chaque mimique, chaque geste, intimement gravés dans mon esprit.
Murmures tendancieux - A Piotr.Tu me ressemblais. Par certains aspects seulement. A d'autres, tu étais lui. Et pour finir, tu étais toi. Il n'y eut qu'une fraction de seconde où j'avais hésité, douté. Allais-tu me voler Wilhelm ? Je t'aurais tué. Qu'importais la manière, la façon, j'aurais été incapable de le supporter. Mais je t'avais désiré de la même manière que lui autrefois, avec déraison. Comme si mon âme t'appelait de toutes ses forces. L’obsession était née comme un éclat dans les cieux. Mais je n'aurais jamais trahi Wil. Mes iris avaient cherché les siens, sans savoir quoi y trouver, quoi y déceler. Mais l'étrangeté fit sens, comme si nous étions connectés, l'impression et le désir étaient semblables. Nous te voulions. Pas un mot. Pas un souffle. Je l'avais laissé t'aborder, laissant mes lèvres closes et silencieuses. Froide créature. Cadavre insensible. Mon regard ne te quitta pas un instant malgré tout. Comme un besoin de me perdre dans ta contemplation, insatisfaction malsaine d'être perturbé dans ma façon d'être. Je t'observais, t'analysais, te désirais. Le premier contact fut salvateur, comme un nouveau souffle que tu m'offrais. Ce ne fut qu'à cet instant que je le réalisais, les pièces s'emboîtant à la perfection. Nous devions être trois. Je t'avais accepté, voulu, désiré. Mais j'avais toujours pensé qu'un seul me suffirait pour l'éternité à venir, et tu étais apparu. Contemplation malsaine, corps enchevêtrés, sentiments plus intensément profonds. Je tuerais quiconque chercherait à te prendre à nous. Et jamais...
pour ton plus grand malheur peut-être un jour, je ne te laisserai nous quitter. Impossible. Improbable. Mon myocarde en crèverait. L'un n'allait pas sans les autres.
Soupir hasardeux. Murmures tendancieux. Six années avaient fini par s'écouler, et le monde n'avait cessé de s'écrouler, de se noircir. La puce implantée sous ma peau devait donner ma position précise. Nos conditions s'amoindrissaient, donnant les pleins pouvoir à une royauté en faveur de l'humanité, quoiqu'on en dise. La certitude pulsait au fond de moi, et m'obligeait à devoir me repaître de sang dans une boucherie plutôt qu'à la source. L'intolérance ne cessait de gronder, tant dans un camp que dans l'autres. Mes clients faisaient parti des deux. Mes bijoux venant orner des gorges, des poignets, ou toute autre parcelle du corps avec indifférence sur la nature de l'être. La beauté des pierres restait désintéressée de l'être qui la portait. Intemporelle d'éternité. Mais cela ne voudrait-il pas dire que le monde était à deux doigts de s'embraser ? Mes iris vous observaient, Wil et toi, sous le silence nocturne, le bandeau sur tes yeux pour nous préserver, ceux que j'avais mille fois imaginés sans parvenir à leur donner une réalité. Noir. Aussi sombres que l'obscurité de la nuit sous la nature éphémère que tu avais choisi de revêtir. La mort risquait de te vouloir un jour, et je savais que je viendrai la prier de te rendre à notre réalité. Mes doigts glissèrent dans ta chevelure, glissant sur ta joue qui vint comme en rechercher le contact sans même s'éveiller. Un sourire plus doux, plus tendre, vint ébaucher mes traits. J'avais cette impression d'être vivant auprès de vous, de vos paroles, en m'agrippant à ceux des livres que je dévorais avec l'avidité de celui qui risque d'oublier demain. Mon regard s'éleva, venant s'attarder sur les traits de Wilhelm. Trop loin, et je ne voulais pas vous éveiller, je ne vins que chasser une mèche du bout des doigts. Son regard à lui je le connaissais, tout comme son être. Le monde pourrait n'être composé que de vous, emprisonné de ces murs à la condition de vous garder précieusement contre moi. Je finis par abandonner la contemplation de vos êtres, venant dissimuler ma nudité d'un pantalon enfilé rapidement. Mes pieds nus ne firent pas de bruit sur le parquet ancien. Moulures, tentures, et toiles s'étalaient à chaque couloir, à chaque croisement. Fier de mes origines, d'être un Sedov. Je vous l'offrirais ce patronyme, vous le soufflerait pour qu'il soit vôtre, si c'était possible. Car vous en faisiez parti à mes yeux. Poignées de porte frôlées, je poursuivais mon avancée jusqu'à la pièce où se trouvait le piano. Celui devant lequel je pris place. L'obscurité scintillait encore à nos fenêtres, tranchée par les lueurs moscovites. La toile, mon portrait, me faisant face, inchangé, immuable, comme mes traits. Du moins l'espérais-je. Et si demain.... Demain, je n'étais que poussière. Et si demain... Demain, je vous avais oublié. Douleur pugnace des larmes échouées. Perdition malsaine. Ce fut sous la langueur d'une mélodie torturée que mes doigts firent s'élever les premières notes. Adieu nocturne réalité.
my chonology
enchevêtrement de dates
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22/02/1958 - Naissance de Milan Dmitri Sedov, au sein de la famille Sedov, membre de la noblesse moscovite, et par ailleurs à la richesse conséquente. Présence d'une hérédité génétique nommée hypogammaglobulinémie dans le sang des Sedov. Fragilité immunitaire conduisant généralement à des trépas prématurés.
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7 juin 1987 - Décès de Milan des suites d'une rougeole s'étant compliquée en pneumonie.
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8 juin 1987 - Un Draugr, de ses clients, et ne supportant pas la perte d'un lapidaire ayant un tel talent dans la taille des pierres précieuses, décide de le ramener à la vie en pratiquant le rituel.
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12 juin 1987 - Milan se rend dans un Commissariat de Police pour se faire reconnaître comme toujours vivant, certes une créature, de sorte à conserver ses possessions. Il est tatoué de trois points côte à côte à l'intérieur de son poignet, et sa nature de Draugr est inscrite sur ses papiers d'identité. Du fait de sa richesse, il reste dans le quartier commun.
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1987 - Il recommence à se former sur les pierres, multipliant les compétences.
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1990 - Milan se met en couple avec Wilhelm, et vivent ensemble dans le manoir Sedov, situé dans le quartier commun de Moscou. Officiellement, il y a plus d'une chambre dans le manoir et semblent être amis aux yeux du monde. Officieusement, ils sont le compagnon de l'autre et profite de l'intimité du manoir pour être ensemble.
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1992 - Milan commence à se faire une petite réputation dans le monde de la joaillerie. Certains riches clients ne jurant déjà que par ses créations, soufflent son nom au détour de conversations badines et affichent les bijoux créés.
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1995 - Assassinat de mortels au sein du quartier commun. Milan reste en retrait, voyant, écoutant, observateur silencieux des dérives mentales faisant suite aux incidents, surtout parce que le coupable est une créature.
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2013 - Piotr rejoint le couple que forme Wilhelm et Milan, laissant l'histoire se transformer en trouple. Les trois hommes vivent dans le quartier commun, au sein du manoir Sedov. Leur intimité restant leur.
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2018 - Nouveaux assassinats dans le quartier des mortels. Nouvelles tensions à fleur de peau. Milan reste une nouvelle fois en retrait.
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30 mai 2019 - Rassemblement des citoyens pour annoncer le durcissement des lois. Une émeute se déclenche, mais Milan n'aura à cœur que de protéger ses amants, bien qu'il soit contre la majorité des décisions évoquées. Aleksandra Romanova, princesse, meurt assassinée. Sans surprise pour Milan qui considère que c'est le résultat des annonces précédentes.
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01 juin 2019 - Application des nouvelles lois mises en place par le Tsar : présence de familles régisseuses ; taxation de 10% sur ses revenus qui vont directement dans la poche des précédents ; perquisitions possibles de façon intempestive à partir de simples suspicions ; puce de géolocalisation pour toute créature dangereuse, nouvelle pratique à laquelle Milan se soumet pour protéger Wil et Pi ; obligation de venir chercher sa ration hebdomadaire de sang à la Boucherie du Pont, sous risque d'être interpellé, et interdiction de se nourrir autrement sous risque d'emprisonnement immédiat.