I. ( DISPARITION )
1784.
Ils ont abattu son arbre.
Elle n’est plus. Anya, sa douce et tendre Anya. Elle s’est écroulée dans ses bras, ils ne sont pas arrivés à temps, eux, les trop sages. Les trop
purs. De cette fin d’après-midi fraîche, il ne se souvient plus de grand-chose. Il ne se souvient pas de ses cris, ni de la nature morte qui a agité ses pauvres racines comme des âmes en peine. En un battement de cils, elle s’est envolée, elle l’a laissé. Lui, son autre qui comptait tellement plus. Ils n’auront vécu de véritables années ensemble qu’au maigre nombre de quatre. Tout cela à cause du vice des Hommes, de ceux qu’il connaîtra comme sa poche bien des années plus tard, car suite à ce désastre Wilhelm a tout fait pour protéger son arbre et son âme. Seule la violence à l’encontre des plantes et de ses plus proches est capable de le rendre fou de colère. Cette colère froide qu’il expose sans vergogne à tous ces effrontés qui ont le culot de les malmener. Anya, douce Anya partie trop tôt, jolie fleur dont le visage s’est éteinte et a pâli. Plus jamais ses joues ne seront roses. Plus jamais elle ne le regarderait de ses yeux de chat aux mille reflets. Car elle n’est plus là, balayée par le vent. Encore aujourd’hui, plus de deux cent ans après, il se surprend parfois à rêver de ses sourires et de sa légèreté, comme un fantôme qui ne le quittera probablement jamais.
II. ( MILAN )
1989 // 1990
Il sent son regard couler sur sa silhouette à chacun de ses mouvements. Nul besoin de se retourner pour savoir qu’il l’observe depuis l’un des coins non loin de l’entrée. Certains diraient qu’il est bien drôle de trouver un Daugr au beau milieu d’un salon de thé, mais Wilhelm ne s’en formalise pas, bien au contraire, jouer faussement au jeu du chat et de la souris l’amuse quelque peu, lui qui n’a pas souvent l’air de s’amuser. Bien trop propre sur lui, irréprochable et impeccable, le décorateur d’intérieur alfe ne fait pas parti de ceux qui passent le plus inaperçus, loin de là. Même le regard des vieilles dames aux permanentes soyeuses, il le sent couler sur lui, sans qu’aucune marque réelle du temps ne vienne dégrader sa chair. Lui-même se surprend parfois à chercher toute trace de ride mais il n’en aperçoit que peu, si ce ne sont celles qui se creusent adorablement dès lors qu’il sourit à pleines dents. De ces sourires enjôleurs qui font chavirer les cœurs, et a priori, surtout
ce cœur. Un bref instant les prunelles s’égarent vers le fond, croisent celles de l’autre créature que tout le monde connait comme étant un éminent joailler. Si Sorensen n’est pas un nom considéré comme
commun dans le milieu du commerce, il en est de même pour Sedov. Et Wilhelm
sait qui
il est. Plusieurs jours se sont écoulés avant leur tout premier échange de paroles, les deux se toisant sans cesse, Milan prenant un malin plaisir presque maladif à l’observer dès qu’il trouvait sa trace. Pour d’autres la chose laisserait mal à l’aise, mais à 239 ans, Sorensen n’était déjà plus de ceux capables d’être surpris par les attitudes mondaines en tous genres. Ce qui l’avait néanmoins étonné, lors de ce jeu savamment mené, c’était de sentir les battements de son myocarde se remettre à battre avec une frénésie qu’il n’avait connu qu’en de rares occasions, mais qui jamais n’était venue battre celle ressentie lorsqu’il était avec
Elle. Quelle surprise alors de sentir le cœur s’épanouir et rayonner au même moment que sa fleur dès lors qu’il se trouva à proximité de son autre. «
Wilhelm. » avait-il simplement lâché sans le quitter des yeux, sachant pertinemment qu’il ne le lâcherait plus.
III. ( NATURE )
Les doigts caressent les feuilles jusqu’à venir trouver ce bureau perdu au beau milieu de cette immense pièce du Manoir réservée rien que pour lui et sa multitude de plantes. Le vilain désavantage de la Russie auquel Wilhelm ne s’habituera probablement jamais réside bel et bien dans la morsure glaciale du froid, qui abîme les plantes les plus fragiles. Pour éviter tout contact, il en garde un certain nombre dans cette pièce, les chérissant avec amour et passion. Il y passe des heures, tient un carnet de bord comme un médecin pouvait le faire à l’époque en y répertoriant tous les différents cas rencontrés. Au sein de cette pièce se trouve également un précieux livre renfermant l’un de ses carnets les plus précieux, celui répertoriant par des noms étranges tous les arbres auxquels il est lié. Lorsqu’il souhaite camoufler certaines choses, Wilhelm n’hésite pas à user de sa langue natale pour le faire, tout en protégeant néanmoins les fameux noms de ses arbres. Il les a tous nommé, mais ceux-ci se perdent dans des textes qui peuvent paraître incompréhensibles et dénués de sens. Un moyen comme un autre de noyer le poisson mais de noter quelque part tous les endroits où il s’éparpille pour ainsi éviter l’extinction de sa propre vie. Car il ne sait que trop bien ce qui peut se cacher au sein d’une caboche humaine. Il ne les a que trop côtoyé, eux, et toutes ces créatures errantes. Certains pourraient l’appeler
Sage, sans doute l’est-il mais jamais l’alfe ne se dénommera comme tel. La plus grande peur du Sorensen n’est autre que l’idée même de
perdre la raison. Sûrement est-ce en ce but qu’il note et griffonne sur une multitude de carnets différents : pour ne pas oublier, au cas où l’âge viendrait à finalement le rattraper.
IV. ( PIOTR )
2013.
Ils entrent, s’attendant à passer l’une de ces soirées usuelles et agréables auxquelles ils se sont habitués en presque vingt-cinq années de vie commune. Ignares qu’ils sont en cette nuit, ne s’attendant pas à cet élan de surprise qui allait les fouetter en plein visage. Ils s’avancent en silence entre les tables quand les yeux couleur d’émeraude se posent sur une silhouette agréable. Il ne voit pas Milan à ses côtés mais le sent se tendre autant que lui, nul besoin alors de se tourner pour l’observer
il sait que les deux ont été heurté par cette beauté de plein fouet. Dans d’autres circonstances, cela aurait pu ennuyer Wilhelm, d’apercevoir l’air goguenard et fier sur les traits de Piotr dont il ne connaissait encore le nom. Mais
non. Car Wilhelm sait ce qu’il vaut et la qualité de son corps qu’il chéri chaque jour depuis déjà une éternité. Il n’envie donc pas la jeunesse de Piotr.
Il le veut. Comme son amant déjà présent à ses côtés. Sans doute l’attrait du jeu ou d’une facétie quelconque, mais non, en son for intérieur l’alfe le sait : ils sont faits pour être trois. Deux se suffisaient, amour inconditionnel pour l’âme à côté de la sienne, mais il manquait la symbiose. Il en est certains ce soir. D’un regard jeté à cet autre dont il effleure la main du bout des doigts, il constate l’accord tacite. La vérité qui a éclaté en leurs deux êtres. Il sait le brun possessif et attend un aval qu’il n’a visiblement nul besoin de demander, pour enfin s’approcher. Et c’est ainsi que le premier contact s’est fait, par une nuit d’envie. C’est ainsi qu’ils se sont tous les trois liés, pour la vie.
V. ( CHRONOLOGIE )
( 5 août 1750 ) ❃ Naissance de Wilhelm Björn Sorensen en Norvège.
( 1765 ) ❃ Rencontre avec Anya Andreïeva, une alfe née d'une mère humaine Russe et d'un père Alfe présent en Norvège.
( 1780 ) ❃ Subit le rituel en vue de devenir un Alfe et pouvoir être avec sa bienaimée Anya. Le rituel est dur à vivre après plusieurs jours de recherches de l'Arbre Sacré mais il parvient à survivre et se lie à un Epicéa aux confins de la forêt.
( 1784 ) ❃ L'arbre d'Anya est abattu et elle meurt entre ses bras. Son monde s'écroule et il est assailli par la douleur.
( 1785 ) ❃ Décide de partir en Russie pour rendre honneur à l'amour de sa vie et découvrir ses terres originelles. S'y installe la même année.
( 1805 ) ❃ vit de petits boulots en petits boulots mais rêve d'avoir sa propre échoppe de plantes. Ne dispose néanmoins pas d'assez de moyens pour ce faire.
( 1817 ) ❃ Son projet de boutique se peaufine, attrait particulier pour la décoration. La découverte des créatures surnaturelles éclate au grand jour et les rues de Moscou se compliquent. La violence est partout. Wilhelm reste en retrait le plus possible mais se retrouvera pris entre les feux d'une rixe deux fois cette même année. Découvre également les autres créatures existantes même s'il en avait déjà entendu parler dans l'ombre.
( 1819 ) ❃ Les murs sont érigés, Wilhelm voit la chose d'un mauvais oeil, jugeant perdre sa liberté mais ne dit rien et subit la chose en silence pendant que la violence continue d'éclater.
( 1822 ) ❃ Se sent épier par l'Humanité et n'apprécie guère la chose. Se prête toutefois au jeu dès lors qu'on ose lui poser des questions et comprendre la nature de sa
race. En secret, il en profite pour analyser un peu plus le genre humain, cette race dont il faisait parti il y a déjà bien des années.
( 1826 ) ❃ Ca éclare dans le quartier surnaturel, certains Hommes veulent l'extermination. Wilhelm échappe à la tuerie par un coup de chance et maudit davantage la violence.
( 1856 ) ❃ Wilhelm profite de l'accalmie pour ouvrir sa modeste boutique de décoration d'intérieur où l'on y trouve des objets en tous genre.
( 1857 ) ❃ N'est pas surpris de la mesure prise par le Gouvernement et n'en lâche qu'un vulgaire soupir à l'annonce de cette dernière. Observe les manifestations de loin et préfère demeurer dans son quotidien. Accepte le marquage avec une profonde indifférence.
( 1940 - 1946 ) ❃ Voit la seconde guerre Mondiale passer, a du mal à maintenir sa boutique à flot mais tient bon et se rend disponible pour les Humains et les Créatures.
( 1975 ) ❃ Devient officiellement décorateur d'intérieur en plus de tenir plusieurs boutiques dans différents quartiers. Développe son entreprise.
( 1989 - 1990 ) ❃ Rencontre Milan et emménage au sein du Manoir Sedov où ils vivent en couple dansl'intimité, mais ne sont que de simples colocataires aux yeux du monde.
( 1995 ) ❃ Les assassinats de Mortels ne le surprennent pas mais il s'inquiète pour Milan, ne souhaitant pas qu'on puisse prendre son amant pour un éventuel meurtrier. Craint que les violences de la part des Humains envers les Créatures ne reprennent comme lors des attentats du siècle précédent.
( 1999 ) ❃ sent la haine des Mortels grandir et s'il se fond dans la masse avec aisance, ne peut s'empêcher de sentir les drames arriver.
( 2013 ) ❃ Rencontre de Piotr qui s'installe avec lui et Milan au sein du Manoir Sedov.
( 30 mars 2019 ) ❃ Les drames tant redoutés éclatent et Wilhelm vit horriblement mal la chose. Tente de faire comme lors des premiers drames et se fait tout petit. Il échappe néanmoins de peu aux attaques, encore une fois.
( 30 mai 2019 ) ❃ N'apprécie guère les nouvelles règles édictées par le Tsar vis à vis des taxes et familles Régisseuses. La puce électronique est vue comme une immondice par Wilhelm qui y échappe de par sa nature jugée non dangereuse, mais la colère sourde rumine en son for intérieur par rapport à ses deux amants obligés d'en subir le joug. L'indifférence la plus totale revient néanmoins prendre ses droits sur la nature de l'alfe, qui en vient à ne pleurer ni la mort de la Princesse ni celle des émeutiers potentiels. Wilhelm se renferme un peu plus dans son monde intérieur.
( 1er juin 2019 ) ❃ La colère éclate face aux perquisitions, première fois de sa longue vie que Wilhelm hausse la voix, jugeant comme intolérable la violation de leur vie privée, l'une de ses boutiques ayant été mise à sac sans raison valable.