La noyade pour abysse, son esprit déjà dévoré par les souvenirs brutaux de sa démence. Elle est brisée, trop frêle pour supporter davantage. Incapable de véritablement mourir. S'accrochant, se débattant, se reconstruisant sans cesse. Boucle infernal qui ne la délivre jamais. Les pieds dans l'eau, elle a coulé. Ses pensées trop loin, son regard tourné vers les images d'Alkonost. Figé en une poupée fragile, que la nature a englouti. Esfir n'en est pourtant, pas morte. Une voix, une lueur, une blonde pour la ramener à la surface. La guider jusqu'à pouvoir remplir ses poumons d'air à nouveau. Toussant, perdu. Elle découvre ce visage doux, ce regard… Apeuré? L'événement la propulse dans cette nouvelle rencontre. L'oblige à ressentir une dette pour le geste de bonté. Une rareté dans son existence sinistre. La rousse ne demande pas comment Skadi a fait, elle-même peu encline à discuter de ses particularités. Une autre voix se superpose, celle de l'oiseau sous son crâne. Lui soufflant qu'elle a une occasion à saisir et c'est après le harcèlement d'Alkonost, qu'elle cède. Invite la femme, pour la remercier. Un rendez-vous qui n'en est point un. Une première expérience, en sécurité. Loin des hommes.

Esfir glisse son regard sur la silhouette qui l'accompagne, ses cheveux trempé rendant les plumes qui s'y mêlent moins visibles, plus collante. L'artiste apprécie les courbes de son visage. Se voit déjà les croquer avec son crayon. « Es… Esfir? » Sourire tendre qui lui étire les lèvres, lorsque son prénom sort de la bouche de Skadi. Discret, mais bel et bien présent. « Où allons-nous? » Elle indique un restaurant, à moitié invitant. Discret et moins brillant que les autres établissements. « Manger. Si ça te va. » Elle la prend délicatement par le bras, pour la guider jusqu'à la porte du restaurant. « Je connais plusieurs des serveuses. On y mange bien. » Préciser qu'elles sont toutes d'anciennes prostituées, ne lui semble pas important ou peut-être, refuse-t-elle, que cette rencontre soit reliée à son passé… Même par la simple parole. Elle n'a pas envie d'être rejetée, quand elle trouve un peu de courage. « C'est pour te remercier. »

« Oui, ça me va. » Soulagement, alors qu'elle s'enfonce dans une situation qui lui est inconnu, qu'Esfir sort de sa coquille. Avec une grande envie de ne pas le faire. Skadi pourtant, semble faire naître une différence dans ses habitudes. Sa douceur a quelque chose d'impossible à résister. Loin de la nature brutale de sa vie en général. C'est rassurant d'être en présence d'une femme… Sûrement aussi paumé qu'elle peut bien l'être. L'artiste le ressent ainsi, sans le dire à voix haute. Ignorant si ses paroles relèveraient de l'insulte. Le mot confiance la fait tressaillir. Un besoin imminent de s'enfuir de ce sentiment hurle à tout rompre sous sa peau. Au point d'inquiéter l'oiseau qui semble jeter un œil moins confiant sur la situation. Lui-même émoussé par les souvenirs de leurs passés communs. « Mais tu n'as pas besoin de me remercier. » Elle chasse cette réplique avec ses yeux, qu'elle lève au plafond. Elle refuse d'argumenter. Elle veut la remercier, pour l'avoir délivré de sa sottise. La rousse l'entraîne, la guide. Nerveuse, malgré elle. « Tu viens souvent ici ? »

Esfir inspire profondément, l’agrippe par la main pour chasser ce qu’elle perçoit. L’anxiété qui la ronge, par moment très spécifique. « Viens. » Une table les attend plus profondément dans le restaurant et l’artiste l’invite à s’y installer. Prenant ses aises, de femme habituée. « Celle qui tient le restaurant… Heum… J’ai travaillé avec la plupart des gens ici, du coup je viens souvent les visiter. » S’assurer qu’elles ne retombent pas dans les griffes d’un certain proxénète, surtout. Se rendant compte qu’elle tient toujours la main de Skadi, Esfir la retire rapidement et la glisse sur sa nuque. Gênée, la rougeur lui monte aux joues. Pour reprendre contenance, elle s’assoit et sourit à la blonde. « Installe-toi, ça me fait vraiment plaisir de pouvoir t’inviter. »

« Oh ! Je ne suis jamais venue ici. » Esfir note le regard qui s'échappe et sourit en coin. Attendri, autant que l'oiseau dans sa tête. La gêne néanmoins présente dans son propre comportement, la rougeur sur ses joue et sa nuque, qu'elle remarque naître sur la peau de Skadi. Elle rigole, en silence. Se demandant depuis quand elle est aussi timide. « Je… Je ne sors pas souvent. Enfin pas maintenant. » Un froncement de sourcil, mais elle laisse passer. Consciente d'avoir encore quelques temps pour lui voler une ou deux réponses. En premier lieu, elle souhaite remercier celle qui l'a sauvé. Sortie de la vague intérieure qui la submergeait au point… D'en arriver là. « Et… Qu'est-ce que tu prends pour manger d'habitude ? » De nouveau le regard la fuit, alors que la rousse en profite pour l'observer. « La plupart des gens de la ville ne viennent pas ici, disons que les employés n'ont pas une bonne réputation. Le restaurant reste excellent. Et j'aime bien voir qu'elles ont réussi à changer de vie… » Murmure deviennent ses dernières paroles, rappel de sa propre existence ravagé par le sexe payant et les hommes.

Elle inspire et ramène sa main sur la table, l'éloignant de sa nuque. « Normalement, je laisse le chef décidé. Elle a tendance à me surprendre. Tu veux bien jouer le jeu avec moi, ce soir? » Ce n'est pas un vrai sourire, qui étire ses lèvres. Toutefois, ses yeux se font tendres. Une pointe amusée. « Pourquoi ne sors-tu pas plus souvent? Je suis certainement, mal placé pour parler, mais tu n'aimes pas découvrir ce qui se cache dans cette ville? » L'espace restreint, l'oblige à frôler les jambes de Skadi sous la table, finissant par l'accrocher en cherchant une meilleure position. « Excuse-moi… »

« Elles semblent toutes si gentilles et agréables. » Esfir se fige légèrement, puis sourit tristement à Skadi. Choisissant de révéler un peu de ce qui la touche et construit sa propre vie. Au risque de voir fuir cette femme, qui éveille une douceur peu expérimenté. L’hésitation est pourtant présente sur ses lèvres, alors qu’elle se décide. « On respecte très peu les femmes qui se sont prostituée par le passé… » C’est presque un murmure qui lui échappe. Esfir s’échappe vers la table, remerciant cette distraction offerte au bon moment. Elles s’installent et avec l’accord de son invitée, elle fait signe à la serveuse de faire comme habituellement. Celle-ci sourit en coin, avant de disparaître à l’arrière.

« C’est un peu effrayant. » Esfir ressent la fragilité qui fait écho à la sienne. Comprend la frayeur que cette ville renferme. Elle-même prisonnière de ce que ses visions lui dévoilent. Jamais tranquille, son esprit vacillant avec les années. Trop d’images, trop de malheur. La rousse renferme tant de secrets, qu’elle se doit d’oublier pour se protéger. « C’est vrai… Moscou n’est pas des plus accueillantes… » L’intensité du climat, la dureté de la culture. Comment pourrait-elle reprocher quelque chose, à ceux qui préfèrent s’enfermer? Elle frôle sa jambe sous la table et rougi en la voyant rosir. Son sourire se fait plus détendu, un peu amusé. « Oh ce… Ce n’est rien ! » Elle tourne la tête vers la serveuse qui apporte une entrée à partager. De simple pommes de terre grillé au four et croustillante. Esfir se surprend, alors que Skadi relâche la pression sur sa main, à retourner chercher ce contact. Serrant sa main à son tour, comme pour la rassurer. « Merci, Natalia. » La serveuse sourit et prévient que le repas arrivera dans quelques minutes, avant de laisser de nouveau seul le duo. L’artiste en profite pour regarder de nouveau Skadi. Elle indique la nourriture et hausse les épaules. « Merci, officiellement. »