La Drioma hurla et cracha sur le pauvre hère qui s'en prenait à un cheval, et Sacha secoua légèrement la tête ; l'onde sonore de cette vieille bique lui éclatait le cervelet à chaque fois, et c'était parfaitement désagréable.
Elle ne connaissait rien aux chevaux mais savait la sympathie – toute étymologique – que leur portait son parasite personnel. Si elle le laissait là, la vieille carne était bien foutue de se venger douloureusement et longtemps.
Elle tendit donc la main pour tenter d'effleurer le nez velouté de l'animal dont les oreilles viraient comme des girouettes dans le vent.

« Attrape la corde ! Mais quelle empotée ! » se plaignit la Drioma.

Sacha ne répondit rien, attrapa un bout de corde fort peu pratique, et mena sa bête qui heureusement semblait bien dressée en se demandant quoi en faire au juste.
Les ailes de cauchemar claquèrent autour des épaules trop osseuses de Sacha quand une petite lumière s'agita suivie d'une phrase en anglais.

« Je déteste les étrangers » fit remarquer avec l'aplomb confortable du racisme bas de gamme la Drioma.
« Moi aussi » répondit entre ses dents Sacha qui pour le coup avait à s'en plaindre et avait développé une méfiance confinant légèrement à la paranoïa – remarquablement assortie avec le racisme cela dit.

Le cheval dans son dos redressa l'encolure, poussa un léger hennissement d'appel dans la nuit, et Sacha se demanda si on pouvait faire réellement confiance à un animal qui avait des sabots, et certainement un QI négatif.

« Quelqu'un du quartier... »

La Drioma laissa retomber le suaire de peur autour des épaules de Sacha, la drapant toute entière dedans. Elle s'approcha dans son claquement régulier de talons, avec en contrepoint celui du cheval bai qui la suivait.

« Vous êtes perdu ? »

On ne pouvait qu'être perdu dans ce quartier sans y habiter, hm ?

Les sourcils parfaitement redessinés au crayon de Sacha s'arquèrent légèrement ; mais qui pouvait bien venir dans un quartier aussi laid et mal famé, de nuit, de son plein gré. Peut-être un nouvel habitant alors ? Poussée par la curiosité et la vieille bique qui squattait près de nerf optique, Sacha reprit ses questions sans paraître se rendre compte que ça pouvait la faire passer pour une drôle de fliquette.

« Oh. Vous êtes nouveau dans le coin alors ? »

Elle fronça délicatement du nez devant la fumée qui tapissait de façon éphémère la nuit, pas très fan des odeurs lourdes et agressives de cigare, mais ne dit rien, se contentant de tourner la tête vers le cheval dont il était question.

« Ah, il est à vous. Quelqu'un tentait de le manger, je l'ai persuadé de partir. »

Avec un grand coup de chaussure à talon dans les valseuses, très précisément : avec de l'entraînement on peut être très féminine et un danger public.

« Je ne mange pas de chevaux », répondit-elle en secouant négativement la tête, alors que la Drioma se faisait la réflexion que le type avait l'air parfaitement imaginatif et que le chevaucher devait être une vraie partie de plaisir, des montagnes russes mentales !
Sacha fit remarquer que pour ça il faudrait qu'il dorme et qu'il n'allait certainement pas le faire avec elle en face. Elle sourit :

« Je vous le rends, je peux le laisser sans le tenir ? »

Elle ne voulait pas perdre l'animal dans les ruelles étroites du quartier de sécurité, ça serait con, surtout après l'avoir sauvé.

« Je m'appelle Sacha. »

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Il n'y avait pas exactement fort à faire pour comprendre que le type à l'allure incroyable face à elle était dans un état situé entre la peur et la méfiance, que la Drioma goûtait en dardant de la langue dans une imitation saisissante de serpent gourmet.
 « Finalement, j'aime bien cet étranger-là. Tu veux pas essayer de le ramener chez toi ? »
Sacha avait depuis bien longtemps cessé de se sentir insultée que son Cauchemar personnel tente de la prostituer pour son propre intérêt.
Elle n'avait pas tort d'essayer au vu des intérêts de Sacha, cela dit. La jolie escort ouvrit ses doigts aux griffes soigneusement peintes pour laisser partir le cheval...
Qui frappa du sabot mais resta où il était, le regard se perdant sur son propriétaire, ou un peu plus loin, c'était difficile à dire avec l'habitude des équidés d'avoir une expression difficile à lire.

« Oh, enchantée », Sacha exécuta un genre de révérence qui mettait en valeur ses longues jambes, sa jupe courte, et qui ne paraissait pas ironique.

Et ça ne l'était pas ; pour une fille comme elle, rencontrer un émissaire sans le coup de pouce d'Alasaïas qui malgré ses avis sur les gens huppés, était bien pratique pour les rencontrer.

« J'habite ici, je rentre de chez un ami. »

Un ami, ben voyons.

« Il ne te croit pas du tout. En plus d'être intéressant il est loin d'être con » décréta la Drioma avec la satisfaction des très vieilles âmes mesquines quand on parvenait à vexer quelqu'un qui leur était proche.
Et en effet Sacha était un peu vexée qu'il ne la croit pas, mais heureusement le spectacle d'un cheval qui répondait à son nom comme un chien faisait un parfait prétexte pour se détourner de sa rapide contrariété.

« Non, vous ne me gênez pas. »

Elle avait bien compris qu'il ne tenait pas du tout à se dresser en travers de son chemin, et si la Drioma avait vraiment envie qu'elle le ramène chez elle... Eh bien ça semblait plutôt mal barré vu la méfiance du damoiseau.
Sacha ramassa ses atours de cauchemar, prête à foutre le camp puisque grosso modo on la congédiait, ignorant la Drioma qui piaillait de protestation. Elle sourit à l'intention de Cornelius, à demi tournée vers lui, drapée dans la presque obscurité qui régnait en périphérie du rond de lumière des lampadaires.

« C'est certain. Je suis la seule. »

Si Sacha ne bougea pas à la brusque disparition du brillant capitaine – au sens propre –, la Drioma elle bondit et grogna comme un chien dressé à l'attaque, n'appréciant absolument pas être prise par surprise comme ça.
L'intérêt de l'hôte, lui, grandit encore un peu. Il était vraiment intéressant cet homme, finalement, la vieille bique avait peut-être raison. « Ne lui dis rien ! » intima la vieille, volontiers parano dès lors que ses interlocuteurs dépassaient l'âge tendre. Sacha se faisait parfois un malin plaisir à la contrarier & la contredire, pour prouver qu'elle n'était pas encore ni totalement son jouet, et qu'elle n'était absolument pas volontaire pour le devenir.

« Je serais idiote de refuser une telle invitation... Je vous laisse choisir l'endroit, il me semble que ça sera plus sécurisant pour vous », sourit-elle, en exécutant un geste large de la main, se tournant sur ses talons.

Sitôt attablée, dans un bar qu'elle connaissait vaguement et dont l'ennui semblait exsuder par le moindre carreau, elle croisa ses jambes interminables dans un geste de lady et de pute à la fois.

« Alors, que souhaitez-vous savoir ? Le nom simplement ? La Drioma. Je ne sais pas si ça vous dit quelque chose. »

Elle rit légèrement aux manières peu éduquées du capitaine, qui ne l'effrayaient pas outre mesure au vu de ses fréquentations à elle ; au contraire quelqu'un qui se méfiait si peu d'elle la changeait agréablement – n'est-ce pas Alas, qui avait toujours l'air d'un démineur débutant devant une bombe retorse.
Du coup la désinvolture de Cornelius était rafraîchissante et aussi étonnante que son petit accent.

« Pour quelqu'un qui n'est pas un flic vous posez beaucoup de questions je trouve », sourit-elle, pas gênée le moins du monde, et notant qu'il mattait légèrement.

Elle se demanda ce qu'il aimait, humant l'air comme un chien de chasse ; sans doute les gonzesses bien carrossées et qui n'avaient pas froid aux yeux.

« Je prendrai une vodka toute simple », réclama-t-elle en vraie fille. « La Drioma est une créature nocturne, qui console les tout-petits et donne des cauchemars aux adultes. Ça n'est pas un esprit très, très sympathique. »

Pour se venger de ce qualificatif qu'elle trouvait exagéré, la vieille mordit un nerf, ce qui n'eut pas de résultat visible puisque Sacha était habituée.

Sacha, qui était habituée des bas-fonds et des hommes parfois rudes ou n'étant pas d'humeur à faire des efforts, arqua un sourcil à la façon de parler du marin, amusée, sans commenter.

« Non mais vous aviez promis de ne pas me faire passer un interrogatoire. »

Elle n'était pas dérangée toutefois par les questions posées, sinon elle serait partie en laissant derrière elle l'odeur des cauchemars. Ou de la vieille moule, comme avait l'air de le dire Cornelius, ce qui fit franchement rire Sacha alors que ça indignait totalement la Drioma, qui promettait à ce petit connard un bourre-pif des familles.
 « Il se croit beau lui avec sa gueule d'alcoolique ?! » cracha-t-elle en même temps que trois dents, sembla-t-il à son hôte.
Sacha trempa les lèvres dans le liquide argenté après avoir fait un mouvement de salut dans la direction du pirate, et il était presque étonnant de voir qu'elle n'avait pas les lèvres couleur mercure après avoir bu.

« Non, ça n'est pas un clown, c'est plutôt une vieille femme. Souvent de mauvaise humeur. Mais elle peut revêtir toutes les apparences, avec une préférence pour la plus effrayante selon celui qui la voit... »

Elle cala une cigarette trop longue, suffisamment pour faire paraître ses mains féminines, entre ses dents, l'alluma dans un sifflement satisfait.

« Mais c'est pas son pire pouvoir. »

Elle souffla la fumée en évitant son vis-à-vis.

« ça dépend lesquels, mais en général, plutôt oui. Et toi alors, qu'est-ce que tu es ? »