A vrai dire je ne me rappelle plus franchement pourquoi je n'ai pas acheté ce cheval-là, sans doute une question de manque de moyens, ou de consanguinité rapport à mes juments. Le soldat toutefois ne regarde pas dans ma direction en disant ça, et n'a pas l'air d'y accorder d'importance, alors j'en conclus qu'il ne veut plus jouer.
J'ai déjà mentionné que je déteste qu'on ne fasse pas attention à moi ? C'est un genre de crime de lèse-majesté, tout à fait, un terrible manque de goût, une grosse, une fatale erreur.
Je me vexe à moitié, encore énervé de la perquisition, des interrogatoires, de toutes ces conneries qui me font perdre mon temps – mais qui feront sans doute une super histoire à raconter à des potes plus tard.
Après une bonne douche, et une bonne rasade d'alcool fort, sans doute – on se refait pas.

« Je veux bien que vous me raccompagniez en fait », je réponds avec mes manières agaçantes de prince de sang.

La vibration d'un téléphone me fait baisser le regard, et j'hésite entre attendre de voir s'il peut, ou s'il est rappelé quelque part, et partir de suite en prenant ma fierté en sautoir.
Je ne me décide pas, arque un sourcil impatiemment, et me tourne à demi dans la direction du palais Kourakine où Olga doit fourbir ses armes pour m'étêter.

Je n'aime pas trop les militaires – une branche lointaine de la famille qui ne porte même plus le nom en a fait sa spécialité – et ça n'est sans doute pas très étonnant au vu de mon côté fantasque... Sans parler du fait qu'il m'est physiquement impossible d'obéir à un ordre dirait-on.
Bon et en plus ils sont à peu près tous persuadés qu'il faut savoir se défendre dans la vie, ce qui est, je pense, d'une bêtise crasse. Je lève un sourcil, penche légèrement la tête :

« Evidemment. A quoi servirait les gens de votre profession si nous savions tous nous défendre ? »

Mais étrangement il accepte de me raccompagner alors que je pensais vraiment qu'il allait m'envoyer paître, ce qui n'aurait été que justice ; il ne faut pas croire, je sais parfaitement à quel point je suis pénible.

« Oh. D'accord. »

Je ne prends même pas la peine de masquer ma surprise, prends la direction du palais Kourakine ; je n'ai aucune idée du temps qu'on va mettre à rentrer, mais je connais à peu près la direction.

« Pourquoi vous êtes relégué aux interrogatoires de seconde zone et aux perquisitions ? »

Si tu te retiens de rire à sa question, tu tires ton premier sourire de la journée.

-Si vous saviez tous vous défendre, vous seriez tous des gens comme nous et la Terre ne s'en porterait que mieux.

Si tout le monde savait se défendre, l'émeute n'aurait pas eu lieu au début du mois car personne n'aurait eu peur d'y rester, personne ne se serait senti menacé. Tout le monde aurait ri des manœuvres paranoïaques de la Royauté, acquiescé et se serait détourné en désobéissant naturellement.
Et Aleksandra Romanova ne serait pas morte.

Comme s'il avait lu dans tes pensées, Alyosha s'aventure sur le terrain très glissant de ton changement de poste. Ce qui aurait pu être une fierté nocive il y a un siècle s'est noyé dans une forme de connaissance du monde qui fait que peu de choses te surprennent encore et donc, t'énervent.
Alyosha Kourakine a cependant cette manière agaçante de, juste, exister.

-Parce que Sa Majesté considère la sécurité de ses pairs plus importante que la sienne, et que ses pairs ont un peu de mal à sortir du Palais Royal depuis que la Princesse en titre a été assassinée.

Ce qui est normal.

-Et si vous aviez été autre chose qu'un insignifiant être de seconde zone comme vous dites, votre perquisition se serait transformée en un évènement beaucoup plus désagréable. Raison pour laquelle votre cousin a dû fuir, j'imagine.

Ça, c'est la version d'Alasaias, et elle pourrait être valide si son grossier géniteur n'était pas un terroriste en puissance capable de se cacher et de revenir avec des ennuis puissance dix.

-Je me trompe ?

« Vous n'auriez plus de travail, je ne suis pas sûr que le monde s'en porterait si mieux que ça », je lui affirme dans un battement de cils.

Oh, je ne vis pas dans les petites illusions de ma très chère mère Olga qui estime que nous sommes les meilleurs simplement par naissance ; c'est parfaitement faux de mon avis, que je garde soigneusement pour moi.
Et puis j'ai l'habitude depuis tout petit de me comporter avec arrogance alors ce que je pense on s'en fout franchement.
J'ai un rire à son explication de changement de poste, et la façon qu'il a de faire passer le Tsar pour un héros alors qu'à mon avis, tout ce bordel c'est de sa faute, et j'espère qu'il s'en rend compte et le regrette amèrement.

« Je n'ai pas dit insignifiant, vous pouvez éviter d'être désagréable ou vous ne pouvez pas résister ? » je demande en arquant un sourcil. « Et oui vous vous trompez totalement. Kirill n'est pas dangereux. »

Enfin, pas pour ça. Mais s'il ne le sait pas c'est qu'il n'a pas eu accès au dossier, je crois que tous les services sont au courant de ses tendances à la destruction et à l'imposition de son point de vue par la violence.
Nous, les Kourakine, on s'est habitués à force, mais ça doit faire bizarre quand on ne le connaît pas trop.

« Ah non ? Vous avez fait quoi d'autre ? »

Ma question est réellement intéressée, aussi pénible que je puisse paraître, j'ai un réel intérêt pour les autres. L'avantage à connaître un connard comme moi c'est que si les choses ne m'intéressent pas, je ne demande rien, je ne fais pas vraiment semblant.
Je ne suis pas certain qu'il le prenne comme un compliment cela dit. Je me tends nerveusement dès qu'il me regarde de trop près, il y a quelque chose d'assez dérangeant dans sa façon de faire, et je ne suis pas loin de jurer que c'est à cause de sa nature. Il faudrait que je me renseigne un peu plus sur les Alfes pour le savoir ; ça n'est pas le genre d'info qu'on trouve facilement chez moi, on aura compris que ma mère n'aime pas trop tous ces trucs-là...
Je réagis donc par un grommellement frustré, justement, m'écartant de lui comme si ça allait régler le problème.

« Mieux vaut ne pas être emprisonné tout court. »

Kirill a eu raison de se barrer s'ils veulent vraiment le mettre en taule ; ma solidarité familiale me fait dire que je ne vois vraiment pas pourquoi ils lui en voudraient.
Bon ma mauvaise foi aussi, parce que j'ai entendu deux trois choses qui expliquent pas mal des réactions des officiels.

« J'imagine que courir après les fuyards ne relève pas plus de vos fonctions que d'interroger des cas.... comment vous avez dit déjà ? Insignifiants et de seconde zone, je crois. A moins qu'on n'ait pas besoin de vous ailleurs comme ça semble être le cas ces derniers temps. » je persifle. « Mais ça m'arrange », je lui confie dans un sourire charmant, ne voulant pas le faire fuir, ce qui peut s'avérer compliqué avec mon caractère de merde.