Sous le lourd manteau blafard affublé par le jour sur le monde, les abeilles se mettent progressivement à bourdonner, attirent soigneusement les mâles sur les terrains volubiles, où nul ne peut prétendre être indifférent. Femmes se consument au rythme des notes, l'orgasme mimé au bout des lèvres, tandis que les loups claquent crocs contre crocs, désireux de savoir quel goût la chair peut avoir. La nuit viendra bientôt s'abattre sur le cabaret, et avec elle, viendront les émissaires de la luxure. « Sois plus lascive, chérie. Ouvre-moi cette bouche, que tous les Don Juan aient envie d'y mettre leur queue. » L'ordre roule sur la peau halée d'une nouvelle égérie de l'envie. Artiste de renommée, désormais, Savina cherche les perles les plus admirables, les plus capables. Prosterner son cul pour obtenir quelques pièces est trop simple, à cette époque. Obtenir la même somme sous les lucarnes d'un émoi avorté est un exploit plus fragile qu'elle maîtrise d'une main d'ivoire. « Tu dois me donner envie de te baiser. Si tu n'y parviens pas, aucun homme ne le souhaitera non plus. » Etape cruciale avant que la marchandise ne passe les rideaux de la scène, celle où l'obésité bâtarde d'Arsenia doit gonfler encore davantage. Lui donner envie de baiser - parfois baiser aussi, sous peine d'être renvoyée dans les tréfonds du monde. A milles lieues d'une anatomie sillonnée par les yeux. Pendant quelques minutes, elle observe attentivement les courbes tenter d'envoûter ses phéromones. En vain. « J'en ai assez vu, tu peux aller te rhabiller. » La décision est accompagnée d'un mouvement las de la paume. Celui-là-même qu'on espère éviter à tout prix. « Suivante dans cinq minutes ! » Suivante, ou suivant, lorsque la musique se veut surpassée par des notes sifflantes, provenant d'une bouche trop connue.
A peine Arsenia s'est-elle retournée qu'elle envoie sourire aux bords des labres. Coopération depuis longues années des deux molosses aux putains fardées. Lascive collaboration qui ne cesse de lui malaxer les reins. Ecchymoses sensuelles d'étreintes illustrées dans le cortex, jamais dans la réalité, fantasme souverain qui n'a de cesse de l'amadouer. « Lyov, mon ami... » Baiser près des phalanges, qui fait doucettement trembler l'épicentre, la Gorgone aux abois, étire le tintamarre des hormones. Dopamine s'épuise dans le carcan. Odeurs de baise sous son auvent. Aromatisé d'un compliment, Méduse ne peut qu'en être plus amadouée, et sous les lueurs rougeâtres, les doigts fécondent l'avant-bras, cajolent la chair mise à nue, fait crever la moiteur de son crépuscule. « Cesse de me flatter de la sorte. » « Aurais-tu peur de le baiser, sinon ? » « Tais-toi, félon. » Indrik s'amuse et étire sa robuste parure, tandis qu'il relâche dans le sang un parfum d'orgueil fracturé. Le menu passe au plat : filles qu'ils se partagent comme denrées d'un restaurant à volonté. « Tu es parfaitement à l'heure. Elles vont danser pour nous. » Elle propose la table habituelle, où comme deux antiquités, ils s'entreposent souvent pendant des heures. L'une des filles apporte les liqueurs désirées, avant de s'enfuir à nouveau. Et tandis que les cadavres s'installent confortablement, Arsenia s'éprend davantage de la situation. « Nous en avons une dizaine. Entre 18 et 26 ans. Toutes issues de milieux défavorisés. Elles sont toutes motivées par nos conditions. » Elle se met à rire. Conditions mal expliquées, conditions bizarroïdes. Quelle femme accepterait de jouer son avenir sur une danse ? Seulement les cas les plus désespérés. Seulement la majorité des filles trouvées dans les rues de Russie, aspirant à la gloire, à la richesse, à tout sauf la misère déjà entamée. Finalement, elle allume une cigarette, fait perler la fumée le long de l'atmosphère lourde de nicotine. « J'espère qu'elles sauront nous envoûter. » Sinon, la rue, de nouveau.
Si je ne puis, malgré tout mon art diligent, pour Marchepied tailler une Lune d'argent, je mettrai le Serpent qui me mord les entrailles sous tes talons, afin que tu foules et railles, reine victorieuse et féconde en rachats, ce monstre tout gonflé de haine et de crachats.
Secondes courtoises et minute passionnelle, les émois de la flatterie font leur nid dans le ventre de la Bête, qui, silencieusement, ronronne aux creux des mamelles, ravi des manières masculines d'une charogne encore trop inconnue. En pâmoison, Indrik s'affole en farandole et entaille les côtes inférieures de ses serres, gros matou pelotant duvet, frôlant l'inébranlable envie de baiser. Chagrin d'ennui dans le sourire, qui ne falsifie guère la prétention d'amadouer l'autre, mais qui se refuse à toucher le marbre. « Les femmes, de bon matin, me mettent de bonne humeur... » Elle n'exhibe, de la parure qui orne son matelas, que les douces courbes des fesses, Milesia et ses milles amantes d'autrefois, la luxure jusqu'aux bouts de ses doigts. L'odeur de la sueur des Feminae conjuguée au pluriel, l'accouplement des Vénus qui ébranle toujours les mœurs, mais aussi les cœurs des dominants. Sous la table, d'un soubresaut, la Dragonne étire ses longues pattes, croisent les jambières d'une grâce taciturne, toujours finement exercée. Et sur le bout de la langue, profile le satin d'un futur mégot, qui ne laisse qu'un goût mercure derrière lui. « Nous en avons tous deux besoin, les Hommes se lassent trop rapidement des courbes qu'ils dessinent trop souvent du regard, encore davantage lorsqu'ils ont l'opportunité de les effleurer du bout des doigts. » Nulle insulte, ici-bas, ni remarque indigeste, seulement le chaos d'une réalité malsaine, le besoin continuel de renouvellement de putains, catins, salopes en tout genre, pour deux escrocs de leur envergure, fumant bien tranquillement tandis que les autres montrent leur cul. Celui qu'elle aperçoit – et qu'elle contemple inlassablement – suscite la légère faim, l'émoi malsain d'une gourmandise couleur carmin. Elle est surmontée d'un frisson, violemment perpétué par la promiscuité latente d'un camarade au trône rouge, couleur monstre d'obscénités, la langue aux rouages lubrifiés. Les veines palpitent d'ocytocine, l'atlas flanche en direction du lubrique collègue, et la main, doucement, flirte avec la sienne. « La fragilité te plaît toujours. » Un geste lascif de la main essuie la première pimbêche, la réduit à l'état de silence pesant, danse insuffisante, ou seulement fragilité déjà acquise en son antre. Suivante aux formes généreuses, suivante assez insolente pour ronger son regard, crever la lèvre de ses dents. Charmante. Les pupilles digèrent l'envie soudaine d'écarter les cuisses, se glissent comme une putain dans celles de son voisin. « J'ai un penchant plus prononcé pour les femmes qui me tiennent tête. » La clope entre les phalanges, la bouche en orbite de l'oreille, à son tour, copie les gestes permettant le murmure, flirte comme un homme, sans honte aucune. « Elles baisent avec plus d'ardeur. » Valse sensuelle. Tango sexuel.
Si je ne puis, malgré tout mon art diligent, pour Marchepied tailler une Lune d'argent, je mettrai le Serpent qui me mord les entrailles sous tes talons, afin que tu foules et railles, reine victorieuse et féconde en rachats, ce monstre tout gonflé de haine et de crachats.