Alasaïas n'aimait franchement pas qu'on lui donne des ordres ; ce qui rendait la chose d'autant plus drôle à faire, du coup, ça n'était pas un système de défense très efficace – mais si les Kourakine avaient été un jour doués en stratégie, ils avaient au fil du temps perdu ces capacités semblait-il. L'hôte de la Drioma fit donc un charmant sourire à son amant avant de s'esquiver dehors, ne poussant pas sa chance et le laissant sécuriser sa maison : elle ne pouvait pas quantifier à quel point l'idée de la présence d'une alarme branchée la rassurait même si elle était traçable absolument partout.
Le moment n'était pas à ça, se dit-elle en s'accoudant à la rambarde quasiment parfaitement nue, mais il faudrait tout de même qu'elle discute avec Alas de cet homme qui pouvait désactiver les puces. La vieille carne dans son esprit acquiesça frénétiquement. Elle eut un ricanement amusé en observant la réaction d'Alasaïas au corps de Sacha, sans pour autant comprendre le moins du monde ce qui lui faisait cet effet-là.

Sacha comprenait, elle, et c'était bien suffisant. Elle sourit en se tournant vers lui, la lumière jouant sur des abdominaux à peine dessinés, et évidemment ses jambes, remarqua la façon dont le verre de cocktail servait de protection entre eux.
Pour qui, elle n'en savait rien.

« Merci », elle récupéra son verre gracieusement, soutenant le regard de son amant tout en prenant une gorgée. « Hmm, tu devrais y remédier alors, si tu as peur que j'ai froid. »

Elle ne s'embarrassait pas franchement de subtilité, parce qu'à vrai dire, lui aussi lui avait manqué.

Si Sacha comprit parfaitement que son amant cherchait sur son corps longiligne les traces de la nuit restée cauchemardesque, elle n'en fit ni mention ni ne prit la mouche, se laissant contempler exactement comme si son corps simplement vêtu de lingerie.
Elle eut même un petit rire à la réaction d'Alasaïas qui, bien sûr, trouvait à redire à son invitation franchement peu subtile. Elle déposa le verre sur une table basse aux pieds chargés de petites ampoules lumineuses de couleur, se laissa parfaitement attraper par lui en répondant à son baiser. Il n'y avait pas de traces de méfiance dans son comportement, rien d'inchangé.

Elle décala une jambe sous l'impulsion d'Alas, se laissa guider jusqu'au sol, souriante, et regrettant l'absence de ses talons parce qu'elle aimait que les hommes lui enlèvent, et Alas le faisait particulièrement bien.

A la place elle s'étira contre le matelas, ses os un rien trop apparents saillant sous sa peau fine, considérant Alasaïas d'un regard chaud, illuminé par les lampions accrochés un peu partout ; la nuit était particulièrement calme comme c'était le cas depuis un mois ; c'était peut-être un peu moins vrai dans la ruelle rouge du quartier de haute sécurité où les affaires ne s'arrêtaient jamais...

« Touche-moi », réclama-t-elle en cherchant un nouveau baiser, la main glissée dans la nuque d'Alas.

Sacha se laissa parfaitement renverser dans les coussins et les plaids divers, docile et accueillante, une cuisse remontant contre le corps d'Alas comme pour l'empêcher de changer d'avis ; il n'avait pas vraiment l'air d'avoir prévu de partir, cela dit.
Elle ondulait sous le corps de son amant en ne cherchant absolument pas à masquer ses ressentis, sa main ne quittant sa nuque que lorsqu'il fut hors de portée ; elle se mordit délicatement la lèvre en sentant sa langue parcourir sa peau, le cœur battant la chamade, une excitation piquante lui parcourant les cuisses.
Elle n'arrivait toutefois pas vraiment à se laisser aller, parce que comme à chaque fois qu'elle était dans une situation intime avec lui, elle se demandait ce qu'il ressentait, s'il ne se forçait pas, et tout un tas de pensées parasites qui tournoyaient en l'empêchant de lâcher prise.

Enfin, jusqu'à ce qu'il se mette en tête de littéralement souffler le chaud et le froid, là elle étira la nuque dans un gémissement vibrant qui serait sans doute le premier à prévenir les voisins qu'il se passait quelque chose d'intéressant sur la terrasse.

Sacha eut un rire qui tintait dans l'obscurité, sans doute aussi audible que son gémissement précédent, jetant un coup d'oeil à Alas illuminé par les guirlandes qui diffusaient une lueur réconfortante.
Là comme ça, elle n'avait presque plus l'impression d'être pucée, d'avoir vécu l'horreur, et elle se sentait tout à fait consolée – la douleur reviendrait plus tard comme un chien qui veut mordre les mollets d'un passant innocent.

« Tu n'aimes pas le public, toi qui es si théâtral ? » demanda-t-elle, accueillant la remontée du corps d'Alasaïas contre le sien dans un soupir satisfait.

Elle étendit le cou en le laissant s'y réfugier, s'y faire un abri caressant sa nuque, son dos, le serrant contre elle en se délectant de sa chaleur, son odeur toute personnelle, le picotement de sa barbe contre sa peau.
Sacha laissa échapper un sourire satisfait, paresseux.

« Tu n'es pas obligé, si tu n'as pas envie », glissa-t-elle dans son oreille, préférant la franchise aux non-dits, et ayant toujours autant de mal à gérer cette saloperie de malédiction inimaginable.

-Je n'aime pas partager.

Ma splendide imagination est aussi couplée à un formidable sens du déni, ce qui me permet d'ignorer parfaitement toutes les conquêtes de Sacha sans broncher, sans quoi j'aurais eu tôt fait de devenir fou. C'est probablement héréditaire, comme la majorité de mes traits de caractère. Mais je n'ai pas vu Sacha depuis une éternité, et maintenant qu'elle me fait grâce de sa présence comme une insupportable reine (Kirill aurait probablement adoré l'avoir comme fille, elle aurait sans doute été plus digne que moi), je tiens à en profiter comme le premier des rois. Peste soit le Tsar, peste soit le gouvernement, peste soit la populace, je veux faire de Sacha une Reine dont je serai l'unique peuple.

Je remonte le long de son cou du bout des lèvres, égrenant sur le bronze de sa peau des baisers comme autant de pierres précieuses taillées dans toutes les larmes que j'ai versées en l'attendant. Ma langue seul vecteur ou presque de sensation remonte le long de sa mâchoire tandis qu'elle se dédouane d'une culpabilité familière qui fait inévitablement son grand retour. Je la bâillonne d'un coup de langue sur ses lèvres fines.

-J'ai laissé ta fierté tranquille, fais de même avec la mienne.

Ce qui me restait de fringues glisse au sol et je grimpe sur ses hanches, inversant pour une fois les rôles. J'essaie d'imaginer la chaleur de son corps à l'intérieur de mes cuisses dont la peau pourtant si sensible chez l'être humain est ici une cotte de mailles. C'est mon cœur qui s'emballant se charge de me réchauffer de l'intérieur. Mon regard glissant sur elle aide l'imagination à faire le reste.
Passant ma main dans mon dos, je la saisis d'une poigne lâche que je resserre jusqu'à ce que mon pouce chevauche mes phalanges, et mon poignet se tord, comme le fond de mes tripes.

Elle n'aurait su dire si elle était plus vaincue par les baisers dans son cou, qui déclenchaient une pluie de frissons agréables, comme réflexes, naissant juste sous les lèvres d'Alas. Elle crispa une main dans sa nuque quand il murmura une réponse, acquiesçant simplement, et décidant de fermer les yeux.
Elle avait passé trois semaines presque parfaites depuis la soirée catastrophique, et elle n'allait certainement pas en expliciter la raison à Alasaïas au risque de le blesser – elle avait fini par le comprendre – mais elle avait l'impression que les choses reprenaient de leur normalité.
Tout serait bien à partir de maintenant, ou au moins, le moins pire possible. Sacha pinça délicatement sa lèvre inférieure entre ses incisives au geste de son amant, arquant le dos dans un mouvement élégant, interminable, suspendu dans le temps.

Sacha mordit un peu plus fort dans sa lèvre, ses ongles se plantèrent dans la peau insensible de son amant quand il précisa ses gestes, l'acte, et elle finit même par se redresser pour l'entourer de ses bras, fondre dans son cou, comme si la Drioma avait décidé de le bouffer tout entier.

Finalement et comme à chaque fois, la Drioma n'avait mangé personne ; contrairement à ce qu'elle faisait volontiers croire, elle ne mangeait pas les gens, en esthète et gourmet, elle dévorait leurs peurs.
Ladite Drioma était comme à chaque fois que son hôte se laissait aller à des considérations bassement sexuelles un peu fâchée, et grommelait quelque part où les endorphines ne la gênaient pas trop.
Sacha s'étira comme un chat sur les matelas abandonnés sur un balcon luxueux dans la nuit moscovite, se rappelant peut-être qu'elle avait aussi dormi comme ça chez elle, juste après... juste après. Elle se décala dans un mouvement serpentin, envahissant Alasaïas, s'étalant sur sa poitrine.

« Tu as parlé de tes cousins et de ton père. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Personne de mon entourage n'a terminé en prison. »

Quoique à ce qu'elle avait compris, Dee-Dee avait tellement lourdement insisté pour protéger sa belle qu'il avait bien failli.

Pensive, Sacha pinça les lèvres. Un restant d'orgasme courait sous sa peau, et la Drioma était parfaitement réveillée dans sa tête, impossible de dormir pour le moment ; elle espérait égoïstement qu'Alas n'allait pas s'endormir de sitôt.

« Guerrières ? C'est logique pour un noble, j'imagine », fit-elle remarquer dans un petit rire froufroutant, qui cascadait du balcon pour se répandre sur les pavés brillants et soigneusement alignés du boulevard Richesse. Elle approuva d'un hochement de tête à la réflexion sur Kirill, l'homme lui avait fait exactement cette impression-là : un insoumis.
Voire le plus grand égoïste que la Terre ait jamais porté ; elle était curieuse comme sans doute tout le monde de son espèce, parce qu'il y avait quelque chose de surnaturel chez lui, mais sans qu'elle ne parvienne à mettre le doigt dessus.
Il se complaisait sûrement dans ce mystère.

« La Russie est grande, mais il a sans doute eu raison de se mettre à l'abri... »

Elle se décala légèrement contre le corps d'Alasaïas, émit un bruissement de gorge affirmatif.

« Bien sûr. Elle a été inquiétée ? Et Mimosa, tu ne m'en as parlé que rapidement... Elle devait être pucée elle aussi ? »

La mention du méchant petit appareil entre ses omoplates la fit discrètement frémir.

Sacha eut un sourire secret & serein. Elle n'était pas bien certaine qu'un noble ait une réelle raison de l'adorer comme disait Alas hormis s'il avait pour projet de recourir à ses services, où là, oui elle pouvait être appréciable. Elle n'en dit toutefois rien, fermant à demi les yeux avec plaisir quand il l'embrassa dans les cheveux. L'étreinte d'Alasaïas était plaisante parce qu'elle était plus possessive que celle de la plupart de ses amants.
Un peu interloquée par la description succincte de son père, elle ne trouva à répondre qu'un : « oh », qui n'avait pas grand sens.
Décidément, Kirill était vraiment étrange et elle ne savait s'il fallait continuer à poser des questions...

« Qu'est-ce qu'il s'est passé avec Valentina, alors ? » demanda-t-elle tranquillement, avec sa curiosité calme de créature cauchemardesque.

Elle fit la moue, se rappelant très bien de Mimosa et déplorant son décès malgré le fait qu'elle ne l'ait jamais beaucoup aimée ; voire elle s'approchait franchement d'une détestation dont Sacha n'avait jamais pu trouver l'origine.

« Je vois... désolée », elle perdit son nez contre la mâchoire d'Alas, câline.