Une cascade de choses me submerge soudain : la surprise qu'elle se pelotonne contre moi, la peur et donc un réel frisson qui se développe le long de mon dos à cause de son aura et enfin cette délicieuse conscience de sentir à peu près quelque chose. De moite et de froid, entièrement créé par mon cerveau, mais quelque chose tout de même. Son contact demeure totalement fade à ma plus grande tristesse, mais Sacha coupe le fil de ce sentiment d'un baiser où intervient sa douce langue qui fait partir une langue de feu de la base de ma gorge jusqu'au creux de ma poitrine, puis de mon ventre, et enfin de mes reins. Mon cœur s'accélère, ouvre ses ventricules à une volée de papillons avides qui butinent mes tripes. Je glisse une jambe entre les siennes sans rien ressentir d'autre que son poids sur ma cuisse, n'ayant apparemment pas perdu les rudiments des embrassades intimes. J'attrape une de ses mains et la pose quelque part, n'importe où sur moi, sur la première surface qui me vient à l'esprit dans la proximité.

-Qu'est-ce que vous sentez ? Dites-moi tout, n'omettez aucun détail, je quémande, chuchotant contre ses lèvres.

Je m'arrache à la caresse des plantes malgré leur potentiel rassurant pour me rapprocher d'elle. Mon front se pose contre le sien et je tends oreilles et sinus à la moindre sensation qui peut survenir puisque mon toucher l'abandonne. Comme souvent, je ferme les yeux, dans un pacte implicite et désespéré, comme si me privant de ce sens je pouvais regagner l'autre. Mais ce sont bien mon ouïe et mon odorat qui se développent, s'aiguisent l'un contre l'autre, et bientôt je discerne chaque note de son parfum, chaque frottement des plantes et des draps, chaque pulsation du bout de la langue dans son cou.

La respiration pourtant maîtrisée de Sacha se dérégla quelque peu quand Alasaïas se mit en tête de lui glisser une jambe entre les cuisses, dans un geste qu'elle appréciait et dont elle n'arrivait pas à se dire que l'agréable n'était pas le même pour lui.
C'était d'une tristesse achevée, à vrai dire, elle en était encore plus désolée pour lui. Mais il ne se plaignait pas, sublime dans l'épreuve, alors qu'elle jouait de sa haute taille et de son interminable dos pour danser contre lui, lentement, soulageant un peu de la tension terrible qui la prenait et ne voulait plus la lâcher.
Elle se rendit compte qu'elle avait vraiment envie de lui, et se prit le mur de l'absurdité de sa malédiction en plein dans le nez, tel un camion lancé dans une crèche à pleine vitesse.
Sacha se redressa, profita de la position pour passer à cheval au-dessus de lui dans une position qu'elle – et la Drioma pour le coup – maîtrisaient parfaitement bien.

Elle glissa les mains sur le torse pourtant insensibles, frotta la peau sensible et fragile de l'intérieur de ses cuisses contre le blindage des hanches d'Alas.

« Tu crois qu'il peut te casser en deux avec cette armure improvisée ? » philosopha la Drioma, calmée, affairée à un travail d'aiguille.

Sacha n'en savait foutre rien.

« Je sens ton souffle dans mon cou, sur ma joue, ta peau contre la mienne, qui me caresse et me réchauffe à la fois.
J'ai des frissons au moindre contact, j'ai froid là où tes mains ne me touchent pas, j'ai envie de mordre ta peau pour y laisser un peu de ma marque.
Tu sens très bon, aussi. »

Impossible de savoir si elle parlait de l'odorat ou de la sensation, elle était suffisamment retorse pour y glisser le deuxième sens.

Un brusque sursaut me saisit quand Sacha de son ombre noire enjambe mon corps pour m'établir en trône de son règne nocturne. Sa longue silhouette efface le médaillon des étoiles dans mon champ de vision, m'engloutit de son aura à l'odeur de tempête qui me laissera malheureusement dans l'œil de l'ouragan plutôt que de m'emporter et de me briser dignement la raison et les reins. J'attrape ses cuisses par réflexe. Les plantes autour de nous semblent se rétracter de surprise, leur environnement n'étant traditionnellement pas bousculé par une telle énergie.
Je ferme les yeux, et comme autrefois, cherche désespérément à sentir quelque chose même s'il me faut l'imaginer, même la plus infime étincelle ou brûlure. Comme autrefois, j'ai le réflexe de commencer à mentir, à donner l'illusion de la fièvre qui lèche ma peau, de l'excitation qui contracte mes muscles et fait vibrer indécemment mes cordes vocales.

-Je croyais qu'il ne serait pas question de me chevaucher… je souffle, m'etirant sous les étoffes.

Ses mains se posent sur moi, et je lui jalouse la sensation de mon cœur qui s'emballe sous l'une de ses paumes tandis que moi je ne saisis que l'état de ses phalanges déployées sur mon torse.
Le charme de sa voix suave, lui, en revanche, m'atteint en plein cœur. Au lieu de rester à la surface de ses sensations, elle se fait réellement femme et les interprète, les chante comme une poésie, une déclaration d'amour. Je croirais presque entendre Jezabela si leurs corps ne demeuraient pas si différents. Mais la mélodie grave atteint mon cortex qui déclenche un raz de marrée de lulibérine. Il se fracasse contre ma respiration qui s'écorche, manque un pas dans cette danse étrange.

-Tu oublies un détail.

Mes paumes appuyées sur ses genoux pour l'enfoncer dans le matelas, je lui donne un brusque coup de hanches, de ceux qui bloquent la respiration par la soudaine prise de conscience que dans l'hémisphère sud, quelque chose gronde. Mes doigts attrapent ses bras sans prendre le temps d'une caresse qu'ils ne sauraient pas savourer et je saisis encore les voiles invisibles de cette jument des nuits sales, la tire vers moi pour que ses mâchoires claquent contre ma peau, contre mes os, pour qu'elle me dévore jusqu'à ce que je ressente la moindre petite chose. J'attrape ses lèvres quand elle est assez proche de moi.
La proximité, quand son corps élancé à ployé au dessus de moi comme un arbre millénaire luttant dans la bourrasque infernale, fait de toucher mon ventre et une partie trop intime de son anatomie. Mes muscles se crispent et se creusent pour empêcher le contact. Mais mon esprit joueur lui, éclate de rire et s'en excite.

Les dents aiguës du prédateur qu'était la Drioma mordirent dans la lèvre inférieure admirablement dessinée, dans un geste allumeur et faussement repentant qu'elle faisait très bien et qui s'alliait parfaitement avec son allure de mannequin.

« Je suis incorrigible. »

Il n'avait toutefois pas l'air effrayé, clairement pas en face la dame sombre qui le tenait en sa garde de nuit noire, au contraire. Sa respiration à lui aussi fit un accroc que Sacha attribua à la façon dont elle décrivait les sensations, donc soupçonna qu'elle s'en tirait très bien, et elle glissa un regard curieux et chaud pour savoir ce qu'elle oubliait.

Elle comprit rapidement parce que le mouvement était familier, antique, et qu'il faisait gronder dans son interminable corps mince un rugissement d'envie qui fit râler la Drioma qui s'entendait plus penser.
Elle ouvrit les lèvres dans un gémissement hoqueté tout pétri d'approbation contre le cou d'Alas, avant de le pince de ses crocs. Mais il était difficile à mordre et il guérissait trop vite, dans un rappel de sa bénédiction – et du cruel revers qui était imposé. Alors Sacha avait beau avoir vraiment envie de lui, elle ne savait pas vraiment si c'était une bonne idée.
Elle ne savait plus grand-chose. Elle eut un léger sursaut sensible à un contact très intime, reprenant sa description d'une voix toujours aussi posée et grave, quoiqu'un plus tendue, on se demande bien pourquoi...

« J'ai aussi très envie que tu me prennes, regarde », elle l'incita à baisser les yeux pour constater les légers tremblements d'envie-mêlée-de-froid qui parcouraient ses muscles. « Mais je ne veux pas t'insulter. »

Elle l'embrassa encore, glissant une main autour de sa gorge pour le maintenir en place comme s'il avait été un cheval récalcitrant.

Si c'est un membre homologue qui a creusé mes muscles dans la peur du contact, c'est bien un gémissement purement féminin qui passe la barrière de ses lèvres et qui me traverse la moelle épinière en une flèche puissante, indestructible, aux blessures impossibles à soigner. Sous les dents de Sacha dont je sens à peine la morsure, mon épiderme crépite et se réforme inlassablement, mettant à mal toutes ses envies territoriales. La Drioma ne me marquera pas comme ça. Sa main acérée me coupe le souffle, emballe me battements de mon cœur dans une hystérie dangereuse. Je saisis son poignet sans savoir s'il s'agit de la repousser ou de lui dire de continuer tandis que ma gorge se contracte de l'intérieur, cherchant l'oxygène dont le manque trace des tâches de couleurs sur ma rétine. Entre ces dernières j'entrevois son corps qui se tend vers le mien, II réclame sa pitence.
Ça y est, je vais mourir.

-Tu sais à quoi tu t'attends.

Je déglutis difficilement, repose ma tête dans mes étoffes dont le glissement de broderies devrait provoquer un frottement sensible à rendre dingue nos peaux aussi enflammées par les frictions que le sont nos lèvres. Une goutte de quelque chose tombe sur ma peau, s'évapore sans doute. Je tends un bras, fouille sous le lit, déplace un pot de fleurs, fait jaillir sous la lumière stellaire un ticket argenté pour l'ascension d'un plaisir qui m'est interdit. Je le lui lègue, le souffle court et le regard vacillant.
Fais ce que tu veux.
Si ça peut te faire oublier ce qui t'a fait fuir jusqu'ici, fais le.

Sacha avait une assez bonne idée de ce qu'était l'injustice avec la bestiole de cauchemar au caractère épouvantable qu'elle se traînait dans le crâne. Mais la présente injustice totale de la situation la laissait aussi pantelante que son excitation, elle avait vraiment envie de continuer sauf que ça n'était pas bien et cette fichue tension ne voulait pas redescendre, alors elle sentit ses yeux brusquement s'embuer de larmes comme si pleurer allait résoudre quoi que ce soit.
Elle les retint soigneusement, attrapa ce que lui tendait Alasaïas, le considérant sérieusement du haut de sa taille ainsi déployée au-dessus de lui, secoua la tête.

« Je ne veux pas être insultante ou envahissante ou... »

Elle haussa des épaules, renonçant à dire de vive voix que violer les gens n'était pas vraiment son truc ; et elle rapprochait vraiment la situation de ça.
Elle fit un effort qui lui semblait surhumain pour démonter du corps d'Alas, l'excitation bouillant dans les veines, et morte de froid malgré la température douce de la pièce sans doute maintenue à ce niveau acceptable pour les plantes.

Attends, quoi ?
Ma peau insensibilisée ressent parfaitement le dénouement des fibres de tension de l'atmosphère et le courant d'air glacial qui en résulte. Mes paupières se soulèvent pour voir la silhouette digne de Sasha trembler au dessus de moi, comme si elle allait s'évaporer. Quand elle se redresse, la voix chevrotante comme si elle allait fondre en larmes, je comprends que l'entité qui la domine se retire devant l'aube proche.
Et que ce qu'il s'est passé avant son arrivée ici est plus grave que je ne le pensais.

Je me redresse quand elle démonte de mes hanches comme si j'étais un étalon sans valeur qui ne parvenait pas à satisfaire la reine qu'elle est, ce qui n'est pas tout à fait faux. La peau moite de sueur, le cœur déréglé par nos attouchements, entre la peur qu'elle fuie de nouveau et la déception de ne pas lui suffire, je me rassois à ses côtés.

-On s'y fait, je te jure que l'on s'y fait et que ce n'est pas grave.

Dans un coin de mon encéphale, le souvenir de Jezabela palpite ; il aurait été trop beau de retrouver une perle de son genre dans cette ville pourrie jusqu'à la moelle. Elle comprenait, composait avec mes erreurs, avec ma situation. Elle trouvait le moyen de sourire, de s'accrocher à quelque chose malgré ce qui nous empêchait de nous aimer correctement, jusqu'à l'épuisement.
En l'occurrence Sacha n'a pas cette patience.

-Tu as fait irruption chez moi alors que tu n'étais pas attendue et tu me chevauchais il y a cinq minutes, crois-tu vraiment qu'en termes d'invasion nous soyons à cela près ?

Bien entendu, il ne s'agit pas du même acte, de la même émotion, du même engagement. Je cueille son superbe visage dans ma paume, la considère aux premières lueurs de l'aube dans un de ses rares fragments d'humanité.

-Tu as une autre solution ?

Il y en a d'autres, il y en a plusieurs autres, que je connais et que je maîtrise, au creux de voiles profondément intimes, de nuits profondément sombres.

« Je sais », répondit, lasse, l'hôte de la Drioma fatigué par le fait que la vieille carne s'en aille dormir devant la lueur du soleil qui commençait timidement à se lever.

Ça n'était plus l'heure de faire cauchemarder, et Sacha était debout depuis très longtemps et avait passé une nuit éprouvante, ne serait-ce qu'à cause de son arrivée précipitée ici, puis des événements qui avaient suivis et qu'elle n'avait franchement pas maîtrisé. C'était la première fois depuis très, très longtemps qu'elle se retrouvait à poil dans le pieu d'un homme dont elle n'était pas certaine de la sexualité et pas sûre du tout de l'attrait qu'il avait pour elle.
Maintenant elle savait que l'attrait était faux pour moitié, et si elle-même savait composer avec ça – tous ses amants n'étaient pas l'amour de sa vie même si elle faisait en sorte d'en apprécier sincèrement au moins les trois quarts –, elle se refusait à infliger ça aux autres.

Elle soupira, eut un rire étranglé à la remarque d'Alas, certes pas dénuée de sens du tout.

« Je n'ai pas envie de présenter les choses autrement, ça salirait et l'endroit, et nos relations, il faudra me comprendre à demi-mot », précisa-t-elle avec un sourire qui disait toutefois qu'elle ne lui en voulait pas.

Une main aux longs doigts passa sur une de ses tempes, cajolant un mal de crâne qui commençait à poindre.

« Je pense, oui. »

Dans un soupir je colle mon front contre le sien, tandis que ma respiration se calme sans plus rien pour maintenir son hystérique accélération.

-Je comprends. Enfin, je ne comprends pas, mais je saisis ce que tu veux dire.

Je ramène à l'arrière de son crâne ses longues mèches de corbeau noir, ses longs filets de cauchemars que l'aube naissante est en train de décolorer tranquillement. Au dessus de nos tête à leur tour, les étoiles commencent à mourir. Le souvenir de mon beau père se referme quelque part dans la galaxie ; il doit se retourner dans sa tombe, et en même temps trouver dans l'échec de ma vie sentimentale un mélancolique écho de la sienne.

-Laquelle ?

Mes yeux se fixent sur un point vague entre nous deux sans chercher à le mettre au point. Entre nos deux carnations s'étale la mer figée, en plein milieu du liminaire, d'un acte des étoffes mélangées. Les tâches de couleurs éclatent contre ma rétine et me font cligner des yeux contrairement à la chaleur de la peau de Sacha qui me laisse totalement indifférent.

-Ne t'en vas pas.

Je finis par redresser la tête, déposer mes lèvres sur son front, longuement, attendant une sensation qui ne vient pas. Ma main s'échappe de ses cheveux comme une araignée qui se serait malencontreusement prise dans sa propre toile. Je me redresse juste assez pour atteindre le plafond bas et fermer l'œil de la fenêtre d'un mouvement de rideau. L'obscurité retombe, comme si elle n'était jamais partie, comme si la nuit recommençait en fait, sans les erreurs, sans les peurs, sans les maladresses.
Je me recouche, une main toujours reliée à la sienne.

-Tu es en sécurité ici.

Autour de nous, le nid végétal froufroute en silence.

Elle n'était pas sûre qu'il comprenne réellement ce qu'elle essayait de dire de manière très peu claire, mais décida que c'était le cas, se taisant sagement, laissant la tension retomber mais mal, pas dénouée. Elle donnait çà et là de petits coups d'électricité mal éteints, et Sacha ne savait plus que ressentir. Pourtant le contact des doigts d'Alasaïas dans ses cheveux était agréable, et elle se laissa faire, la ligne tendue de ses épaules osseuses s'adoucissant un peu.
Elle fit encore davantage quand la lumière baissant parce que le maître des lieux venait de tirer un rideau xxl sur son plafond de verre, qu'elle aurait volontiers traversé quelques minutes plus tôt pour se tirer de là et de toute cette déception.
Elle n'avait pas du tout pensé à ça quand elle s'était laissée attirer dans le fauteuil plus tôt, et ne savait plus que faire de son grand corps ; sauf qu'il lui demandait très clairement de ne pas s'en aller.

« Je ne m'en vais pas », répondit-elle de sa voix grave, posée de nouveau.

Elle reprenait peu à peu le contrôle, rassérénée par le contact de ses lèvres sur son front qu'elle, elle sentait, voulait encore un câlin, mais avait peur de vouloir de nouveau lui grimper dessus, de nouveau cette idée d'échange affreux où elle seule sortait gagnante. Elle chassa la pensée, se reconcentra sur son idée :

« Je t'expliquerai. Là j'ai besoin de dormir. »

Elle était fatiguée, brisée par la nuit passée et les événements, déçue de voir que ce qu'elle pouvait créer de violent chez un grand escogriffe ne s'appliquait pas sur un homme qui lui plaisait sincèrement, se recoucha contre lui en adaptant son interminable corps à celui d'Alas.

« Je sais, merci. J'en avais besoin. »

Comme un félin désormais inoffensif à cause du retrait de la nuit, elle fourra son nez dans le cou de son presque amant, câline.