« Monsieur ? »

Penché sur un article de journal d’archives évoquant le tueur d’humanité dans ma grande habitude des lectures fort reposantes quand la nuit vient, je lève les yeux sur Valentina. Sa présence dans mon domaine à cette heure tardive à de quoi surprendre et faire jaser quand on ignore que mon mécénat de sa troupe d’artistes lui permet d’investir ma salle de musique juste après son service au bar pour répéter ses mélodies.

« J’ai terminé. » annonce-t-elle, calfeutrée contre le chambranle de l’immense porte permettant d’accéder au salon, son violon caché derrière ses superbes jambes comme une arme de crime.

« Est-ce que tu veux que missionne quelqu’un pour te ramener ? »

« C’est très gentil à vous mais, merci ; j’ai ma voiture. »

« Cette vieille carlingue... » je soupire dans un rire.

Valentina fronce de son adorable petit nez, signe que je l’ai vexée ; mais elle ne fera aucune remarque. Elle adore son carrosse suranné qui a traversé bien des épreuves et qu’elle n’abandonnera que lorsqu’il rampera sur ses jantes.

« Comme tu voudras. Bonne nuit Valentina. »

« Bonne nuit monsieur. »

Elle s’incline bien bas dans un remerciement muet malgré ma précision sur le fait que ça n’a jamais été nécessaire et tourne les talons pour en claquer l’écho jusqu’à la porte d’entrée. A cette heure-ci, tous mes domestiques ont regagné leurs pénates ; je n’ai guère besoin de gardes du corps dans un quartier aussi sûr que celui du Boulevard Richesse. Bientôt le lourd voile de la solitude s’abat sur moi, une fois étiolé le souvenir des notes de musique égrenées par le talent superbe de Valentina. Ne restent que les craquements des meubles, le frottement du vent contre les vitres au dehors, et le froissement des pages du journal étendu sur mes genoux.
Quand soudain, un claquement retentit quelque part dans l’appartement, me faisant dresser l’oreille.

« Qui est là ? » je demande stupidement.

Aucune réponse ne vient, évidemment. Me redressant, je replie le journal et le dépose sur la table basse, contrarié et vaguement nerveux.

« Valentina, c’est toi ? »

Mon corps quitte le confortable canapé dont la mousse de l’assise soupire en se réorganisant une fois libérée de son poids. Je traverse la solitude du salon, pénétrant dans le couloir de l’entrée, sans y trouver qui que ce soit. Tendant la main vers la lourde porte d’entrée, je fais jouer ses quelques verrous, m’emprisonnant dans cet immense mausolée de mélancolie dorée.
J’inspire un courant d’air.
Alors que toutes les fenêtres sont fermées.

C’est moi ?
Comment ça, « c’est moi ».
Je déteste les gens qui font cela. Surtout quand cela provoque chez moi un sursaut brutal qui fait soudainement redémarrer les battements de mon coeur à m’en donner la nausée ; et particulièrement quand quelqu’un me répond alors que je suis censé me trouver seul dans ma demeure.

Me retournant je fais face à celle dont j’avais reconnu l’aura, la voix, et l’inénarrable claquement de talons. Descendant les escaliers menant à l’étage supérieur, traditionnellement interdit aux visiteurs, La Drioma dont je n’avais pas re-croisé le chemin depuis notre dernière rencontre atteint le rez de chaussée dans une lenteur contrôlée, comme encore portée par les voiles d’une autre réalité.

« Vous êtes insupportable. » je lui lance comme un soufflet, en guise de salut. « J’aurais voulu vous assurer que c’était le cas, mais comme je vois que vous avez forcé d’autres formes de verrous pour venir ici, et que j’ignore si d’autres sont capables de vos ignobles prouesses, je crains de ne plus avoir la certitude de la sécurité de ces lieux. »

Toute mon aura bourdonne très certainement de trouille et d’énervement, comme à chaque fois qu’elle s’introduit dans mon environnement proche et cette constatation doit très certainement beaucoup l’amuser. Cela ne fait qu’intensifier mon agacement, et l’amertume indéniablement provoquée par un viol de la vie privée ; et si je tenais une réunion privée ? m’occupais à une activité d’une extrême intimité ?
Cette intrusion ne devrait pas provoquer une telle chaleur au creux de mes reins. Je m’avance vers elle d’un pas décidé et nerveux ; elle pourrait craindre une traduction physique de ma colère si elle n’avait pas parfaitement conscience de mon exécration pour la violence.

« Vous n’avez pas honte de vous introduire ici à cette heure et de cette manière sans y avoir été invitée ? Vous auriez pu au moins avoir la décence de vous téléporter sur le pas de la porte, gourgandine ! »

J’arrive presque à sa hauteur. Son corps dégage cette odeur d’orage et de pluie d’automne, matinée des premières fraîcheurs neigeuses qui me frappe de plein fouet. Je voudrais me souvenir de la brûlure de ses lèvres contre les miennes, mais mon cortex ne me renvoie que le caractère insipide des contacts insensibles.
Je me demande ce qui a bien pu lui arriver pour qu’elle se transporte d’urgence ici et en toute honnêteté, je m’en inquiète. Mais je ne lui ferai pas ce plaisir. Finissant par lever les yeux au ciel, je passe la porte du salon.

« Je ne vous demande pas ce que vous buvez. » je lance, car je n’ai pas oublié mes bonnes manières, moi. Me dirigeant vers mon bar, je lui désigne le canapé que je viens de quitter. « Asseyez-vous. »

Je balaie ses excuses d’une indifférence qui n’appartient qu’à mon défunt père, me retirant derrière mon bar comme il le faisait dans son laboratoire des profondeurs quand je l’importunais et qu’il ne voulait pas me le signifier explicitement. Après en avoir longuement souffert – surtout pendant mes années d’incarcération dépourvues de présence familiale – j’ai finalement adopté la manière de faire pour me rendre compte au fil du temps qu’elle m’épargnait bien des efforts. Ne possédant toutefois pas la froideur de mes géniteurs, mais plutôt l’hypersensibilité rebelle de ma mère, je donne encore l’occasion aux victimes de mon courroux d’en apprécier les notes graves, rageuses et tremblantes d’une émotion pathétiquement humaine.

« Je le suis. »

Renfermé au chaud dans le raffinement de mes alambics, j’esquisse d’habiles mouvements de poignet ce cocktail qu’elle m’avait réclamé la dernière fois que nous nous sommes croisés. Le temps s’étire, anormalement long pour un mélange de cette simplicité, mais juste assez pour que je dépose sur mon impulsivité le voile de la fatigue et de l’apaisement relatif.
Le bar se plonge dans le noir une fois mon œuvre terminée, et je dévore la distance qui me sépare de la Drioma pour lui tendre un immense verre chamarré.

« Veuillez avoir l’amabilité de m’échanger cela avec vos jambes je vous prie. »

Comme elle se saisit de l’objet, je claque sèchement des doigts près de ses genoux jusqu’à ce qu’elle bouge et que je puisse saisir ses chevilles et la débarrasser dans une caresse d’une habileté éloquente, de ses très hauts talons briseurs de colonne vertébrale.

« Vos échasses abîment un parquet qui m’a coûté une fortune et que je n’ai pas hâte de remplacer. » je m’explicite avant de me saisir des deux instruments de torture ainsi que du journal d’archives pour les emmener hors de la pièce, chacun à la place qui lui revient.

Ceci fait la lumière se tamise d’elle-même compte tenue de l’heure avancée. Effectivement je recevais ce soir : Valentina a eu ma demeure pour elle toute seule ou presque le temps de répéter une suite de morceaux pour une pièce de théâtre d’un de ses charmants affiliés que j’apprécie assez pour soutenir sa compagnie d’une remarque qualité au demeurant. Je prends place dans le fauteuil qui fait face à mon impromptue, encore suffisamment nimbé d’agacement pour ne pas trop la craindre. Prenant mes précautions je me pare toutefois d’une cigarette qui attirera mon attention ailleurs que sur l’attirance contre-nature que suscite sa superbe paire de cuisses de l’autre côté de la table basse.

« Vous imaginez bien qu’après une entrée fracassante du genre je m’attends à connaître les raisons de votre fuite. » j’ordonne avec euphémisme, abandonnant mon zippo sur la table et soufflant ma fumée entre nous.

Je m’attendais à un récit héroïque.
En fait, pas du tout.

La phrase lapidaire avec laquelle elle résume les circonstances de sa présence ici fait légèrement descendre les Légendaires dans mon échelle mentale de dangerosité. Je n’ai pas fait suffisamment d’études pour demeurer proche du folklore exhaustif de notre contrée, aussi je me doute seulement qu’il peut exister des créatures dont je ne soupçonne pas la menace – c’est le délicieux coin d’obscurité qui se situe en chaque encéphale humaine et qu’on appelle sans ornements « la peur de l’inconnu ». J’avais déjà remarqué avec Tarr que la lueur des Légendaires semblait s’affaiblir un peu plus chaque jour, guettée par une menace dont je ne comprends pas les engrenages, mais qui existe bel et bien, quelque part.
La nuée de gardes cachés dans l’ombre et prêts à bondir sur Sacha au moindre soupçon la dernière fois en a été la preuve vivante.

J’inverse le croisement de mes jambes tout en tirant sur ma cigarette, acquiesce simplement, sans donner de détails ; je fais en effet grâce à Dame Drioma d’une de ces remarques sexistes au possible sur sa tenue de ce soir même si elle me semble largement justifiée.

« Cela va-t-il mieux ? » je demande alors très simplement.

Je ne me nourrirai d’aucune description, juste des faits. Contrairement à mes parents, aux deux qui m’ont élevé plus exactement, je me garde bien des détails des horreurs que peuvent vivre les créatures dans le Quartier à Haute sécurité, préférant me contenter de cette réalité simple, énoncée implicitement : Sacha se sent en sécurité ici, point.

« Vous pouvez passer la nuit ici, si cela vous rassure. J’espère juste que vos manigances magiques n’auront pas attiré quelque créature qui se glisserait dans une faille mal refermée. »

Ma raison tambourine sauvagement contre les parois de mon crâne : mais tu es fou ?! Et si elle venait te tourmenter dans ton sommeil ? Voire même pire ; t’y tuer ? Et si elle en profitait pour s’emparer de quelques richesses, ou de tes secrets ? Les verrous ne servent à rien contre elle, ici. Elle peut se glisser absolument partout, même dans les moindres parties de mon âme, semble-t-il : je suis sûr que ces failles qu’elle trace dans la réalité, elle peut les tracer dans les esprits.
Cette pensée me fait désagréablement frissonner.
Donc ?
Donc, je suppose qu’il est inutile de lutter contre elle.

« Si vous vous sentez en sécurité avec moi, pourquoi avoir fui la dernière fois ? » je demande, me penchant par dessus la table basse pour cendrer ma cigarette.

Je souffle ma fumée du coin de la lèvre ce qui lui donne à elle un air de fuseau sec et fin, et à moi, cette attitude habituelle du parfait connard.

« Je ne vous ai pas demandé si ça irait, je vous ai demandé si vous alliez mieux que tout à l’heure. »

Et c’est bien différent. Je me doute bien que malgré ce que j’ai vécu, je ne saurai réellement comprendre ce qu’il s’est passé. Mais si je suis incapable de saisir la teneur des événements et leur réel potentiel dramatique sur mademoiselle, au moins pourrais-je faire en sorte de la traiter avec la douceur qui s’impose face à quelqu’un qu’on a brutalisé.
Et ça, je connais très bien.
Il suffit de me rappeler la manière dont j’aurais voulu qu’on me traite quand je suis sorti de taule.

J’acquiesce à sa question légitime, sans vouloir lui mentir.

« Vous m’impressionnez par instinct de survie primitif mais je commence à m’habituer à votre aura. Et surtout, si je sais passer au-delà de mes craintes, je tolérerai plus difficilement la culpabilité qui me saisira si j’apprends qu’il vous est arrivé quelque chose alors que vous vous étiez précédemment réfugiée chez moi. »

Pour simplifier : je vais dormir difficilement, ce qui est terriblement habituel, malheureusement. J’acquiesce à sa demande, constatant qu’elle a enfin intégré la politesse, et avant de pouvoir lancer une plaisanterie pour dérider son sombre visage, elle exécute son envie et tue dans l’œuf ma sournoiserie timide, laquelle se replie de plus belle, se cache dans un coin de mon crâne, dans l’objectif de réapparaître plus tard, quand je ne prendrai pas le temps de réfléchir avant de parler.

« Vous partagez l’attention malgré vous Sacha, mais dans l’autre sens. Comptez-vous seulement le nombre de regards qui se posent sur vous chaque fois que vous traversez un espace ? Le nombre de cœurs que vous brisez par votre indifférence ?»

C’est une manière de dire qu’elle est extrêmement belle, soigneusement ornée du dialecte bourgeois encore en pleine forme malgré l’heure tardive – merci Hypérion qui ne s’est jamais adressé à moi autrement.

« Je ne vous ai vue seulement deux fois dans mon élément, mais vous éclipsez beaucoup d’autres âmes présentes, qui s’en sont discrètement fâchées, croyez-moi. Vous avez même attiré l’attention de mon père, ce qui venant d’un être à l’allure féminine quand on connaît ses préférences, demeure assez rare pour être signalé. »

Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il a apprécié Sacha – le seul être vivant qu’il a du réellement apprécier dans sa vie étant sans doute ce foutu chinchilla – mais il a posé son regard sur elle plus longtemps que sur d’autres personnes.
Et très honnêtement, il m’a semblé qu’il s’était passé quelque chose entre lui et Sacha, comme si durant un instant il avait cru voir mon beau-père dont il n’a plus de lui que des souvenirs, des cauchemars, et ce fils qui l’a longtemps déçu.

Au qualificatif, je m’esclaffe.

« Non. »

Non, je ne suis pas quelqu’un de bien, je ne l’ai jamais été. Mais si cela lui fait plaisir de le croire, grand bien lui fasse ; c’est dommage qu’elle se construise de fausses idées mais après tout, qui mieux qu’une créature cauchemardesque a besoin de rêver de temps à autre ? Je n’argumente pas davantage, estimant que mon attitude me fait d’elle-même passer pour un personnage agaçant, voire insupportable – j’ai beaucoup appris d’un des collègues d’Hypérion, félin personnage au regard métallique, paix à son âme. Ne voulant pas la contrarier plus qu’elle ne semble déjà l’être, j’abdique sur sa disparition lors de notre dernière rencontre.

« Très bien vous n’avez pas fui. » je hausse les épaules et l’écho du geste me permet de cendrer ma cigarette. « Je suis toujours très occupé, où que j’aille, vous avez sans doute du le remarquer. Je ne m’ennuie jamais, n’est-ce pas merveilleux ? »

Les rares fois où je m’ennuie produisent des vides atroces que j’évite le plus possible.

« Vous feriez une parfaite femme du monde. » je fais alors remarquer. « Sublime, attirant tous les regards, et sachant rester à sa place et disparaître quand elle se considère éclipsée pour trouver utilité ailleurs. »

Le compliment, à double tranchant, traverse la table basse en un reproche effectivement bien déguisé. Je lui en veux d’avoir avorté notre rencontre pourtant imprévue, tout comme la première fois, mais l’avouer serait ouvrir des portes à une analyse de la situation, ce que je ne me sens absolument pas prêt à faire.
Cela, en plus d’être terriblement fatiguant par avance, semble engager de potentielles conséquences désastreuses que si on le veut bien, j’aimerais m’épargner soigneusement.

Je me laisse glisser un peu plus dans mon fauteuil, m’accoudant et déposant ma joue dans ma paume, songeur.

« Ce doit être agréable de sautiller d’amants en amants, de protecteurs en protecteurs, de vivre sa vie dans le risque et l’éphémère. Combien de temps votre attirance pour mes atours va-t-elle durer ? Tout n’est que vanité de nos jours, bientôt vous disparaîtrez en laissant derrière vous vos filets de rêves insalubres. » je soupire.

« De toute évidence. »

Est-ce triste ou dommage ? Je ne saurais le dire. Après tout, chacun d’entre nous deux nous épanouissons dans nos vie respectives avec les difficultés dont la Moscou déréglée par les poisseux charmes de Hel ou que sais-je pave notre chemin. Ce dont je ne m’étais pas douté en l’occurrence, moi qui parviens à prévoir tant de choses même les plus risquées et les plus dangereuses, c’était que cette aura de ténèbres allait faire irruption dans le cocktail raffiné de ma vie pour y distiller un alcool supplémentaire, une substance inconnue qui infuse lentement et qui soudain disparaît, aussi difficile à trouver que le Raskovnik et qui une fois évaporée, demeure impossible à produire.
Avec toute la maîtrise que j’ai du domaine, Sacha est un opiacé que je ne sais pas dealer.
Il n’est pas très agréable de prendre conscience de cet état de fait.

« Que vous disiez-vous ? » je demande en donnant parfaitement l’air de m’en soucier.

Je n’ai pas su sonder ce qui lui traversait l’esprit quand elle a soudainement décidé de descendre de son trône la dernière fois pour disparaître dans la nuit. Etait-ce le tranchant trop aiguisé des yeux de Kirill qui a réussi à deviner des choses ? Ou peut-être l’aura pétillante de la fille de Salomé ? A moins que se faire servir par la descendante Williamson au lieu de mes talents l’ait éconduite.

« Ah, je vous amuse ? »

Peut-être que je le regrette. Je pense qu’on regrette, qu’on songe avec mélancolie seulement à quelque chose dont on se souvient, et je ne parviens pas à me souvenir de Sacha avec précision. Ce qui reste en moi, c’est cette peur viscérale qu’elle distille par sa simple présence, par le bruissement délicat de son âme, par le claquement autoritaire de ses talons qu’elle semble prête, à chaque seconde, à vous planter dans le cœur. Mais quand elle déchire les niveaux de réalité pour s’évaporer dans les draps du virtuel, il ne me reste rien pour m’accrocher. Ni la lueur tempétueuse de ses yeux sombres, ni l’odeur froide de sa peau obscure…
Ni le goût de ses lèvres impérieuses.

« Je ne demande pas à être compris. » je l’assure gracieusement, des fois qu’elle pense que ce soit une erreur de sa part, un acte manqué impossible à réparer.

J’attribue la vitesse à laquelle elle consume sa cigarette bientôt suicidée dans le cendrier, à la bipolarité (tri, même) des personnalités qui cohabitent dans ce corps superbe, que je ne me lasse pas de contempler. Je réalise que c’était cela qui ne m’allait pas lors de notre dernière rencontre dans le club : un ensemble nébuleux non assumé. Il faisait brumeux, mais très clair ; ainsi, dans l’œil de l’ouragan, les perles et les paillettes apparaissaient sans fard, sans secret. Ici, dans la lumière tamisée du salon, le clair obscur s’organise dans sa légèreté et son mystère naturels, soulignant les angles masculins de ce corps de rêve pour mieux les adoucir dans l’ombre, accentuant les contrastes pour faire passer la blessure émotionnelle de ce soir comme une ode à sa sensibilité délicate.
Et pour la troisième fois, elle me brusque en avortant une conversation que je trouvais passionnante. Et pour la troisième fois, je vais la laisser faire sans la contrarier.

« Mais je vous en prie, l’offre tient toujours. Perdez-vous dans la chambre qui vous convient, elles sont toutes à votre disposition. »

Je me redresse pour lui dire au revoir avec un peu plus de classe que celle d’un adolescent bourré comme une outre et affalé sur son fauteuil ainsi qu’un enfant gâté, tire de nouveau sur ma cigarette qui commence à agoniser, et à trembler légèrement de ce pincement au cœur que la disparition prochaine de la Drioma intronise.

« Je vous souhaite une bonne nuit, Sacha. Et je suppose que je dois d’ores et déjà vous dire à bientôt, puisque j’imagine que le lever du soleil va vous chasser comme la dernière fois. »

Me rasseyant convenablement, j’éteins la braise de mes espoirs et ma cigarette dans le cendrier à mon tour. Il ne reste plus dans le salon que les lueurs diffuses de quatre loupiottes disposées aux quatre coins de la pièce immense.