Monsieur I. ne lui avait jamais donné son nom complet, dans un souci de discrétion que Sacha s'était de suite expliqué en apprenant qu'il était marié ; essayer de rester discret quand on fréquentait des escorts, des putes, ou des femmes ravies de se faire entretenir, c'était faire preuve d'un optimisme touchant voire déroutant.
Sacha avait plein de copines toujours prêtes à cancaner et au courant de tout, par la magie des paroles sur l'oreiller.
Et monsieur I. parlait en dormant. Dommage pour lui.

Outre ses tendances ratées à la dissimulation, Monsieur I. était un grand sibérien taillé comme un ours polaire, dont la silhouette s'accordait parfaitement avec celle de Sacha, si ce n'était qu'ils faisaient passer la taille moyenne pour un nanisme caractérisé. Sacha fantasmait pas mal sur la taille des mains de son amant, comprenait honorablement son accent, et lui était suffisamment généreux pour qu'au final leur relation dure depuis quelques mois maintenant.

Un éclat de rire traversa la nuit, semblant se moquer du pauvre type pris dans les pièges d'une grille d’égout, mais Sacha en réalité répondait ainsi à une plaisanterie du sibérien dont le bras était passé autour de sa taille. Elle n'avisa qu'après la pauvre créature toute frêle – oui c'était elle qui disait ça – comme un oiseau tombé du nid, et s'en approcha d'autorité.
Dans son dos, monsieur I. leva les yeux au ciel, amusé & exaspéré de la générosité de sa compagne, lui qui aurait fiche les mains sous sa jupe qu'aider un illustre inconnu.

« Bonsoir, attendez je vais vous aider. Ça m'arrivait tout le temps avant », rit légèrement la lumineuse Sacha, ce soir-là vêtue d'une robe qui semblait faite de lumière.

La Drioma réagit immédiatement, sans même avoir pris la peine de compter les points comme Monsieur I., à un niveau plus animal, sautant contre les défenses mentales de Sacha, la dérangeant dans son fonctionnement. Elle eut un accroc dans son mouvement d'aider le jeune homme à se dépêtrer de la grille d'égout qui avait piégé son talon, qui pouvait s'expliquer par la réaction agressive qui passait au-delà d'elle pour s'en prendre au sibérien.
Lequel leva ses mains massives fantasmantes devant lui pour prouver son innocence dans le sujet qui les concernait là-de-suite.
Sacha eut un sourire, espérant détendre l'atmosphère.

« Hé, t'inquiète pas. Je sais ce que c'est qu'une nuit longue, et il ne t'embêtera pas. Laisse-moi t'aider. »

La menace n'avait rien de naturel toutefois, et la Drioma grommelait dans le for intérieur de Sacha, qui finit par réussir à libérer la chaussure en ne montrant pas plus que la couture de ses bas, haut sur ses cuisses, un putain d'exploit dans les circonstances.

« ça va ? Il faut te raccompagner ? Monsieur allait partir, c'est un homme occupé. »

La dame sombre décocha un regard à son amant qui comprit qu'il se faisait congédier par ce simple geste, mais ne dit rien ; il ferait la gueule quelques jours puis reviendrait. Il revenait toujours, surtout quand Sacha l'encourageait de ce sourire dont elle avait le secret, tout en glissant le bras contre la fourrure rose, soutenant Valeriy. 

« Je te raccompagne quelque part ? »

Sans qu'elle ne comprenne pourquoi, le sibérien faisait manifestement peur au type en talons, et sitôt Monsieur I. congédié, tout alla mieux. Sacha se redressa tout de même pour se laisser embrasser un peu durement comme s'il la prévenait qu'elle l'emmerdait, mais elle n'y répondit que d'un sourire lumineux dans la nuit, oublieuse & charmante.
Monsieur I. soupira, agacé-et-charmé tout à la fois dans un mélange parfaitement ambivalent, tout à fait comme Sacha savait les créer, et se détourna pour rentrer chez lui, dans un revirement de la soirée qu'il n'avait pas prévu.
Qu'avait-elle besoin, cette tête de mule qui lui servait d'amante, de porter secours à tous les oisillons tombés du nid ? …

La Drioma, décontenancée, reniflait et se tendait dans l'esprit de Sacha, embrumé par la soirée et quelques verres de vin, cherchant à savoir ce qu'était au juste ce petit être – pour la Drioma toute personne plus réduite que Sacha était « petite » autant dire que ça faisait un paquet de monde – qui se faisait si bien passer pour un gosse.
Elle sentait pourtant qu'on essayait de la flouer ; Sacha la renvoya d'une claque vers le cervelet « c'est pas le moment vieille chipie » .

« Dis pas de connerie, tu t'es tordu la cheville tu vas avoir du mal à rentrer, et la nuit n'est pas très sûre.
Enfin je suppose que tu le sais déjà ça. Allez, accroche-toi à moi file-moi ta chaussure je vais la porter. »

Drioma râla mais ne dit plus rien, lovée à la base de la colonne vertébrale de son hôte, jouant à la tumeur discrète ce soir-là.
Sacha redressa sa taille non négligeable, une chaussure à talons en main et les deux siennes fermement attachées à ses chevilles.

« Je m'appelle Sacha. Enchantée », un sourire de nouveau lumineux éclaira la nuit. « Je t'emmène par où ? »

la reine de la nuit

Sacha & Valeriy

 

«Du haut de ses talons existe un étalon. Extérieur féminin, intérieur masculin. Rêve accompli, le tout en un !»

Difficile de distinguer ce qui chez Poroniec avait constitué cette haine des mortels. Les paramètres possibles étaient multiples à vrai dire, de la haine portée à son espèce dont on se méfiait comme de la peste, de la dureté de ces mortels qu’il avait aimé de son amour le plus sincère, d’une synthèse de tout ça, ou juste, de la froideur et de la perversion de ses clients du soir. Créature changeante que Valeriy, qui, capable d’osciller de l’enfant en mal d’amour, à l’homme cruel et assassin, pouvait désarçonner ceux qui n’avaient pas connaissance de son âme.
Mais la grande dame gagne ses faveurs, dès lors qu’elle largue la compagnie du gros bras aux yeux clairs, pour celle de ses longues jambes et de ses yeux d’ébènes.

L’attention trouvée au détour d’une plaque d’égout, quelque chose d’une ironie sympathique pour le petit chat des bas fonds. Son chat l’attend chez lui. Il cligne des yeux une seconde, savoure l’idée du matelas dont les draps frais et propres contrasteront superbement avec le stupre de ceux de chez la vieille Yaga, et devine déjà la réaction de l’animal trouvé errant qui viendra se nicher au creux de ses bras pour quérir quelques calins.
-Merci. Tiens. Les tiennes sont canons. Il confie sa chaussure à l’inconnue, se dresse désormais sur l’unique chaussure, et s’appuie sur le corps de la reine de lumière qui se dresse à côté de lui.
Il se sent enfant, auquel une créature divine aurait offert de son attention. - Moi c’est Valeriy. Tu peux m’appeler Val. J’habite en bas de la ruelle, une batisse en toute en hauteur. Ca te fait pas de détour au moins? Qu’il s’interroge, parce qu’il y a quelque chose dans ce que dégage cet être là, qui fait qu’il ne voudrait pas causer de dérangement.
- Le type, il t'en voudra pas?
Valeriy en serait presque à s’excuser d’être aussi misérable à côté du spectacle lumineux qu’elle offre.
Habituellement, Valeriy croit toujours qu’il brille plus que tout le monde.
Que fait-elle, cette Sacha, pour happée ainsi la lumière sans qu’il en tienne rancune?
Elle offre sa considération.
C’est si rare.

(c) DΛNDELION
couleur dialogue : #DDA0DD

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« Merci », remercia Sacha en grande dame, se chargeant de la chaussure en enroulant ses longs doigts autour du talons, « c'est des dupes de chez Louboutin, elles sont très inconfortables, mais elles font leur petit effet. »

Elle ne paraissait pas souffrir outre mesure pourtant, des lanières enroulées autour de ses chevilles, et aida le jeune homme à se redresser en servant à sa cheville blessée de béquille. Elle l'entraîna vers la fameuse bâtisse toute en hauteur qu'elle visualisait à-peu-près dans le quartier, secouant négativement la tête.

« A peine, t'en fais pas. »

Si elle voulait rentrer plus vite, elle pourrait déchirer les réalités, enfin, si elle avait envie de risquer les conséquences désagréables de ce mode de déplacement. Et puis au pire, rentrer à pied à cette heure-ci elle l'avait déjà fait, elle compterait sur sa chance ; dans une tenue pareille, c'était toujours un risque à prendre.

« Lui ? Oh, non, quelques jours, et il reviendra. Il m'aime bien. C'est pas un mauvais gars, je t'assure », fit-elle distraitement, vendant les qualités de son amant-employeur sans même y penser. « Tu as l'air absolument épuisé, tu es sûr que ça va ? Je peux appeler quelqu'un ? »

Flattée comme toute femme qu'on aime ses fringues, Sacha sourit tout en continuant de soutenir le jeune homme dont l'état paraissait décliner peu à peu. Un brin inquiète, la Drioma le redressa en le gardant contre lui pour le traîner un peu plus vite vers l'endroit qu'il lui avait montré ; en outre elle entendait des murmures qu'elle n'appréciait pas trop.
Rien d'incroyable dans cette partie-ci de la ville.

« Oui, un peu plus loin. »

Elle n'expliqua pas le nombre de points sur son bras, l'infection dont elle était porteuse, du coup. C'était quelque chose d'intime, qu'elle avait de la peine à expliquer, et préférait le garder pour elle, parfaitement.
La Drioma ricana en la traitant de grande cruche ; et c'était exactement pour ce genre de choses que Sacha préférait garder la réalité pour elle. Ça n'est un bon signe pour personne, légendaire compris, d'avoir une voix dans la tête dont le sport préféré était l'insulte.

« Oh, je vois. Il ne juge pas là-dessus, t'en fais pas, enfin tu pouvais pas savoir. »

Il payait une légendaire notoirement liée aux cauchemars pour coucher avec ; Monsieur I. aimait le risque, il n'y avait pas à dire ! Sacha quant à elle digéra l'information de l'espèce exacte du jeune homme, silencieuse, mais son étreinte ne changeant pas.
La Drioma tenta de savoir si elle avait peur et se fit envoyer bouler.

« Tu ne devrais pas te laisser faire, c'est pas parce que tu te fais payer qu'ils peuvent se permettre n'importe quoi, non ? »

ça n'était pas un conseil, pas un reproche, juste une invitation au débat.

« Passe tes clés et ne dis pas de bêtises, bien sûr que tu vas pas me manger. J'ai un goût affreux. »

La Drioma éclata d'un rire malsain.