Rosier avait toujours été plus ou moins fasciné par ces êtres qu'on lui dictait ne pas approcher. Comme lorsque l'on disait à un enfant de ne pas faire ceci ou cela, cela l'avait irrémédiablement attiré, au contraire de sa très chère sœur qui avait toujours fait tout ce qu'on attendait d'elle. Parfaite petite poupée aux traits doux et à l'âme noircie par le temps et l'âge. Plus elle grandissait, vieillissait, et plus elle était mauvaise, prête à te faire trébucher pour s'élever. Cette nuit en avait été la preuve. Elle agissait sur lui comme un poison, le souvenir de son regard sur sa peau comme une violence physique : "je suis meilleure que toi, jamais tu ne me surpasseras, crève et tout ira mieux pour chacun". Violence méritée, peut-être, pour ne pas être celui qu'on attendait, pour être devenu cet autre, ce lointain interdit, cette répugnante bête, monstrueuse. Et pourtant, sa connaissance exacte de ces créatures, des différentes espèces se réduisait à quelques noms vagues, à de courtes descriptions, à des légendes murmurées et des plaisanteries de gamins ridicules. Alors non, il ne connaissait pas Koldun, et il détourna simplement le regard en murmurant un
"Vaguement...", pour ne pas dire pas du tout. Il se passa une main dans ses cheveux salis et essaya de reprendre un air composé, soudainement plus gêné par sa situation. Mais cela n'avait pas lieu d'être. Il avait toutes les raisons d'être bouleversé ce soir. Et pourtant, son éducation lui soufflait au creux de l'oreille qu'il exagérait, comme toujours, qu'il était trop dramatique. Que tout pourrait
aller, d'une certaine manière. Il ne demanda pas plus de détails à propos de sa nature, ne cherchant pas à être un gêne dans la situation actuelle.
"Ouais... Je sais plus trop. C'est assez flou." Il fronça les sourcils en essayant de se souvenir, de ressasser les dernières heures sans se soucier des événements tragiques qui avaient eu lieu.
"Probablement pas plus en tout cas..." Il souffla en reposant son regard sur la silhouette de Viggo. Peut-être avait-il l'air fragile. Un peu moins depuis qu'il l'avait aidé à se calmer, mais il semblait plus frêle que de coutume, moins serein et sûr de lui. Il devrait reprendre du poil de la bête -sans mauvais jeu de mot- et peut-être que cet homme l'y aiderait.
Il observa un instant ses traits avant qu'il ne lui dise qu'il avait été flic. Ça expliquait peut-être les choses. Était-ce pour autant une excuse pour prendre le temps d'aider un pauvre gars paumé? Il avait parlé au passé, cela voulait donc dire qu'il n'exerçait plus cette profession, et donc qu'il n'avait plus l'obligation de faire cela. Bien au contraire. Mais peut-être que, comme une seconde nature, il ne pouvait s'en empêcher. Assez compréhensible, finalement.
"Ah." fut sa seule réponse, comme si cela prouvait qu'il comprenait, alors qu'une part d'incertitude subsistait malgré tout. Et le léger sourire qu'il afficha étira les lèvres de Rosier un peu, se sentant plus léger pendant une fraction de secondes. Avant que le sujet ne redevienne sérieux et qu'il se mette à avancer aux côtés de Viggo, veillant bien à rester exposé aux néons des rues.
"Ouais, OK, et... Ça se passe comment? Je veux dire, ils vont faire des tests? Ils font quoi?" Plus que de la curiosité, de l'appréhension pointait le bout de son nez. Il se sentait nerveux à l'idée qu'on le change, qu'on affirme qu'il n'était plus humain, qu'il était devenu tout autre, un nouvel être avec la même forme corporelle et les mêmes ambitions, pourtant entièrement différent et plus véritablement lui-même. Et la question sembla tomber comme un poids dans son estomac. Grand mystère et en même temps certitude, il comprenait ce qu'il était. S'il savait le nommer pour autant? Il n'en était pas sûr. Sa raison lui chuchotait qu'il était un warg, de cette espèce dont les gens parlaient comme assoiffés de sang, semblables à des animaux violents. Mais il ne voulait pas être comme ça, alors il niait.
"Plus ou moins, ouais." Il haussa les épaules avec plus ou moins de calme, en essayant de répondre de manière la plus franche possible. C'était probablement ce que Viggo attendait de lui.
"Des études. En art. Mais connaissant ma famille, ils vont probablement me retirer tout l'argent que j'ai d'une manière ou d'une autre. Va falloir que je travaille. Je suppose." Il souffla, de manière presque pathétique. Ses rêves d'images et de couleur envolés. Maintenant, il allait devoir changer pour les autres et pour son propre bien. S'il voulait avoir une vie convenable.
"C'est dur? De changer tout? Je suppose que t'as plus la même vie qu'avant." Il le regarda, et peut-être était-il semblable à un enfant découvrant la vie. Mais peut-être que s'il n'avait pas été si éloigné de la réalité, il aurait su répondre à cette question par lui-même.
"Enfin, t'as le droit de pas répondre. Je devrais probablement me taire et accepter l'aide." Il poussa un soupir en mettant ses mains dans ses poches, comme résigné. Il parlait trop. Il le sentait. Mais toutes les interrogations qu'il avait en tête nécessitaient des réponses.
BY. MANOBLACK