La Drioma fit remarquer de son habituel ton moqueur et désagréable que c'était tant mieux parce que niveau incompréhensible, il pouvait être pris pour portrait pour aller à côté de la définition dans le dictionnaire.
Elle s'agita alors que Sacha elle avait baissé le regard sur la fumée de sa cigarette qui se perdait dans l'immensité du salon – tout son appart pouvait tenir dedans, à l'aise.
« Il te regarde. Vraiment. » Elle lui répondit sèchement que c'était sans doute grâce à sa robe de « salope » comme elle avait si bien dit, et la vieille poussa un cri d'orfraie qui cisailla le nerf auditif de Sacha, gueulant qu'elle essayait d'aider, et qu'elle était jamais contente c'était fou ça !
Elle sourit à Alasaïas en portant son regard sur lui, penchée qu'elle était sur le cendrier, pour une fois moins grande que lui dans le geste.

« Vous avez l'air déçu », le renseigna-t-elle comme si ça se faisait, dans cette attitude de fille des rues qui était parfois la sienne, et gagnée on sait de quelle manière. « Et vous voyez que vous êtes quelqu'un de bien. »

Elle se leva, reprenant sa vertigineuse taille même sans talons, la robe froissant délicatement dans un bruit agréable sur ses cuisses.
Et sourit de nouveau, proposant avec son ton de voix traînant, sa sensualité sombre :

« Vous pouvez me suivre si vous voulez. »

Mais avant ça elle décida de le saluer de la même manière que la dernière fois, faisant reculer la Drioma qui grommelait que vraiment, pf, c'était écoeurant.

Sacha avait l'intérêt agréable, et son regard sombre & chaud posé sur les gens avait l'intensité d'un café noir tiré d'un percolateur. Elle attendit la suite, de l'explication de la déception qui pouvait bien ternir la fin de soirée – ou le début de la nuit – d'un si grand homme, mais elle n'eut rien du tout. A la place, Alasaïas convint qu'elle avait raison avec le charme las d'un homme qui n'a pas envie de batailler.
Elle n'éprouvait pas l'habituelle satisfaction d'avoir raison, puisque la réponse manquait d'enthousiasme, mais ne s'en formalisa pas. Il la détaillait d'abord, les yeux comme un chemin de feu sur son corps trop dénudé. Il lui rendait son regard ensuite, peut-être pour une fois sans peur, et la Drioma était partie bouder trop loin dans l'intellect embrumé de fatigue de la dame, pour venir rôder et afficher sa silhouette dégarnie et fantomatique.

« Je ne ferai certainement pas ça », répondit-elle rêveusement, son regard dérivant sur les lèvres d'Alas. Elle arqua un sourcil à la suite de sa réponse. « Quelle erreur, hm ? »

La question murmurée était prononcée au moment où ses lèvres touchaient celles du barman ; elle émit une exclamation surprise quand il la tira par le bras, mais la Drioma ne bondit pas à sa rescousse, pas plus que le souvenir de l'agression arrivée un peu plus tôt ne se déclencha pour agiter son sinistre spectre.
Elle se laissa embarquer, ouvrit les lèvres et il lui fourra la langue dans la bouche, baiser auquel elle répondit en s'appuyant d'une main sur son épaule pour ne pas risquer de tomber.
Même si, franchement, elle tombait, c'était simplement pas physiquement. Ses longs doigts aux ongles peints se crispèrent sur l'épaule très chère d'une chemise tirée d'un commerce équitable et ne détruisant pas la vie animale, elle répondit dans une caresse toute féminine et lascive au baiser, en se demandant au juste qui chassait qui, à l'heure actuelle.

Elle s'avança à la demande un rien brusque du barman, grimpa sur ses genoux effectivement, les cuisses serrées autour de ses hanches comme s'il avait menacé de partir – impossible avec elle lovée sur ses genoux.
Sacha appuya son autre main sur le bras du fauteuil pour s'assurer un semblant d'équilibre ; le problème avec les objets de luxe c'était qu'ils étaient trop confortables, et manquaient de stabilité, se surprit-elle à penser. Elle remonta la main une fois assurée, la glissa dans la nuque d'Alas, penchée pour compenser leur différence de taille.
Elle se recula pour reprendre un semblant de souffle, le regard baissé vers lui, ourlé de cils impossiblement longs et d'un peu de mauvais rêves. Elle renonça à faire une blague sur le fait qu'il lui avait pourtant interdit de le chevaucher, attrapa quelques petits cheveux perdus dans sa nuque, et se pencha de nouveau sur lui pour l'embrasser délicatement, partageant la saveur épicée du cocktail de sa langue cherchant celle du barman.

Femme, bien sûr, elle se colla à lui sans se soucier de la robe qui montait dangereusement haut sur ses cuisses nues, ignorant les commentaires désobligeants de la Drioma, jamais satisfaite. Elle avait envie qu'il passe les mains dessous, mais ne dit rien, trop occupée à l'embrasser.

Il ne l'avait pas repoussée, la main contre sa nuque comme pour contrôler la noirceur qu'elle savait pertinemment émettre d'elle, mais ses paroles le faisaient. Après l'avoir fait monter sur ses genoux, il lui conseillait donc de descendre de là, avant de... d'être déçue ?
En arrivant Sacha était perdue et ne savait absolument pas où elle en était et ce qu'elle ressentait, mais là, c'était le paroxysme. Tout se passait bien, qu'allait-il se mettre des soucis en tête ?

… Et avec une phrase sibylline au possible, il déposait de nouveau un baiser sur ses lèvres, ce qui acheva de la perdre, mélangeant à l'acide peur rétrospective de l'agression, une incompréhension dure qui lui donnait l'impression de s'être perdue dans un labyrinthe.

Elle se redressa, frissonnante soudain et se sentant parfaitement et superbement conne – ce qui confirma la caquetante Drioma –, avec sa robe relevée trop haut, et qui ne la couvrait pas assez.

« Je suis pas sûre de comprendre. »

Elle était sûre de rien piger du tout, surtout, mais à haute voix ça faisait moins bien.

Si à l'extérieur, le silence était de plomb parce que Sacha tentait d'enrouler son petit esprit autour de cette information, intérieurement la Drioma éclata d'un rire de cauchemar, comme c'était approprié. La vieille carne, qui on l'aura compris aimait les traumatismes et l'inverse d'un espoir, se régalait, c'était clair.
Sacha, moins.
Elle était déçue, mais surtout, son cœur – sensible malgré ses airs de reine des glaces – se gonfla de compassion, parce que perdre le sens du toucher à ce point-là était forcément traumatisant. Aussi au lieu d'être déçue pour elle-même, répondit-elle sincèrement :

« Oh non, c'est moi qui suis désolée. »

Elle se souvenait parfaitement de l'épiderme d'Alas se refermant comme si un impact de balle n'était rien, et se rappelait s'être dit que c'était une faculté bien pratique. Il fallait vraiment se méfier de ce qu'on souhaitait. Elle était pourtant censée le savoir avec l'antique salope qu'elle se payait dans le crâne, qui certes lui filait des capacités bien pratiques, mais avait aussi transformé durablement sa vie.
Parfois elle se demandait ce qu'elle serait devenue si la Drioma n'était pas arrivée ; mais ladite Drioma jalouse d'être repoussée, foulait aux pieds ces projets et Sacha ne s'en rappelait jamais. Elle se redressa encore, décida de se relever sans se sentir repoussée cette fois-ci puisqu'elle comprenait pourquoi, mais désireuse de se rendre un peu plus présentable.

« Vous pouvez quand même me suivre si vous voulez. »

Elle sourit, hésitante, renonça à dire qu'elle ne voulait pas le faire cauchemarder.

Elle me brise le cœur.
Deux fois.

Je lui jette un regard perdu, qui noircit de secondes en secondes avant de tout simplement se durcir, reconstruire son armure. Je donnerais n'importe quoi pour savoir ce que ça fait de la sentir contre moi dans la seconde pour lui dire que ce n'est pas inéluctable et qu'on s'en sort. Que c'est éphémère.
Mais ce n'est pas éphémère, et elle ne comprend pas.

Quand elle se lève, je mets toute la volonté du monde à rester immobile, à ne pas crisper mes doigts sur ses bras pour l'empêcher de partir, à ne pas la rappeler, à ne pas m'excuser encore. Car je n'ai pas besoin de sa compassion, je n'ai pas besoin qu'elle me considère avec une infinie différence maintenant qu'elle sait. Mais elle le fera, nous le savons tous les deux, et en prendre conscience ne devrait pas me briser à ce point. Je me mords le coin de la lèvre avant de la laisser partir, passant une main dans mes cheveux en dégustant encore sur le coin de mes papilles le goût de sa langue. Des larmes amères me viennent au coin des yeux, mais je les ravale.

-Je vous retourne l'invitation.

Je finis par me lever. Mon corps quittant le fauteuil me semble peser une tonne. Mon cœur a cessé de s'emballer, tombé comme une pierre au fond de mon estomac. Je lui ai dit, je ne suis pas un suiveur. Prenant la direction de ma chambre à l'étage, je me retourne pour la contempler.

-Vous n'aurez qu'à venir me voir si vous faites de mauvais rêves.

En temps normal je me serais esclaffé.
Là, je n'arrive même pas à sourire.

La robe redescendue sur les jambes, aussi décente qu'elle pouvait l'être en étant si peu habillée, Sacha se sentait un petit peu mieux ; ça ne dura pas il lui suffit de croiser le regard devenu dur comme du métal d'Alas pour comprendre qu'elle n'avait pas réagi de la meilleure des manières. Son cœur se serra à cette perspective, alors que la Drioma ricanait encore nerveusement, ravie de la tournure des événements, forcément, avec sa méchanceté naturelle...
Elle croisa les bras en manière défensive, l'observant se lever et se poussant de là où elle était, pour le laisser passer, désolée et tout à fait désorientée maintenant.
Il adoucit la sensation d'une laconique invitation, et elle pesa le pour & le contre. La Drioma éclata de nouveau de rire en faisant remarquer que si Alas aimait les femmes, elle allait franchement le dégoûter une fois couchée, et Sacha se sentit extrêmement, parfaitement, superbement fatiguée.

Elle le vit se retourner, tourna la tête dans sa direction, envoya la Drioma d'une claque mentale quelque part dans l'hémisphère gauche, au milieu du noyau gris central, où elle pataugea en râlant qu'on ne pouvait même plus rire, ici.

« J'arrive. »

Elle le suivit donc, toujours d'une démarche princière comme si elle présentait la robe maintenant froissée qu'elle portait au monde, mais à laquelle manquait le claquement régulier de ses talons.

La surprise me saisit quand elle informe me suivre. Libérée de ses talons, elle se déplace à pas feutrés, presque plus angoissants que lorsqu'on l'entend venir de loin. J'acquiesce, fais mourir les lumières du salon afin de plonger définitivement ce dernier dans l'obscurité. Ma main se tend vers la Drioma, lui laissant le loisir de la saisir ou de simplement me suivre ; je garde en mémoire ce moment un peu triste où alors que je m'étais pressé contre elle, tout aussi craintif des gardes qu'elle, mais pour des raisons différentes, elle avait mis de la distance entre nous, et décroché sa main de ma paume. L'atmosphère plongée dans l'obscurité se nimbe de mystère, de curiosités, de fuite du monde réel Les fantômes murmurent à notre passage, les niveaux d'actualité s'entremêlent. Nous gravissons de nouveau les escaliers pour suivre le couloir de l'étage supérieur, inaccessible aux visiteurs lambda, soigneusement bridé à mes visiteurs de marque. Tout au fond du couloir une porte se dresse, plus petite que les autres, celle contre laquelle je me suis calfeutré le matin de notre première rencontre en craignant son courroux.
Posant la main sur la poignée de la porte je fouille dans ma poche pour trouver la clé qui fera sauter le verrou.

-Je vous préviens que l'ambiance de cette pièce n'a rien à voir avec celle du reste de ma demeure. Vous risquez d'être surprise. Je comprendrai si vous voulez faire demi tour, c'est un peu… étouffant pour qui n'est pas habitué.

Même si je suis sûr que Jezabela l'aurait adorée si elle avait connu cette pièce, mais j'ai emménagé dans cet appartement après notre rupture.
La serrure cliquette et une feuille de Yucca mord le couloir, tendant sa branche d'un vert saturé vers mon visage. Arrière manant ! Je la repousse à l'intérieur de ce qui est effectivement ma chambre, me glisse dans l'encadrement de la porte.

Toutes les pièces du domaine demeurent si grandes qu'en voyant la taille de celle ci on croyait se fourvoyer ; pourtant, ces quelques mètres carrés mettent bien en scène ma chambre. Cette dernière reflète l'horreur du vide, la solitude, et cette adolescence interrompue par une mort symbolique.

C'est un placard, une cabane d'enfant, un nid d'oiseau. Les murs ont disparu dans leur totalité sous le feuillage de différentes plantes qui se frottent les unes contre les autres en un friselis rassurant. L'œil aiguisé peut reconnaître du Raskovnik parmi elles. Au centre de cette entropie végétale, bordé par les doigts des feuilles et les ongles des fleurs comme autant de mains protectrices, figure un cercle d'étoffes soyeuses, onéreuses par l'absence dans leur confection d'exploitation animale ou lointaine. Ses couleurs flavescentes répondent au clin d'œil du plafond ; là où se cachent traditionnellement les monstres, pendus comme des vampires prêt à vous dévorer, se déploie un gigantesque abraxas transparent qui les tient à l'écart, nourri du firmament. La vitre ovale fait entrer dans la chambre les étoiles coruscantes quand la brume s'efface du ciel de Moscou, médaillon galactique, portail dimensionnel des rêves juvéniles.

-Je vous demanderai de ne dire à personne ce que vous avez vu ici. Ce sera notre secret, je décrète en laissant glisser au sol mes vêtements sans pudeur.

Cette chambre reflète au creux de l'intime tout ce qui plus jeune m'a manqué, et me manque encore aujourd'hui. Kirill dont la dévastatrice absence a noyé mon incarcération dans le froid et la haine, se vautre ici dans l'omniprésence des plantes et du linceul des flanelles comme figé dans un câlin éternel qui rappelle la manière dont lui-même se blotissait dans les bras de mon père après l'une de leurs titanesques disputes. Et au-dessus du lit, là haut, dans l'océan de lucioles, on suspecte une autre présence, quelque part dans la constellation du Sextant, qui me regarde du coin de l'œil en silence. Le mystère perpétuel des chercheurs en astronomie de nos jours, le superamas de galaxies qui s'étend aux confins de l'humanité, la plus grande structure cosmique jamais observée.
Hypérion.

Elle connaissait déjà le trajet, mais elle n'avait pas les atours sombres de l'autre fois, et sa stature digne était un peu mise à mal par sa mise débraillée, froissée par les mains même de son hôte. Elle le suivit toutefois sans commenter, leva son regard sombre sur lui et acquiesça silencieusement.
Ça présageait de la suite parce que l'allure de la pièce coupa proprement le sifflet à la Drioma, qui s'attendait à bien des choses, mais pas à ce froufrou interminables des plantes qui sommeillent, et à la vision d'un ciel pour cette nuit – cette fin de nuit même – dégagé.

Elle chancela sans pouvoir accuser ses talons pris en otage dans un des placards de la maison, rabattit une des manches de sa robe qui se faisait la malle, émit enfin un avis.

« Wow. C'est... C'est un très bel endroit. »

Pas une chambre d'adulte telle qu'on l'aurait imaginée, certes, mais il fallait croire qu'Alas avait hérité de son sang Kourakine un goût certain pour la décoration toute personnelle, les cachettes et les réassurances physiques.
Le côté coffre-fort de la chambre criait ça, aussi.
Sacha ne connaissait les Kourakine que de nom, aussi ne fit-elle pas vraiment le rapprochement avec Kirill. Un mouvement sur le côté de son champ de vision attira son regard, elle constata qu'Alasaïas se déshabillait, et une pointe de stress vint lui grignoter un bout d'estomac.
Si quand elle avait pris la décision de le suivre ça lui semblait tout à fait facile de quitter ses atours féminins, là ça paraissait la chose la plus compliquée à faire du monde. La Drioma soupira, fatiguée de ces atermoiements, agacée par le prochain lever de soleil qui signerait sa nuit à elle.

« Enlève cette robe bon sang ! »

Sacha fit comme elle avait dit, écartant les pans de la robe pour la laisser glisser à ses pieds, découvrant son torse bien masculin, se déhancha pour se débarrasser de ses sous-vêtements, et fit la démonstration que même à poil, le regard encore maquillé, la démarche de top model était toujours là.

L'avis de Sacha n'était pas attendu ; elle aurait pu tout aussi bien critiquer mon refuge que je n'en aurais rien eu à faire. Mes pères ont leurs torts mais ils ont aussi une place indéniable dans ma vie (qu'ils ne méritent peut être pas d'ailleurs) que les autres le veuillent ou non. Ainsi si j'ai envie de dormir entouré de plantes pour me rappeler l'extrémiste taré et dans une Cabane à ciel ouvert pour que l'étoile du disparu veille sur moi, c'est mon problème.
Je note toutefois de glisser à celui qui est bien vivant que Sacha a apprécié la déco. Il affichera certainement un petit air suffisant que nous arborons tous dans la famille, avant de me demander sans doute quelques comptes s'il est d'humeur (c'est rarement le cas).

-Ravi qu'il vous plaise.

Je referme la porte derrière nous, dépose la clé à un endroit bien visible, juste à côté d'un téléphone que l'isolation drastique de l'endroit rend éperdument inutile. Ma solitude se crée à sa manière certes, mais ce soir je ne suis pas seul.
Mon corps s'est débarrassé de sa sensibilité en même temps que de sa pudeur ; quelques rares blessures en parsèment la peau, résultat d'agressions extérieures trop violentes contre lesquelles j'ai oublié de lutter par manque de nerfs. La vieillesse fait son chemin à certains endroits, les muscles se relâchent, l'épiderme se ternit et se ride. On dirait que j'ai le double de l'âge de Sacha, ou plutôt qu'elle a la moitié du mien.

Je réalise en m'allongeant sous les étoffes et en la regardant se tenir à côté du nid que je ne lui ai jamais demandé quel âge elle avait. Comme pour les quelques autres légendaires que je connais, l'âge a toutes les raisons du monde de n'être qu'un chiffre, car le temps ne semble avoir aucune prise sur leur silhouette. Seuls leurs yeux quand on s'intéresse à leur lueur, révèlent une complexité digne d'un certain degré d'expérience.

-Venez voyons, vous n'allez pas rester plantée là à dormir debout.

Qui sait, peut être qu'une Drioma dort debout, ou pendue au plafond la tête en bas, ainsi que les Vampires.
Je me glisse au plus près du mur, sur le flanc, de sorte que les feuillages viennent me caresser les épaules et le dos sans que je ne le sente réellement. Je songe en la regardant se mouvoir que depuis Jezabela, il y a quelques années, plus aucune femme ne s'est allongée dans mon lit. Plus aucun être.

Ne sachant quoi penser de ce corps qui n'est comme je m'en étais douté pas si différent du mien, je me focalise sur son visage toujours maquillé, empreint de cette beauté millénaire, damasquiné comme une œuvre d'art.

En parcourant le runway imaginaire que sa démarche de reine créait sous ses pas, Sacha rejoignit effectivement le lit d'Alas, encouragée par ses paroles, dont la très légère brusquerie était bienvenue. La Drioma faisait remarquer d'un ton moqueur que d'habitude elle n'était pas si gauche – mais d'habitude, elle savait très bien quoi faire avec les messieurs, et si on avait été d'habitude, tout aurait été réglé dans le fauteuil un peu plus tôt, ils n'auraient pas eu le temps d'atteindre une chambre parfaitement intimidante dans ce qu'elle avait de particulier et de toute propre à elle et à son propriétaire.

Elle croisa le regard du barman, qui la dévisageait, lui sourit, et glissa entre les draps pour se pelotonner contre lui, chercher un autre baiser, en prenant soin d'y adjoindre sa langue, manifestement la seule chose qu'Alas pouvait vraiment ressentir. Elle avait du mal à imaginer, parce que sa peau à elle ressentait parfaitement son corps, et elle manquait parfois sérieusement d'imagination.