Quand j'étais humain, je résistais déjà pas bien au froid – du coup faire de l'équitation mon métier était d'une bêtise sans nom mais bon –, mais depuis que je suis Oiseau, c'est infernal. Je déteste l'hiver qui arrive, et je déteste mon sens de la mode qui ne m'autorise pas à m'ensevelir sous des tonnes de vêtements chauds et épais quitte à avoir l'air d'un paquet de plaids monté sur jambes.
Bon ça et le fait que comme je vends un peu mon cul, il faut que je sois à peu près présentable. Je m'arrête le temps d'allumer une cigarette, saluant une collègue qui se fout totalement que je racole près d'elle parce qu'on intéresse pas les mêmes personnes – enfin une fille intelligente...

Et quand je relève le regard, j'avise un type que je connais.

Oooh pas intimement non plus mais Lycaon Tolma est ce genre de mecs qui fréquentaient les soirées pince fesses que je me cognais en tant qu'héritier Kourakine. Je crois même qu'il était invité à mon mariage, enfin, le peu de temps où j'ai été fiancé.

Ah j'ai eu une vie bien remplie.

Je me redresse, soufflant ma fumée, et m'approche de lui, intrigué. Déjà, il est sans doute porteur de nouvelles du monde – AAAH JE BRULE DE TOUT SAVOIR ! – ensuite qu'est-ce que diable il branle ici.

« Lycaon ? »

Bon ça m'étonnerait que deux types ait la même tête, et surtout le même bec-de-lièvre, mais on ne sait jamais. Je lui sors mon sourire de lutin, celui qui me donne l'air de préparer un mauvais coup :

« Alyosha Kourakine, vous vous souvenez ? »

Ouais, ouais, j'sais j'suis déshérité, renié, Oiseau tout ça... Mais alors si tu crois que ça va m'empêcher de me la péter un jour pwahaha c'est que t'as pas compris le personnage. Je tends la main à Lycaon pour lui serrer.

Le QSHS regorge de petites pépites, de trésors d’informations et d’exilés politiques ou criminels qui en savent assez sur la haute société pour te nourrir de toutes les malversations et sous-entendus que tu veux. Tu avais mis la main sur Dahl il y a peu mais également réussi à planter tes doigts dans d’autres types d’informateurs, plus habitués à tendre l’oreille dans les milieux mal-famés de Zamo, putes, maquereaux, voleurs, ratés.

Il était difficile, parfois, de reconnaître ces parleurs, parce qu’ils se grimaient, parce qu’ils avaient perdu de leur superbe ou parce que la vie dans le quartier le plus dangereux de Moscou avait éparpillé leur beauté et leur santé. Un clignement d’yeux accueille le pute qui t’approche et tu t’apprêtes à le repousser d’une bourrade, tu avais déjà assez de ces filles et mecs qui écoutaient sur l’oreiller pour ne pas avoir besoin de l’un d’entre eux qui tapinait dans la rue.

Il utilise pourtant ton prénom et tu suspends ton geste un instant pour l’écouter, curieux. Tu n’étais pas difficilement reconnaissable, ta figure ainsi que ton allure suffisaient généralement à te remarquer, encore que dans les bas-quartiers, tu passais relativement inaperçu. Mais te faire aborder avec une telle assurance était plutôt rare. « Alyosha Kourakine » Tes paupières s’alourdissent, tu fouilles dans ta mémoire, méfiant. Kourakine, c’était le petit hériter transformé en piaf, qui faisait partie d’un groupuscule. Ta tête se penche sensiblement, tu passes une langue sur la longue marque qui traverse ta lèvre et remonte jusqu’à ton nez.

Il te tend la main, tu l’observes quelques secondes avant de la saisir, un peu trop fort. La chaleur te fait ciller. « Mh-hm. » Tu la relâches sans la secouer, tu clignes paresseusement des yeux. Tombé bien bas, le petit nobliau, à vendre son cul pour espérer s’en sortir. « Fos zervisses zont apprécissiés ? » Tu susurres, un sourire plein de dents pour l’homme. Ca t’amuse et en même temps, l’homme pourrait avoir un peu d’intérêt, quelques secrets à recracher si tu agites un ou deux billets.