On entend de tout dans les bars, les discussions s’enveniment, s’excitent après quelques boissons, des promesses qui ne seront jamais tenues se font, des liens se créent, des regrets se forment, de ceux dont on ne prend conscience que le lendemain matin. Toi tu es surtout là pour passer le temps, peut-être trouver une fille ou juste fuir l’ennui. Pourtant c’est une mauvaise idée, tout ce bruit te fait faire le dos rond, le silence et la solitude qui t’entourent comme une gangue t’isole plus sûrement que si tu avais repoussé tous les gens t’approchant. Tu restes au comptoir, à compter les aller-retours des employés, les bières qui passent, les verres que tu engloutis. Tu enchaines les vodkas en silence et tu sens que ta tête tourne un peu, juste de quoi te sentir encore suffisamment bien, la limite avant que le monde ne s’accélère dangereusement.

A côté de toi, deux guss se sont installés après le départ d’un couple. Ils sont bruyants, ont commandé des consommations de tapettes et parlent de sexe. Tu coules un regard vers eux, tu les dévisages sans chercher à être discret, ton faux-sourire toujours imprimé sur tes lèvres. Tu poses ton menton dans le creux de ta main. Des gens de leur espèce qui s’affichent comme ça, c’est rare, tes yeux cherchent un instant le regard du plus propret, ça t’amuse. Tu sens que l’un des deux n’est pas humain puis tu t’ennuies déjà, tu retournes à l’observation d’un verre, ton attention est à nouveau attirée par le serveur qui passe, une bouteille à la main. Les gens autour de vous s’agitent à peine, les remous de la fin de soirée n’ont pas encore commencé, la chaleur n’a pas encore envahi tous les cœurs ou tous les corps.

Tu passes un index pensif sur la bosse que forme ton nez, cassé une fois de trop et dont l’esthétique ne primait plus assez sur la peur de voir l’investissement dans les réparations disparaître avec ta gueule écrasée contre un lampadaire. Les doigts aussi tordus que le cartilage de ton pif, tu les glisses un instant entre tes lèvres pour arracher la peau qui dépasse. C’est à ce moment là que tu captes ton ombre, trop noire, tu joues un instant avec elle – comme un gosse – tu laisses tes doigts s’agiter pour répondre à ton miroir, juste parce que tu le peux. On te ressert un verre. « Ca va aller, capitaine ? » Tu fronces le nez, tu n’aimes pas qu’on utilise ton grade, surtout pas après les perquisitions. Pourtant l’homme ne le fait pas avec une idée derrière la tête – il ne sait que trop bien qu’avant d’être éclaté dans une ruelle, tu auras tout le temps de réduire sa vie à néant par quelques mots bien placés. « Ouais, je vais euh… pas tarder à rentrer, oui ? » Le serveur opine du chef et disparait, appelé par un autre client penché sur le comptoir. Tu t'enfiles ta consommation, te lève et sort du bar.