Le rire lui a chatouillé l'oreille, enflammer les sens… Enfin, réveiller sa curiosité, pour être plus précise. C'est un rire qui marque l'esprit et agite l'envie de s'éloigner. Pourtant, Esfir tourne la tête vers l'endroit où elle l'a perçu et observe en silence. Ignorant les passants qui réagissent à leur tour. Ainsi que ceux qui sont trop obtus pour avoir entendu autre chose que leurs propres pensées. Elle hésite, un pas vers l'avant, un autre vers l'arrière, son instinct lui criant d'ignorer se rire, sa tête se questionnant à ce sujet. Que faire? Normalement, elle passe sa route et ne voit rien, si ce n'est quand son autre… Habitant intérieur, décide de s'en mêler. C'est, toutefois, elle, Esfir, qui hésite à agir, à rejoindre se rire et non pas… Enfin, vous voyez. Elle secoue la tête, se pinçant l'arête du nez, cherchant à éloigner le son de ses pensées et retrouver son bon sens. Elle s'apprête à retourner vers le studio qui lui sert de refuge, un pas de plus et il lui sera impossible de voir quoi que ce soit de la suite.

Un mouvement, infime, une ombre dans la nuit, attire son œil et détraque sa décision. Elle revient sur ses pas, observe la chose… Si la chose existe, bouger vers la gauche et s'enfoncer dans cette ruelle sombre. Une ruelle sombre… parmi d'autres. Esfir se fige, le souvenir de sa mort la mordant férocement au niveau de la mémoire. Son corps devint fébrile, sa bouche s'assèche. Elle évite ce genre d'endroit depuis la fin de sa quatorzième année… Elle les évite comme la peste. Pourquoi n'a-t-elle pas déjà tourné les talons alors? La curiosité est définitivement un vilain défaut. Définitivement.
Un gamin court au-devant d'elle, suivi de près par sa mère et c'est ce qui la fait agir, franchir sa propre peur pour s'enfoncer à leurs suites. Si un enfant peut y arriver, une femme adulte et franchement désillusionner, se le doit. C'est une question d'orgueil… Même si, jusqu'à ce jour, Esfir n'a jamais eu à inclure l'orgueil à la liste de ses préoccupations.

Inspirant profondément, elle aboutit dans les restes d'une maison. Une épave abandonnée à la dérive de la ville, qui grince à chaque légère pression. Un peu comme le genre d'endroit que sa mère et elle avait habité, le temps de trouver de quoi vivre. Inquiète de sa stupidité, une légère bourrasque de vent l'enveloppe et s'éloigne un peu de son corps. Laissant une amertume dans son regard, ce n'est pas le genre de choses que la rouquine contrôle ou qu'elle souhaite dans vie. Surtout pas cette brise, venue de nulle part. Les poumons sur le point d’exploser, la femme expulse son air et tourne son regard, un peu partout autour d’elle. Le duo mère/fils est tout près d’une porte à droite et son malaise envers les mères ou celles qu’elle suppose être des mères, la pousse à s’éloigner d’eux. Une vieille commode attire son regard et elle étire sa main, comme pour en caresser le bois, avant de se retenir en entendant quelqu’un d’autre arriver à sa suite. Avant de regarder le nouvel arrivant, elle lève les yeux vers la vieille bouche d’aération, la fixe quelques instants, un sourire en coin aux lèvres. Elle ignore pourquoi, mais elle veut y jeter un œil.  

Une silhouette masculine se dessine dans l'ombre de cette maison hantée, une silhouette qu'elle ne tarde pas à approcher, un sourire innocent et abordable accrocher à ses lèvres. Espérant qu'il ne soit pas le type d'homme à associer tatouages et mauvaises intentions, parce que… Esfir en est couverte depuis quelques années déjà. « Excuse-moi, tu pourrais m'aider? » Avant qu'il n'ait vraiment le temps de lui répondre, elle lui attrape la main et l'attire vers la bouche d'aération. Lui indiquant du doigt son intention, elle ajoute : « Tu me fais la courte échelle? » C'est ainsi, qu'elle termine les mains dans la poussière, essayant d'ouvrir cette bouche d'aération sans assommer son partenaire improvisé par la même occasion. Tirant sur la grille, Esfir se souvient du peu de manières que sa propre mère lui a appris. Se maudissant de ne pas y avoir pensé, elle se rattrape, au moment où elle réussit enfin à l'ouvrir. « En passant, moi c'est Esfir et toi? » Toujours aucune trace du vouvoiement, son niveau de politesse naturel ne lui permet pas.  

Du bout des doigts, elle touche quelque chose de froid et de dure, alors que l’homme sous elle tangue légèrement. Par réflexe, elle se raccroche à la bouche d’aération, puis ses doigts repartent à la recherche de ce qu’Esfir avait frôlé. Poussière et sûrement crasse empiéta sur le tissu de sa manche, mais qu’est-ce qu’elle en avait à faire? Fouillant minutieusement dans la pénombre, elle trouve deux objets, qu’elle ramène, tentant de deviner en les tâtant. « Tu as trouvé quelque chose? » Bon, oui. Elle n’est pas seule à être concerné, après tout l’inconnu l’a aidé. Exposant ce qu’elle tient, Esfir se laisse redescende vers le sol, une pointe de déception lui fendant le cœur. La hauteur lui avait parlé et lui parle encore aujourd’hui. Ne laissant rien paraître, elle retourne son attention vers ses trouvailles, caressant délicatement le métal froid et lourd au creux de sa main, en contraste avec le poids plume de la petite boite dans l’autre. Sous ses yeux, l’inconnu se montre de nouveau utile, quoi que légèrement agressant pour sa pupille surprise. Au creux de la main du brun, un doux orbe lumineux se dessine, éclairant l’endroit abandonné. Esfir recule d’un pas, incertaine de comment elle se doit de réagir. Elle cache sa nature et ne se promène pas en montrant aux étrangers ce qu’elle est capable de faire. Au contraire, la rouquine n’aime pas qu’on en sache trop à ce sujet. Bien, que depuis les années, elle n’ait plus d’espoir de revenir en arrière.

Étonnement, elle décide d'ignorer l'anomalie, pas si anormal dans leur société et se trouve même à reconnaître qu'avec un tel don, peut-être serait-elle moins ambivalente. Au moins, le sien lui est utile. « Moi c'est Dorreh. Enchanté. Aurais-tu la moindre idée de ce qui se passe? » Esfir n'a pas le temps de répondre, que l'inconnu, désormais connu sous le nom de Dorreh, cherche des yeux autre chose dans la pièce. Trouvant rapidement l'enfant et la mère. « Excusez-moi? Avez-vous trouvé quelque chose d'intéressant? » Ses propres yeux se portent vers le duo qui lui rappelle un autre, plus ancien et beaucoup plus douloureux. Ravalant des souvenirs malvenus, elle se retourne vers la vieille commode qu'elle a déjà remarquée. Hésitante. Est-elle vraiment venue ici pour fouiller une vieille bicoque? Pourquoi est-elle simplement venue ici? Pourquoi avoir suivi se rire? « J'ai suivi un rire… Du moins, la personne… La chose qui riait. Je ne sais rien d'autre. » Elle caresse de nouveau le briquet en or et range le paquet de cigarette dans sa poche arrière, se fichant pas mal de la saleté qui le recouvre. Rapidement, elle change sa prise sur le briquet et tente de l’allumer. Une tendre flamme vacillante apparaît sous ses yeux, avec une légère touche d’essence. Un sourire aux lèvres, le briquet suit de près le paquet de cigarette. Un enfant est tout près, ce n’est pas le temps de jouer avec le feu. « Le rire était jeune… J’espère que ce n’est pas lui qui fumait. » Puis, drôle d’endroit pour cacher son trésor… Enfin, sauf si papa et maman ne sont pas d’accord avec le choix de s’encrasser les poumons. D’un nouveau coup d’œil vers la mère et l’enfant, elle s’éloigne légèrement, se rapprochant de la commode. Sa curiosité la ronge. Esfir se demande comment un simple rire a pu regrouper autant de gens dans ce lieu isolé.

La sensation du briquet dans ses poches et des cigarettes l'obsède peu à peu. Elle se demande ce qu'ils font dans ce lieu désolé. Un coup d'œil aux autres et elle ajoute intérieur ‘'ce qu'ils font tous dans ce lieu désolé''. Mordillant l'intérieur de sa joue, elle sursaute lorsque la porte de droite s'ouvre sans prévenir. Coupant court à toute réponse de la part de la mère. Du moins, pour la curiosité presque maladive qui s'empare d'Esfir, ainsi que la sonnette d'alarme qui lui demande de s'enfuir en courant pour survivre à cette histoire sans queue, ni tête. La très discrète brise que ses propres émotions provoquent, faisant onduler ses cheveux, la rouquine tend sa tête vers la seconde pièce. Observant ce décor de manoir hanté qui se dessine sous ses yeux, elle s’avance d’un pas, puis d’un second. « Vous pensez qu’un fou avec une machette nous attend à l’intérieur? » Sa question est lancée à tous et à personne. Esfir franchi la porte, sans un regard derrière elle. Elle découvre la pièce dans un profond silence, que seule sa respiration trouble.

Son regard couvre tout ce qu'il y a à voir et sans s'en rendre compte, elle avance de nouveau, trébuchant sans aucune élégance sur le tapis poussiéreux. À genoux dans une position peu glorieuse, sa main se retient de peine et misère contre un meuble qu'elle ne peut pas identifier en cet instant de stress. Son souffle lui manque et soudain, le bruit de quelque chose qui éclate la surprend. Elle pousse un petit cri de surprise et grimace d'une légère douleur. À moins d'un centimètre d'elle, un vase éclaté la regarde droit dans les yeux, ses éclats ayant déchiré et griffé quelques morceaux de peau que du tissu ne protège pas. Quelques gouttes de sang perlent sur son visage et sa lèvre, elle reste immobile, fixant le plancher. Toujours figer dans cette position, elle lance tout de même d'une voix rauque par l'émotion : « Vous venez? »