"Bouffe-le."
"Il bouge..."
"Oui. Bouffe-le et il arrêtera."
Ils rigolent. Ils me regardent. Quelques jours déjà et il va claquer entre mes phalanges. Poussin à peine sorti. J'aurais voulu l'étrangler pour que sa peine soit plus facile à endurer. Il tremble, à serre ma prise je sens son petit coeur battre plus vite. Dans ma bouche de gosse aux crocs manquants, trempé par la salive à laquelle se mêle bientôt du sang. Ferraille contre le palais, j'entends des os minuscules se briser, à regret, sous mes molaires. Dernier piaillement quand les deux autres hurlent encore. Rire et pleurs. Arrêter allongerait la souffrance et le traumatisme. Je mâche. L'oiseau ne se débat plus, seuls ses nerfs gigotent encore et frappent une dernière fois ma langue. Avaler chaque minuscule viscère me fait crever un peu plus, goût de mort et de douleur.
Plumes crachotées en étouffant, la gueule en sang pour rentrer pleurer auprès de maman. Vomir, trop tard, il est déjà complètement dévoré.
Étincelle
"Vas... chercher..."
Toutou déjà, perdu devant le spectacle. Matronne qui s'évanouit au sol, mains crispées, souffle coupé. Le corps lâche si vite pour si peu de chose. Il suffit d'un coeur qui s'arrête, d'un caillot qui bouche une voie, une crise qui n'en finit pas. L'étincelle de vie s'éteint, l'enfance aussi. Si seulement j'avais su qu'elle m'envoyait chercher des secours et pas une baballe. Première carcasse inerte, noyé dans le silence soudain, je ne comprends pas. Mes frères le feront pour moi.
Alors les orphelins au père absent, à la mère partie, traînent de foyer en foyer sans véritablement trouver le leur. Un temps chez les uns, et puis chez d'autres, jamais chez nous. Séparés, peut-être qu'on aurait trouvé une place. Ensemble, on était les trois vauriens sans maman. Échoués chez oncle et tante éloignés, plus vraiment de liens de sang mais assez pour rester jusqu'à un meilleur logis. Le prix de la solitude.
Flamme
"Et t'arrive encore à respirer là-dedans?"
"Non. Mais si ça t'aide à venir me parler je peux bien étouffer."
Le coeur gangréné par, ah, l'amour. Nécrose du myocard, totale, infâme, mes tripes dans ses griffes pour le reste de ma vie, comme une malédiction bien méritée après avoir osé effleuré ses arabesques au bord de paluches ingrates. Je la revois, première rencontre idéal, spleen ensuite en la voyant partir au bras d'un autre. Ma tragédie c'est celle-ci, toujours aimer la femme qui ne m'appartiendra jamais.
Chassé croisé de fête en fête, des regards échangés, des signes de tête. L'amant premier est alors délaissé, tout ça pour moi, tout ça pour un enfoiré.
Deux ans plus tard les fiançailles annoncées. Elle s'avance dans l'allée. Oui. Putain oui. Un oui infini parce qu'on pensait tous les deux à la nuit de noces. On se vendait nos âmes, les yeux dans les yeux, pour une partie de baise rien que tous les deux. Ni projets ni famille, chiards et maison pris en phobie par elle et moi. On était bien ensemble, on avait besoin de rien de plus. Moi j'avais besoin de rien de plus.
Brasier
"Je veux divorcer."
"Tu me quittes pour un autre?"
Elle me regarde avec des yeux trempés d'indécision. C'est elle qui tremble, sanglote, baisse la tête, pourtant c'est moi qui doit avaler dans la même soirée divorce et infidélité. Ses doigts qui s'égarent une dernière fois dans ma nuque, baiser volé, adieu arraché, repoussée de dégoût par tout ce qu'elle est devenue. Tous les deux, finalement, ce n'était rien. Un plan cul de plus entre ses bas. Ses ongles qui s'agrippent encore à mon cou, s'y plantent sulfureusement comme pour me retenir. Mais c'est elle qui me jette, c'est elle qui n'a plus d'égard pour moi.
Porte claquée avec une effluve de son parfum, persistant encore contre moi, hantant mes moindre pas. Pardon, hésitation, revenir ou la fuir. Nuit passée dans le caniveau, alcool, clope, et sanglots, à en frapper le sol pour ressentir autre chose que cette peur camouflée de haine. La perdre encore et encore, ma terrible fatalité.
Le lendemain j'ai un sac sur le dos, je pars.
Cendres
"Putain..."
Dernier mot d'un condamné. Le sommeil m'entrave, la cigarette encore sous les phalanges, allumée, crépitante, impatiente d'aller se lover dans les fibres du tapis pour y flamber la poussière de ces dernières années. Tickets de caisse, factures, plantes mortes, cannettes vides, tout s'embrase autour du cendrier abandonné qui éclate son verre au sol. Sursaut, j'émerge. C'est dans la fumée et les limbes que je reviens à moi quelques heures trop tard. Le voisinage en panique fuit déjà, la vitre éclate, les secours n'arrivent pas. Etouffé, je finis dans la cendre d'un bûcher qui n'est pas le mien, épris par la mort qui me prend enfin.
Second éveil, dans ses bras, caresses funestes dans les décombres d'une vie. Sa flamme qui m'étreint, m'enivre, drogue assassine qui fait de moi son pantin. Le jouet de chair et de sang d'un démon sentimental, la pitié des dieux s'abat sur moi pour une renaissance non désirée. Phoenix aux ailes coupées, marionnette charbonneuse, je suis sien, elle est mienne.
Chronologie
1982 | Naissance au creux du berceau familiale qu'est Varna, daron qui a déjà quitté le foyer pour n'y laisser qu'une mère à bout et deux frères de quatre et cinq ans ses aînés, Valko et Aleksandar.
1988 | Gamin, ses frères lui font bouffer un poussin vivant pour "jouer", traumatisme qui le hante encore.
1993 | Maman claque, la fratrie est balotée dans la famille entre membres qui n'en veulent pas, oncle et tante éloignés les gardent miraculeusement quelques années.
1999 | Se barrer pour mieux vivre, reprendre les cours et un semblant de vie en squattant chez des amis, enchaînant les jobs ingrats et mal payés.
2000 | Tout plaquer, encore, pour reconstruire sa propre vie, il se paye un appart, accepte un taf fixe dans un cimetière pour voiture, l'odeur des pneus brûlés et du gasoil le ravit.
2003 | La rencontre, celle qui change tout et lui arrache même des sourires que les dernières salopes n'ont jamais entrevus, elle est différente, elle est à un autre.
2005 | Donzelle volée et convolage de mise, un mariage encrassé mais qui leur convient bien assez.
2015 | Séparation, divorce, brisé.
2015 | Fuite en Russie pour ne plus jamais la revoir, Moscou, un cirque, ouais, cracher du feu, il peut le faire.
2016 | Mort dans un incendie involontaire, renaissance du démon.