Sacha se réveilla, seule, laissée tomber même par sa légendaire qui se lovait dans le creux de magnifiques mauvais rêves, dans un calme absolu qu'elle n'atteignait que rarement ; elle savait donc que la veille quelque chose s'était passé même si elle ne s'en rappelait pas forcément dans l'instant. Les sensations et le reste viendraient plus tard, mais sa nature profondément humaine, confusément aiguillonnée par la certitude qu'elle connaissait la malheureuse victime des maléfices de son hôte, la poussait à se lever.
Le corps interminable d'Alexandre se leva donc, et marcha jusqu'à la salle de bain, où il découvrit évidemment Alasaïas, en pleine crise de larmes comme de juste. Sacha ne savait pas vraiment ce que faisait une agression en règle de la Drioma, elle n'y assistait qu'en spectateur ce qui n'avait rien à voir avec la victime.
Elle savait toutefois, l'avait côtoyé suffisamment de fois pour savoir que ça n'avait rien d'agréable. La vielle carne dormait à ce moment-là dans son encéphale profond et elle était seul maître à bord, ce qui lui permit d'embrasser Alas avec beaucoup d'affection et de désolation. Si elle avait été la seule à donner son avis rien de tout ça ne serait arrivé.

« ça va aller. »

ça n'était pas une question. A sa manière discrète, le faux noble avait laissé sa marque sur lui, et elle était enfin rassurée, parce qu'elle lui avait rendu l'équivalent. C'était peut-être bientôt trop tard, mais elle savait se contenter de ce qu'on lui donnait.

« Je suis là maintenant. »

Elle drapa son manteau de noirceur et de cauchemar sur lui, mais cette fois pas dirigé contre lui, se faisant rempart.

Sacha était humaine, effectivement, quand la terrible Drioma dormait comme ça bercée par de mauvais rêves, donc l'impression d'Alas n'était pas tout à fait fausse. Son regard sombre tomba sur la trace des griffes qui avaient percé l'armure invisible du Marsiliya, encore une fois, et un sentiment étrange pile entre la fierté et la culpabilité éclata dans la poitrine trop plate de la reine de la nuit.
Elle secoua négativement la tête à la question de son amant.

« Non, effectivement, crois-moi je le regrette pour toi. »

Elle se redressa, son long corps masqué par un plaid dans lequel elle s'était enroulée en sortant du lit.

« Viens, il ne faut pas que tu restes là, tu risques des ennuis. Je vais te faire sortir. »

Elle l'embrassa, affectueusement et la main posée sur sa taille, mais l'envoya fermement vers de nouvelles aventures, consciente de ce qu'il en coûtait de s'opposer à la volonté politique.
A vrai dire Sacha visait surtout à être tranquille, ce qui s'avérait étonnamment difficile.

« Repasse si tu peux », lui recommanda-t-elle.

Elle ne semble pas le regretter outre mesure et je crois que sa froideur ne m'a jamais autant blessé. Je crois même que son indifférence était la pire chose qu'il pouvait m'arriver aujourd'hui. En silence je prie pour que toutes les blessures se referment, pour que Alyosha disparaisse, que ses cris disparaissent, que le feu disparaisse. Mais tout reste ancré en moi dans une carapace plus faible que jamais, comme si ces stigmates en avaient toujours, irréfutablement, fait partie.

Je me redresse malgré tout, mort de froid et claquant des dents, la dignité abandonnée quelque part dans le noir cette nuit.
Ou bien avant.
Je fais le tour de mes connaissances capables de me faire disparaître un temps de la surface de la terre. Vadim devrait pouvoir m'arranger quelque chose qui tient la route.

Avant de partir je me tourne vers Sacha.

-Je ne repasserai pas. À vrai dire je ne pense pas qu'on se reverra.

Je remonte le col de ma veste.

-À dans une autre vie, peut être.

Quand je lui adresse un signe de la main et me détourne pour descendre les escaliers, je n'imagine pas à quel point j'ai raison.