Elle se mouvait avec facilité parmi les ombres qui étaient familières à son hôte, laquelle chantonnait une petite berceuse au creux de sa poitrine, pour une fois plutôt calme et de bonne composition. Un putain de miracle.
Elle se redressa d'un coup, bondissant entre les poumons pour filer comme une flèche le long de la colonne vertébrale de Sacha : « y a quelqu'un » . Au lieu de descendre de ses talons qui commençaient à lui faire sacrément mal aux pieds, elle alluma la lumière donc – occasionnant un juron vulgaire de la Drioma.
Après un net éblouissement, elle posa son regard sombre sur la silhouette d'Alasaïas qui comme d'habitude donnait l'habitude d'être chez lui. Elle soupira, jeta un regard à la fenêtre qu'il lui avait flinguée, et sourit, aimable.

« Bonsoir. Tu peux rester, le quartier est idéal pour se cacher quand on n'a pas de puce. »

La Drioma compléta sa phrase : « tu sais, pas comme elle ! ». Sacha lui intima de se taire, mais gentiment, d'un chuuut très glissé et très lady en fait.

« Tu veux boire quelque chose ? Tu as besoin d'un truc, ou tu voulais me voir ? »

Elle posa son regard d'encre sur lui, le jaugeant, et elle entendait la Drioma ricaner d'avance alors qu'elle distinguait sans doute les cauchemars qui s'accumulaient au creux de sa tête.  « Invite-le à dormir » proposa-t-elle avidement.

A l'instar d'un chien de chasse, la Drioma reniflait l'air par à coups, comme si elle essayait de déterminer où Alas était blessé ; oh fallait pas prendre Sacha pour une conne, il l'était. Elle sentait, voyait presque, les pensées noires s'enrouler autour de lui en volutes vénéneuses. Elle était bien trop fine mouche et bien trop connaisseuse des saloperies humaines pour poser des questions.
Et puis elle avait eu vent des derniers événements, vaguement, sans doute de manière déformée et exagérée.
Avec ses gestes gracieux d'animal nocturne, elle commença à préparer du café dans une cafetière-piston offerte par Salomé, qui remplaçait celle que les soldats de la perquisition lui avaient cassé.

« Je t'écoute. »

Elle ne garantissait pas d'y répondre, mais Sacha était toujours d'une politesse admirable. Elle se retourna sur le plan de travail, descendant enfin des échasses qui lui servaient de chaussures, réfléchissant à la question, pensant aux gens qu'elle avait étouffé de sa chevauchée nocturne. La Drioma ricana nerveusement, se demandant sans doute s'il voulait être chevauché – vu la trouille qu'il avait de Sacha, c'était sans doute pas le cas...

« Je ne sais pas vraiment, je dirais que ça dépend des gens. J'ai assez peu souvent parlé avec eux de mes... capacités. Ils étaient tous aussi flippés que toi », précisa-t-elle dans un mouvement de tête de reine.

Elle poussa ses chaussures à talons derrière une porte, les masquant à la vue.

« Pourquoi, tu as des rêves à faire disparaître ? »

La Drioma ne faisait que caqueter des approbations et des gloussements d'excitation, très pressée de s'attaquer à ce morceau-là. Sacha savait pertinemment que si elle déclinait le pont d'or qu'Alasaïas lui faisait, la vieille carne allait lui faire payer pendant de longues semaines, aussi l'idée ne lui effleura que très rarement l'esprit – mais déclenchant quand même une protestation de la Drioma.

« Je vois. »

Elle appuya sur le piston pour faire passer le café, se servit une tasse dépareillée et un rien ébréchée, encore une nouvelle depuis les perquisitions, parce qu'ils avaient consciencieusement cassé la plupart des choses qui pouvaient l'être.
Sacha arqua élégamment un sourcil alors qu'Alas parlait de sa liaison avec le « fondateur du Cult », ce qui amena immédiatement son esprit agile sur Niilo. La légende maintenant postée tout au bord de son nerf optique eut un rire  « qui eut cru qu'il sache faire quelque chose d'autre que baiser et obéir aux ordres, celui-là ?! »

« J'imagine que tu es aussi passé au-delà de la jalousie ? »

Certes, c'était un sentiment qui n'avait pas trop eu droit de cité au vu des activités de Sacha pour survivre dans cette Moscou pleine de vices. Elle reposa la tasse de café sur son plan de travail dans un bruit léger, un frottement de céramique discret.

« On peut essayer, oui. Tu as besoin de médicaments pour dormir ? »

« Oh, on s'en fiche de ses états d'âme ! » criailla la légende, mauvaise et toute tournée vers la promesse de cauchemars croustillants et bien chargés en émotions compliquées. Sacha n'était pas vraiment sûre de ça vu le feu tranquille que l'affirmation d'Alasaïas que non il n'en avait pas fini avec la jalousie, le couvant d'un regard tranquille et intéressé. Mais elle avait à faire, donc elle repoussa ses propres soucis dans un plus tard hypothétique.

« Oui, maintenant, c'est la bonne heure. »

Comme elle l'avait escompté, il aurait besoin d'un peu d'aide pour dormir, et vu son métier, il devait avoir mieux que ce qu'elle avait pour l'aider à glisser dans l'inconscience, aussi ne fit-elle aucune difficulté pour lui servir une tasse de café.
Se redressant ensuite en déployant sa longue taille et sa courte jupe brillante, elle l'entraîna vers sa chambre, remise à niveau depuis les malheureux événements de juin.

« Par ici. Fais comme chez toi », conseilla-t-elle sans douter qu'il le fasse. « Je me démaquille et je te rejoins. »

Il était plus agréable de s'endormir avec quelqu'un à ses côtés, et ça c'était valable pour lui comme pour elle. Elle vérifia avant d'aller vaquer à son rituel de beauté que les fenêtres et la porte étaient bien fermées, et une fois démaquillée elle glissa sa longue silhouette sous les draps, se collant contre la peau insensible d'Alas sans fausse pudeur.
Elle le connaissait aussi bien qu'on peut connaître quelqu'un qui n'était pas soi-même, après tout. Elle déposa ses lèvres fraîches contre sa pommette, n'eut pas l'audace de lui souhaiter bonne nuit.

Sacha était couchée contre le corps d'Alasaïas, le sentit s'alourdir, et avait la sensation particulièrement aiguë de la Drioma perchée tout au bout de son nerf optique, limite à tomber – mais elle ne pouvait pas partir comme ça.
La vieille, tout en tricotant un pan de cauchemars du bout de ses longs doigts comme s'ils avaient été des aiguilles, observait passer les cycles de sommeil en attendant celui où elle pourrait intervenir. Sacha dérivait dans une semi-conscience en revivant la soirée, ce qu'elle-aurait-pu-dire-ou-faire, autant en attente en fait que sa monstrueuse hôte.
C'est une respiration qui les mit sur la piste, et alors que la Drioma lâchait son tricot, Sacha se redressa dans un mouvement souple et prédateur qui ne dérangea pas le sommeil de son invité. Elle essayait de se dire qu'elle faisait ça parce qu'il l'avait demandé.

Une longue cuisse bronzée passa par-dessus le corps d'Alas alors que Sacha trouvait sa place ; loin de l'aine, elle n'était pas là pour la bagatelle et s'asseyait sur sa poitrine.  « Il est insensible d'accord, mais on peut étouffer tout le monde même les cuirassés » commenta la Drioma. La respiration d'Alas se raréfia et Sacha fit taire le sentiment de détresse que ça faisait naître en elle. Elle avait à l'encontre du faux Kourakine des sentiments contrastés, mélangés et peu clairs, et n'avait clairement pas envie de lui faire subir ça.
La Drioma balaya d'une claque ce qu'elle appelait de la sensiblerie.

Sacha planta ses griffes, mentales et physiques, dans la chair insensible et l'esprit à découvert de son amant, et une gueule de loup ornée de grandes dents, dégoulinante de salive et de sang, fit son irruption dans le monde de ses rêves. Elle chassa le regard bleu devenant bleu d'Alyosha Kourakine, hurla après les cris de douleur d'un homme brûlé vif, alors que ses cuisses serraient la taille d'Alas. La gueule était suivie d'un poil de cauchemar, roussâtre, ébouriffé et rêche, et l'animal se transforma, dans un mouvement souple uniquement permis par les rêves qui n'avaient aucune logique, devint un regard jaune immense et obsédant.
Un cri aigu retentit, et c'était celui d'Alyosha quand il était revenu à la vie, pétri de douleur et de monstruosité.

Sacha était elle, douée de sensibilité, contrairement à Alas et contrairement à la Drioma qui se régalait, le museau drapé de sang d'ectoplasme des rêves, et grinça douloureusement sous la charge de mauvais rêves qui lui étaient renvoyées. La légende l'assura distraitement qu'elle l'aiderait à mâcher tout ça, mais en attendant elle s'amusait, folâtrant et animant les petites marionnettes de la dynastie Kourakine, Nadeshda éclatant de rire et Alyosha mourant dans un torrent de flammes dans un cri horriblement aigu.
Sacha serra les cuisses sur Alasaïas juste avant d'être jetée bas, refusant d'être démontée comme ça, les ongles se plantant en lui, alors que lui disait être désolé alors que ça n'avait plus grand sens parce que c'était trop tard.
Kirill y alla de son commentaire en se détournant comme il l'avait toujours fait, incapable d'être responsable de quoi que ce soit, et Sacha se fit maternelle comme elle savait l'être, se penchant sur son amant, les lèvres cueillant sa bouche, l'embrassant gentiment.

« Tu sais que ça ne change rien. »

Elle savait maintenant qu'un homme était mort de ses mains, mais elle savait aussi confusément qu'il finirait par faire reparler de lui. Elle serra les jambes pour couper la source d'air d'Alas et le laisser s'évanouir dans une pseudo asphyxie, criant en se redressant comme si elle jouissait, les mains plantées sur ses pectoraux, possédée par la Drioma triomphante.

Elle desserra l'étreinte de ses cuisses sur le corps d'Alasaïas alors qu'il se laissait aller, et que la vie se retirait, en quelque sorte, de lui. Elle reviendrait le lendemain, rien de grave, la Drioma & Sacha étaient habituées à ça. Sacha eut un rire fantôme contre les lèvres exsangues d'Alas, sachant pertinemment que ce qu'elle venait de faire sur lui était une horreur, et normalement interdit, mais son hôte ronronnait de plaisir, polissant ses si beaux cauchemars.

« Oh non ça serait trop simple », répondit-elle sans être écoutée, solitaire dans la nuit noire.

Sacha démonta de son invité en se laissant glisser dans le lit à ses côtés, fatiguée sans l'être, fourmillante de sensations qui n'étaient pas les siennes. Elle vira les draps dans un mouvement de jambes agacé, partant chercher de l'eau parce qu'elle n'allait pas s'endormir de suite.
Elle finit par se draper sur le corps d'Alas abandonné dans son lit et s'endormit sur lui en espérant vaguement, profondément, et sans la présence de la Drioma qu'il n'allait pas lui en vouloir pour les dents tranchantes, pour les jugements hâtifs, et pour le délire de poursuite dont il avait fait l'objet.