Je me souviens m'être approché de Dorreh et soudain, nous n'étions comme plus là. Je me souviens que nous nous sommes suffisamment éloignés, quand soudain les cris ont changé. Tout le monde a couru dans tous les sens, j'ai pris la main de Dorreh dans la mienne, et je l'ai serrée aussi fort que je pouvais, sans me préoccuper du fait qu'il pouvait avoir mal ou non, je ne voulais simplement pas le perdre. Et sa main ne lâchait pas la mienne.
Je me retourne, sur les écrans, juste des images arrêtées sur un élément de décor ou des mouvements saccadés. Et ma main toujours dans celle de Dorreh. Les gens courent dans tous les sens, certains tâchés de sang, d'autres tenant bras ou tempe comme pour se protéger de la douleur, d'autres les yeux couverts de larmes. Je passe ma main libre sur ma joue, c'est mon cas. Dans le brouhaha, je peine à reconnaître ma propre toux.
Nous ne sommes plus qu'à deux, et franchement les autres peuvent bien se faire éclater le crâne, quelle importance ? En chemin vers l'air libre, nous avons entendu ce qu'il s'était produit. Aleksandra. Je me suis figé, j'ai regardé en direction de l'estrade sans savoir si je devais essayer d'y aller. Et j'ai senti sa main, je me suis rappelé sa main et j'ai su que ce serait inutile, et dangereux. Nous avons donc continué de marcher. Ma main libre passe plusieurs fois contre mon visage, essayant de chasser les larmes silencieuses. J'ignore s'il s'agit encore de l'effet de la lacrimogène, dans le sillage de laquelle je me suis jeté inutilement, quand je pensais encore que les moutons pouvaient être arrêtés. Ou si c'est notre princesse.
Je repense à nos entretiens froids, cette sorte de valse meurtrière quand elle se cachait sous la candeur de l'associatif et laissait quand même savoir que derrière, il y avait une femme dangereuse. Une femme dangereuse et une mère auprès de ses enfants. Et au-delà de la personne, le symbole. On s'en est à nouveau pris à la famille royale... Je reste le dos droit alors que je marche sans mots, ne laissant pas entrevoir ma perte et mon désarroi.
Désormais, peu importe les lois. Qu'ils fassent ce qu'ils veulent tant qu'on arrête ces assassins. J'inspire longuement, me calme et bientôt, nous arrivons chez Dorreh. J'aurais mieux fait de le laisser chez lui, encore une mauvaise décision le concernant. Je m'étonne de toujours sentir sa main dans la mienne, quand bien même il cherche ses clefs ou ouvre la porte. Et je ne le lâche pas, comme un point d'ancrage à la réalité. Nous pénétrons dans la maison, je manque de faire un commentaire sur deux tasses pas loin de la porte quand Dorreh vient tout contre moi, me laissant dos à la porte.
Mes mains viennent instinctivement se poser contre son visage, alors que je viens chercher ses lèvres. Immédiatement, une onde de soulagement se propage au sein de mon corps – mes muscles se détendent, mon souffle reprend une course moins effrénée – et de mon esprit. Je caresse ses cheveux, les renvoyant loin de son visage inquiet. Comme si j'étais maître de la situation, alors qu'un gouffre était en train de m'engloutir à peine quelques instants auparavant, je lui susurre à l'oreille :
▬ Rien ne va se passer, tu es en sécurité.
Je laisse un baiser contre sa mâchoire, mes doigts caressant son cou. Il m'a tellement manqué, il me manque tellement. Je baisse le regard sur lui, le gardant prisonnier et sauf au sein de mes bras.
▬ Je sais que tu as dis vouloir rentrer chez toi mais … tu veux bien rester un peu ? Je ne veux pas rester seul. Je veux oublier tout ça pour un moment.
Je tape doucement du talon contre le sol. Je pourrais lui demander s'il ne craint pas que je ne tire mon coup et ne le laisse dans la tourmente, n'est-ce pas ce qu'il m'avait injustement dit ? N'est-ce pas là la blessure qu'il m'avait infligée ? Mais il y a assez de tempêtes dans nos coeurs pour en ressusciter une ancienne...
Si Dorreh a sans doute la sensation de ne pouvoir se détacher complètement de moi – après tout il a jusqu'à présent accepté que je revienne dans sa vie, une vie qu'il voulait reconstruire après notre prétendue rupture –, je suis dans la même situation. Je peux tout pour lui. Et je ne peux refuser de rester près de lui quand il me le demande. Et même s'il ne me le demandait pas.
Mes doigts délivre les cheveux de leur lien, viennent se perdre dans la masse et se serrer au sein de la chevelure, appliquant une pression que je ne veux pas brutale ou subite, pour ne pas lui faire mal... mais pour le contraindre à orienter le visage dans la direction que j'ai choisie pour lui.
▬ Alors oublie, lui sommé-je en glissant ma main libre sous son t-shirt et jusqu'au bas de son dos, devinant le contraste chaud-froid de mes doigts et mes bagues contre sa peau. Je fais un pas sur le côté pour me libérer de ma position et pour le faire se déplacer avec moi. Je me perds à nouveau contre ses lèvres, retrouve le plaisir de caresser sa langue avec la mienne, mes doigts caressant toujours son dos trop couvert.