High in the halls of the kings who are gone,
Jenny would dance with her ghosts.
The ones she had lost and the ones she had found
And the ones who had loved her the most.
Pina l’aimait, son lupanar, son cloaque. Elle l’aimait pour ce qu’il était, sans en exiger d’avantage, sans attendre de lui qu’il fût autre chose, ainsi qu’elle le faisait pour tous les aspects de son existence. Elle trouvait dans le perpétuel renouvellement des clients et des exigences, des corps et des danses, une forme de nouveauté impérissable ; trouvait à la décoration datée, aux meubles éculés, un contraste en clair-obscur avec ces nuits qui ne ressemblaient jamais à la précédente, autant que la crasse des pratiques seyait à la pureté inadmissible des pratiqués. Contentée depuis plus de trente ans par ce décorum, elle n’en exigeait pas d’autre et se trouvait incapable d’évoluer dans un autre. Mais ce soir, sans autre raison que l’humanité même la plus conservatrice prompte à se lasser des paysages qui se répètent, son tendre bordel dans lequel elle était née n’exerçait plus ses sortilèges sur son esprit enclin de familiarité. Les restes de cendres et d’eau salie entamaient le charme passé de la tapisserie à son champ de vision chaque fois qu’elle tentait de s’en émouvoir. Les livres de compte dont elle n’osait s’approcher mais qu’elle n’était pas assez naïve pour ignorer l’existence – et l’inacceptable constance avec laquelle ils accaparaient son mari – rognaient son esprit derrière leurs portes scellées. Le nom tantôt rafraîchi, aujourd’hui éculé de l’enseigne lui rappelait l’enseigne oubliée ; quant à la jeunesse inadmissible mais rafraîchissante des corps, elle s’entêtait à lui rappeler que la sienne était derrière elle, que l’avenir n’était qu’inexorable et lente décrépitude pour elle, corps et peau attirés par la force inéluctable de la gravité. A trente printemps fraîchement révolus, de par sa situation et les exigences constantes de la jeunesse, Pina connaissait avant l’âge, la stupéfiante frayeur du vieillissement, ce soir plus que jamais. Et dans son huis clos, sans les discours bienveillants d’un mari absent, elle ne pouvait que contempler ses angoisses catalysées, sans en réchapper.
Celle qui avait été la pupille de la fange en était ce soir la doyenne ; et dans le monde du désir et des choses qu’il convoite, cette réalité avait comme des airs de fatalité.
The ones who’d been gone for so very long
She couldn’t remember their names.
They spun her around on the damp old stones
Spun away all her sorrow and pain.
« Où est Mihail ? »
Le comptage des funestes protégés, aussi pragmatique et disgracieux fusse-t-il à ses yeux, avait pour mérite de la détourner de ses préoccupations avec efficacité. Pour les remplacer par d’autres, semblait-il, quand un silence effrayé fut tout ce qu’elle put tirer de l’assemblée aberrante des éphèbes qui lui rappelaient encore son âge en ne la voyant jamais que comme une mère. « Allons, vous n’avez rien à craindre », les rassura-t-elle avec une tendresse qui, parfois, la surprenait elle-même, pour ces êtres dont la jeunesse ne faisait pourtant que lui rappeler les jours lointains de la sienne. Rasséréné par la douceur de sa voix, l’un des benjamins osa avouer que personne n’avait la réponse à cette question, mais qu’il avait laissé des effets sans lesquels il ne serait jamais parti si les choses avaient été normales.
« Vous pouvez quitter cet endroit à tout instant, vous le savez ? Quelque chose vous laisse penser que vous ne pouvez pas nous le demander ? »
Le dodelinement approximatif mais assuré des chérubins acheva de confirmer les circonstances étranges de cette disparition, attestée par des recherches infructueuses dans tout le menu domaine. Et peut-être était-ce l’inquiétude, ou alors seulement la réjouissance de quitter cette atmosphère qui pour la première fois lui paraissait suffocante, qui poussa Filipina à quitter la bâtisse pour de plus amples investigations.
Toujours est-il, elle se retrouva là ; au milieu d’un imbroglio de silhouettes bien moins pures, affligeantes, que celles qu’elle avait quittées. Corps enfoncé dans un jean large et une veste pragmatique qu’elle avait dédaignés par répulsion mais embrassés ce soir par esprit pratique, la chevelure ondine dissimulée dans un chignon plat et les yeux nus. Des masses impressionnantes se jetaient l’une sur l’autre dans un petit cercle désigné en arène tandis que d’autres, plus disgracieux, absorbaient le spectacle en hurlements de liesse.
Pina se trouva méritante de se frayer avec succès un passage entre les corps, assénée par les exhalaisons de sueur et d’alcool, jusqu’à son mari repéré avec efficacité dans la foule ivre de violence. La fierté fut cependant de courte durée car elle avait à peine rejoint la place qu’elle put constater, déjà, sa disparition dans une masse devenue trop opaque pour y voir. Bousculée, compressée, harcelée par des flagrances aussi répulsives qu’enivrantes, la seule fenêtre de vision dont elle disposait donnait sur le combat dont elle eut tôt fait de trouver le spectacle captivant. Tout comme elle était fascinée par les bruits et les odeurs, les ondes massives et l’incroyable énergie des corps, la bestialité en volutes élevés dans l’atmosphère .
Bref oubli de son devoir, interrompu en secousse par une main saisie autour de son bras frêle.
And she never wanted to leave.
Never wanted to leave.
Never wanted to leave.