Quotidien morbide. Habitude complète, corps mort étalé sur la table, bientôt apprêté. Regarde le corps étendu et demande toi si les autres l’aimaient, si la foule de pleureuses dehors pense vraiment du bien de ce corps décharné maintenant. Connaissance des foules, des mensonges comme celui là. Ancienne pleureuse, ancien cousin affalé à l’enterrement. Un double meurtre pour deux victimes des plus méritées, deux corps posés sur la même table, comme délaissés parce que personne n’en voulait. Et personne n’en voulait. Pareil à Dorian Grey, la moisissure qui revient, pourrit la carcasse parce que l’intérieur lui-même était pourri, exemple même d’un échec, son échec, tous les échecs. Il est un échec, de cette ancienne carcasse vivante, une tombe sur laquelle il va souvent cracher, pisser.

Visage impassible, qui se veut triste, partage la peine des autres lorsque tout ce que à quoi ces derniers pensent, l’héritage, les restes. Charognes autour d’un morceau de viande, n’apprécient pas la disparition mais ce qui vient après. La récompense pour avoir supporté. Récompense personnelle, parfois plus discrète, cadavre différent entre le jour où on le voit et le jour où on l’oublie. Met le en terre et laisse les autres l’oublier comme il se doit. Métier indigne qui mérite son importance. Apprends à lire les gens en étant invisible. Presque un sentiment de puissance dans cette situation, contrôle sur le plus faible, chanceux d’avoir pu s’échapper au monde actuel.

Passe les mains sur le costume, lisse la face, donne l’air de s’intéresser, devient l’homme qui s’efface, l’épaule sur laquelle on peut pleurer mais que l’on aura oublié dans quelques heures, simple souvenir d’un cercueil que l’on baisse en terre. Amertume à l’idée des autres qui attendent. Passe les mains dans ses cheveux, arrange la coupe pour que le regard ne réside pas sur lui. S’il n’aime pas le comportement des autres, respecte les règles qui sont obligatoire, espère garder espoir que quelque part dans le monde quelqu’un pourrait être triste et qu’à ce moment l’attention ne devrait être sur lui. Rêve peut-être trop évolué, rêve de gamin. De voir une famille normale aimée et aimante, complète.

Ironie presque complète dans ce boulot. Remet la cravate en place tandis qu’il déambule dans les couloirs plutôt vide de l’espace, personne ne descend ici, effrayé de croiser les fantômes des regrets, vieille histoire de gamins, croit dans des créatures revenues d’entre les morts mais ne croit pas aux esprits qui pourraient se tenir proche de lui, à quelques pas de l’endroit où on les a préparer à mourir. Peut-être sous l’espoir de ne croiser personne. Mais il y a quelqu’un juste en face de lui. Quelqu’un de bien vivant, les pas ralentissent. Visage penchée sur la figure récemment décédée. «Je peux vous aider?» Silence rompu. Phrase en suspens, Peur du monstre sous le lit qui pourrait la retourner.

La silhouette est féminine, presque arrêtée ici, comme lui avait pu l’être sur la figure maternelle de longues années auparavant. Claque la langue contre le palais, se permet de détruire l’espace familial, celui qu’elle pouvait avoir construit autour du cadavre et d’elle même. Personne ne vient ici parce que ça sent la mort alors pourquoi elle et maintenant. D’autres endroits sont plus appropriés pour les adieux.

Fronce les sourcils, essaie de rester discret mais les yeux passent sur le visage de l’autre, comme s’il savait. Ce sentiment qui ne se nie pas, celui qu’on ne cache pas, la vérité. Il le connaît pour s’être aussi penché au dessus d’un corps, celui d’une père pourrie, de l’avoir regardé avec une fausse tristesse peinte sur le visage. Il avait adoré la voir partri. Rêve depuis tout petit, elle n’était plus là pour lui parler maintenant, pour le frapper, le recadrer ou tenter de le rendre comme elle le désirait. Elle n’était plus là pour voir l’homme qu’il était devenu, cette pédale. Heureuse mort. Heureuse qui lui permet de voir, distingue sur le visage de l’autre la même émotion que celle qu’il avait eu avant, quand tout n’était que douleur et finesse.

Hoche pourtant doucement la tête à son attention, lui donne le semblant qu’il la croit pendant quelques minutes. «Letov. C’est moi qui me suis occupé de votre tante.» Ou de votre démon. Semble ici que la situation n’est pas éloigné. Presque ironique d’être capable de se rendre compte de quelque chose de si important avec quelques regards, quelques phrases. Comme si les victimes, les obligés se rendaient compte plus facilement des soucis des autres. Ceci dit, Yulian n’a pas dans l’idée de commencer un club des survivants, situation qui lui est propre, n’a aucune envie d’en faire profiter les autres. Les souvenirs sont mieux au fond de sa mémoire.

Il a bien compris, ne lui offre pas la phrase qu’il offre pourtant à tout le monde. ‘Désolé pour votre perte.’ mais pas de perte pour sa part vu qu’elle semble plus vivante que jamais, presque en colère, parce que c’est si simple d’être en colère après que le fantôme ai quitté la partie. C’est plus simple d’être en colère que d’être heureux après la disparition du malheur.
Et il aurait pu. Aurait pu la laisser partir mais le bruit résonne. Tout deux regardent, témoins de la bague qui tombe, de l’argent qui s’effrite. Du mensonge qui tombe d’une manière abrupte, s’écroule et ne devient qu’un ensemble de rien. Elle se sent juger. Un petit sourire passe sur ses lèvres à lui. Une réalité qui n’était pas celle qu’il pensait mais il comprend. Les bras se croisent sur la poitrine. Lui offre un petit silence, long silence où il est question de regarder l’anneau de métal au sol. «Elle n’était pas très appréciable comme personne.» Plus un commentaire qu’une question, comme si c’était évident qu’elle n’était pas la plus serviable de tous. «Vous allez être en retard? Je doute que maintenant ça ai de l’importance non?» Des larmes qui n’ont pas coulées. Il n’y en a peut-être pas à faire partir, sait-on jamais. Peut-être que c’est autre chose. Peut-être que ce ne sont que des cauchemars, qu’elle prend la monnaie de sa pièce. «Il y a  une valeur sentimentale? Ou il n’y a que la valeur de l’argent lui-même?»