Heaven in hiding.

« On s'ennuie de tout, mon ange, c'est une loi de la nature; ce n'est pas ma faute. » - Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses.

☾☾ La lettre mentionne l’inquiétude. L’absence de nouvelles concernant le fossoyeur avait fini par la tourmenter. Elle l’avait aperçu, au gala. Elle n’avait pas eu le cran de l’approcher, vêtue de l’éclatante tenue émeraude, de tout ce que Sasha n’était pas. Tout s’était enchaîné trop vite, si bien qu’elle avait tardé à envoyer la missive. Ecriture ronde et féminine, papier noir, lettres d’or. Un laisser passer pour le palais royal, une demande d’information sur sa santé.

Et depuis ? Pas de réponse.

Il y’a de la musique, au troisième étage du palais, on voit les domestiques s’agiter, aller, venir, de façon pour le moins inhabituelle. Ca s’affole afin de satisfaire la moindre demande depuis des heures. « Altesse Impériale. Un homme demande à vois Sasha. » Elle tourne légèrement le visage, hoche simplement la tête en signe d’autorisation et reporte son attention sur l’horizon qui se déploie depuis les grandes fenêtres. Elle ne pivote qu’en entendant les portes se rouvrir, fait quelques pas et dépose le verre de whisky presque vide sur la table basse. Il y’a des pâtisseries, des bougies, des senteurs parfumées. De l’excès. « J’ai cru que tu ne viendrais jamais. » Elle referme un bouton supplémentaire à la veste de tailleur féminin qui ne couvre visiblement aucun autre tissu en dessous. « J’espère que tu ne m’en voudras pas : Sasha n’est plus disponible. Je crains qu’on l’ait assassiné. » Il y’a une sorte de détachement dans sa manière de le dire, dans sa façon de lui servir un verre alors qu’il n’a rien demandé. Le son des escarpins ne reprend qu’au moment où elle vient lui porter la boisson, la lui glisser entre les mains.

« Tu n’as pas été blessé ? » Elle récupère ce qu’elle n’a pas fini de boire. Cascade rousse glisse sur une épaule lorsqu’elle penche légèrement la tête, le détaille comme pour vérifier son état. Il n’a pas l’air si mal en point, n’est-ce pas ? « Ne t’angoisse pas, mon père n’a pas prévu de te faire enfermer dans une quelconque prison sordide. » Est-ce que c’est supposé être réellement rassurant ? Si elle prend la peine de l’exprimer, c’est qu’il a déjà dû le faire avec d’autres mâles un peu trop entreprenants. Détail. « Cependant si cela peut te rassurer, les portes ont des serrures. » L’air mutin est évident, malice dans les yeux verts. Absence d’une autre âme au coeur des vastes appartements richement décorés, lumineux. Absence de mari, d'enfants ou de parents. Débauche entamée, en revanche, à l'évidence d'un décor digne d'une Marie-Antoinette en pleine fièvre acheteuse.  

Heaven in hiding.

« On s'ennuie de tout, mon ange, c'est une loi de la nature; ce n'est pas ma faute. » - Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses.

☾☾ « Quelle ironie qu’il ai voulu ma mort lorsque j’ai tenté de sauver sa vie. » La tête se penche légèrement de curiosité, entre deux gorgées d’alcool. « Je n’ai pas donné ton nom. » Elle n’aurait pas pris le risque que l’écho de l’identité traîne de trop dans l’esprit protecteur de son père. « Par principe les hommes ne font pas long feu dans ce qu’il me reste de coeur. » A l’exception de l’époux, de l’indéfectible mariage. Le coeur s’y est attaché, l’esprit s’est noyé, les cendres de leur histoire sont restés. La vaste pièce laisse voir la chambre entre les grandes portes au bout du petit salon. La cheminée est éteinte, malgré les températures jamais très clémentes de Russie. Elle lui laisse voir son univers. Babioles variées, dessins d’enfants entre les pâtisseries. Une cravate a été oubliée sur le dossier d’un des canapés, impossible de savoir si elle appartient à Sasha ou Feodor. D’autres pièces sont inaccessibles, fermées, dont la chambre des gamins. « Ta tête ne risque rien. »

« Mais toi tu as été blessé Princesse. Tu.. » Tout le pays est-il déjà au courant ? Et quelqu’un aurait-il oublié de signaler à la princesse que les antalgiques et l’abus d’alcool ne sont pas compatibles ? Elle ne bouge pas, laisse Yulian approcher. « Tu n’as pas honte de montrer ta posture de guerrière? » Un rire s’envole. Elle pose à nouveau son verre, celui qui fait des allées et venues entre ses mains depuis le début de l’après-midi. « Il n’y’a pas de guerrière ici, monsieur, seulement une gamine capricieuse et caractérielle. » Les doigts se glissent à ceux tendus, attirent le fossoyeur à elle, d’un geste assuré, trop sans doute. Un gouffre semble s’être creusé entre celle qu’il avait rencontré, celle qu’il avait embrassé et celle qui se tenait désormais devant lui. Fissures devenues fractures. « Je crois bien qu’avoir préservé la vie de mon père mérite récompense… » Nez taquin glisse contre le sien. Froideur palpable frôle les lèvres.  « Je regrette de n’avoir pas eu ma danse, au gala. Aurais-je rêvé ou tu as manqué de courage pour venir m’arracher à ma famille, mh ? » Moue mutine, oeil taquin. Pas de glace entre leurs peaux, pas d’hypothermie ou de brûlure.

« J’ai eu peur que tu sois mort, tu sais. T’es un idiot, Letov. » Un idiot qui lui aurait manqué. Un idiot à qui elle aurait pu tenir rancoeur longtemps de quelques préjugés. Il ne la pensait pas si futile, n’est-ce pas ? Ils se sont quitté sur des baisers glacés, c’est qu’il ne trouvait pas ses larmes si bêtes, pas vrai ? L’étalage d’excès autour, ça n’est pas ce qu’elle a laissé voir d’elle au peuple, ça n’a jamais été ce qu’elle était. Jusque là.