« Non Selivan il faut que tu arrêtes d'essayer de comprendre quelque chose aux chevaux... c'est vraiment pas ton truc, tu racontes n'importe quoi ! »

Mon cousin, qui est en train de s'occuper de son mini monstre non officiel – ici comprendre un gosse d'un an et demi qu'il a fait à une amante de passage et que les Kourakine lui ont formellement interdit de reconnaître – a un petit rire, mais je ne sais pas si c'est rapport à ce que je dis ou parce que le mouflet est en train de manger un gâteau de manière parfaitement dégueu.
Mystère.
Pourquoi on trouve les gosses mignons quand ils recrachent des miettes gluantes ?!

« Tu m'écoutes ? »
« Oui, oui, les chevaux », répond distraitement Selivan, qui essuie la bouche du microbe, lequel hoquette de protestation parce qu'il veut continuer de manger tranquille. « Enfin tu aurais quand même pu essayer d'intégrer cette jument dans ta cavalerie je pense. »

Je hausse des épaules, détourne le regard de mon cousin et de son mouflet, parcourant des yeux le parc dans lequel nous nous sommes arrêtés, assis sur un banc. Parce qu'en plus un enfant à un an et demi a des jambes ridiculement courtes et ne peut pas marcher fort longtemps, bah oui !

« Tiens, je le connais ce mec, non ? »
« Hmm ? Tu connais tout le monde, d'un côté », fait remarquer Selivan.

Il ne proteste pas quand je me lève, allant saluer un type que définitivement, je connais :

« Andreï ! Qu'est-ce que tu fiches ici, t'étais pas exilé aux dernières nouvelles ? »

Enfin... je crois ? C'est lui non ? Argh, je sais plus.

« Ah, le mal du pays... Enfin personnellement je ne sais pas ce que c'est, je concours toujours en Russie. »

C'est bête parce que j'aurais des chances incroyables si seulement on me laissait aller à l'international, mais faire de l'équitation à haut niveau n'est pas un prétexte suffisant pour me laisser passer la frontière.
Et comme j'ai des chevaux et que c'est encombrant, bah je ne suis jamais parti en fait – enfin j'ai quand même toute la Russie à parcourir au gré des compets, c'est déjà pas mal, c'est un grand pays.

« Tu devrais passer voir mes parents, ils seront contents d'avoir de tes nouvelles, et ils vont t'assommer de questions sur l'Eurovision. Et avec l'étiquette, ils aiment toujours autant ça », c'est histoire de le prévenir que je dis ça, qu'il ne soit pas surpris.

J'ai un sourire amusé, insolent :

« En bien j'espère ? »

J'ai un rire claquant dans le léger vent qui parcourt le parc quand il suppose que Selivan est mon mec, et du coup le mouflet à moi.

« Oh non ! Si je me mets ça en tête, Olga est bien capable de me tuer de ses mains. Elle est pas très ouverte d'esprit. C'est mon cousin, Selivan. Moi je suis toujours libre comme l'air, j'en profite. »

Selivan nous adresse un signe de la main tout en assurant l'équilibre de son mouflet sur sa cuisse.

« Ils seront contents et te diront peut-être même combien ils regrettent que je ne te ressemble pas plus. »

J'ai toujours eu bien trop d'énergie pour mes parents, qui désespèrent à force, mais je trouve qu'avec les années ils le font avec de plus en plus de grâce. Je devrais les féliciter ; je sais que je ne suis pas aisé à vivre...
Je ris à la supposition d'Andreï, qui me voyait déjà marié ; il est loin d'être stupide, hein, puisque c'est bien ce qui a failli arriver.

« Ouais, c'était le plan, l'année dernière, ma mère avait trouvé une fille de bonne famille, noble aussi tout bien. J'avais aucune envie de me marier avec elle même si c'est une très gentille fille, j'ai tout fait capoter. »

Je me penche vers lui évitant ainsi qu'une femme passant avec un mouflet qui semble intéressé par le gosse de Selivan n'entende la suite de mes explications.

« J'ai couché avec mon lad et j'ai pris le soin de mettre tout le monde au courant. Gros scandale, fiançailles rompues et depuis j'ai la paix. »

Et une réputation hm, … douteuse !

« Tu résides où en ce moment ? »

« Ouais, eh bah tu as de la chance. Cela dit si tu cherches une épouse noble il faut absolument que tu fasses la tournée des bals.
J'ai dit bals, hein, pas bars. Enfin pour l'un ou l'autre je me propose pour t'accompagner », je réponds à Andreï dans un rire un peu trop sonore qui amène l'attention sur moi.

Oui, j'adore l'attention, c'est comme ça, je vais pas me refaire à mon âge canonique, hein. Je reprends un peu mon sérieux :

« Enfin tu veux quoi, toi ? Une femme, des gosses, tout ça ? »

Parlant de mouflet, Selivan s'occupe de consoler le sien, qui a un malheur de bébé. Comme je l'envie, sa vie doit être si simple.

« Oh tous les Yuri reviennent ? Il faudra qu'on fête ça ! »

J'acquiesce avec vivacité à sa question.

« Oui ! Je fais partie de l'équipe nationale en concours complet, mais je ne sais pas si t'as vraiment envie de m'entendre causer chevaux pendant trop longtemps, en général les gens fuient ! Et toi, la musique, tu vas continuer ? »

Andrei n'est pas compliqué, il dit toujours qu'il est content quand je propose un truc, du coup je l'aime bien – comme quoi je ne suis pas compliqué non plus... Je fronce du nez, un peu désemparé, à sa réponse. Des fois j'ai l'impression d'être le seul à penser comme je le fais.
Alors, j'ai suffisamment de caractère pour m'en foutre totalement et m'entêter mais je trouve ça déstabilisant, au moins un peu :

« Ah ouais, vraiment ?... Moi je m'imagine vraiment pas avec tout ça. Des aventures, mes chevaux, c'est tout ce qui me suffit, je ne veux pas être responsable de la lignée Kourakine. »

C'est con parce qu'en étant seul héritier de la branche principale, c'est le cas, mais je compte bien décevoir ma mère au-delà de tout ! Je file un léger coup de pied dans un caillou.

« Tu joues où la prochaine fois ? »