À chaque fois que je t'imagine avec un « autre » qui n'est pas moi, ça me dévore. Ça me rend fou... ça pourrait me rendre fou. Ça me dévore.

À chaque fois que tu passes plusieurs heures avant de répondre à mes messages, quand tu y réponds, ça me dévore. Le temps passe, et je t'imagine profiter de la vie ailleurs, dans des bras qui ne sont pas les miens, au bord de lèvres qui ne sont pas les miennes, sous des yeux qui ne sont pas les miens.

À chaque fois, je dois me consoler avec un morceau d'informations que j'ai dû arracher au hasard. Et ça me rend triste.


Perdu entre le sofa et la télévision qui s'est tue il y a une bonne heure, j'erre à me demander comment lui dire les choses. Je me retiens d'y aller, parce que je sais que j'irai à la bibliothèque un jour prochain et j'aurais ma dose de lui, et lui son intoxication régulière de moi. Je ramasse mes clefs et choisis une bouteille de vin au hasard dans celles que j'achète parfois « au cas où ». Au cas où je ne sais pas trop quoi, je bois rarement seul. Et je préfère sortir que recevoir, ou m'incruster chez Néhémie, duquel ou de laquelle je serais apparemment plus « fucké ».

Perdu entre le sofa et la télévision, je jette une œillade sur l'horloge. Il serait encore temps d'y aller, de m'asseoir près de la porte à essayer de capter des morceaux de conversation, des parcelles de voix. Je me masse la tempe, c'est trop difficile de rester silencieux, sourd, immobile. J'erre avant de me reprendre, je lui ai dit de prendre sa vie en main, de s'éloigner, de ne pas me faire perdre mon temps et maintenant, le temps dépend de lui. Qui ne peut le deviner. Je me dirige vers la fenêtre et écarte l'un des longs rideaux occultants. Le soleil n'est pas encore couché, j'inspire profondément. C'est dans ces moments-là que je ferais n'importe quoi.


Je laisse l'appartement derrière moi, enfin, après vingt minutes à tourner dans tous les sens. Je rejoins l'antre de Néhémie. Du coup, je frappe trois coups brefs et je rentre. Après tout, c'est bien à ça que servent les clefs. Je les laisse dans une poche de mon manteau et je me dirige vers un plan de travail qui pourra accueillir la bouteille.
▬ Néhémie, es-tu par ici ?

Beyoncé en fond pour lui tenir compagnie, Néhémie s’affaire sur le Book, modifiant et corrigeant ce qui n’allait pas dans tout ça. Et y avait pas mal de truc. Mais moins que d’habitude. Peut-être que ses minions apprenaient enfin à faire un travail décent, même s’ils avaient pris leur temps. Ca ne faisait que conforter sa théorie qu’on attrape les mouches aussi bien avec du miel que du vinaigre mais surtout, avec du papier tue-mouche. Elle avait passé sa journée à travailler même si techniquement c’était son jour de congé. Ce qui n’était pas si rare que ça. Néhémie adorait son travail, en était presque obsédée, et ne supportait pas l’idée d’en être éloignée très longtemps. Elle avait pas fait tout ça, elle était pas allée jusque là pour qu’on lui torpille son business. Et puis franchement, elle avait rien d’autre eu à faire.

Du coup, elle a passé une bonne partie de la journée à bosser sur ses prochaines créations, dessinant et créant tour à tour avant de laisser tomber pour se concentrer sur le prochain numéro de Vogue et donc, sur le Book. Avec tout ça, elle a même oublié d’avaler un morceau mais franchement, ça pouvait pas lui faire du mal. Elle avait pris un peu de bide et fallait y remédier. Enfin de son humble avis. Et puis, y avait bien des calories dans un coca light non ?

Néhémie est en pleine revue du moodboard du numéro (quelque chose la dérangeait dans le choix des couleurs et elle parvenait pas à mettre son doigt dessus) quand une voix se fait entendre. Une voix qu’elle reconnait direct bien sûr.

-Par ici Babe !

Elle continue d’arranger telle ou telle photo avant de fermer le Book et de le ranger dans le coffre-fort prévu à cet effet. Fallait pas déconner avec ça, c’était le truc le plus précieux de tout cet appart, Ilya, sa rivière de diamant Van Cleef & Arpels, sa bague antique Boucheron et elle-même inclue. Son voisin et ami apparait alors qu’elle referme la porte. Elle le rejoint rapidement, jette ses bras autour de son cou et lui claque deux bises sur les joues tout en le serrant contre elle. Ilya, il a un balai enfoncé super loin dans le cul alors ça la fait marrer de le brusquer comme ça. Avec sa dégaine de lord anglais de la Régence. Mais derrière ça, il se cache un type complètement obsédé et en mal d’amour et si y a une chose que Néhémie, c’est distribué de l’affection, voulue ou pas.

-Ilya !  Comment ça va ? Qu’est-ce qui t’amène ? Non pas que tu me dérange hein, juste, je suis curieuse.

Pendant deux secondes, elle est étonnée d’être plus petite que lui avant de se souvenir qu’elle porte pas de talons aujourd’hui, juste ses chaussons Repetto. Elle sort de son atelier/bureau en bordel pour se rendre dans la cuisine où elle voit la bouteille qu’Ilya a amené. Sans attendre, elle la débouche et verse deux verres, même si elle sait que l’autre homme n’est pas toujours du genre à boire. M’enfin, ça lui donne de quoi s’occuper les mains.

Néhémie les mène jusqu’au salon et s’écroule sur le canapé, invitant son ami à faire de même.

-Laisse moi deviner, t’es là à cause de ton petit mec là je parie ? C’est quoi son nom déjà ? Dorian ?

Quand il était dans cet état, c’était en général toujours pour la même raison, du coup elle pense pas se tromper en avançant cette théorie.

▬ Par ici Babe !

Je fais quelques pas, jetant une oeillade vers ses pieds, question d'habitude et de politesse quand elle se jette soudain dans mes bras. Ah oui, oui, c'est vrai. Pour me faire la bise. Je reste immobile, le temps qu'il me salue et une fois que Néhémie a relâché sa prise, je me redresse sensiblement et la considère une seconde. Je prends une longue inspiration et lui offre un sourire léger mais honnête, n'étant pas forcément adepte des grandes démonstrations :
▬ Bonjour à toi aussi, je suis content de te trouver là.

Je hausse des épaules quand elle me demande comment ça va, c'est une formalité et je suis sûr qu'elle ne pose comme moi que des questions auxquelles elle veut vraiment les réponses, puis ce qui m'amène. Je réfléchis une seconde, lui demande si on ne devait pas se voir aujourd'hui. En sachant très bien qu'il n'y a pas de jour pour débarquer chez Néhémie. Après tout, soit elle est absente ou occupée et je repars, ou elle a un peu de temps libre et je reste. Quand je lance une œillade par la fenêtre, je sens mon cœur se lever, dernier étage. J'ai horreur de ça. Pas la hauteur, juste l'impression qu'il n'y a rien autour de nous, ça me donne la sensation d'exploser et de me disperser dans le vide.

Je la suis, les mains jointes dans le dos, et l'observe qui débouche le vin puis la suis simplement. Je penche la tête sur le côté quand elle prétend deviner.
▬ Laisse moi deviner, t’es là à cause de ton petit mec là je parie ? C’est quoi son nom déjà ? Dorian ?

Amusé par sa perspicacité, je lui demande tout de même d'un air faussement navré si je suis si prévisible ? Bien entendu que je le suis, et ça ne me pose pas problème. Dans ma tête, il y a des bases, des schémas et c'est parfait ainsi. Néanmoins, je me permets de corriger, validant par la même occasion le prénom :
▬ Dorreh, c'est Dorreh.

Je prends le verre que Néhé me tend, sans toutefois le porter à mes lèvres immédiatement. Je le regarde danser dans le ballon quelques instants puis lève les yeux sur mon hôtesse, qui a manifestement accepté ma demande de... comment le dire avec classe ? Hm d'incruste, pour le coup. Sans sorte de transition, je lui annonce, outré :
▬ Il a dit que je le tourmente, tu te rends compte du culot qu'il faut pour oser penser ça ? Pour oser le formuler à voix haute ? Alors que je le laisse baiser avec ce croque-mort minable et sinistre quand bon lui semble.

Je lève les yeux au ciel, quand on sonne. J'annonce que j'y vais et me rends à la porte, découvrant Andreï. Ah, le charmant Andreï. Un sourire songeur qui se glisser sur mes lèvres et j'annonce à Néhémie que j'ai amené le dessert. Je m'écarte, laissant entrer le musicien que je salue d'un :
▬ Bienvenue dans l'antre de toutes les vérités, très cher.

Je lui indique la direction à prendre d'un geste du bras et le suis. Simplement pour avoir l'occasion d'offrir un petit plaisir à mes yeux. Je les laisse se saluer puis annonce soudainement à Néhémie :
▬ C'est amusant que vous vous connaissiez. C'est le jeune musicien dont j'ai goûté les lèvres à la fin de l'une de ses représentations. Tu sais, je t'en avais parlé.

Je me tourne vers le principal concerné, et ajoute à son intention :
▬  Le concert et l'après me laissent deux très bons souvenirs d'ailleurs. Et donc, conclus-je avec Dorreh, il s'est montré blessant et grossier. Comme si je ne venais que pour le sexe... Tu n'es pas en couple ? demandé-je soudain à Andreï.