Tu ne sais pas combien de temps s'est écoulé. Seulement une odeur de son parfum indique qu'elle était présente, que tout ceci s'est bien déroulé. Ça et le son de chaînes qui résonnent au creux de ton crâne, cadenassent tes poignets. Elle qui tient le bout, telle une laisse, sourire enjoué et enjôleur. Un rire qui se mêle à un croassement. Tu fixes un point sur ton bureau, sans vraiment le voir, ton pouce venant caresser tes jointures, distrait. Frustré, aussi. Tes dossiers oubliés, tes songes éparpillés. Tu soupires, passe ta main libre contre ton visage, venant frotter ta barbe. Réfléchir, c'est ce que tu dois faire, Nick. Seulement, tes émotions sont encore trop à fleur de peau. Ce qui te vient à l'esprit ne possède aucune logique, aucune rationalité. Tu te plais surtout à jouer sur un fantasme, celui de faire disparaître le sourire moqueur sur son visage, de pouvoir effacer ce sentiment d'avoir été joué. Déplacé tel un pion sur un échiquier sans même le savoir. Une collaboratrice, un bourreau, oui. Voilà ce que tu avais récolté. Un nouvel élément incontrôlé, venant tout chambouler. Décidément, tu n'aimais pas les surprises.
Les trois coups et l'entrée subite de Ludmilla te font le même effet. Toi qui ne bronches pas normalement lorsqu'on s'invite, te sait libre pour discuter de quelque chose, tu relèves les yeux vers elle. C'est l'exaspération qui l'accueille, l'envie de renifler sur tout ce qu'elle se permet. Tu hausses un sourcil, impatient.
« L’exercice est terminé, monsieur. Est-ce que vous préférez regarder la vidéo avec ou sans les hommes? » Tu serais resté, normalement, pour voir la suite. Pour repérer les points faibles et évaluer une mise au point avec elle. L'aider à s'adapter à son nouveau rôle depuis qu'elle s'est installée ici. Elle qui a recherché ta présence et démontre clairement son besoin d'être à tes côtés. Envie que tu sais ancré en ton espèce, ce besoin de se rassembler. Flatteur aussi, parce que ce n'est pas n'importe quelle position qu'elle souhaite, mais tu n'allais pas non plus lui offrir le tout sur un plateau d'argent. Tu soupires encore – trop à ton goût – et balayes le tout de la main lorsqu'elle termine enfin son discours. L'un que tu n'as pas vraiment écouté.
« Qu'elle soit laissée sur mon bureau, je verrai plus tard. » Le ton est sans doute trop sec, mais tu es trop fatigué – encore trop énervé aussi – pour réellement le remarquer. Tu espères que le dérangement se termine ici. Que tout est réglé et qu'on te laisse à nouveau ruminer seul.
Tu te retournes, joue avec l'idée de rentrer tout simplement.
« Vu votre expression… j’en conclu que le rendez-vous ne c’est pas bien déroulé? » Sa question t'extirpe un rire moqueur, sifflé entre les dents. L'un qui n'est pas dirigé contre elle, mais plutôt de l'absurdité de toute cette situation. De ce rôle que tu t'es récolté, toi devenu pantin pour une vieille enfant en manque de distractions, clairement.
« Perspicace. » que tu grognes tout de même, parce que tu cherches les embrouilles, toi qui devais courber l'échine devant le corbeau.
« Autre chose ? » C'en est presque une provocation. L'une à laquelle elle répond, qu'elle le sache ou non, lorsqu'elle s'approche. Qu'elle te contredit en demeurant présente dans cette pièce, accroupie près du coin brossé de ton bureau.
« Vou- tu veux en parler…? » Elle et ses yeux de biche, minois relevé vers le tien, complètement à ta merci. Tu l'observes un instant. Une autre fois, dans d'autres circonstances, tu aurais peut-être fait courir tes doigts contre sa mâchoire. Un pas de plus, une petite victoire pour ta louve qui cherche tant à te plaire. Tes doigts, cette fois, restent bien accrochés contre les bras de ton fauteuil.
« Ce que je veux… » que tu débutes, le ton froid et ton regard plongé dans le sien.
« … C'est que tu fasses ton boulot. Debout. » Tu ordonnes cette fois, la regarde se relever.
Sors est prêt à suivre, si elle ne le fait pas d'elle-même. Et pourtant, lorsqu'elle ose s'approcher de la porte, ta voix s'élève à nouveau.
« Tu as hésité, Vodenicharova. » Tu patientes, attends qu'elle se retourne, pour poursuivre.
« Tu sais de quoi je parle. » Ton regard accroche le sien. N'ose même pas feindre le contraire.
« Comment es-tu censé diriger ton équipe si tu n'arrives même pas à agir le moment venu ? » Tu gesticules vers elle, tes manières presque insultantes. Questionnant son droit, sa position. Tu cherches à la faire proie que tes regrets te souffleront plus tard. Pour l'instant, il n'y a que ton regard enflammé et ton poil hérissé qui persistent, prennent toute la place.
(c) AMIANTE