J'ai une vague idée de la disposition des lieux, que je fréquente de temps à autre, mais aucune idée de l'endroit où il m'emmène ; un rendez-vous dans une galerie de portraits me paraît parfaitement incongru.
Ça fera peut-être une aventure rocambolesque à raconter ? … Du coup, je me surprends à ne pas être surpris – c'est technique je sais – quand il m'avoue avoir menti. J'arque un sourcil quand il parle de mon cousin, et pas en bien ; c'est vrai qu'Alasaïas est un genre de punaise sociale, mais moi je l'aime bien et surtout je ne comprends pas ce qu'il a pu faire à ce type pour déclencher autant d'hostilité.

« Il vous a fait quoi ? Le supprimer serait effectivement une très mauvaise idée. Et il n'arrête jamais de se donner en spectacle, de toute façon. »

J'ai un glapissement surpris alors qu'il me pousse brusquement, et ce type n'a pas seulement l'air fort, il l'est. Le geste est ponctué de la chute retentissante et métallique d'un objet non-identifié.
Ah, il semblerait que l'agacement qu'Alas fait naître est contagieux... En même temps s'il n'était pas aussi mathusalémique – je n'exagère jamais – je lui aurais probablement tout appris.

« Vous savez très bien que mon arrestation était un peu exagérée. »

Bon courir après les soldats en voulant leur planter une fourche à foin dans le cul n'était peut-être pas la meilleure idée que j'ai eue, certes, mais pour me le faire avouer faudra me passer à la question.

« C'est quoi votre problème avec les nobles ? Lâchez-moi ou je crie, et je pense qu'on m'entendra. »

Comment ? Non c'est pas le moment de faire remarquer que la situation a un petit côté excitant, corps, vraiment, vraiment pas. Aucun sens de l'à propos, tss.

« Jaloux ? Vous perdez complètement la tête, c'est bien ça ? »

Il me semble qu'il n'est effectivement pas dans son état normal – enfin des fois à l'instar d'Olga je me demande si ce genre de créatures a un état normal – et il se rapproche encore.
Il porte sur lui l'odeur d'un chemin forestier calme, ce qui est très étrange et me déroute encore plus, si c'est possible, que les signaux contradictoires que m'envoie mon corps. On est pile entre le attention, danger, et le fait qu'il y a un côté excitant.
Oui, des fois, je me trouve moi-même fatigant.

« Mon humanité stupide ? »

Je lui colle une bourrade qui ne fait absolument rien je ne sais pas à quoi je m'attendais. Là, il m'a vexé – ce qui n'est pas dur je suis tellement susceptible que plus tard quand j'aurais des gosses je me vexerai quand ils me parlent mal. J'en appelle à la bénédiction d'Uroda, qui m'a été accordée, piouf je me rappelle même pas vraiment quand.
Il y a un asparagus chétif dans un pot, et il grandit jusqu'à devenir un cauchemar de feuilles ; rien pour impressionner l'Alfe face à moi mais suffisamment pour être encombrant.
Les feuilles viennent nous séparer, et je les évite d'un pas ; la bénédiction ne s'étend pas au fait de me protéger des épines particulièrement effilées qui se camouflent dans la verdure.

« Je serais vous, je me demanderais plutôt si la stupidité n'est pas de votre côté. »

J'ai un haussement de sourcils évocateur.

« Heureusement, je ne suis pas vous. »

« C'est le principe du rituel de tuer, connard », je crache entre mes dents serrées.

Je crois qu'il n'a pas apprécié parce qu'un millier d'images dont certaines assez graphiques m'attaquent le cerveau en même temps et j'ai le temps d'émettre un piaillement de douleur avant de me rabattre derrière la protection dérisoire d'une branche touffue d'asparagus passé de décoration de couloir à arbre de jungle grâce à la bénédiction d'Uroda.
Je décide immédiatement que je déteste les pouvoirs des Alfes, mais heureusement il relâche la pression d'un coup comme s'il avait fermé un robinet.
Alors mon punch habituel reprend la main, et je bondis de derrière la branche plumeteuse. Un simple garde, même d'une espèce surnaturelle, ne me donnera pas d'ordre !

« Vous cassez-vous. »

Je montre les dents, parfaitement inconscient – j'entends d'ici un ami ou un cousin dire qu'un jour je vais claquer jeune et qu'on pourra pas dire que je l'ai bien cherché.

« Allez trouvez quelqu'un à qui obéir. »

J'ai un nerveux haussement d'épaules ; je n'ai aucun doute sur le fait qu'il soit persuadé d'avoir raison, ce qui ne cadre absolument pas avec ma façon de penser puisque...
Eh bien je suis aussi persuadé d'avoir raison.

« Moi d'humeur massacrante ? Vous êtes vraiment gonflé. »

Sans déconner, qui m'a attiré ici pour me gueuler immédiatement dessus ? Je suis pas de mauvaise humeur, j'me défends. Quand il évoque l'idée que je l'ai sous mes ordres, j'ai une hésitation : je sais pas exactement de quoi il parle, et en fait plus ça va plus je me dis que cet Alfe est complètement déséquilibré.
Je me rebiffe à sa dernière phrase :

« Vous me menacez beaucoup trop souvent. Vous avez de la chance que je suis laxiste. »

Heureusement l'arrivée de Romanov – le maudit selon ma mère, parce qu'il est infecté par une créature légendaire, et qui dit régulièrement que c'est pour ça qu'il faut surveiller ses gosses même grands parce que sinon ça donne des trucs comme Romanov et comme Kirill et qu'on conviendra qu'il vaudrait mieux les noyer, le tout sans ciller et en buvant une tasse de thé... – nous interrompt dans notre conversation-dispute, et je vois immédiatement l'opportunité de me casser.
Je vais enfin pouvoir aller parier, sauf si Eowyn se sent d'humeur à faire la conversation.

« Eowyn... Une bonne soirée. Je ne vous ennuie pas plus longtemps ! »