J'avais raison – j'ai à peu près tout le temps raison – Olga a explosé en apprenant que j'ai réussi l'exploit de me faire coller en prison pour insubordination.
Elle s'est encore plus mise en colère quand j'ai essayé de lui expliquer que le terme n'était pas le bon parce que ça sous-entendait une appartenance militaire absolument pas fondée... Bref, nos relations sont restées encore plus tendues que d'habitude, à tel point que j'ai déménagé un temps aux écuries, parce que le palais Kourakine lui-même n'était pas assez grand pour contenir l'étendue de nos colères respectives.
Je viens juste de réintégrer les lieux, et tout en déposant un sac – oui des fois je porte moi-même mes affaires, je sais, je suis drôlement indépendant pour un prince de sang – je me fais la réflexion qu'il faudrait que je change la déco parce que je m'en lasse.

Le souci c'est qu'on ne peut pas exactement faire ce qu'on veut dans un décor aussi chargé d'histoire que la résidence moscovite des Kourakine, alors je crois que je vais encore ronger mon frein.
Après tout le monde se demande pourquoi je suis aussi chiant, mais aussi...

Je tourne la tête en entendant le froissement de la robe d'une domestique, qui m'annonce que mon cousin est là comme si j'étais censé deviner lequel c'était malgré la tapée que j'ai.

« Merci Mathilda. »

Mathilda est une très gentille fille, mais je suis à peu près persuadé que c'est une créature. Un jour il faudra que j'enquête. Je descends au rez-de-chaussée pour aller chercher Alasaïas puisque je soupçonne que ça soit lui : bingo.
Qu'est-ce que je suis intelligent.

« Salut Alas. Ça va ? Ça faisait un moment qu'on s'était pas croisés avec tout ce merdier. »

Je m'approche pour l'étreindre, content de voir sa sale tête de rat triste.

Me faire attendre ? Je regarde partir Mathilda en fonçant le nez. C'est bien parce que je ne veux pas une crise de la vieille Olga que je ne suis pas la domestique jusqu'aux appartements de mon cher cousin ; pour une fois que je suis de bonne humeur.
Je le vois descendre avec la décontraction que personne d'autre dans la famille n'a, comme prêt à une expédition qui n'a rien de ces balades mondaines qu'il affectionne.
Mon bras passe par dessus son épaule dans une accolade fraternelle.

-Comme tu le vois mon cousin il semblerait qu'il y ait des colères pire que les tiennes. Enfin, si tu devais déclencher des guerres civiles à chaque fois que l'on tuait un membre de la famille c'est le monde qui serait dévasté. Par Hel, tu empestes ! Tu reviens d'une expédition forestière ?

Je me surprends à toiser ses yeux, les mêmes que les miens, sans doute un peu plus vifs du fait de sa belle jeunesse. La dernière fois que je suis parti en expédition j'en suis revenu Marsiliya.
Mais non, son humanité semble lui suffire encore. J'espère.
Un sourire moqueur teint mes lèvres.

-J'ai appris que tu suivais mes traces de fier rebelle mais une fois la nouvelle parvenue à mes oreilles ils t'avaient déjà relâché. Je suis venu prendre mes informations à la source. Comment vas-tu ?

Bizarrement, Alas a attendu alors que j'aurais cru qu'il force le passage histoire de bien montrer qu'il est au-dessus – enfin en-dessous en fait – des considérations éthiques familiales, puisque lui n'a jamais été accepté.
Il faut dire que Kirill n'a jamais fait les choses à moitié donc il a passé sa vie à froisser notre très digne famille et malheureusement c'est retombé sur ce pauvre Alasaïas qui n'a rien demandé. Je ne trouve pas ça très juste mais à vrai dire j'ai beau faire pas mal de bruit, on ne m'écoute pas forcément dans cette famille. Vivement que ça soit moi le chef de famille – je crois que ma mère hyperventile juste à l'idée.

« Un vrai scandale si tu veux mon avis. Non je viens de rentrer, je vis aux écuries en ce moment. Et ça n'empeste pas, ça sent le cheval. »

Et oui le cheval ça sent bon, sauf pour les gens délicats genre mon cousin sensible. J'ai un rire à sa déclaration, et le voilà qui s'attribue le mérite de mon côté « rebelle » comme il dit ; c'est finalement un vrai Kourakine, il tire la couverture à lui tout à fait comme les pures races !

« Ouais, Nadeshda m'a accompagné dans l'aventure, elle est gentille hein ? C'était une infraction mineure, je suis même pas certain qu'ils avaient le droit de m'embarquer. Enfin j'ai failli embrocher la fesse d'un des officiels avec ma fourche à foin quand même.
Et j'ai été interrogé par un des gardes de Majesté en personne ! »

Mais je ne précise pas que cet épisode me laisse un souvenir assez étrange, en fait.

« Tu veux boire quelque chose ? Aleksandr ne doit pas avoir rangé sa réserve d'alcools. »

J'ai un rire insolent, entraînant Alasaïas dans mes pas même si c'est lui qui a montré la voie du salon – pas celui d'apparat dans lequel personne n'a le droit d'entrer sans une bonne raison, la méticulosité de ma mère atteint le rang d'art franchement.

« Tu sais tu devrais t'aigrir encore un peu plus ça figerait sans doute ton début de rides. Nadeshda est ma cousine préférée, ça n'est pas pour rien.
En ce moment elle n'est pas très en forme, je ne sais pas pourquoi, elle ne veut rien me dire. »

ça arrive souvent et c'est normal parce que je suis l'homme le plus bavard du monde et que me confier un secret équivaut en général à le voir distribué aux quatre vents... Je ne fais pas vraiment exprès, c'est parce que je ne fais justement pas assez attention.

« Aucune idée, l'alcool je me contente de le boire moi. Pour l'interrogatoire oui, mais un de leurs hommes m'a raccompagné un peu après, c'était très bizarre. Je ne te recommande pas du tout. »

Est-ce que je viens de faire un impair en oubliant qu'Alas a fait de la prison, période pendant laquelle il a été abandonné par Kirill ? …

« Merde, je parle trop vite », je constate une fois de plus, sans m'excuser parce que ça ne servirait sans doute pas à grand-chose. « T'as probablement pas du tout envie d'entendre parler de tout ça. Comment va ton bar ? Ils n'ont pas foutu trop de bordel ? »

-Hm, laisse moi deviner : parce qu'elle a passé trois semaines à l'ombre ?

De ce que l'on m'a dit les membres de ma famille n'ont pas été incarcérés dans les mêmes conditions qui ont poussé à foutre ma pauvre petite carcasse à l'ombre, ce qui n'empêche pas l'expérience d'être vaguement traumatisante. Je ne relève pas la remarque qui suit : personne ne voudrait se confier à Alyosha, il ne sait garder aucun secret en plus d'avoir la capacité empathique d'une huître.
Je chasse son excuse comme je l'aurais fait avec un moustique.

-M'en fiche. Si complètement. J'ai du fermer plusieurs jours le temps de tout remettre en ordre. Ils m'ont tuée une serveuse avec ça. T'es volontaire pour la remplacer ? Tu ferais très bien la soubrette à potins.

Le salon m'accueille comme un prince que je ne suis pas, tandis que je gagne la fameuse armoire que je connais bien parce que c'est moi qui la lui ai offerte. Impossible donc qu'elle résiste à mon jeu de doigts faisant s'ouvrir une trappe dissimulant d'obscurs breuvages très probablement interdits à la possession.

-Tu disais que tu t'étais fait raccompagner ? Tu tenais plus debout c'est ça ? je demande, les yeux glissants sur l'étiquette d'une bouteille.

« Elle n'y a pas passé trois semaines. Et non ça n'est pas ça. »

Mais je ne saurais sans doute jamais sauf si Nad se décide. Comme elle ne parle pas non plus à Alasaïas je crains de ne jamais savoir ce qui lui arrive ; d'un autre côté ça n'est peut-être pas bien grave non plus...
Mon impair passe à l'as, et tant mieux, et Alas fait l'état des lieux désastreux de l'Illuminé ; c'est bien cette perquisition aura au moins prouvé que ma mère se berce d'illusions quand elle dit que nous sommes intouchables à cause de notre sang princier...

« Moi, serveur ? Je te trouve optimiste, cousin. Mais sinon c'est vrai que ça me donnerait un petit côté sexy et canaille. »

J'ai un rire, m'assieds sur la table à manger en bois noble des Kourakine ; vu l'heure personne ne viendra nous faire chier.

« Nah. Bizarre, il m'a interrogé, m'a laissé partir et il a ironisé sur le fait que je pouvais pas rentrer seul, ensuite il a décidé de me raccompagner. »

Je hausse des épaules.

« Comment ça ils t'ont tué une serveuse ? »