Il est tellement agacé y a pas besoin d'être sensible comme moi pour le ressentir, ça se voit. Je me demande bien où est passé son légendaire calme qu'il avait quand j'ai failli lui galoper dessus avec Empereur.
Bon après c'est sûr que les derniers événements n'incitent pas franchement à la philosophie, moi qui suis déjà nerveux de base, j'ai envie de tout péter – à commencer par un vaisseau dans mon cerveau à ce rythme-là.
Je soupire, vais ouvrir la ridicule petite fenêtre, trop haute pour que je puisse apercevoir quoi que ce soit de la perspective de la Neva à St Petersbourg. Dommage j'adore cet endroit, j'aime bien plus que Moscou – mais Olga veut être proche du pouvoir et plein de conneries de cet acabit.

« Oui, ils finiront bien par se rendre compte qu'ils ne m'entendent pas râler en fond. Mais je soupçonne qu'ils vont en profiter pendant quelques heures. Essayez de vous déte... »

Je me tourne et son allure, plus débraillée que je ne l'ai jamais vu, me coupe un instant la parole.

« endre. »

Mais jamais personne m'empêchera de finir une phrase, bon sang.

« Pourquoi vous êtes aussi énervé ces derniers temps ? » je demande, intéressé.

Il est censé me protéger il va pas oser me frapper, n'est-ce pas ?...

Ce qu'il se passe, c'est qu'il est en train de se défringuer et de carrer les épaules et que je trouve ça tout à fait déconcentrant ; mais ça n'est pas le genre de choses que ma mère aimerait entendre à dire et si ça se trouve, elle est juste derrière la porte. Elle en est bien capable.

« Vous êtes parfaitement mis en valeur par l'uniforme, c'est tout. »

J'ai jamais été très, très regardant quant au fait de contenter ma pauvre mère, je le crains. Des fois je la plaindrais presque – si je ne soutenais pas autant que c'est de sa faute parce qu'elle me provoque, parfaitement.
Je lève les yeux au ciel à sa réponse agressive, un peu inquiet tout de même, vaguement, sous des kilos et des kilos d'inconscience d'être enfermé dans la même pièce qu'un type qui peut parfaitement m'étêter à mains nues. Un jour cette inconscience me perdra c'est certain, mais je parviens à survivre suffisamment pour me croire invincible.
J'saute des obstacles fixes d'1m60 lancé en plein galop sur un animal qui ne parle pas ma langue et a son esprit propre.
Alors un Alfe...

« Et qu'est-ce que vous avez appris de moi récemment, on peut savoir ? » je demande insolemment. « Non je n'ai pas appris, ça, non. Je laisse ça aux autres. »

Je croise les bras sur ma poitrine, mécontent.

C'est bien la première personne que je complimente et qui a l'audace de mal le prendre, tiens, je me fais la réflexion alors qu'il lève le nez, qu'il a déjà très haut. J'ai un rire de gorge quand il se plaint de ma mère, acquiesçant :

« Je pense que ma mère est une des plaies d'Egypte personnifiée, mais j'hésite toujours entre la pluie de sauterelles ou la mort des premiers-nés. »

Il y a un rien de revanche féroce là-dedans ; on ne passe pas une vie à ne pas être assez bien sans en concevoir une envie de tout péter monumentale.

« Suffit de pas l'écouter et de répondre oui oui, je pensais que vous saviez faire. »

Non je ne peux pas m'empêcher de fermer ma gueule ! Et j'en ai aucune envie en plus ! Je me décale quand il me laisse pas vraiment le choix, à vrai dire, avec l'envie tenace de lui filer un coup de pied, et la certitude qu'il est solide comme un chêne et que je me casserais l'orteil au lieu de lui faire mal. Et j'ai besoin de mes orteils pour monter à cheval ; or j'ai une grosse compèt prévue d'ici peu raison de ma présence à St Petersbourg et donc de celle de Dahl. J'avoue m'être dit que ça serait drôle mais là c'est bien moins marrant...

C'est peut-être l'enfermement qui fait ça. J'ai chaud en plus.

« Bon on a un peu de temps. Pourquoi vous êtes aussi en colère, hm ? »

Mon regard bleu sombre le suit, chargé d'électricité et d'un rien d'animosité ; il commence à me courir sur le haricot. Bon sauf que ça fait un moment et que j'avais prévu de simplement l'ignorer et m'en tenir loin, et la compétition et les exigences d'Olga ont tout flanqué par terre. Je laisse échapper un rire quand il copie exactement ce que je viens de suggérer, et une inspiration outrée à sa question :

« Harceler ? Vous n'y allez pas un peu fort ? Qui ici fait une démonstration de mauvaise humeur pire qu'une danseuse de l'Opéra ?! »

Et en plus je serais sans doute le pire psychiatre de la terre, mais ça je vais le garder pour moi. Puisque je suis fatalement curieux – si, fatalement : je mourrais sans doute de ça ou d'insolence – je tourne le regard vers lui quand il s'étonne et ricane à sa découverte.

« Eh bien, mes cousins ne s'ennuient pas, dommage qu'il soit déjà refermé. »

C'est un piège à loups, petit modèle, format louveteau si on veut, et ça lui aurait sans doute tranché les burnes net s'il avait été armé.

« Quoique, non je suis certain que ça aurait été du gâchis », je continue de rire, j'ai toujours été friand de l'absurde.

Je le toise du regard, ce qui est bien plus facile depuis qu'il est assis, quand il ose parler d'Opéra.

« J'en connais plus long sur l'Opéra que vous malgré votre ridicule longévité, parlez de ce que vous savez », je claque, parce qu'il commence à sérieusement m'agacer à se sentir supérieur. C'est moi le prince ici, ou lui ?
Oh je ne doute pas qu'il se sente prince parmi sa broussaille, mais ici on est chez moi bordel.

« Je ne suis pas malade, je m'amuse d'un rien », je badine, nonchalamment appuyé contre un mur, le regard franchement amusé. « Oui ça aurait pu vous castrer s'il avait été armé, on peut en rendre grâce à celui qui n'a pas déclenché le mécanisme. Vous savez très bien ce que je veux dire, ne vous faites pas plus bête que vous ne l'êtes. »

Je sais ce que pense Olga de toutes ces créatures, mais moi j'ai toujours été du genre épicurien et pire que ça, curieux, et je ne le cache que lorsqu'il le faut vraiment. Ça n'est pas ici enfermé dans un boudoir qui ressemble plus à un cagibi, sans doute aménagé pour la belle-soeur détestée de la famille, que je vais faire semblant.

« Je trouverais très dommage que vous soyez castré, vous êtes parfaitement excitant entier », je termine.

Je le caresse d'un regard entre l'amusement et l'agacement, un mélange que peu de gens parviennent à produire, d'habitude c'est soit l'un soit l'autre. En échange de mon agacement, il me renvoie le sien, et je suppose que c'est de bonne guerre :

« Oh ça va, pas la peine de la ramener. Je sais depuis combien de temps vous vivez, je me suis renseigné figurez-vous. »

Je ne devrais sans doute pas, dirait Nadeshda ma cousine méfiante et sage – presque – afficher ainsi mon intérêt envers les gens, créatures, ou n'importe qui croisant mon chemin. Mais je n'y peux rien, je ne sais mentir qu'à partir d'un certain point, il y a toujours en moi un fond de franchise brutale, voire brûlante.

« Ah parce que maintenant être attiré par son propre sexe relève de la psychiatrie ? Je ne comprends pas ce que vous avez contre ma mère vous vous entendriez à merveille pourtant », je persifle. « Je ne vous compare pas à un animal en disant ça, je suis factuel. »

« Merci », je réponds, faisant croire que j'aime à ce qu'on repère mon talent à jouer les pestes.

La réalité est un peu plus corsée que ça mais hors de question de le montrer. Je n'ai aucune confiance en ce type, même s'il m'intéresse et que sa façon de se rebeller devant mes grands airs est somme toute rafraîchissante. Le problème des Kourakine c'est qu'on a tous – même ce bâtard d'Alas – de grands airs et au final ça s'annule.

« ça s'est déjà su, et je suis toujours là pour en parler, c'est l'avantage d'être le seul héritier », je continue de badiner.

Je hausse des épaules, agacé quand même lui me parle de descendance, tout le monde n'a que ça à la bouche. J'aime à exister par moi-même et pas seulement par mon sang, ce qui est malheureusement si on veut de mon avis, trop souvent le cas. C'est pour ça que j'aime les chevaux, ils ne s'attendent pas à ce que je me comporte en Kourakine, juste en cavalier.

« C'est stupide de réfléchir comme ça. Et les espoirs de ma mère ne concordent pas avec les miens, de toute façon. »