– Va te faire mettre Galkine !

Connard. Les insultes fusent sous la tignasse imbibée. La petite masse s'ébat. C'est la rage qui pollue le moindre tressaillement. Pandémie furibonde dont le rouge entache la vision. La poigne se fait plus rude, pique le derme pour maintenir la folle furieuse. Mais l'hystérie s'écoule dans les vaisseaux. Démence pleut des cils en ras-de-marée dévastateur.

– Tu vas te calmer bon sang !

Elle se marre. Pauvre malade ! Aliénée par les affres de son propre désespoir. Elle crache à la gueule du malheureux qui aspire encore à l'apaiser. Ami et camarade de longue date. Mais l'encéphale ne capte plus la nuance. Se calmer ? Cette blague ! Elle aurait bien envie de lui refaire le portrait. Seulement les phalanges hurlent une souffrance à peine passée. Le gaillard dans le fond de la pièce glousse comme un dératé. Le nez éclaté, le visage vermeille, il suffoque dans son hilarité. Et ça l'agite davantage. Ça éveille Furie sous la tripaille. Buter ce mec. Broyer la carcasse. Elle le pourrait. Pourtant, les grosses paluches retiennent son courroux. Jikhar' se terre. Lopette qui disparaît chaque fois qu'elle en aurait besoin. Et elle lui beugle dessus. Litanie incohérente qui fronce les sourcils de son acolyte. A qui parle-t-elle ? Mais nom de dieu, sur qui s'énerve-t-elle ? C'est la tumeur sous le cuir, la nécrose que tout le monde ignore. Gargouillis purulents de frénésie et d'effroi.

– Et toi là, tu n'dis rien !? Tu fermes ton claque-merde pour une fois !?
« Essaye de te... »
– De me calmer ? Me calmer. Tout le monde veut que j'me calme mais personne comprend, putain !

Et le souffle se fait âcre dans le poitrail. Il brûle la trachée, acide cinglant sur la muqueuse. Elle n'aurait pas dû. Dans le fond, elle le sait. Alors les doigts passent et repassent sur le minois déconfit. Merde.

– Galkine..., qu'elle articule péniblement, c'est un putain de monstre. C'est celui qu'on cherche ! Le même qui a...

Mais le gars agite sa pince toute calleuse. Pas une parole de plus. Il reconnaît les discours redondants qu'il fait - trop souvent - mine d'occulter.

– Tu fais chier Svet' ! Arrête avec ça. Ce gars là c'est une pourriture, j'peux pas t'dire le contraire. Mais t'as pas le droit de faire justice toi-même. Tu pourrais être mise-à-pied, tu l'sais ? J'en ai ma claque de nettoyer la merde que tu laisses derrière toi.

Pas faux. Le silence l'accable. Mais c'est toujours la violence qui démange quand les mirettes se posent sur quelconque serpent. Et l'image imprégnée au bulbe; d'une existence démantelée sur le tapis du salon. Vaska. Chimère d'antan, souvenir viscéral démantibulé sur le parvis d'une vie manquée. Bien sûr qu'elle cherche coupable ! Partout. Au cœur d'une œillade famélique, dans les tremblements licencieux d'une palabre.

– Maintenant rentre chez toi. Je t'appelle demain, quand j'aurais une fois de plus sauver ton cul. Et songe à consulter. Faut canaliser tes excès de colère.  

Le claquoir s'entrouvre pour ne laisser échapper qu'un filet d'air. Ça ne serait pas la première fois qu'il prendrait une rouste pour elle. Brave Galkine. Sans doute devrait-elle songer à le remercier. Protagoniste récurent de ses errances. Séraphin dévoué de ses tragédies. Second père. Tornade capitule finalement sans piper mot. L'adolescente revancharde se renfrogne alors. Boudeuse, la gazelle ! Et ça gronde dans la gorge. Le doigt levé bien haut à tous les Dieux, tous les suppôts. Galkine s'impatiente. Enfin se dérobe la gorgone. 

« Tu devrais... »
– La ferme.

CHRONOLOGIE

1976 – naissance de l'enfant unique, du chérubin qui vole traits et sourires au carcan de la matriarche.
1979 – maman s'endort, tumeur entre les alvéoles, pandémie qui sclérose le souffle.
1984 – le paternel revêt l'uniforme de l'autorité suprême, promet de chasser le mal pour l'enfant, s'immerge indéniablement dans le travail pour étouffer douleur et solitude.
1990 – adolescente revêche prise la main dans le sac, vole à l'étalage et remontrances du père.
1992 – petite ingénue; le diable au corps, teste l'existence et sombre dans l'artifice; gosse à problèmes.
1993 – le géniteur, ne sachant que faire, envoie gamine à l'armée.
1998 – calmée, l'enfant prodigue revient au bercail pour finalement suivre les traces de son père.
2003 – rencontre de Vaska, qui changera tout.
2011 – mariage des deux amants, amour évident et dessein de toute une vie.
2013 – fausse couche, infertilité découverte.
2014 – fliquette rencontre véritablement sa première créature et débusque un nid de vipères.
2015 – par revanche d'un golem, Vaska est assassiné, mis en charpie dans le cocon familial.
2018 – durant le massacre Svetlana y perd la vie pour revenir plus forte et écœurée.
2019 – volonté écrasante de réduire à néant le surnaturel.