Histoire
"Quand je serai grande, je veux que tout le monde m'aime !"
Naissance en Russie, Moscou. Famille pas très riche mais pas la plus pauvre non plus, c'est une gosse heureuse, courant avec le chien familial, sautant dans les bras de ses parents avec un immense sourire. Si c'est sa mère qui l'a nommé Irina, en l'honneur de sa grand-mère, c'est son père qui a décidé du second prénom : Immacolata, L'Immaculée, il imaginait sa princesse innocente et pure à jamais. Chrétien, il la voyait déjà bonne Soeur ou mariée à un homme respectable, petite famille gentille, parfaite enfant aux joues rouges, qui lui souriait de toutes ses dents dès qu'elle croisait son regard.
Adolescente surprotégée, elle ne rêve que d'une chose : la liberté. L'Immaculée bouille à l'intérieur, parfaite petite chose qui ne dit jamais rien, elle a besoin d'éclater, de lâcher prise pour ne pas imploser. Mais elle ne le fait jamais, se contentant d'un regard glacial, se retient. Ne parle jamais fort, n'écarte jamais les jambes, porte sagement son serre-tête, la jupe ne remontant jamais au dessus des genoux, elle sourit encore, même si ses dents sont serrées, mâchoire crispée ; son envie de mordre ne fait que grandir.
Elle a seize ans quand ses parents meurent dans un accident. Orpheline, délaissée, elle ne connait rien du monde ; mais elle est étrangement... froide. Irina n'est pas si triste, les larmes ne coulent pas vraiment. Ce n'est pas du déni, elle n'a jamais pleurer pour ses parents, malgré son bonheur, les bons souvenirs, l'argent facile et le cocon qu'ils apportaient. Petite ne va peut-être pas très bien sous ses cheveux roux. Irina s'en sort bien, au début : les petits boulots nuls, mais elle est jeune et belle, ne demande pas grand chose, les gens ont souvent pitié, et elle en profite sans une once de honte.
Quand un homme lui propose la moitié de son salaire du moment pour une petite fellation, la soit disant Immaculée n'hésite pas une seconde. Elle ne sait pas y faire mais son visage d'innocente fait beaucoup, et c'est à l'arrière de la petite boutique qu'elle suce pour la première fois un inconnu. La bouche pâteuse et les yeux brillant de larmes, Irina a aussi et surtout les mains plein de billets.
Elle a continué longtemps, l'argent facile malgré les mains rugueuses et dures, Irina n'a jamais été dérangé. Parfois dégoûtée, souvent blessée, mais elle a continué, seule dans les rues, son maquillage et ses tenues courtes criant son métier, le boulot n'a jamais été manquant. Elle a sûrement choppé une myriade de maladies, mais au fond, ça n'a pas compté pendant longtemps : un rendez-vous important, des coups, des mains autour de sa gorge et la ruelle sombre ne font qu'une boucher de cette pute sans nom et sans importance.
Elle est recrachée quelques heures seulement après ; son corps n'a pas bougé. La fièvre qui faisait frémir son cerveau depuis une petite semaine a disparu, les rougeurs qui couvraient ses bras ont disparu. Irina ne comprend pas vraiment, essaye de se rappeler, mais seuls des yeux noirs et dangereux lui reviennent. Elle ne sait pas qui, elle ne
sait pas. Sa vie fracturée, sa gorge ne souffre plus mais elle est certaine d'avoir quitté ce monde, d'être partie autre part, de vouloir désespérément y rester, refusant de se retrouver encore une fois à genoux.
Mais Irina est là, vivante, debout et elle n'est pas seule. Comme si la respiration chaude d'un inconnu caressait sa nuque pâle, comme si le vent lui apportait une odeur étrangère. Elle se sent suivie, continuellement, surveillée ; sa solitude froide n'est plus, emportée par l'air trop chaud, trop mouvementé. Folie qui l'entraîne, pensées forcées, si c'est sa gorge qui a été brisée puis reconstruite, son esprit n'a pas eu la même chance.
L'Immaculée se retrouve dans un autre quartier, colérique, elle a essayé de mordre les gens qui l'approchaient un peu trop. Irina n'est plus assez elle-même, mais pas assez quelqu'un d'autre. La jolie princesse doit vivre dans ce nouveau monde, la colère l'emporte, elle ne sait plus ce qu'elle dit ou fait, vulgarités qui s'envolent dans un souffle qui n'est pas vraiment le sien. Tous les visages se ressemblent et elle ne supporte pas ça. Si la vérité avait une gueule, elle ne pourrait même pas la regarder en face, voir la différence entre la véracité et le monstre qui se cache dans la tempête qu'est son cerveau.
A genoux, contre un mur, elle se retrouve dans le même enfer ; mais maintenant, elle rend les coups qu'elle reçoit, vengeance immense, son visage si innocent se transforme en grimace enragée, animal sauvage hurlant à la mort pour mieux se faire souffrir, mieux s'entendre mourir.
Les rues ici sont encore plus dangereuses et parfois, quand la colère la laisse froide et vide, elle a peur, peur de vivre seule dans ce monde cruel. Elle est morte une fois, alors son corps se crispe à la simple idée de vivre.
Et un jour (une nuit), Irina n'est plus seule. Les cheveux roux entourent autant son visage que son coeur. L'Immaculée se retrouve dans une maison close, vendre son corps dans un lit lui parait bizarre. Clients après clients, mais les hématomes quittent sa peau.
Le lit la rassure, autant que ces jolies boucles rousses, et elle devient une pute au milieu des autres. Cocon qui lui rappelle étrangement son enfant, cocon parfois brûlant, son cerveau tente de s'envoler, mais elle aime ça. Payée parfois pour autre chose que le sexe, ses mains semblent de temps à autre servir à un plaisir qui n'est pas charnel et elle sourit un peu plus. Sa colère se calme, les gens meurent, les gens la protègent. La chaleur étouffe le cyclone qui secouait son esprit, les ailes mesquines qui grattaient derrière ses yeux. Peut-être que tout ça n'est qu'un rêve ; Irina n'est pas morte, Irina n'est pas partie trop loin. Tenue trop fort, elle s'est simplement endormie dans une étreinte trop rigide.
Irina essaye de s'en convaincre, parce qu'elle sait que si ce n'est pas un mauvais rêve, la chose tempétueuse qui roule et tourne dans sa tête finira par sortir et dévorer ce qui reste de l'Immaculée.
"Quand je serai grande, je veux faire plaisir à tout le monde !"