1. enfance

1946. Baby-boom, naissance de Peter Grayson, fils du soldat Greyson. Il s'engage tôt dans la police. Puis rencontre Jane qui deviendra son épouse. Elle est sculptrice, sait le pouvoir du toucher et la magie d'un œil curieux.. Il veut enseigner les valeurs chrétiennes et la loyauté à sa famille, à la Couronne.

1966. Naissance d'Allen. Le premier fils, on le montre à tous. On lui interdit d'aller se baigner avec les autres gamins et plus on veut le mettre en sécurité, plus il grimpe aux arbres de la propriété, s'aventure seul dans les rues, sympathise avec les passants... Les années passant, il s'habitue à l'idée d'être fils unique, son caractère fier et indépendant font de lui un garçon apprécié de tous.

1977. Naissance de Lawrence. Contre toute attente. L'enfant est chétif mais en bonne santé, il présente une tâche de naissance dans le bas du dos, juste au-dessus des fesses. Enfant, il est rêveur et suit les traces de son grand frère en se laissant dans une exploration minutieuse de son environnement. Moins effronté, il se plie davantage aux horaires et indications de leurs parents. Il ne suit malheureusement pas l'envie paternelle de le voir rejoindre les rangs de la police, et se rêve déjà une vie ailleurs, sans savoir vraiment où...

1980. Naissance d'Henri, le petit frère, le dernier. Brillant mais caractériel, le gamin rencontre des difficultés à l'école. Il ne laisse pas dire, il a parfois la main leste mais revient toujours à la maison. Lawrence et Henri se promettent de toujours se soutenir quoiqu'il arrive.

1990. Allen devient flic et quitte la maison. Il donne peu de nouvelles mais chacune de ses visites enchante ses frères. Lawrence est élancé, fait plus vieux que son age et vient à la rescousse de Henri quand ce dernier s'attire des ennuis. L'un n'est jamais loin de l'autre. On les appelle parfois « les jumeaux » à cause de leur proximité. Au début des années 90, Lawrence parvient à aider Henri à tricher sur ses examens pour ne pas redoubler. Henri ne se concentre pas, il envisage de quitter l'école.

2. maturité

1999. Lawrence a vingt-deux ans, la tête dans les études de droit. Il s'est installé à Londres où il essaie de découvrir et d'accepter sa sexualité, qu'il cache encore à ses parents. Il se sent abandonné quand Henri lui annonce un beau matin qu'il va rejoindre en Norvège une fille qu'il a rencontrée il y a quelques mois. Il ne lui en veut pas, mais lui fait promettre de ne pas l'oublier.

2004. Le barreau. Avocat de la défense. Premières affaires, premiers échecs. Les encouragements d'Allen, même quand Law s'évertue à vouloir faire sortir ceux qu'il a coincés. La rencontre avec un greffier en couple avec une femme. Il s'appelle Wilson, il a les cheveux clairs, il a un sourire gêné en permanence, Lawrence l'invite à boire un verre. Un autre, et encore un autre.

2008. Un beau costume. Et l'envie de se dire oui, pour toute la vie. Quand Law regarde Wilson, il voit l'avenir. Il voit les petits pains sur la table et l'odeur du café, ses doigts qui caressent les cheveux blonds ébouriffés et les premiers rayons du soleil qui pénètrent par la fenêtre de la cuisine. Il voit la lune haute dans le ciel et les bruits de la ville absent, alors que ses doigts sont capturés par ceux de son mari. Jour après jour. Vivre heureux et s'endormir serein, chaque jour que Dieu fera. C'est un beau mariage, auquel assiste toute sa famille. Il se sent un homme accompli.

3. fuites

2013. Il ne se voit pas père, il ne conçoit pas qu'il puisse devenir père un jour. Ses obligations professionnelles lui prennent beaucoup de temps, et Wilson lui-même se plaint de ne pas assez le voir alors des enfants... Ils sont restés à l'appartement et le rêve de cette maison aux fenêtres toujours ouvertes s'estompe avec les jours. Pourtant Law en rêve de cette maison, de pouvoir sentir les mains autour de lui, le souffle chaud dans son cou sur un bruit de campagne. Mais Wilson veut des rires d'enfants peu importe le lieu. Il reparle parfois des anciennes affaires que son mari a eu à défendre. Quand il est devenu bon, quand il est devenu très bon et que les criminels le voulaient lui. Cette époque est révolue, il traite avec les chiffres dit-il. Wilson ne trouve pas la naïveté de celui qu'il a rencontré. C'est le divorce. Lawrence part rejoindre Henri, loin de ce rêve brisé.

2016. Allen est mort. C'est Jane, leur mère qui lui a appris au téléphone. Allen est mort. Brutalement, son corps a volé en éclat dans un torrent de flammes et de poudre. Cette image s'est incrustée contre ses iris et une fois qu'il est entré chez lui, Lawrence a fermé la porte. Et il n'arrive plus à sortir désormais. Ça s'est fait comme ça, il se disait que ce serait le jour suivant, puis le suivant et maintenant, il ne souhaite plus appartenir à ce monde dépourvu de rêve. Alors il continue de travailler, il essaie de se fabriquer de petits oiseaux de bonheur mais les laisse s'envoler sans lui. Il ne s'est pas rendu aux obsèques, à l'inverse d'Henri qui a fait le trajet. Et il ne s'est jamais rendu sur la tombe. Avec les trois dernières années écoulées, il a fait la paix avec ce drame. Il a accepté le caractère irrémédiable de cette perte et cherche parfois une façon de le comprendre, cependant.

Quelques mots. Je repose le téléphone, regarde vers le comité de direction. Ils ont repris la réunion, j'ai des fourmis dans la main, tourne au ralenti. En face de moi, ma collaboratrice me sourit et reporte son attention sur ceux qui ont la parole. Je dégluttis, cherche un peu d'air. Mon index cherche à desserrer le nœud de cravate, j'ai la sensation d'avoir soudain trop chaud. Les tempes qui se mettent à claquer à l'unisson de mon cœur, comme étranglé. Je me racle bruyamment la gorge une fois, repose mon téléphone, cherche à garder contenance.
▬ Un problème, Grayson ? Vous vous sentez bien ?

Je cale mon poing devant ma bouche, cherche à retenir un sanglot. Soudain, j'articule un « oui » qui se ressemble à un haut-le-coeur. J'inspire profondément. Mes yeux s'écarquillent, mon corps se tasse sur lui-même et j'essaie de retrouver les mots que je viens d'entendre au téléphone. Je ne me les rappelle pas, je tousse pour essayer de retenir les larmes qui commencent à me brûler les yeux.
▬ Grayson... vous voulez une minute ?

Ma main libre abandonne la cravate, je m'appuie sur la table. Les regards sont maintenant tournés dans ma direction, le silence n'est brisé que par mes tentatives de ne pas craquer. Et je n'ose clore les paupières, de peur de libérer cette brûlure au coin de mes yeux. Je dégluttis et finalement, les regarde. Ils sont tous là et je ne peux m'empêcher de baisser le regard avant de finalement leur faire un signe qui signifie « je ne peux pas ». Ne. Peux. Pas. Je sors du bureau, mon visage se tord en une grimace et j'essaie de récupérer une longue bouffée d'oxygène. La sensation qu'on vient de me blesser mortellement et que je suis en train de me vider sur le sol du couloir, sans pouvoir retenir quoi que ce soit. Je titube sur quelques mètres.

Un cri rauque et déformé m'échappe. Mon cœur se brise. Allen est marié, il a une fille. Elle a de grands yeux noisette et quand je l'ai vue pour la dernière fois, elle fêtait tout juste ses seize ans. Un foulard bleu couvrait ses cheveux et avant mon départ, elle m'a souhaité bonne chance. C'est à elle que je pense, face à mon frère qu'elle ne pourra même pas reconnaître. Mes jambes flanchent. Je tombe, me remets debout et me lance à l'assaut du couloir. M'arrête au niveau d'un bureau, paroi de verre. Il cesse de porter son attention sur l'autre homme et si c'était possible, je jurerais que mon regard embrasse celui de Nimue. Je pince les lèvres, en guise d'au revoir, j'ai besoin de sortir. J'ai besoin de m'éloigner et de retrouver un peu de sécurité. Je pince les lèvres et caresse une seconde la paroi de verre en guise d'au revoir, j'ai besoin de sortir d'ici. Besoin de me jeter dans la rue. J'ai besoin de rentrer chez moi. Je ferme la porte dans mon dos, ce sera la dernière fois que je gravis ces escaliers.

2019. Papa Grayson a appelé, Grand-mère est morte. Il a demandé à Lawrence de venir. Ils connaissent sa situation, Henri leur en a parlé mais ils ne comprennent pas. Ils refusent de venir dans ce pays qu'ils appellent tyrannique et sauvage. Ils font parfois allusion à la vie qu'il aurait s'il revenait en Angleterre, de Wilson qui leur rend souvent visite... Mais sa vie, même imparfaite, est là. Et il y tient.

Quelques mots. Odin, la caste du Divin. J'ai commandé des livres, trop de livres. Quand je vois l'état de la troisième bibliothèque, ça m'effraie un peu à vrai dire. Je ne prétends pas demander des explications à ce dieu mais il est lié à Nimue et à ce quartier, et j'ai simplement envie d'en apprendre davantage à son sujet... La journée a commencé simplement, je me suis levé à 8h comme chaque jour. Je suis allé sur l'ordinateur pour nourrir mes trois poissons virtuels et je me suis préparé. Ce dernier costume est parfait, les mesures sont impeccables.

Fenêtre ouverte, je me sens aussi libre que si j'étais à l'extérieur. Davantage même. Les deux manettes encore posées sur la table basse témoignent d'une partie endiablée avec Henri hier soir, avant qu'il ne s'en aille tout énervé après avoir fouillé dans ma dernière réception, s'écriant avec aplomb et bêtise :
▬ Pourquoi tu t'intéresses à toutes ces conneries ?

J'ai protégé mes biens comme s'il s'agissait du dernier rempart entre moi et... je ne sais même pas. Il est parti énervé mais il reviendra. J'ai commencé à travailler à partir de neuf heures, comme je le fais tous les jours. J'use une quantité considérable de consommables informatiques et les vidéoconférences sont devenues coutumes. Ce matin, il pleut, je me délecte du parfum de la pluie sur le rebord de la fenêtre. J'aurais dû le retenir, aller le rechercher dans la rue en le suppliant de ne pas énerver ''leurs'' dieux mais j'ai préféré lui demander de rester prudent. Il a souri, il a semblé confiant et il est parti. En colère mais avec son sourire en coin, confiant.