Dans les soupçons de la nuit sans lune, un visage se crispe, refuse l'idée de se résoudre au plus incommensurable rite que lui inflige sa nouvelle nature. Quiconque l'aurait observé à ce moment-là - comme ce fut le cas pour Arsenia Savina - aurait certainement eu quelques gouttes de compassion à son égard. En particulier lorsqu'on entrevoit les sacrifices que telle créature demande. A celui qui n'a rien demandé de cette identité, sera le premier à refuser toute appartenance. Et encore davantage le régime alimentaire indécent. Car là est tout le problème. Majeure partie des nouvellement nés Poroniecs préfèrent tenter de se canaliser, tentant de dévorer vieux restes enterrés. Jusqu'à croiser âme qui vive. Jusqu'à sentir la chair sur les os, le sang dans les veines. Jusqu'à cet instant précis où ils ne peuvent plus faire machine arrière, tant la faim et la soif se veulent chaotiques en leurs âmes errantes. Jusqu'à ne sentir, dans leur esprit, que le désir débordant, lancinant, révoltant, de bouffer des tripailles, quitte à tuer s'il le faut. Et c'est ce qui gît, actuellement, sur le visage de cet homme dont elle ignore l'identité. Il pourrait dévorer n'importe quoi. Ou plutôt
n'importe qui. Malheureusement - ou heureusement ? - pour lui, Arsenia, Reine des Bestiaux, n'a aucune affliction pour son état actuel, et se fiche éperdument de ce qu'il ressent. Pourquoi perd-t-elle donc son temps, me demanderez-vous impatiemment ? Il se trouve que la Madone aime collectionner les mauvaises choses, et surtout les mauvais gens. Et cette aura si particulière, si peu étrangère, roule sur la peau de cet homme comme des particules d'air. Lingots mortifères. Connexion des esprits morbides. Vaut-il vraiment mieux que cela, finalement ? Mieux que celui qui devra, de toute manière, crever la chair ? La philosophie d'Arsenia dicterait contraire : personne ne le vaut, et tout le monde le vaut, ce ne sont là que sottises que de croire qu'ils ne sont, au final, pas tous des salopards.
Furtives orées de folie se lève au coeur de son regard. Et elle sait, pour les avoir vues cent fois dans les yeux de sa concubine favorite, qu'elles signent le désordre dans le cerveau, le chaos dans les os. La raison s'effrite sous sa poitrine, ne laisse qu'un reg poivré d'asphalte, et le monde se prépare à le contempler faire couler le sang.
Imbécile !Bien entendu. L'orgueil et la fierté ne sont que des souvenirs étriqués d'un temps où les Mortels valaient quelque chose. Aujourd'hui, ce ne sont que des vestiges d'un autrefois qu'ils ne veulent pas délaisser.
Imbécile !Que de délivrer à son esprit que le refus total, tandis qu'il met en danger vies plurielles. Car au-delà de son joug, putains et soûlots festoient dans les rues, n'attendent, certainement, que le moment propice pour servir de repas dégoulinant.
Imbécile !Que de croire, une seule seconde, que cette femme serait assez bête pour se mettre en danger de la sorte sans pouvoir se défendre. Les hommes et leur idiotie. Course folle débute. Secondes deviennent minutes, le temps s'estompe au fil des pas qui grondent contre le trottoir, chaque fois un peu plus proche de la dulcinée qui sourit.
Qui sourit ! Pourquoi Diable cette catin sourit-elle ? Pourquoi Diable prend-t-elle le temps d'écraser son mégot de cigarette ? Efrontée qu'elle est !
« Arrête-toi. » Le son qui émerge du carcan ne lui appartient pas. C'est le monstre qui vibre sous la peau, la bestiole immonde qui crache son venin. Si bien que l'écho d'Indrik vient séjourner sous les paupières, d'un noir profond qui gobe les iris, qui pourrit les orbites.
C'est l'Appel.C'est la Domination.Immobile devant l'inférieur, l'échine s'hérisse, se tend, pourrait peut-être même grandir si l'enveloppe le permettait. Les simples mots résonnent, obligent l'enfant-fier à se stopper dans sa course, car nul ne peut ignorer la requête.
« Comment oses-tu attaquer ton Roi ! » La voix est perfide, si grave qu'on la croirait venue d'un autre monde - peut-être est-ce le cas ? Le pantin blafard fronce les sourcils, et son portrait se durcit. La Gorgone a disparue. Le Roi prend toute la place.
« Vous, les Mortels, n'êtes que des parasites dotés d'un ego qui ne vaut rien. » « Prosterne-toi ! » Ordre que nul ne peut mépriser, dont nul ne peut s'échapper. Le contrôle est total lorsque le don est utilisé. Et même si fierté est là, même si elle crie à l'indécence, il n'aura pas le choix. Et ça la fait sourire.
Elle sourit encore ! Elle sourit toujours.
« Je devrais te tuer pour ton affront, vermine. Mais tu as de la chance. » De la chance ?« Mon amie pense que tu pourrais servir à quelque chose. » A quelque chose ?« Peut-être pourrais-tu devenir son animal de compagnie ? » Et il rit, si fort, que ça pourrait faire trembler les murs de peur.