Des festivités de fortune battent leur plein, dans ce cloaque qu'un jour quelqu'un osa renommer bar.
Corps et euphorie en retrait contre un mur, Vadim se frotte machinalement le bras, où la barre symbolique d'un tatouage trop frais le cuit encore, dans une grimace un peu juvénile. Fatigué, l'adolescent se tortille et redresse sa longue silhouette dégingandée, les yeux en quête de son ami que la foule a avalée. Toujours entouré d'une troupe de bonhommes qui le rendent impossible à voir. Plus large, plus beau, plus fort et plus sympathique, Nikolai aimante quand Vadim interloque, il fait glousser les filles là où l'autre, trop jeune, trop étrange, trop bancroche, les fait rire. Les hommes de main qui ignorent le garçon font déjà des accolades à Nick, le reconnaissent comme l'un des leurs sitôt qu'ils l’aperçoivent.
Une dualité qui fonctionne - l'un trouve les contrats les plus juteux en écoutant aux portes qui ne le remarquent pas, l'autre décoche son assurance et son charme pour les obtenir. Depuis trois mois, cette collaboration leur a même permis de crécher dans un appart qui n'était pas fourni avec ses rats, de se faire une petite renommée de prêts-à-tout auprès de poissons juste un peu plus gros que la moyenne. Les enfers que l'adolescent traverse depuis sa résurrection non consentie sont apaisés au contact de son partenaire, dont l'autorité qui lui fut accordée apaise plus que les jeunots de son espèce. Mais ce soir, les facilités de Nicki fatiguent et le petit monstre en crève de jalousie.

Courroucé, l'adolescent laisse les gourdes et les dindes graviter autour de son colocataire et cherche dans les têtes l'éclat doré de sa Blonde, vénusté absolue, reflet de ses ambitions maladives. Folie des grandeurs que de s'être promis de l'amadouer et cuisante déception, ce soir, heures moroses que la belle fait briller par son absence.
Lasse, la gueule bancroche quitte les festivités sans prévenir, s'en va écumer les trottoirs qu'il s'est juré de façonner un jour à son image.
Elle rampe, la créature, de longues heures avec la vermine, dans la carcasse de son futur empire.


Dans un tonnerre de tous les diables, grincements du métal rouillé, à-coups de pédales et cliquetis incessants des rayons voilés, la bécane fend les rues crasseuses du quartier à toute blinde. Au blizzard qui lui fouette le visage, Vadim sent sa peau se cisailler sous les prémices d'écailles de sa condition nouvelle mais il accélère de plus belle pour amener son précieux chargement à bon port. Un virage serré le mène dans sa ruelle, un autre coup de pédale et il voit son appartement se dessiner sous les vieux comble.
Course effrénée interrompue d'un coup d'un seul, par un bloc de glace projeté en pleine gueule.
Revmir se sent voler, l'espace d'une micro seconde, avant que la gravité le rattrape et lui casse les coudes sur le trottoir. Sonné, à demi aveuglé par le sang jailli de son arcade pétée, il distingue derrière les voiles rouges trois silhouettes qui accourent et bat frénétiquement le bitume gelé pour saisir le sac en toile qui a volé à côté.

Trois adolescents, qui n'ont comme lui peut être pas passé dix-sept ans. Un petit aux airs de teigne mène la troupe délinquante, deux cubes de chair aux airs patibulaires à ses côtés.

Le cul dans la neige, à demi aveugle, le gamin essaye encore de se relever quand ils arrivent à sa hauteur. L'aura de son don, ultime protecteur, les arrête un peu dans leur quête de violence et du coin de l'oeil, il les voit qui se tortillent sous le joug d'une hésitation pleine.
« J'sais pas trop, Misha. L'pauvre... »
Marmonne l'un des chiots bouledogues dans une grimace mal à l'aise, et c'en est déjà trop pour ses humeurs instables. L'orgueil mis à mal qu'on ne vienne même pas lui chercher des noises se remet d'un bond sur ses jambes. Enragé par des humiliations trop nombreuses, Vadim se voit se ruer sur le chef de bande pour lui coller un coup de poing de pif sans même trop comprendre ce qui lui prend. Et le geste malheureux en est assez pour lever le voile de ses inhibitions mystiques, réveiller la soif de sang qui attendait juste un peu de fiel pour agir. Un seul coup le fout par terre et l'assomme à demi avant que d'autres pleuvent, sur son corps juste assez répondant pour s'enrouler, dans un dernier instinct, autour de son précieux colis.
Il entend les cris de joie et, les beuglements rage, sent leurs pieds rouer son ventre à lui couper le sifflet, à jamais lui semble-t-il.

Il va crever là, tabassé comme n'importe qui, comme un idiot mais un idiot normal.
Et ce foutu tatouage qui lui fait toujours mal.