Liz eut un sourire indulgent ; le capitaine l'amusait avec ses formulations qui corrigeaient tranquillement ses paroles à elle, et avec ses manières de loup de mer débarqué sur la terre ferme.

« Je pourrais vous retourner la question... »

Et c'est vrai qui voudrait, parmi les libres hommes & femmes des mers, s'enfermer dans un pays triste, froid, et liberticide ? Une fois claquemurés en Russie, il n'était plus vraiment question de prendre la mer, canoter sur un fleuve ou un lac ne s'apparentait absolument pas à courir les 7 mers.

« J'ai eu un accident lors d'une mission scientifique, ça m'a poussée à m'arrêter. »

Elle ne caractérisait pas bien la force de sa nouvelle nature qui l'avait poussée à renoncer à une grande partie de ce qui avait été sa vie. Elle lui devait un mariage, une nouvelle nationalité, un travail passionnant mais éreintant et exigeant. Elle glissa un regard pétillant d'amusement vers Cornelius :

« J'ai l'air poursuivie ? »

Par les regards masculins, oui ; c'était exactement pour ça qu'elle mettait des bas-coutures, d'ailleurs. Le capitaine fit preuve de son sens de l'observation, même si l'alliance en or jaune passée au doigt de Liz était là exactement pour ça : lui rappeler que quelque part, Ivan existait.

« Mmhh, il travaille en fait. Il travaille souvent en soirée. »

« Ah si, ça », répondit avec un voile de rire argentin Liz, qui se fichait pas mal de qui dirigeait le pays tant qu'elle avait des ordres clairs. « Si, si j'ai su. Quel quartier vous dirigez, monsieur la célébrité ? Vous avez vraiment renoncé à votre navire pour diriger un quartier ? Oh ça doit être intéressant, cela dit, si on la fibre politique. »

Elle n'avait aucune idée de l'état de la fibre politique de monsieur Cornelius face à elle, mais elle eut un rire à sa constatation sans fard ni gant sur l'attention qu'elle drainait jusqu'à elle en se fringuant comme elle le faisait ; elle n'allait pas cacher que ça lui plaisait.
A quoi ça servait, sinon, d'être une jolie femme ? Elle sourit, donc, absolument pas choquée par les propos du capitaine – ancien capitaine.

« Merci. Mais je ne les crains pas vraiment. »

Liz cendra délicatement sa cigarette d'un mouvement sec & précis de poignet, sentant confusément que le marin se rétractait, mais rapport à quoi ? Comme pour lui donner un indice, l'alliance à son doigt brilla mais elle avait l'habitude de cet éclat qui n'avait aucune signification depuis bien longtemps, et elle ne fit pas le lien.

« Avec plaisir », répondit-elle en écrasant finalement son mégot sans abîmer le moins du monde son vernis rouge.

Avec le sourire indulgent que certaines femmes réussissaient encore à avoir envers les hommes, Liz considéra le capitaine déchu en se disant qu'elle comprenait mieux pourquoi il passait vraisemblablement ses soirées à boire et à fumer dans des bouges tels que celui-là. S'il n'avait pas la fibre politique, comme elle l'avait dit, ce changement de statut social s'approchait dangereusement d'une punition...
Elle ne se formalisa pas vraiment de son attitude qui traduisait bien assez combien il ne la croyait pas ; à vrai dire elle s'était habituée avec les années. Si plus jeune sur les ponts des navires et dans les bureaux feutrés de ses parents, elle s'était fortement indignée parce qu'on ne la prenait pas au sérieux juste à cause de ce qu'elle avait entre les jambes comme si c'était un genre de péché originel...
Depuis elle était morte, avait relativisé, et s'était surtout mariée à un garde impérial très sûr de sa force et de la supériorité du phallus.
Elle le laissait dire, et par extension, laissait dire et penser les hommes du monde entier ; après tout elle ne se plaignait pas quand il s'agissait de faire l'amour.

« Oh, vous croyez au hasard », s'amusa-t-elle en plissant légèrement le regard dans une grimace charmante.

Elle se redressa de la position adoptée pour l'écouter avec attention, jeta un regard autour d'elle en avisant cette fouine de serveuse qui écoutait ce qu'ils disaient. Autant pour attiser sa curiosité que pour allumer gentiment le capitaine, elle se pencha vers lui, faisant pigeonner sa poitrine comme par un fait absolument pas pensé à l'avance.

« Vous imaginez bien mais si vous aviez la gentillesse de me proposer, je ne dirais pas non... »

Elle se leva, défroissa sa robe qui n'en avait pas besoin, et abandonna l'idée de ramener le verre au bar pour aider la serveuse sitôt qu'elle lui eut traversé l'esprit ; plutôt claquer que d'aider cette pétasse désagréable.

Tout comme lui honorait d'un coup d'oeil la poitrine savamment mise en valeur de Liz, elle ne perdit pas l'occasion de l'observer ; il était mince, avec les muscles de ce genre d'homme qui a une utilité et ne passe pas son temps à la salle.
Le regard bleu clair de la jeune femme pétilla, alors qu'elle décidait qu'il lui plaisait beaucoup – c'était son type en même temps, il n'y avait qu'à voir combien il pouvait ressembler à son mari, le pauvre mari en désamour.
Elle rit à la réflexion de la serveuse, qui décidément était bien une pétasse, prit la tête pour sortir en ne doutant pas qu'elle serait la première à être mise dehors. Et elle tenait à passer pour une fragile jeune femme sans révéler la puissance qu'elle pouvait déployer en cas de souci ; être isarnkol supposait un peu de discrétion n'était-ce que pour éviter les wargs autant que possible.
Elle fit un geste de la main :

« Par là-bas, j'habite au-dessus de la Ruelle rouge, dans hmmm ce qu'on pourrait appeler le meilleur coin du quartier. Avec un peu d'optimisme. Disons qu'on voit toujours les prostituées et les gens paumés, mais de plus loin », résuma-t-elle avec franchise.

Elle ne vérifia pas la position des constellations et du ciel parce qu'elle vivait là depuis si longtemps qu'elle les connaissait par cœur. Le vent nocturne rabattait vers elle l'odeur de la cigarette du marin, et elle se rendit compte en le regardant que la mer lui manquait à lui faire mal au ventre.

« Est-ce vous avez encore votre bâtiment ? » demanda-t-elle, curieuse.