Elle se tient dans le néant, le jamais, elle n’a ni âge ni sexe. Elle se tient au milieu de la forêt, sur un sentier jonché de petits cailloux et de miettes de pain rassis. Une lune d’un blanc agressif et deux soleils brillants illuminent son visage, sa chevelure rousse et son cou flasque où pend l’amulette qu’elle a fabriquée avec le crâne du Garçon mort. Avec ton crâne, fiston.
- Refuge 3/9, Anna Starobinets
Valery a été aimé et même s'il ne s'en doute pas, ses parents espéraient pour lui un avenir grandiose et heureux. Il ne se souvient qu'à peine d'eux, d'un sourire peut-être, d'un visage ou d'une sensation mais tout se mélange. Il est passé de mains en mains, de proches en proches, ballotté entre les morts, les oubliés et les disparus, jusqu'à qu'il n'y ait plus personne pour s'occuper de lui. A 5 ans, on chuchotait à demi-mots qu'il était maudit et lui ne pleurait plus cette famille élargie qui disparaissait aussi vite qu'elle apparaissait. Esseulé, endeuillé peut-être, gamin éduqué maladroitement par des tas des mères cherchant à lui faire plaisir et de pères un peu rustres et de plus en plus froids. Quand on est seul à 6 ans, abandonné dans un orphelinat par les services sociaux parce qu'il n'y a plus personne pour s'occuper, on a plus vraiment d'attaches ou d'éducation.
Gamin colérique, impulsif, malheureux, il hurlait, pleurait et se débattait dans un monde qu'il jugeait cruel. Les autres mômes étaient aussi mal que lui et il fut rapidement un excellent bouc émissaire. Plus petit, plus fin, peu de mots et souvent mal prononcés le rendaient détestable aux yeux des autres. Son caractère et ses accès de violence ne le faisaient pas bien voir par les responsables d'éducation. Il se débattait dans sa vie, parmi les autres et parmi toutes les phrases toutes faites et la tentative de bienveillance qu'on lui imposait.
Deux doigts en moins et il hurlait qu'il l'avait fait tout seul, la bouche plein de sang, les joues barbouillées de larmes séchées et le nez pris. Les autres acquiescèrent et l'évitèrent, des traces de morsures comme des marques douloureuses d'une envie irrépressible de vengeance. On ne savait plus quoi faire de lui, il ne relevait pas du social mais du psychiatrique, jaugeaient les membres du service d'encadrement mais il n'y avait pas de place pour lui nulle part. Ceux qu'il aimait partaient et lui voulait juste quitter cette maison aux hauts murs, trop bruyante et trop lointaine. Les parents qui venaient voir les enfants ne s'arrêtaient jamais face à ses grimaces. Il montrait les dents, puis tentait d'amadouer, ça finissait inévitablement en crise, de colère ou de larmes.
Puis il a fait le mur, accompagné puis seul. De plus en plus loin jusqu'à ne plus rentrer de lui même. On le retrouvait dans les rues, on le reconnaissait, alors il quitta la ville, alla s'enfoncer dans la forêt, fuyant les êtres vivants et agressant sans vergogne ce qui se mettait sur son chemin.
Il y rencontra Oda et sa beauté, ses yeux patients, ses sourires et son passif de "sorcière", comme il disait. Méfiant, il agitait son épée improvisée, la tenait loin de lui, puis c'est de lui même qu'il s'est approché, apprivoisé. De méfiant, il est devenu curieux, de cette femme seule, loin du monde, le ventre gonflé par la vie qui s'y logeait, des réponses à tout et une bienveillance qui contrebalançait ses accès de colère. Il voulait la détester, cherchait toutes les raisons de le faire, tapait du pied mais agressait chaque branche qui aurait pu la griffer.
Il revenait toujours vers elle, trouvait un moyen de faire le mur. Puis un jour il s'est accroché à une main tendue. Il continuait de l'appeler sorcière, de l'appeler Baba Yaga mais s'accrochait à elle. Elle lui a appris à vivre dehors, à reconnaître le bon du mauvais, la patience, l'eau à boire, écouter les oiseaux et sentir les plantes. Elle l'a laissé adopter M. Chat, un pauvre clebs détestable et détesté, elle l'a laissé partir et revenir en pleurs, à chercher ses bras et il s'est laissé bercer par ses "petit prince", le cœur prêt à exploser d'amour pour cette femme qu'il avait adopté et qui l'avait adopté.
1 an à s'apprivoiser avant de découvrir les Tolma, fébrile, nerveux et dans l'envie d'en découdre, pourtant caché derrière les genoux d'Oda, il a attendu les remarques, les moqueries, le regard assassin, prêt à mordre le premier qui s'attaquait à lui. Habitué à vivre au grand air, à franchir les frontières et loin du monde, avec pour seuls amis Chagrin, Douleur et M. Chat, l'arrivée fut un choc autant culturel que familial. C'était ça, la famille. Une vraie famille, avec des cousins, des oncles, des tantes, des grands parents.
Sa famille. A serrer Chagrin contre lui, le défendre contre le monde, il en avait oublié que celui-ci pouvait être ouvert et l'ouverture à laquelle il fit face - plus qu'il ne l'aurait jamais imaginé - le laissa sans voix. Puis il voulu se présenter, leur dire ses quatre vérités, devenir comme eux. Il baragouina, bafouilla, zozota dans un mélange de russe, de norvégien et de rien du tout et éclata en sanglots avant de se cacher le visage dans la hanche d'Oda, apeuré de lui avoir causé du tort par sa tenue sauvage et son manque d'éducation.
Apprivoisé par Oda, il le fut par les Tolma, éduqué, redressé, le nez levé, un sourire un peu plus franc, plus apte à encaisser. Il n'a pas oublié sa maison, sa culture mais c'est une autre qu'on lui fit bouffer, des années de manque à refaire. Puis il courrait auprès d'Oda, repu et saoulé, la suppliant de repartir des jours, des semaines par les routes et les forêts, quitte à laisser Chagrin - des mots jetés puis repris tout de suite après. Un amour pour l'argent, un amour pour les autres, des livres bouffés et digérés, des connaissances engrangées, des par-cœurs à ne plus savoir qu'en faire, les yeux abimés par la télé et les livres, les jambes toujours pendantes au dessus du dossier. Gamin minuscule et poussée de croissance brusque, la colère sommeillait toujours entre deux sourires, des pulsions créées par la proximité de maux personnifiés. On lui a dit "tu veux, tu prends" et que le maître mot était "subtilité", colère se devait d'être maîtrisée. Il faisait parfois le mur, allait défier des gamins, se battre contre des arbres, emmenait le clebs avec lui et parfois Chagrin, lui faisait passer les barrières et lui apprenait à cracher, jeter des pierres et insulter.
Il a grandi, doucement, par a coups, petit canard derrière sa mère, ombre protectrice auprès de son frère, il a fini par lâcher un "maman", comme ça, comme une évidence. Dernier acte d'adoption, officialisation et les années se sont écoulées. Il a aimé, follement, avec colère et force, deux mômes avec ses yeux, son nez mais qui ne ressemblaient pas à sa mère, celle qui avait remplacé l'ombre de la mémoire. Il les a aimés aussi fort qu'il a adoré Chagrin. Puis ils ont disparu, comme M. Chat, comme les autres, comme la fille, comme la femme, comme sa vie à lui, aspirée par les Tolma. Atropos trébuche sur les fils de ceux qui ont jadis été les siens et il n'a jamais dansé qu'autour de Chagrin et d'Oda. Toujours à les serrer très - trop - fort contre lui pour sentir leur cœur battre au même rythme que le sien, à passer un doigt léger sur leur fil pour s'assurer qu'il n'est pas défait.
La colère pourtant ne l'a pas quittée, elle a pris forme, s'est cristallisée, a trouvé un but, dans le chaos, dans la destruction, dans l'extermination. L'être humain et les créatures sont des petites choses fragiles, perméables aux informations et qui subissent le même rythme d'acceptation. Le deuil commence par un déni franc.
Pour Lycaon, la société russe n'est encore que dans sa phase du déni mais il espère bien voir le jour de l'acceptation.
Il a suivi les Tolma, il est rentré à la maison, le russe retrouvé comme son cheveu sur la langue qui ne l'a jamais quitté. Il s'est jeté immédiatement dans les affaires, dans les profits, dans les lobbys, toujours à garder un œil sur les siens, leur cœur battant au même rythme que le sien.
Anecdotes : - Né avec un bec de lièvre, Lycaon a subi peu après sa naissance une opération pour reconstruire son palais et son visage. Il n'a commencé qu'à parler très tard et ce couplé avec sa mauvaise élocution et le manque de soin constant apporté à celle-ci n'a pas arrangé son handicap verbal. Si le fait de zozoter, bégayer ou butter sur des mots a longtemps été un sujet de moqueries, il accueille désormais avec des sourires et des sourcils arqués les remarques que certains oseraient faire à ce propos.
- Il lui manque le majeur et l'annulaire de la main gauche. Le majeur en jouant au jeu du couteau, l'annulaire volontairement par défi ou par bêtise. Des fois la version s'échange, l'annulaire perdu au cours d'un jeu et le majeur arraché. Un sourire accompagne toujours la réponse, une lueur dans les yeux.
- Il a eu deux enfants, Boris et Evguenia. Tous les deux morts, Boris à la veille de ses 4 ans et Evguenia alors qu'elle venait de perdre sa première dent. Lycaon n'a jamais été prolifique sur le sujet et refuse en général d'en discuter avec des personnes qui ne lui sont pas proches. L'amour est devenue une quête impossible après sa réincarnation, il n'a pas cherché à combler le vide laissé par ses deux enfants mais, un jour peut-être, aura t-il l'opportunité d'imiter sa mère et de trouver quelqu'un qu'il juge digne de prendre le nom de Tolma pour lui hériter.
- Souple, capable de se déboîter de nombreux membres, il souffre d'hyperlaxité dans les ligaments des doigts, des bras et des jambes suite à de trop nombreuses entorses. Il a donc une agilité accentuée mais il souffre régulièrement d'entorses, luxations et tendinites.
- L'information est devenu une véritable obsession depuis sa réincarnation, si depuis son entrée dans le monde des affaires il a cherché à toujours être au courant des pires opportunités, il se documente maintenant en culture générale et même sur les généalogies princières. Il papillonne de sujets en sujets et écoute avec un sourire attentif tout ce qu'on pourrait lui apprendre de nouveau. Les racontars ainsi que les murmures sur les gens l'intéressent tout autant et il est prêt à payer certaines personnes pour avoir des informations sur les gens importants.
- Gros dormeur, il a cependant le sommeil léger. Il peut néanmoins s'endormir n'importe où, n'importe comment, quelque soit la position ou l'entourage. Il a une fascination importante pour les lits douillets, les couettes et les oreillers à tire la rigaud. Lorsqu'il est installé confortablement, il lui arrive d'enfoncer son pouce, voire plusieurs doigts dans sa bouche. Il ne s'endort jamais mieux que lorsqu'Oda chante, bercé par ses vocalises, il aime parfois juste aller la retrouver pour se laisser sombrer à ses côtés.
- Il parle russe, langue maternelle, donc n'a eu aucun problème à se rebaigner dans la culture dans laquelle il a grandi. Le norvégien, langue qui lui a été apprise par Oda, puis par sa famille d'adoption. Il comprend également l'anglais, à force de lectures et de curiosités. Il baragouine d'autres langues, plus par curiosité que par réel intérêt pour le pluri-linguisme.