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| L’herbe était plus sèche au cimetière que dans les parcs de la ville et Yuliya pouvait comprendre la raison derrière ce constat qu’elle faisait alors que le sol craquelait sous ses pas pourtant légers : les morts avaient soif. Elle se souvenait avoir eu très, très soif pendant les jours qui avaient suivi sa résurrection inattendue, sûrement parce qu’elle avait passé des mois entiers dans le coma et que ça n’était certainement pas ses parents qui allaient l’hydrater à la pipette pendant qu’elle était dans le noir. Ils l’avaient débranchée, après tout, et certainement pas après s’être épuisés à prendre soin d’elle. Néanmoins, l’image la fait ricaner, le réflexe déplacé dans le contexte funéraire, alors que son regard se pose tour à tour sur les noms gravés à même les pierres tombales. Un jour – bientôt, si elle avait de la chance – il y aurait celle de ses parents et elle viendrait la taguer, peut-être avec des petites obscénités, ou alors le dessin d’un électrocardiogramme plat, juste pour leur retourner la monnaie de leur pièce. Elle ricane à nouveau alors qu’elle imagine les morts enterrés avec des pailles dans le bec pour siphonner la condensation qui se formerait inévitablement dans leur cercueil. Il faudrait qu’elle en fasse un dessin, à l’occasion.
Elle avait poussé la porte désormais familière sans s’annoncer alors que le soleil offrait aux Moscovites les derniers rayons du jour. Chaque fois un peu moins longtemps, histoire de les faire languir tout l’hiver avant de réapparaître comme Jésus à Pâques – c’était un prêtre qui lui avait appris ça, c’était donc sans doute vrai, et maintenant elle se demandait en quelle créature avait été ressuscité le fils de Dieu. Elle pose son sac lourdement sur une table qui n’avait pas l’air faite pour se trouver là, comme si elle avait été ajoutée par après sans trop réfléchir au feng shui de l’endroit – on devine par le bruit sourd et le tintement de verre que boustifaille attend quelques chanceux ce soir. « J’espère que t’as rien mangé d’la journée, j’ai pas tant d’vin qu’ça pis l’ventre vide ça en d’mande moins pour l’sentir », qu’elle fait d’une voix forte sans pourtant voir le principal intéressé. Elle sait qu’il est là, pourtant, juste qu’il n’est pas dans son champ de vision, mais sûrement à portée d’entendre. « Bon c’est pas vrai, j’en ai pas mal, pis j’me sentais chanceuse et j’ai pris des sandwich, aussi. Les roulés. » Pris, littéralement, parce qu’elle n’avait certainement pas l’argent pour les acheter légalement, alors elle avait joué des cils, payé pour une seule bouteille de vin médiocre dans une supérette tenue par un vieillard à moitié aveugle et avait piqué des bonbons, une autre bouteille et de quoi se sustenter pour la soirée. Au diable le mauvais karma – elle considérait que ça s’annulait puisqu’elle en faisait profiter à un autre nécessiteux. « Yulian? » Finalement, elle doute que le brun l’ait entendue admettre son crime puisqu’elle n’entend rien, peut-être parce qu’elle défait les victuailles avec la délicatesse d’un troupeau d’éléphants sous méthamphétamines. |
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| Arrête de bailler un peu, il est pas si tard et pourtant t’arrêtes pas de faire ce truc avec ta bouche comme si t’étais un vieux déchet qui avait raté sa sieste devant le poste de télévision. Alors, certes t’as plus de poste de télévision, tu peux plus faire la sieste devant parce que t’as même plus d’appartement... Mais l’idée reste la même, t’es comme un vieux qui fait une sieste dans un cercueil. Quoique, tu devrais essayer, ça a pas l’air inconfortable ces trucs là. Avec un petit rire à l’idée tu repousses la pelle contre le mur avant de retirer tes gants. Viens te passer la main sur le front, essuie le peu de sueur qui y vit encore. La température à pic aujourd’hui, 17°C, trop chaud pour toi et ton travail. Pourtant tu vois déjà le soleil qui décline à l’horizon. Avec un petit soupir tu décides de retourner à l’intérieur.
Les portes, tu les laisse ouverte pour le moment, à te questionner si tu vas devoir aller te battre pour bouffer ce soir. Tu pousses un carton. Ouais, connerie de cartons qui sont empiler plus ou moins ici et là. Personne ne vient là à part toi. Donc t’as mis tes cartons. Enfin, aussi peu nombreux soient-ils. T’as si peu d’affaires mais t’as plus aucun endroit où les stocker. Tu vis rebus maintenant, obliger de vivre aux crochets des autres. Et est-ce que t’as envie d’être comme ça? Pas vraiment, tu le sais très bien, tu détestes être un poids toi qui l’as si souvent été auparavant. T’as tout fait pour faire disparaître celle qui avait cet impact sur toi. Nouveau soupir, tu t’enfonces un peu plus dans les profondeurs de ce coin sombre.
«Putain.» T’arrives pas à retrouver où t’as planqué tes conneries, un pas puis l’autre, saute en équilibre, si quelqu’un arrivait maintenant t’aurais l’air ridicule. Mais ça va tu gères normalement. T’entends le bruit sourd avant de l’entendre. Un haussement d’épaule, t’as failli tomber du haut de ton perchoir. Saute discrètement, t’as appris à le faire depuis pas mal de temps. T’es bien obligé dans ta position actuelle. Un petit rire discret lorsque tu l’entends. Prends la à son propre jeu et décide toi à avancer doucement, pointe des pieds que tu maîtrises. De toute manière l’endroit n’est pas très grand et vous allez tomber l’un sur l’autre dans peu de temps.
Un pas, puis deux, tourne le couloir avant que tu te plantes devant elle. «Coucou voleuse.» T’attends qu’elle réagisse, si elle ne fait pas un bon de deux mètres tu risques de bien être déçu. «Tu viens passer la nuit dans mon trou perdu.» Comme si l’endroit t’appartenait, plus ou moins en effet, tu l’utilises pour toi, pour tes affaires, pour ta vie aussi. «J’avoue j’ai bien la dalle.» T’as bossé toute la journée, te crève le cul pour de l’argent que t’as qu’en fin de mois où t’es déjà en train de clamser. Un petit sourire nerveux passe sur ton visage. «J’allais... trouver un moyen de me faire du blé pour ce soir. Donc si t’as de quoi manger... ça m’arrange.» Sourit encore, tu détestes être dans cette situation. |
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| « Sa mère la pute! » Sa voix bien portante avait résonné un instant entre les murs trop vides — retournée dans un bond, elle avait agrippé la table derrière elle, faisant culbuter une des bouteilles de vin qui vient rouler jusque dans son dos. Elle n'avait pas entendu l'homme s'approcher, n'avait pas vu son ombre, projetée à sa droite tout comme la sienne, infiniment plus sombre, ni eu vent de ses pas traînés. Maintenant qu'elle avait la face de Yulian en vue, elle se demandait comment elle avait bien pu sursauter autant en sachant qu'il y avait des chances minimes qu'il s'agisse de quelqu'un d'autre. Dans un soupir profond, la panique passée aussi vite qu'elle était arrivée, sa main trouve la bouteille qu'ils avaient bien failli perdre et elle la redresse sur la table, près du reste des victuailles. « Comme prévu, oui », qu'elle souligne, arquant un sourcil suspect. « T'avais oublié ou quoi? Comme si j'avais que ça à faire de risquer de me faire prendre à piquer double ration pour les miséreux. » Elle grommelle pour la forme, ne lui en veut pas réellement — après tout, il y avait difficilement plus tête en l'air qu'elle et même si elle n'était pas étrangère à l'ironie, cette fois ne semblait pas l'irriter outre mesure.
Yuliya ouvre la première bouteille sans plus de cérémonies, dépoussiérant deux verres qui traînaient sur la table avec l'ourlet de son t-shirt. « Ravie de voir que je t'épargne le tapinage. Avec une gueule comme la tienne, tu te mettrais certainement pas riche », qu'elle se moque, le nez plissé et la langue coincée entre deux rangées de dents de perle dans une expression taquine. Elle avait mauvaise vue et soupçonnait avoir quelques lacunes en vitamines, mais elle avait la chance de pouvoir se vanter d'avoir des dents quasiment impeccables, un véritable miracle quand on vivait dans la rue. « Fais pas ta tête de chiot battu et bouffe, si t'as faim. Mais sérieusement, tu fais quoi avec ton argent? Tu bosses pas gratos ici à ce que je sache », fait-elle remarquer avec son absence de tact légendaire, retirant le film plastique de l'un des deux sandwiches avant d'en prendre une bouchée trop grosse qu'elle fait passer à l'aide d'une longue lampée de vin. Avoir de la classe était le moindre des soucis de la gamine.
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| Un ricanement s’échappe de tes lèvres, t’es archi fier, très ridicule d’être fier de si peu mais enfin, tout le monde le sait qu’il ne t’en faut pas beaucoup pour t’amuser. C’est ton talent la discrétion. Enfin, quand tu fais attention. Parce que lorsque tu ne fais pas attention à tes pas, t’es aussi bruyant qu’un troupeau d’éléphants dans un magasin de porcelaine. Mais pour le moment ta cible a fait un petit cri avant de buter dans la bouteille. Là c’est ce qu’il te fait peur, la bouteille et son état. Yulina, elle s’en remettra, tu n’en doutes pas enfin. T’hoches doucement la tête. «Nan j’avais pas oublié...» Tu lui offres un petit sourire penaud. «J’avais totalement oublié j’suis désolé... Mais c’est pas comme si j’avais quelque part où aller donc c’est pas la fin du monde.» Tu souris une nouvelle fois, doucement mais moins nerveusement cette fois-ci. «Un jour je te filerais une clé du coin de toute façon.» Bon, pas comme si t’allais pouvoir aller très loin dans les prochaines semaines.
T’apprécie particulièrement qu’elle ai pensé à toi, tu vois bien plus la bonté dans la rue que la bonté dans le coeur de ton connard de cousin. Tu ricanes avant de venir frapper doucement l’arrière de sa tête, t’as pas vraiment envie de se voir envoler le contenu de ses verres alors qu’il serait bien mieux au fond de ta gorge. «Hey, parles mieux déjà. Tu me vois moi tenter de vendre ça, on est tous les deux d’accord pour dire que ça passerait pas.» Lève les yeux au ciel, triste ironie que tu ne remet pas sur le tapis, si ça devait arrivé, ça arriverait. «Nan, j’utilise mes poings pour frapper dans la masse, c’est bien plus simple que d’utiliser son cul pour faire fureur.» T’hausses les épaules, ça te parait tellement logique, c’en est affolant.
Les yeux encore au ciel, t’attrapes un des deux verres, c’est vrai que tu crèves la dalle mais tu préfères sentir le liquide couler au fond de ta gorge d’abord. «Ouais, bon... Déjà, c’est pas vraiment hyper bien payé de se débarasser des cadavres de toute la société.» T’hausses les épaules encore une fois, t’as pris l’habitude. «Et puis, mon cousin et moi on est couvert de dettes. Lui et moi on partageait un appartement. Mais avec l’hausse des prix, la taxe sans l’augmentation des salaires, je peux plus faire grand chose.» Même Cerise de Groupama pourra rien y faire. |
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| Elle hausse simplement les épaules à l'admission de Yulian, sans cacher sa déception, mais sans en faire tout un plat non plus. Yulka avait l'habitude des adultes qui ne respectaient pas leurs promesses ou pour qui elle était un détail dérangeant. Le simple fait que l'homme reconnaissait son erreur le plaçait au-dessus de la masse. Elle passerait rapidement à autre chose, comme d'habitude, ou refoulerait ses frustrations pendant trop longtemps — comme d'habitude, ça aussi. « Hah! » Elle lâche l'exclamation aussitôt suivie d'un rire porcin, nasal, tournant la tête vers Yulian avec hilarité. « C'est mignon si tu penses que j'ai besoin d'une clé pour rentrer. » Elle hoche la tête, comme incrédule, assurément amusée par le manque de ressources de son interlocuteur. Quand on était motivé, on arrivait à tout. Elle accuse avec grâce la claque derrière sa tête, bonne joueuse, sachant qu'elle l'avait méritée dans un sens. Profitant d'un petit silence, elle fait tinter son verre contre celui de son hôte, plongeant le nez dedans ensuite sans la moindre gêne. « Tu fais ce qui te botte, hein. Je veux dire, blague à part, je peux difficilement juger. Au moins tu serais payé. Quand je tague un mur, on me paye à coup de matraque et de repas de commissariat dégueulasse. » Même en détresse financière, ce n'était pas tout le monde qui arrivait à briser la loi, à voler, à abuser de ce que la société mettait sur son chemin, comme la générosité d'un flic en mal d'amour ou les quelques roubles donnés pour du travail mal chié à l'occasion. Certains, comme elle, faisaient exprès et recommençaient malgré les conséquences, sans comprendre pourquoi.
L'histoire de Yulian n'avait rien d'exceptionnel, en ce sens où la vie se faisait plus rude pour certains à mesure que les autorités changeaient les règles. Dans la confusion et la précarité, il était difficile voire impossible de se remettre assez rapidement en selle pour éviter l'expulsion ou la faillite. Peut-être une raison de plus qui faisait en sorte que Yuliya se contentait parfaitement d'être un fantôme. « Ça explique pourquoi un type qui a l'âge d'être mon père s'amuse à traîner avec moi comme ça », relativise-t-elle en engloutissant un autre bout de son sandwich. Dans un sens, ça semblait arranger tout le monde. Yuliya avait un endroit sec et relativement accueillant où dormir, même si c'était glauque, et Yulian avait un apport irrégulier en bouffe et en contact social tolérable. « Quel genre de dettes? Fais pas cette gueule, sérieux. C'est pas si mal que ça vivre à la rue, pis si tu peux squatter ici t'as déjà une longueur d'avance sur moi. »
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| Son rire te tire un doux sourire, presque bête. Disons que ça fait longtemps que t’as pas entendu quelqu’un rire pour de vrai. Soit tu vis autour de connards qui se retiennent en permanence, un rire qui s’échappe à moitié, tout doux comme pour ne pas se faire remarquer. Ou alors tu vis entourés de personnes qui ne rient plus depuis longtemps, peut-être même que ton métier ne t’aide pas beaucoup dans cette histoire. Tu penses ça mais toi aussi tu rigoles pas tant que ça, bon après, t’es pas vraiment gêné par l’idée de ne plus beaucoup rire. Pourtant ses dires te font encore plus sourire, toi non plus t’as plus besoin de clefs, mais bon, t’as quand même la décence d’en utiliser quand t’es en société. «Oh je n’ai jamais dis que tu en avais besoin. J’ai juste dis que pour éviter que tu ressembles à une voleuse je t’en filerais une.» Comme si quelqu’un s’intéressait à une ombre entrant dans une crypte. C’est un peu l’image qui fait fuir les gens, avec toutes ces conneries qui se trimballent dans les rues actuellement, ils préfèrent détourner soit la tête en faisant mine de n’avoir rien vu, soit le corps pour s’enfuir le plus vite possible. Tu passes la langue sur tes lèvres en regardant le liquide au fond de ton verre avant de décider de toi même en prendre une gorgée. Pure plaisir que de sentir la douce chaleur au fond de ta gorge. Tu cales un petit sourire sur ton visage en haussant les sourcils. «Au moins derrière les barreaux t’as un repas. A chaque fois qu’on me fout en taule j’ai pas le droit au panier repas moi, c’est injuste, t’as payé le commissaire ou quoi?» L’idée te fais encore plus sourire, pour y avoir passer quelques lendemains de soirées difficiles, pour avoir passer quelques heures à demander de l’aide sans avoir ce que tu désirais, l’imaginer elle dans cette situation, ça avait quelque chose de rassurant. Pas parce qu’elle était traînée dans la boue, parce que Moscou en entier était traîner dans la boue.
Tu hausses les épaules. «Hey, te dénigres pas, t’es pas si mal pour une... la vache tu viens de me traiter de vieux ouch ça pique.» Viens poser une main sur son coeur, comme pour faire mine d’être touché, violenter par ses dires alors que tu comprends très bien ce qu’elle met en avant. Qu’est-ce que vous feriez ensemble dans d’autres circonstances? «Si tu le dis... Après j’avais le confort d’un vrai lit avant tu vois. Quoique les cercueils ça a pas l’air inconfortable. On devrait essayer un jour.» T’ignores pas sa question, tu prends juste quelques instants pour y réfléchir. «Disons que ma mère et ma tante aimaient vivre comme des reines alors que franchement elles méritaient même pas la fosse commune.» |
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