Un avant bras appuyé contre la poignée de ton chariot d’épicerie, tu défiles lentement à travers le supermarché. De temps à autre, tu tends la main et glisse un item à l’intérieur de ton chariot. Parfois, tu t’attardes même, fronçant les sourcils tout en lisant les ingrédients des boites – surtout celles que Milan ou Nikol te fournissent. Quand ils n’essaient pas de simplement glisser des friandises entre les aliments choisis – des bonbons ou biscuits que tu rends à ton fils ainé. Principale coupable de la situation. Et dans de grands soupirs, ton petit s’écarte, le temps de remettre en place ce qu’il a tenté d’obtenir.

Satisfaite, toi tu continues tes courses, l’esprit ailleurs. À moitié dans l’allée des surgelés – les doigts sur un sac de brocolis – et une autre partie de toi, encore sur le terrain d’entrainement de MENACE. C’est ton boulot à toi, de connaître l’équipe, de déchiffrer les forces ou besoin de tes hommes. Tu vois le tout comme un grand jeu d’échec, reste à voir qui tient quel rôle. Et puisque ta position de chef est encore récente, tu tentes encore d’organiser tout ce que tu sais de tes nouveaux collègues de travail. Ce qui explique que lorsqu’une silhouette s’arrête près de toi, tu ne le remarques pas tout de suite. Parce que l’individu n’est pas suffisamment court pour être l’un de tes enfants et ne claudique pas comme ta grand-mère, qui vous accompagne – jamais bien loin.

Quelque part plus loin, le rire de ta fille t’arrache un sourire et tu glisses enfin le sac dans ton chariot. Un murmure te rassure quant à la présence de la fameuse mamie, dont personne ne sait se passer. Puis, tu réalises que tu connais l’homme debout près de toi. Celui qui te fixe, presque subtilement – sauf que non. Artiom Iejov, un ami à Nikolai, avant d’être un policier. Un ordre qui en dit long quant à ton ressentit face à l’homme – et au poids que possède ton alpha, quant à ton jugement face aux autres. De fait, il se mérite un petit sourire de ta part. « Bonsoir Artiom... » que tu souffles gentiment. Puis, ton regard glisse sur son propre chariot d’épicerie, que tu inspectes par déformation professionnel. Réflexe de flic, ce qu’il doit comprendre – lui aussi, inspecte ton panier, hein? Ça suffit à te faire sourire jusqu’aux yeux. « Mmn, loin de moi l’idée de juger le chariot d’un autre, évidemment… mais un peu plus de vert ne serait pas de refus, mn? » Ce qui explique que tu récupères un autre sac de brocoli et le dépose dans son panier.

Et voilà, maintenant, tu te retrouves plus près de lui. Pas réellement mal à l’aise, puisqu’il a toujours été très gentil avec toi lors de vos quelques rencontres. Mais pas nécessairement à l’aise non plus, par manque de familiarité. Il est un ami de Nikolai et c’est suffisant pour que tu te montres amicale avec lui, mais encore, hein. Alors tu prends sur toi et t’avances un peu, tout en croisant lentement les bras – sans réfléchir, par habitude. Les hommes exigent toujours quelques protections supplémentaires, dans ton cas. « Vous allez bien? » La question est bonne d’ailleurs, puisque suite aux perquisitions – celles dont tout le monde porte encore la marque, tes doigts trouvant ta puce tout naturellement – tu ne doutes pas un seul instant que l’homme c’est vu pointé du doigt. À quel point est-il pied et main liés? Tu refuses de poser la question, aussi tu te contentes de sourire et de jeter un coup d’oeil autour de toi. À la recherche de tes enfants, ton fils s’avançant lentement dans ta direction, sans intérêt pour ta personne.

Comme toujours, la franchise – et l’absence de tout filtre ou retenue – d’Artiom, te surprend. Une bonne surprise, cela dit. Une éclaircis en plein milieu d’une journée relativement terne. De quoi t’arracher un sourire en coin, quand il juge à son tour, le contenu de ton chariot d’épicerie. Quand bien même la mention de ce que tu es aujourd’hui, t’arrache un petit sursaut – c’est que tu préfères ne pas en parler plus que de raison, en famille. Il a toutefois raison et tu hausses même une épaule, comme prise en faute. « Mm quand bien même j’adore mon steak bien saignant, je suis plutôt omnivore. » Une réponse que tu souffles sans glousser, mais pas sans peine. Mais le voilà qui s’égare déjà ailleurs, considérant ses nouveaux brocolis d’une manière qui t’arrache un sourire amusé. « Je n’avais plus de petits pois pour les blessures ! Astucieux de changer de légumes. » Seulement, tu n’as pas même le temps de le questionner sur ses fameuses blessures – c’est le métier ou ? – qu’il enchaine d’un petit rire nerveux, absolument adorable. Attachant, même.

Drôle de spécimen que voilà, parce qu’il ne semble pas apte à cesser de parler : « Est-ce qu’on peut dire que vous avez euh… une très jolie ombre ou c’est insultant pour un warg ? » Cette fois, tu ne combats plus, Ludmi : tu éclates, joyeusement, de rire. Le son se répercute le long de l’allée et ton fils redresse même la tête, surpris. Un sourire hésitant au coin de sa bouche, ne sachant pas s’il doit mêler son rire au tien. Remarquant à peine Artiom, qui se rappelle pourtant à tous. « Je vais bien merci et vous ? » Il n’y a pas à dire, cet homme n’a rien en commun avec ton époux. Oh, il y a bien parfois cette petite lueur de convoitise dans son regard, mais tous les hommes l’ont, à un moment ou un autre. Du reste, Artiom n’est que bonhommie et maladresse, le sourire presque gamin quand il tente de changer le sujet de conversation. Tout sourire, tu secoues doucement la tête. « Absolument pas. Pour l’ombre, je veux dire. J’accepte le compliment, avec plaisir… » que tu glousses, une main te couvrant à moitié la bouche. Puis tu t’apprêtes à lui assurer que tu te portes très bien, quand il te parle de ta fille.

Tu as bien un bref élan de panique, tu peux presque imaginer Zarko, là au bout de l’allée. Une main contre l’épaule minuscule de Nikol, mais non. Il ne s’agit que ta mamie, qui entraine la petite plus loin, tout en t’offrant la vue de son pouce redressé. Parce que même ton mariage raté n’a pas suffi à calmer les élans de marieuse de la charmante vieille, qui appelle d’ailleurs ton fils – quand bien même Milan tache de l’ignorer et te rejoins plutôt, son regard, critique, se redressant sur Artiom. « C’est ma grand-mère, tout va bien. » que tu souffles, presque soulagée. Un petit sourire aux lèvres, tu ramènes les yeux sur l’homme alors que d’une main, tu abandonnes le chariot pour plutôt cajoler la tête de ton fils. Celui-là même qui fixe les brocolis qui viennent de retourner dans le grand congélateur industriel. Qui fronce les sourcils et dévisage le lieutenant. « J’t’ai vu, t’as remis les brocolis dans l’congélo… »Ah ? Tu tournes la tête en direction des fameux brocolis, ton sourire tremblant sous le comique de la situation. Mais Milan n’en a pas fini et il observe plutôt le panier d’Artiom. « T’as beaucoup de chat ? T’es comme les vieilles sans maris ou enfants, qui ont plein de chat ? » Et voilà, ta main se presse déjà contre la bouche de ton fils ainé.

« Eeet, ça suffit. L’interrogatoire est terminé, Milan. Ha ha… Pardon, Artiom, mon fils manque cruellement de bonne manière… » tu ris bien, encore un peu. Mais c’est avec effort. Embarrassé des manières cavalières de ton fils. Bestiole qui tente, mais en vain, de virer ta main de contre sa bouche. « Son père lui manque et ah, il dit beaucoup trop de bêtise, ha ha. Mais il va aller chercher des biscuits de ce pas. » Et hop, le gamin se récolte une gentille petite tape sur les fesses. Oust, en direction des biscuits, où il se dirige d’un pas hésitant. Méfiant à l’égard du pauvre Artiom. « T’as pas intérêt à draguer ma maman, elle est mariée » qu’il grommelle, te poussant à glisser une main contre ton front. Heureusement, le gamin – diabolique – disparait au coin des biscuits, où la voix de ta grand-mère résonne déjà.

Tu soupires déjà, comme épuisée. Navrée, aussi, un petit sourire pitoyable aux lèvres. « Je… wow. Pardon pour tout ça. Il est jeune et… il a un tempérament plutôt compliqué ? » Disons-le comme ça, oui.

Préoccupée – mais surtout encore très embarrassée par l’attitude et les remarques de ton fils – tu continues à te frotter délicatement le front. Comme si ça allait améliorer l’état de ta migraine, celle qui se pointe doucement le bout du nez. La faute à ta vie trop compliquée. « Les petits ça vise où ça peut, sous la ceinture. » Oui, il n’a pas tort, mais ça ne te console pas. En fait, tu acquiesces même, l’air peiné. Navrée, réellement. De lui faire subir ce genre de remarque. Seulement, Milan n’a que 10 ans et il est loin de son père, sans comprendre pourquoi. Sans savoir comment accepter que son père, son héros évidemment, soit maintenant un ennemi. Est-ce que tu couves trop ton petit ? Bien entendu. Alors tu te secoues un peu et offre un petit sourire à Artiom, espérant qu’il puisse passer l’éponge sur la situation. Ta main retrouve même ton chariot, mais plutôt que de te rassurer quant à l’attitude de ta progéniture, il te pose la question qui tue : « Vous êtes mariée ? »

C’est un peu comme de prendre un coup dans le ventre. Même sensation. Même brûlure. Ça t’arrache un soupir et un sourire crispé, celui qui se transforme – bien malgré toi – en une grimace d’inconfort. Puis, tu redresses ta main gauche, qu’il voit ton annulaire exempt de tout bijou. Mais qu’il y note tout autant la légère démarcation. La peau légèrement plus pâle, là où tu portais, jadis, la promesse d’un autre. Son sceau. « Je l’ai été… mais j’essaie d’arrêter. » Ta nature surnaturelle refuse que tu mentes, que tu lui assures ce que tu ressens : que tu n’es plus mariée. Parce qu’en réalité, tu l’es encore. Toujours. Jusqu’à ce que la mort vous sépare, hein ? Sauf que tu es morte, fait qui te rassures. Ta main retombe doucement sur le chariot et tu masses la marque claire qui te barre le doigt. « Il refuse le divorce… mais le mariage stipule que la mort de l’un des deux partenaire, signe l’arrêt du contrat. De fait… je ne suis plus réellement mariée ? » Et avec Artiom, tu peux te permettre ce genre d’explication, puisqu’il sait ce que tu es. Oui, il peut comprendre et tu lui souris, presque timidement. « Mais si la question est de savoir si je suis « libre », Artiom… alors oui, je le suis. Et… assurément intéressé à prendre un café, entre adulte. » Sans ta marmaille, donc. Qu’il t’invite donc.