Guibolles allongées sur le mur gris, la trogne dégringole vers l'arrière, au rebord du lit et se balance dans le vide. Monde à l'envers, le sang afflux à la cabèche. Le temps s'étiole et je me sens vide. Morte en dedans, en sursis dans un corps que je méprise, que je couvre d'encre pour effacer les cicatrices, pour oublier qu'elles existent. Je les entends vivre, les gens. Ce couple qui se dispute sous mon plancher, le vieux qui racle mon plafond de sa canne et ses vieux chaussons. Je les entends, ouais, parfois rire ou pleurer ou crier ; s'aimer, se désaimer. Et moi ? Je me contente d'imaginer mes petons danser sur le plafond, tout autour de l'ampoule qui crache sa lumière. Je rêve, parce que c'est permis, c'est autorisé, qu'on a tous le droit de rêver ; d'imaginer des centaines de vies, des milliers de possibilités. Il n'y a alors rien d'impossible. Inadaptée. Et traîner dans les ruelles à la recherche d'un quelque chose qui manque, un quelque chose qui n'a ni nom ni rien du tout en réalité. La carcasse s'échoue au recoin d'un bar, un autre qui schlingue la pisse et la merde. L'alcool pour embrumer les sens qui toujours, s'éveillent. Taire le monstre avant qu'il ne revienne, le museler, le ligoter, l'écraser. Cibiche pincée entre les babines, un type s'amène et sourit. La pogne s'avance, le briquet argentée crache sa flamme, calcine le tabac. Bouffée d'oxygène. Les lippes s'agitent, crachent inlassablement les mêmes conneries. -Tu dois pas être du coin. J'ai envie de lui dire pourquoi, tu trouves que j'ai pas la gueule d'une consanguine ? Me contente finalement de rétorquer un bref -Peut-être. Il s'installe sur le tabouret, commande un demi et me reluque comme s'il y était autorisé. Puis je la vois. La petite veine à son front, là, tout proche de sa tempe. Elle enfle et pulse et bientôt, je ne vois qu'elle, imagine les battements du myocarde qui l'accompagnent. Il cause, encore, toujours, de ses questions qui ne trouvent aucune réponse. Parce que je n'écoute pas, qu'il n'y a que ça qui compte, cette petite veine et ce qui y coule. -J'ai faim, lâché-je sans réfléchir. -Je suis libre, ce soir, maintenant, quand tu veux... C'est quoi ton nom la mignonne ? Mélodie criarde qui s'insère aux esgourdes. -Fauve. Et il semble trouver ça original, y va même de sa petite vanne. -On ne doit pas s'ennuyer, avec toi. Tu n'as pas idée à quel point. Il retrouve son verre et le silence me ramène à ça. Le palpitant qui cogne et cogne dans sa poitrine. Je recule brusquement, les pieds raclent sur le sol dans un bruit désagréable qui me ramène à la réalité. Cette réalité épuisante et ses règles qui disent qu'on ne doit pas manger les gens, c'est interdit, tout le monde le dit. Il demande -tout va bien ? Je réponds sans détour ni mensonge -non. Non, je ne vais pas bien, ça ne se voit pas ? Qui viendrait s'accouder ici pour y boire un verre ou deux ou trois ? Ne sois pas plus con que tu en as l'air. Tu es aussi ici parce que tu ne vas pas bien. Personne ne va bien quand il a besoin d'une dose d'alcool pour oublier sa vie morose. Rupture. Menottes dans les poches, le pas se presse pour rejoindre la vieille caisse. Vieux 4x4 plus gris et marron que noir. La portière claque. Silence. Je pense encore à sa petite gueule laide, à sa petite veine et je le vois, sous le front, le vois recouvert de rouge, de ce joli carmin humide et chaud. Pulsion insane qui réveille ce qui ne devrait l'être. Contact, embrayage, première, frein à main et le bitume défile à vive allure. Et s'éloigner, s'éloigner de la ville et de ceux qui y vivent. S'éloigner loin, vite, pour ne pas faire une connerie, pour taire la petite voix d’outre-tombe qui résonne à l'intérieur de ma boîte crânienne. Elle dit prend, souffle c'est si bon. Le volume de l'autoradio est tourné au maximum et se concentrer sur l'air et les paroles puis s'arrêter à l'orée des bois, serrer le volent à en blanchir les doigts. Inspirer, expirer.
Fusil à l'épaule, godillots bien lacés, la charogne se faufile à travers les bois pour oublier les autres. Tous ces autres qui me rappellent ce que je ne suis pas, ce que je ne serais jamais. Humer les fragrances boisées, enfoncer les tiges dans la terre meuble, fermer les yeux et respirer. Respirer le monde à mes pieds, nature tendre qui offre ses plus beaux trésors et murmure ses secrets. La traque attise les sens, le gosier se tend, devient sec. Ça pulse dans les veines, doucement d'abord, quand tout est calme et paisible. Plus fortement par après, quand la traque exalte, que le gibier se faufile juste là, par-delà les fourrés. Crosse enfoncée à l'épaule, le canon braque la bête, les paupières se plissent, mais le cervidé, apeuré, s'échappe. -Putain, soufflé-je, la gorge irritée, les pognes tremblantes. La course reprend, la tension grimpe encore d'un cran. La chute et le rouge. Rouge aux mains, rouge aux genoux. Le teint vire, tourne au gris. La langue glisse sur le carmin, recueille l'hémoglobine qui perfore le bide. Je m'arrache à ma propre contemplation, pour ne pas me dévorer, repars en quête du gibier à mâcher. La chair tiède déchiquetée par les quenottes avides. Silhouette épaisse, plus droite, imposante, sombre. Nouvelle balle, nouvel assaut. La concentration en berne, la vision se trouble pour ne voir qu'une masse de barbaque à dépiauter. Ça gronde, dans la ventraille et le tir part, cartouche filant à travers le feuillage jusqu'à atteindre sa proie. Morsure à la chair qui déséquilibre le tas de viande. Les guibolles s'activent et je cours, ouais, je cours sans oublier de recharger mon arme pour coller une dernière balle à l'animal. Mais les contours se déforment et reforment. La masse tout aussi imposante semble maintenant différente, se mue en quelque chose d'autre de plus... Humain. Le cœur rate un battement ou deux ou dix, le sang me quitte et je me glace sur place. Et je devrais probablement m'excuser, dire que je suis désolée, mais tout ce qui sort de mes lèvres ne ressemblent qu'à un son étranglé, coincé dans le gosier. Je recule d'un pas d'abord, m'avance ensuite, me stoppe tout aussitôt. La plaie ouverte crache son jus, viande rouge qui défonce les sens. Et si j'en prenais un peu, juste un tout petit peu. Pas grand chose, une lamelle, un bout de carne, un quelque chose qui ne te manquera pas, ou pas trop. Je déglutis. Concentre-toi, Kahsha. Sourde à tout ce qui se passe ou presque, le fusil est posé plus loin, loin de ses pattes qui voudraient possiblement l'attraper et me plomber. -Qu'est-ce que tu foutais là, au beau milieu de nulle part ? Drôle de façon de demander pardon. -J'aurais pu te buter. Il s'en fout, Kah, il s'en tape royalement, tu l'as touché et c'est déjà trop. J'arrive pas à m'en empêcher, les genoux ploient, s'enfoncent dans la terre meuble et les tiges veulent toucher, triturer la plaie. Le rouge, le rouge, le rouge putain, le rouge.
You alone have the power. You only hold the control. [...] One fleeting moment. Few short-lived seconds. Mere short flicker in time, for the shadow to grow and die.
Quelques mois avant Moscou - Mejdouretchensk, Russie
J’ai soif que je me pense pendant que l’autre a le nez planté au-dessus de ma carte d’identité. L’une des nombreuses que je traine. Bien faite comme il faut. Bien plastifiée comme il faut. Bien de la couleur qu’il faut. De la bien bonne contrefaçon comme il faut. Et il la reluque fort, l’autre, en espérant probablement y voir à travers une vérité qui l’arrangerait. Une que ma couleur de peau et mes traits tirées et mes cernes un peu trop foncés lui inspirent. Il est raciste, que je paris sans scrupule en relevant la tronche vers lui. Il me surplombe, l’autre, d’un bon mètre – parce que je suis assis sur le trottoir les mains menottées derrière le dos et qu’il est debout les mains bien lestes et prêtent à dégainer son foutu Glock de pecnot. Connard. Tu penses avoir une augmentation si tu me butes ? Si je m’énerve ? Si j’te permet de jouer au héro ? De faire la une des journaux ? Ou c’est pour l’adrénaline que ça t’amène que tu me traites comme une bête ? – Vous m’écoutez Monsieur Droski ? Je tends l’oreille. Grimace une incompréhension factice dans une mimique imbuvable. Il répète, l’aztèque, en articulant chacune de ses syllabes comme si j’étais un gamin de trois ans. Si tu penses que ça aide, tu te plantes. Je dodeline de la gueule. Mime un Non qui veut dire Je capte pas qui veut dire T’as l’air con j’m’arrêterais pas. – Putain mais il parle quelle langue celui là ? qu’il fulmine en claquant sa godasse contre le bitume encore tiède. – Sadovski !? qu’il hèle si fort que son compatriote, en train d’interroger un petit mec tout nerveux, sursaute dans la foulée. Et il rapplique, l’exécutant, le menton si bas qu’on pourrait croire qu’il le bat. – Ca parle quelle langue ça, tu crois ? Le nouveau me regarde. M’examine comme si j’étais malade – comme si j’avais ni âme ni sentiment, comme si je valais autant qu’une bestiole morte au bord d’une route de montagne – avant d’hausser une épaule. – Je sais pas.Forcément, Ducon, c’est pas écrit sur mon front. – T.o.i venir de où ?J’ai envie de t’éclater tellement tu me parles comme à un teubé. Et ça dure, l’histoire. Je dis non, il répète, il s’évertue en articulation stérile. Grince des dents. Finit par fourrer mes papiers dans les doigts de son tocard de subordonné. Me chope par le collier pour me soulever – se chope l’échec monumental de sa vie quand je reste le cul visser par terre. Je pèse 120kg, la crevette. La seule chose dont je rêve là, à part d’une bière, c’est de lui envoyer mon front dans les lèvres. Lui faire bouffer ses dents. – Patron ! Ma mâchoire se crispe. L’idée que les menottes pourraient céder en une infime pression me traverse. Tout ça pour une bagarre dans un bar. Un putain de bar devant lequel je passais pour aller boire une pinte. J’ai pas pu m’asseoir. Pas pu fuir. J’me suis retrouver au milieu de poings et de pieds et de cris et de coups égarés… – Patron arrêtez ! Le bras du patron est arrêté avant qu’il n’atteigne mon visage. – Il est muet, Patron, il a besoin de ses mains pour parler. Et il lui tend ma carte d’handicapé. Va te faire enculer.
☽ ☽ ☽
Et le poste de police et les questions. Et le temps de trouver un interprète. Il fait nuit quand je sors de là. Nuit noire. Et on s’en fout de comment je rentre. On s’en fout parce que je ne suis pas coupable. Je suis Monsieur Droski, j’ai une tête de basané et je ne suis pas coupable. J’ai flingué leur espoir. - On vous a à l’œil, que l’un d’eux a soufflé quand je suis passé à côté. Avant de se rétracter dans un rictus dégoûté. Ah ouais, c’vrai qu’il capte pas nos ondes c’connard là.
Alors j’me barre. Je marche. Les nerfs à vifs. L’estomac en vrac. Le cerveau assoiffé. J’veux effacer de ma gueule cette soirée merdique. J’veux redevenir un tableau noir. J’veux que les spiritueux deviennent ma brosse a effacé. Parce que c’est ça. Ouais. C’est ça. C’est pas plus compliqué. Et ça vaut pour tout le monde. Pas que pour moi. Pour les pecnots, aussi. L’alcool ça ne sert qu’à ça. L’alcool, c’est ça. C’est pour les gens qui ont des choses à oublier. De quoi a été fait hier ou de quoi sera fait demain. C’pour ça que je m’arrête dans ce drugstore. Que j’me perd dans les étals classiques. Que je me mens à moi-même en prenant un paquet de Chips et un pack de 6. J’me mens en pensant que c’est pour le verre que j’ai pas eu. Que j’ai faim. Que j’ai un truc à fêter. Puis je me mens encore en me convainquant qu’à la vue des économies de ma soirée, je peux prendre une bouteille de whisky bon marché, plutôt. Et j’ai honte quand j’abandonne les chips parce que j’ai pas faim, en fait. Que j’ai rien à fêter. Que je suis juste seul, triste et fatigué. Que ce n’était qu’un prétexte. Et la honte se mue en colère devant le regard presqu’accusateur de la caissière – ce regard morne qui sous-entend qu’elle en a vu des dizaines, ce soir, comme moi et peut être pire et moins pire que moi. Je paie. Je sors. J’me barre encore. Je marche encore. Une bouteille dans le gosier plus tard j’me suis paumé. Paumé ici et ailleurs. J’suis pas bourrée. J’suis même pas bien. J’suis juste là, au milieu de nulle part. De rien – du flou de mon esprit à m’entendre encore. Je m’entends dans ma tête. Je m’entends penser. Ressasser. Je vois ces images passés et le futur, ouais. Le futur qui a pour seul optimisme que je suis vieux, donc que je crèverais pas jeune. J’aurais dû prendre plus d’alcool. N’importe quoi pour me faire taire. J’m’arrête. M’accoude à un arbre. Me pense seul dans mon débat interne – dans ce débat de merde que je n’ai pas noyé. Me pense seul jusqu’à ce mouvement. Vif. Invisible. Rapide.
Une seconde. Je me décolle de mon arbre. Deux secondes. BANG. Moment de flottement. Brûlure à l’épaule. Brûlure qui ronge les chairs jusqu’au muscle. Je me suis fait tirer dessus, est l’évidence plus percutante encore que la balle qui m’a touché. Qui m’a touché sans jamais ressortir de l’autre côté. Je titube mais ne tombe pas. Lève la paluche valide pour me tâter l’épaule. Baisse le menton pour constater, dans une lenteur qui me paraît éternelle – comme ces secondes qui s’égrènent au ralenti. Du sang. Du sang et un trou un peu noirci. Un impact plus imposant que ce que la douleur ne me le laisse entendre. Et la seule chose à laquelle je pense c’est à ce trou. Pas celui de ma peau mais celui de mon haut, comme si mon cerveau refusait encore d’accepter l’évidence. C’est le pull en laine que m’a offert Rose l’année dernière. Je crois qu’il lui a coûté une blinde. C’est une marque. Une grosse marque. Quelle marque ? Je titube encore. Quelle marque c’est Brishen ? Encore. Qui t’a tiré dessus Brishen ? Je trésaille en relevant le museau. Mon père ? Mon père m’a retrouvé ? Manque de m’écrouler. Il faudrait que tu t’assoies, Brishen. M’écroule complètement en pensant qu’il y a des chaises en peine forêt dans une explosion bouillante au niveau du myocarde. Il a visé le cœur, que je remarque quand l’inspiration m’est difficile. Capte le regard entre deux branchages. Une femme ? Une remarque accusatrice reste bloquée dans ma gorge – à force de faire semblant de pas causer ou parce que ça me surprend que le Daron ait envoyé une ingénue pour me plomber. Il ne leur a jamais fait confiance.
J’comprends à peine ce qu’elle dit parce que la détonation siffle encore aux oreilles. Et peut être aussi parce que je pisse le sang, que je souffre et que je m’en fous de ce que cette connasse à envie de me raconter. Avoue moi juste pourquoi tu veux ma mort la pecnode. Mais elle s’affaisse, la pecnode. Tombe à genoux quand je tente un bond en arrière. Tu vas te prendre ma godasse dans la tête. Ca m’arrache un grondement animal. Je sens la balle, ouais, je la sens logée là quelque part – je sens qu’à tout moment elle peut encore me faire du mal. – Ne me touche pas, que j’aboi dans une grimace austère. C’est toi ou moi pecnode, c’est ça ? Et j’la regarde pas. Ou à peine. Assez pour la trouver chétive – assez pour trouver qu’elle sent la terre et le désespoir et qu’un truc l’hypnotise. Assez pour l’estimer jeune et peut être même belle. Mais pas assez pour ne pas être certain de l’action d’un père, au loin – d’un marionnettiste avisé qui se jouerait de ma fierté. Il est où son flingue ? que je me demande dans une lenteur pâteuse, il me semble. Esquisse un mouvement dans le coton des feuilles mortes. Elle m’imite, la fille. Je vais vers l’arme – là où je pense qu’elle est parce que c’est de là où elle vient. Recule quand elle semble vouloir me toucher. – Tu me touches je te crève. Le ton sec est universel – autant que les mirettes assassinent.
Bute là avant qu’elle ne te bute. Tant pis pour le gun Brishen. Le réflex part en même temps que la pensée. Le bras valide chope la fille. Chope son col en espérant que l’adhérence au tissu ne déclenchera pas une empathie débile. – T’es qui ?! Je la secoue. Choc dans la tête. Puce anti violence. Muselière mentale qui plaque l’encéphale. Le soumet. Pince la peau. Je grimace. Aimerais lui fracasser le crâne dans un arbre. – T’es qui ? T’es qui bordel de merde ! Et ses fringues se déchirent sous mes doigts. Me donne l’impression que je pourrais lui broyer la nuque. La lui broyer avec la même facilité que sa balle a pénétré ma peau. Et j’ai mal. J’ai mal putain. J’veux que tu crèves pour que tout ça s’arrête.
Couleurs des Dialogues:
Dialogue en Rromani #715380 Dialogue en Russe #b16539 Dialogue en Serbe #3e5918 Dialogue en langage des signes russe #333333
Le bond arrache à la contemplation, vient taire l'obsession, juste un peu, juste assez pour que les prunelles se rivent à leurs vis-à-vis. La trogne se penche de côté, comme pour comprendre le dialecte, les syllabes inconnues qu'il éructe. Animal qui ne comprend pas, paumé dans ses envies et ses besoins. Les pupilles dégringolent à la recherche du rouge, mais s'arrêtent, ouais s'arrêtent quand la pogne du mâle achoppe le col, froisse les fringues. La caboche dodeline, poupée de chiffon qui dit oui et qui dit non, qui dit rien du tout, surtout. Et elle se laisse faire, et je me laisse faire, ouais. Comme avant, pour faire croire que je m'en fous, que ça ne me fait rien, que je suis anesthésiée des mains qui se posent sur moi autant que des regards crades. Je me souviens, des jambes et des bras, harnachés à une table ; les petites électrodes froides, posées sur la peau. Ouais, je me souviens que je comptais, à l'endroit et à l'envers en me disant qu'il fallait que j'expire au moment où le courant allait parcourir mon corps. J'imaginais que ça faisait moins mal ainsi, mais c'était des conneries, ça aussi. Docilité factice, esprit cassé qui ne pense qu'à survivre. Survivre, ouais, juste survivre, et respirer, l'air frais et puant de la chambre capitonnée comme si c'était un bol d'air frais. Réveil. Les ongles trop courts se plantent aux poignets pour qu'il relâche, qu'il cesse de martyriser la carne qui pourrait s'esquinter sous la poigne. La demande qui ne percute pas l'encéphale, glisse sur l'indifférence. Crac. Ça se déchire entre ses doigts quand il réclame le qui. Le qui-quoi ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Ta mère, connard. -Lâche-moi, que je somme en cognant ses avant-bras. Mais il ne lâche pas. Il veut savoir le qui, toujours le qui, en secouant comme pour remettre les idées en place quand il ne fait que les déplacer, les égratigner, les tordre, les recouvrir d'un tas de purin. Le qui qu'il exige. Qui, t'es qui, toi ? T'as oublié, tu crois. Parfois, tu ne sais pas, tu ne te souviens plus de ton prénom, le vrai, celui qu'on t'a donné, celui qui est noté quelque part, sur ton acte de naissance, avec d'autres informations inutiles. Réfléchis, réfléchis encore un peu, donne lui ce qu'il veut. Ils sont comme ça, les mâles. Des clébards à la recherche d'un os à machônner. -Fauve, le timbre s'étrangle. -J'suis, j'suis une putain de trappeuse et t'étais, t'étais, j'croyais que t'étais un putain d'ours. Il ne lâche pas. Le chien ne mord pas son os. -Lâche-moi ! Les secondes en minutes qui s'éternisent, sans doute parce qu'il ne me croit pas, qu'il n'a pas confiance aux mots. Les tiges quittent les mains étrangères, viennent chatouiller la plaie, s'y enfoncer suffisamment pour le faire lâcher prise. Le col a scié la nuque, laisse une trace et la douleur lancinante d'une brûlure. Il geint, l'animal. Les paumes replacent les frusques comme pour se désintéresser de son sort à lui. De lui dont le rouge s'étale sur les battoirs. Le nase hume, repère la fragrance mortifère. Ça éveille le monstre et sa faim. Le monstre que je retiens en reculant, en fixant un point invisible sur l'écorce de l'arbre et en me concentrant sur l'odeur, le parfum de ma mère, là, enfoui sous la terre. J'y enfonce les mimines comme si ça pouvait suffire à enrayer le mécanisme. Tu ne peux pas faire ça Kah. Tu ne peux pas le mordre, grignoter muscle et peau. Ça ferait de toi un monstre, un vrai monstre et tu ne veux pas de ça, pas vrai ? Tu vas le regretter, tu sais que tu vas le regretter. Il suffit de te voir le regarder pour comprendre l'amertume qui te ronge le dedans. Mais j'ai faim. -Faut arrêter l'hémorragie, faut que ça s'arrête, que ça s'arrête, le rouge, le rouge, le rouge là, juste là, le rouge. Idiome rocailleux, bercé par ce qui semble être de la folie. Le pan de chemise est arraché et balancé à ses pieds. -Arrête ça, que j'exige brutalement. Et je me tire, ouais, je me détourne de la masse en récupérant le fusil, préfère m'éloigner de ce qui tord tripes et boyaux. Parce que j'ai faim, faim de toi et pas de la manière qu'il te plaira. J'ai envie de te becter, d'arracher la chair de tes os, lamper ta plaie, mais je ne sais pas quand ça va s'arrêter, je ne sais pas.
Une dizaine de pas, ou peut-être une vingtaine, j'en sais rien. La carcasse s'immobilise, les pas lourds, le froissement des feuilles, les branches qui pètent et le grondement animal qui percent à l'oreille. Je l'entends, ouais, je peux l'entendre ou je crois l'entendre. Il a faim lui aussi, faim de lui aussi, de sa possible mort. L'arme à l'épaule, je braque dans la direction du mâle, comme si je voulais achever l’œuvre, perforer le cœur ou sa jolie petite gueule. Le myocarde ralenti, laisse place à la concentration froide. Tu ne devrais pas le sauver, Kah, mais plutôt te tirer et laisser le sort décider s'il doit vivre ou crever. La détonation résonne, se répercute sur les troncs pour en amplifier le son. L'ursidé beugle, balle logée à son flanc. La recharge, un nouveau projectile touche et fait mouche dans le poitrail de l'ours qui s'écroule. Fourrés enjambés, le calvaire s'achève pour la bête ou ne fait que commencer. La silhouette s'arrête près de l'homme à la carrure confondante. Les orbes se perdent sur son visage froissé, les mots voudraient se déloger de la trachée, mais rien ne vient, rien n'explique, rien n'excuse. Je le dépasse, rejoins la bête qui souffre, m’accroupis à ses côtés pour en caresser le pelage soyeux, légèrement rugueux. La gueule s'échine à repousser autant que les pattes qui blessent malgré le sifflement de ses expirations. Couteau délogé de son fourreau, la lame tranche la gorge. Ne reste que les gargarismes de l'animal qui lentement s'éteint. Les doigts se perdent dans l'hémoglobine, s'y baignent avec une satisfaction pleine. Les paupières se ferment et les phalanges glissent sur la pulpe des lèvres. Et la charogne découpe sans plus attendre, bout de viande juteux arraché et mâché, pour apaiser, pour une heure ou deux. Pupilles félines, les bruits du mâle attirent. La trogne se tourne et se tord, la culpabilité étreint l'âme et repousse l'instinct. Lame flanquée entre les doigts ensanglantés, mélange des fluides de l'animal et des entailles qu'il a faite à mes bras. Je le retrouve, lui, lui l'étrange, lui qui pousse à la curiosité sale. La balle est toujours là, froisse les tissus musculaires. -Il faut la retirer, lancé-je en m'adossant à un arbre. Ou je peux t'empêcher de souffrir, t'achever si tu me le demandes. Je sais y faire, tu sais. Lippes portant les traces du méfait, le rouge salissant les pulpes. Les bras se croisent sous la poitrine et je le jauge et le juge, de toute la hauteur que sa carcasse avachie me laisse. -Ou tu peux la laisser, décider de rentrer et attendre qu'elle arrache un tendon. Tu devrais pouvoir redescendre à la ville d'ici une heure si tu marches bien. Haussement d'épaules, feindre l'indifférence encore et toujours comme rempart à tout ce qui pourrait toucher, blesser.
You alone have the power. You only hold the control. [...] One fleeting moment. Few short-lived seconds. Mere short flicker in time, for the shadow to grow and die.
Elle cause la pecnode. Elle beugle la pecnode. Les explications vaines que l’encéphale ne veut pas croire. Trappeuse que je capte. Trappeuse. Tu parles. Elle ment que la folie meurtrière me raisonne, elle ment. Elle bosse pour ton père. Ca n’existe pas, les trappeurs dans cette partie là de la Russie. Ce ne sont que des mythes. Ce ne sont que des démons. Elle ment pour t’approcher. Pour mieux te faucher. Elle le fera quand t’auras le dos tourné. Tue Brishen. Tue-la. Tue-là parce qu’elle est les yeux et la main de ton père.. Mais elle n’est que douleur, la pecnode, noyer sous un amas de réflexions stupides. Elle n’est que douleur dans ma nuque. Sur ma peau. Elle scie mon cou, la pecnode, comme je dois lui scier le sien. Elle laboure mon cerveau. Ma chair. Mes chairs et mes muscles. Elle irradie mon intérieur, la pecnode, de la pire façon qui soit. Elle me broie sans le savoir. Parce que je la secoue. Parce que je lui fais mal. Je lui fais mal avec la certitude que je pourrais lui faire encore plus mal – qu’elle pourrait encaisser plus que ça. Et mourir. Mourir entre mes paumes dans la beauté de cette nuit d’été. Ouais, tu serais belle parmi les feuilles mortes, pecnode, à cracher ton fer. Et le bras blessé se soulève à peine. Vise sa face de pecnode – lisse, pulpeuse, blanche et rouge. Son petit nez percé – elle a un piercing au nez – que j’aperçois en couleur dans le monochrome de ma colère. Dans un éclat de lumière. Un éclat de lucidité. Je vois son piercing qui brille. Et la lune. Et un peu le reste. Jusqu’à la nouvelle explosion. Une explosion plus familière. Celle de mon épaule et de ma propre souffrance. Ca me musèle d’une autre manière. Me casse. Me frappe. M’envoi à terre – parce que j’ai peut être de la force mais qu’elle ne m’immunise pas. Je hoquette, dans une remontée de bile tiède. Durant un instant – une seconde qui nous permet de reprendre notre souffle – j’ai la sensation que je vais gerber. Là. Dans la faiblesse de cette putain de nuit d’été – et peut être y passer, parce que ça rend vulnérable, de gerber, quand on est attaqué. Mais est-ce que je le suis vraiment ? Alors, j’ravale mon haut le cœur. Jette un regard de biais à la pecnode. Fauve. Je crois qu’elle m’a dit qu’elle s’appelait Fauve. Mais je ne sais pas si c’était un constat ou un prénom. Je ne sais pas si c’est comme Brutal ou comme Connard. Et ça n’a pas d’importance. Aucune. Pecnode ou Fauve, elle ne restera qu’une ombre. Qu’un souvenir précis et haineux. Elle restera cette femme qui m’a tiré dessus, visiblement sans raison. Parce que je suis grand et large et que, toute trappeuse qu’elle se prétend, elle a confondu l’Homme avec un Ours. Elle restera cette connasse, cette pecnode. Cette folle. Cette inconnue secrète ou clandestine, rencontrée à Mejdouretchensk. Celle que j’aimerais effacer de mon tableau noir avec des dizaines de bouteilles, mais qui restera. Qui restera parce qu’elle a marqué mon épaule d’une balle. D’une putain de balle encore là.
J’ai envie de rêver, tout à coup. J’ai envie d’être dans mon lit miteux, dans ce motel miteux. Celui qui est à des kilomètres de là, je crois. J’en suis sûr. Celui que je ne suis même pas sûr de pouvoir rejoindre sans crever. Sans claquer. Sans m’écrouler sur le bas-côté, dans l’indifférence d’un monde qui dort. Et il n’y aura qu’elle – que cette pecnode – qui saura que j’étais là. Elle le saura mais elle ne regardera pas derrière elle – parce qu’elle n’a pas, au fond des yeux, cette étincelle qui prouve qu’elle peut se soucier des autres. Elle le saura sans me connaitre. Ni mon nom, ni mon âge, ni rien… Je crèverais d’une balle qui ne m’était pas destinée. Sans vengeance et seul. Seul. Elle m’aura tué sans faire exprès. Bordel. Sans faire exprès et sans dignité – peut être même sans culpabilité.
Elle me balance un tissu dont je me fous. Je me relève sans le ramasser. Compresse et comprime rien. Sens l’hémoglobine s’écouler. Le pull absorber le liquide épais. Y a des tâches blanches dans mon monde monochrome. Des points. Des papillons qui dansent autour de la silhouette qui s’éloigne. Qui chaloupe ou qui fuit. Qui me tue et qui me laisse derrière. Encore vivant. Regarde moi, au moins. Regarde la Mort dans les yeux ! Regarde là quand tu la donnes, Connasse. Je devrais lui demander de l’aide. Mais y a rien qui sort de ma gueule. Que le silence. Ce silence fier – parce que je vais crever dans une nuit d’été et qu’il ne me reste que ma fierté. J’ignore le bruit dans les broussailles. Suis à peine surpris lorsqu’elle se tourne, la Pecnode. Une dernière fois, je me pense. Pour m’achever – achève moi maintenant qu’on est là. Elle arme le fusil. Je ferme les paupières. Inspire l’air. L’inspire dans un sifflement mouillé – dans le gargouillis d’un cœur blessé. A la première balle, j’accuse le coup d’un pas en arrière. Prêt, ouais, prêt à ne pas tomber dès la seconde salve. A la seconde balle, je comprends que ce n’est pas moi. Pas moi qu’elle shoote, mais quelque chose derrière moi. Le bruit dans les broussailles qui gueule et qui tombe. Je frémis à peine lorsque la Belle – ou la Bête – passe à mes côtés. Louche sur l’action improbable. Me dis que, finalement, je dois rêver. Parce que la Pecnode - et même si je n’en vois surtout que les ombres - bute un ours, se vautre à la carcasse et la goute. Je suis tombé sur une barge et le constat est si évident qu’il m’assure que mon père n’aurait jamais choisi ce genre de toquée pour faire un boulot de première classe. Cette pecnode est une pecnode parmi les autres – il lui manque juste assez de cases pour me confondre avec un ours et pour bouffer les ours.
J’arque un sourcil à la vision de son visage barbouillé. La bouche pulpeuse rehaussée d’un rouge à lèvre plus rouge que rouge. Le rouge, le rouge, le rouge là, juste là, le rouge. Et elle cause, la pecnode, comme si tout était parfaitement normal. On est dans une forêt, tu viens de mâchouiller un bout d’ours après m’avoir flingué l’épaule, et tu te trouves crédible en me donnant des conseils sur mon épaule ? Des conseils, au beau milieu de cette situation, Pecnode, sont aussi efficaces que si je me mettais à te proposer un Scrabble. Les mots restent bloqués dans ma gorge tant par l’invraisemblance de la situation que par l’assurance avec laquelle elle croise les bras à son buste. Tu crois que j’ai besoin de toi pour me rappeler que la ville est loin ? C’est quoi le but ? Jubiler sur ma mort prochaine ? Faut être fêlée comment pour jubiler de la mort de gens qu’on ne connait pas ? Faut être fêlée comment pour les regarder en chier en se faisant un tartare d’ursidé ? – Parce que tu crois que j’en suis au stade des décisions ? que je crache dans un grognement presqu’aussi animal que celui de l’ours. Tu-viens-de-me-tirer-dessus-connasse-et-tu-oses-me-parler-de-décisions ? Les nerfs prennent le pas sur la fatigue. La douleur. Sur tout ce qui fait que j’abandonnerais là – même si je n’ai jamais eu l’intention de m’abandonner là. – Et c’est quoi mes décisions, Captain Obvious ? Rentrer en croisant les doigts pour ne pas mourir en chemin ou mourir là sans bouger ? C'est ça que tu es en train de m'expliquer ? Parce que tu crois que je ne l'ai pas remarqué alors que c'est moi qui ait ta foutue balle dans l'épaule, Pecnode ?! Tu me tues sans faire exprès et tu crois qu'il est l'heure de discuter avec moi des probabilités de ma survie ? Sérieusement ?
Les menottes se serrent si forts que mes phalanges en blanchissent. T’as du culot. Un putain de sacré culot. – Si je crève, tu crèves, que je finis par lâcher, la voix aussi claire que de l’eau de roche et assez convaincante et convaincue pour la faire tiquer. L’accent Rromani destitué pour un timbre impersonnel, calme. Très russianisé sans pourtant avoir les relents d’une contré particulière – mon timbre est mort, comme mon âme, mon épaule et mon espoir de voir le soleil se lever demain. Mais mes nerfs. Mes nerfs, pecnode, seront assez tenaces pour te crever. Si c’est pas dans cette vie ça sera dans l’autre. – Tu dois avoir une caisse pour crâner comme tu crânes. On y va. Je ne sais pas si elle garde la face – si elle croit ou si elle me trouve drôle. Le pas que je fais de côté la fait cependant bouger. Elle se décale. Ne me fonce pas dans le lard mais j’imagine qu’elle doit y penser. Ne me sous-estime pas. Je louche sur son flingue, évalue mes chances de l’atteindre avant elle – avant qu’elle ne me tire un autre pruneau entre les deux yeux… Et si elle peut possiblement le choper avant moi, je serais assez rapide pour lui vriller le canon. Ta merde ne serait qu’un jouet entre mes mains. – Laisse ton arme, que j’aboi en laissant sortir une canine. Laisse là où je te jure que je la broie, dans le doute. Tu sais pas jusqu’où il peut aller, mon instinct de survie. – Personne ne va te la voler. Et moi je meurs quand tu t’inquiètes de ton matériel, Pecnode. – Je te suis. Et ne te fous pas de moi. Je te le répète, si je me sens mourir, je te crèverais avant.
Couleurs des Dialogues:
Dialogue en Rromani #715380 Dialogue en Russe #b16539 Dialogue en Serbe #3e5918 [color:0b7c= #333333]Dialogue en langage des signes russe #333333
S'en foutre, faire semblant, le regarder un peu, ouais, juste un peu, pour ne pas que ça torde le ventre, que ça se noue dans un tas d'entrelacs. Regret. L'aide tout juste proposée, ou pas vraiment en réalité. Et le mâle se braque, tant et tant que les prunelles le reluquent, teintées de dédain et d'incompréhension. Moi, je ne crois rien, connard. J'énonce des faits et t'en fais ce que t'en veux. Tu te les colles au cul ou tu les portes en boucles d'oreilles, qu'est-ce que tu veux que ça me fasse ? Il grogne et il gronde, se montre plus bavard. L'idée me traverse, celle de lui coller une balle dans le front pour que tout s'arrête, que la culpabilité s'éteigne ou s'éveille. J'ai envie de lui rétorquer un t'es con ou bien t'es con ? Il pense sans doute que je reste là, par plaisir de le faire, que ça m'enjaille de le voir se tortiller et geindre ; que j'ai encore moins de respect pour sa vie que ce que j'en ai pour l'ours que je viens de buter et grignoter. Je devrais t'achever, ça nous éviterait une perte de temps considérable, tu sais. Tu n'userais pas ta salive pour éructer tes conneries et je pourrais m'occuper de cette peau, un peu plus haut. Celle qui me rapportera quelque chose, quand la tienne n'a pas plus de valeur que celle d'un chat de gouttière. Les doigts se crispent tout contre ma cage thoracique. Les ordres, les ordres qui perforent la psyché et déglinguent les synapses. Clébard enragé qui ne cesse de japper. Et ça me paralyse, ouais, ça me paralyse sur l'instant, me propulse dans les réminiscences crades de mon existence. Tu te souviens, Kah ? Ces hommes affublés de blanc, les sourires affreux et les regards vitreux. Les ordres balancés du bout des lèvres, claqués à tes flancs d'un revers de bâton, imprégnés de flotte que t'ingurgitais. Elle avait un goût dégueulasse, la flotte, un goût de pisse, de trouille et de larmes. Tu ne voulais pas écouter, toi. Tu ne voulais pas courber l'échine quand on t'obligeait à ployer quoi que tu en penses, quoi que tu en dises. Il est comme eux, lui. Il va te faire du mal, lui. C'est ce qu'ils font tous. Pas de côté imité dans une danse hostile et le fusil qu'il mire. J'imite encore, évalue le nombre de mes pas. Un, deux, trois, quatre, dix. Et il exige, le brun, l'arme qui doit rester ici. Et t'oublies celle que j'avais dans mes mains. Tu penses que je ne suis habile qu'avec de la distance et des balles dans mon fusil ? J'aurais le temps de te perforer un poumon, probablement de te trancher l'artère fémorale avant même que tu ne te décides à me broyer. Il dit je te suis et je ne bouge pas. Il avance et je recule, le minois se penche et aucune expression ne vient trahir les traits. -Si tu crèves, tu crèves, lâché-je dans ma langue maternelle, sans la moindre animosité. Un constat, encore, un simple constat. Et je me détourne, avance, arpente les bois en abandonnant mon arme et ma proie. Œillades jetées par-dessus l'épaule, souvent, trop souvent, pour s'assurer non pas qu'il suive, mais qu'il se tienne tranquille. Le 4x4 apparaît tout près, avec sa boue et sa poussière qui font oublier le noir de la carrosserie. -Le carrosse de madame est avancée, craché-je avec ironie. J'ouvre machinalement le coffre, lui fait un signe de la tête pour qu'il s'amène. Devant lui une trousse de secours flambant neuve qui ne m'a jamais été d'aucune utilité. Voilà, démerde-toi avec ça. -J'sais pas bien où tu en es avec tes décisions. Si t'es aussi malin que t'as une grande gueule, tu devrais pouvoir te retirer tout ça avec tes gros doigts et une petite pince. Je contourne le tas de ferraille, présuppose qu'il préfère un hosto, tout ce qu'il y a de plus réglo. Soupir. -J'ai pas envie de te regarder saloper l'intérieur de ma caisse en te vidant de ton sang. Je crois que les bras lui en tombent, ou quelque chose comme ça. -Avant que tu te foutes à geindre comme une fillette et à me menacer encore, les secousses vont juste la rendre inaccessible, ma balle. Alors voilà, Einstein. Je peux te conduire à l'hosto ou je peux te la retirer maintenant. Ouais, maintenant. Ou tu te démerdes et là, c'est clairement plus mon problème. L'épaule appuyée sur la caisse, bras logés sous la poitrine, j'attends. J'attends qu'il cogite, qu'il dise quoi faire et espère silencieusement qu'il optera pour la dernière option. L'hésitation lui froisse les traits, des traits que je détaille maintenant qu'il est tout près, trop près. Le regard perçant, l'angle de la mâchoire dissimulée par la barbe, les lèvres bien dessinées et la pulpe asséchée. Si t'étais pas aussi con, ça donnerait presque envie d'en prendre une bouchée. Il accepte et je ne percute pas jusqu'à ce qu'il réitère. -Oh. Ok, me contenté-je d'ajouter, surprise de son choix.
Le bidon de flotte se déverse à l'arrière pour effacer les traces sur les menottes, du rouge qui se dilue jusqu'à disparaître, englouti par la terre. Lampe torche collée entres ses battoirs pour qu'il puisse m'aider à y voir. Le pull par après, celui qu'il faut découper pour retirer et ça ne semble pas lui plaire ça, pas vraiment, mais les ciseaux entaillent le tissu, découpe de la manche jusqu'au col. La plaie mise à nue, le trou noir et rouge réveille l'obsession. Hypnotisée, envoûtée, il faudra une poignée de secondes pour que je comprenne que mes doigts voulaient s'enfoncer dans la carne trouée sans être désinfectés. C'est l'injonction du mâle qui me tire de cet état immonde. Les mains propres ou presque, l'antiseptique se déverse sur la gaz que je compresse à son épaule. Ça ravive la douleur à le faire pâlir. Je recule brusquement, parce que je sais, que je ressens qu'il peut cogner et blesser. Moi à ta place, j'aurais envie de me faire du mal, un mal dont je ne me relèverais jamais. J'imagine que je ne t'inspire pas autre chose à toi aussi. La ceinture est retirée de mon froc, pliée en deux. -Bouffe ça, si ça peut t'empêcher de vouloir me buter dans la seconde. Ou mets-la autour de ton cou et demande-moi de tirer. Et ça dure, ouais, ça dure parce que le rouge est vicieux et que l'hémoglobine s'étale sur la pulpe des doigts. Son agitation me trouble autant qu'elle dézingue l'obsession, pour en couper les racines. -Pourquoi tu traînais dans les bois ? Parle-moi pour que j'oublie ce que je vois. Alors souvent, je le regarde. Je regarde en-dessous à la naissance des muscles, ou son visage sans être capable de lire quoi que ce soit sur ce dernier qui ne ressemble pas vaguement à une envie de me buter. Viande charcutée, la pince attrape le projectile qui se faufile et glisse à l'orée de la plaie à l'en faire râler. -Arrête de bouger, je vois plus rien ! Que j'aboie sans prêter attention à ce qu'il rétorque. Je pense balle pour ne pas me concentrer sur ce qu'il y a autour, sur l'odeur qui se dégage de lui, sa fragrance et plus encore, celle du carmin qui attire et attise l'envie. Je parviens à l'extraire difficilement, me demande vaguement s'il ne va pas se mettre à dégueuler là, dans mon coffre et pense que ça me ferait bien chier qu'il le fasse. Le jus s'échappe d'entre les chairs et les phalanges pressent pour que ça s'arrête. Je veux goûter, le goûter. Je veux savoir quel goût aura ton sang sur ma langue, s'il est raffiné, trop fluide ou épais. L'une de mes mimines s'égare alors que sa gueule est ailleurs. L'index s'enfonce entre les lèvres entrouvertes, dépose le nectar puissant sur les papilles qui s'agitent et en redemandent. Explosion des sens. Je me détourne, le quitte, l'abandonne, ouais. Mes pas s'éloignent et les mains tremblent, incontrôlables. Tu es différent. Tu as un goût plus fort encore que tout ce que j'ai pu consommer jusqu'à présent. C'est puissant, euphorisant. Ça gronde dans les entrailles. Alors je lèche, ouais, je lèche et suçote comme une camée en manque de dope. Et j'ai honte, si honte que je me planque à l'ombre d'un pin, mais c'est si bon.
You alone have the power. You only hold the control. [...] One fleeting moment. Few short-lived seconds. Mere short flicker in time, for the shadow to grow and die.
Quand je pense qu’elle va protester – qu’elle va me dire merde, va te faire enculer – le pecnode consent à me ramener à sa voiture. Dans le silence saupoudré d’une langue que je ne connais pas. Elle avance. Bouge. File à travers les broussailles alors que je la suis, vigilent. Qu’on se jette des œillades suspectes, tous les deux, parce qu’on ne se fait pas confiance. Qu’on est deux adversaires. Deux proies ou deux fauves. Qu’on ne sait plus ou pas lequel des deux bouffera l’autre. Si elle a peur que je lui plante un couteau dans le dos – ce qui serait con vu mon état – j’ai peur qu’elle me fasse marcher sans but pour que la balle finisse par me flinguer. Me flinguer pour de vrai. Parce qu’il ne suffirait que d’une secousse mal placée pour que tu ne m’ai plus sur les talons, la pecnode. Pourtant, après des minutes qui me paraissent être des heures je vois sa caisse. Un 4x4 énorme ouais. Un 4x4 dont je me fous pourvu qu’il m’amène dans l’hôpital le plus proche – qu’il ait de quoi je puisse poser mon cul et foutre mes traces. Partout. Partout dedans. Si je crève, tu crèves. Ici ou entre les quatre murs d’une prison, ou dans le stresse qu’on sache, un jour, ce que t’as fait dans cette saloperie de forêt. Ce que tu m’as fait sans faire exprès, paraît.
Je bug un peu. Divague un peu. Hésite un peu. Sans raison si ce n’est celle de l’adrénaline en phase descendante. Elle me secoue un peu le bide. Ramène les points blancs à la gueule. Les papillons étranges autour de la silhouette de la pecnode quand elle me cause de son coffre – une voix lointaine et presque agréable malgré l’ironie qui roule sur ses voyelles. Et le sol ouais… Le sol il est moelleux lorsque je m’approche d’elle. Que je sens une goutte de sueur glisser le long de ma colonne vertébrale. Que je tente de reprendre contenance quand elle me fait signe. Signe vers une petite trousse de secours. Je ne vais pas arriver à l’ouvrir que je me dis dans l’immédiat. Le poing se serre. L’œil cherche celui de la pecnode assez fière de l’effet qu’elle peut faire ; l’effet de son verbiage tranchant aux oreilles d’un mourant. Je peux pas me servir d’une pince pecnode… Mes gros doigts la péterait avant qu’elle n’atteigne mon épaule. Ma gueule se crispe dans une réflexion sauvage. Rapide. Ou trop lente. Mis en exergue par la pecnode, l’hôpital ne parait plus être une aussi bonne solution. Et je suis toujours incapable de me sauver moi-même. Il ne reste que toi, pecnode, pour réparer ce que tu viens de faire. – Enlève moi cette merde, que je crache plus que je ne le parle. Parce que ça me fait aussi mal que la balle de reconnaître que j’ai besoin d’elle. Même si ce n’est pas textuel. Même si je ne le verbalise pas vraiment. Mais moi je sais. Je sais qu’il n’y a que ses mains à elle qui peuvent se servir de tout ce matériel de secours à la con sans le défoncer. Et elle semble surprise, le pecnode – autant que je l’aurais été à sa place, j’imagine. Elle a dû dire ça par pur esprit de provocation – de contradiction. Pour avoir le plaisir de m’entendre dire j’vais le faire seul – pour avoir le plaisir de me voir souffrir et galérer… Pour jubiler quand j’aurais fini par la supplier de m’aider. – Enlève moi cette merde, que je répète, plus fort, en me tournant vers elle. En détachant les mirettes de la malle. De la caisse. En m’attardant sur la couche de poussière qui recouvre la carrosserie. C’est sale que je constate en percutant que ça sera pareil pour les doigts de la pecnode – qu’elle vient de les planter dans un ours et que rien n’est optimal pour m’enlever un corps étranger de la peau. J’vais crever d’un staphylocoque dorée, que j’en déduis en posant le cul sur le rebord de l’habitacle ouvert. Mais j’imagine que ça me laissera au moins plus de temps que si je crève maintenant, ici, comme un chien.
Alors elle se lave les mains la pecnode, avec la chose la moins hygiénique du monde – un bidon de flotte dans le coffre qui doit être aussi stérile que le reste. J’inspire. Tente de pas y penser. De me focaliser sur autre chose avant de sursauter à moitié quand elle me colle une lampe torche dans les mains et qu’elle se penche pour assassiner ce qu’il reste de mon pull. – Même pas en rêve, que je proteste en lâchant la loupiotte dans un angle – ça évitera que je l’explose de mes paluches malhabiles pendant que je lutte pour ne pas qu’elle nique mes fringues. Elle insiste, la pecnode, autant que moi pour garder le bordel en un semblant de morceau correct. Je propose vaguement de le quitter – mais c’est une idée de merde et elle finit par me le découper, mon pull en laine. Elle le taille dans le souvenir de Rose. De son cadeau. De mon Nœud Vrai. Je pars légèrement en arrière. Lâche une injonction vulgaire quand l’autre bade la plaie. T’as vraiment un problème. Elle sort de sa léthargie. S’active quand je n’arrête pas de gigoter – si je ne bouge pas je meurs pas vrai ? Je meurs. Les prunelles délirent. Cherchent à se connecter à quelque chose de réel – un truc pas tâcher de rouge et de sang et qui ne va pas être douloureux. Mais tout est douloureux autour de nous – la forêt est devenue hostile, comme les yeux de la pecnode qui me traversent comme si elle pouvait voir mes veines sous ma peau avant de me voir à moi. J’ai l’impression qu’il n’y a que mon hémoglobine et ta balle et ta bouche qui existent… Mais j’imagine que c’est bon signe puisque c’est ça qu’il faut que tu retires. J’essaie de ne pas penser au fait qu’elle puisse me tuer – me tuer comme ça, aussi facilement, en m’arrachant la carotide de ses dents. Je suis comme un steak. Me redresse à l’instant où la compresse pique la peau. Nouveau haut le cœur. Tempe qui se ramollit contre la malle. Bouche qui s’ouvre pour gobet la ceinture que la pecnode me cède. Et je mâchouille. Je mâchouille sans crier. Sans gueuler. En grognant un peu – quand les paupières se font lourdes, que les bouffées de chaleur se font intenses, que l’estomac se retourne et que la tête se demande s’il faut tomber dans les pommes ou rendre son dernier verre. Rien. Rien de tout ça Brishen, reste là, concentre toi. Alors je me concentre. Sur le profil de la pecnode. De la fille. Sur l’angle de la mâchoire qui s’applique, qui se tend quand je me tends. Qui se contracte lorsqu’elle me pose une question à laquelle je ne peux pas répondre sans lui cracher son ceinturon à la tronche. La main se referme brutalement sur la carrosserie dans un grincement sinistre quand elle touche la balle. Je me bande, les muscles saillants. Me reteint de la bousculer parce que maintenant qu’on y est, achève moi. J’hoquette pour expulser le bout de cuir de la gueule béante – sens comme un gout de fer sur mes lèvres parce que je me suis ouvert l’intérieur d’une joue. – Je voulais être tranquille pour boire, que je lâche vite. Juste avant qu’elle ne sorte de mon épaule, le projectile. Enfin, que je pense dans un tremblement étrange. Dans un soulagement désagréable et libérateur. Mon estomac tolère ça mal… Tout comme Pecnode qui flanche. Ou pas. Il me faut de trop longues secondes pour réaliser qu’elle ne flanche pas – qu’elle n’est pas non plus contente d’être parvenue à l’exploit d’avoir survécu à ma souffrance. Et il m’en faut encore un peu pour capter que la phalange qu’elle fout à la bouche est plein de sang. De mon sang. De mon fer. De ma sève de vie. Mais je crois surtout que je suis trop mal pour la juger ou m’en sentir gêné. La carcasse part en arrière. Se vautre dans la malle. Dans le coffre ouvert où il y a si peu de place. La paume se plaque contre la plaie. Pecnode, quant à elle, part plus loin. C’est ton jardin secret, le cannibalisme ? Les paupières papillonnent au rythme de ma respiration anarchique. Ca pulse dans mon épaule comme ça pulse dans mon bide. Je déglutis quand la bile me chauffe la trachée. Quand la cabèche me souffle qu’il faudrait que je dorme – que la fatigue s’abat sur moi.
C’est la présence de la pecnode qui me fait rouvrir les yeux. Elle est penchée, là, au-dessus de moi. Les pupilles dilatés. Je me rends compte qu’elle a les yeux clairs. En amendes. Pas très grands. Comme son visage. Je paris qu’il pourrait rentrer dans ma main son visage. Complètement. Sa bouche gigote. La voix m’arrache une grimace qui veut dire Quoi ? parce que je comprends pas. J’écoute pas vraiment. Le cerveau en berne veut communiquer en Rromani. A du mal à se recentrer pour former des phrases dans son russe de merde. Et ces lèvres qui se pincent. Se tordent. Ses lèvres si pulpeuses que je me demande comment c’est possible de les avoir naturellement de cette forme. L’arc de cupidon presque rond. – Ca va, que je bafouille. Gratte à la plaie. Repousse le pull comme s’il m’étouffait. Encore et encore et encore. Ca craque. – Faut me recoudre. Le murmure me parait loin, même s’il provient de ma propre gueule. Perdre beaucoup de sang c’est un peu comme être défoncé. Ou bourré. Ca a quelque chose d’euphorisant, je crois. Ouais. Un truc euphorisant qui fait voir le monde différemment. Ca efface pas vraiment le tableau noir et les pensées et le passé et le futur… Non, c’est là. Quelque part. Mais ça n’a plus aucune foutue importance. – Je bouge pas. Comme si t’avais le choix, Brishen. La nuque roule sur le fond de sa malle. La tignasse s’emmêle autour de la gueule quand la pecnode revient dans mon champ de vision, du fil et une aiguille entre les doigts. – Fauve, que je souffle comme un ronron quand elle se penche au dessus du cratère de mon épaule. Et si j’avais le SIDA Fauve ? Est-ce que tu voudrais quand même me lécher, Fauve ? – Pourquoi tu me tues et tu me sauves, Fauve ? Pourquoi tu me sauves et tu me manges, Fauve ? Sa prunelle percute la mienne. Un peu de biais. Peut être un peu honteuse. Peut être un peu sceptique. – Tu brilles. Peut être que je suis complètement en train d’halluciner. Je retiens un gloussement. Laisse juste transparaitre un sourire qui s’étiole l’instant d’après. – Tu as de la chance, Fauve. Je ne suis pas malade. Je suis un Ours sain. Et le fil est coupé. La plaie est refermée – avec tous les risques que l’environnement représente. Laisse moi là, va récupérer ton fusil et ton vrai ours et laisse moi là.
Je bouge. Gigote. Retombe en arrière dans une tentative vaine. M’y reprend, la tête dans les étoiles. M’assois. Me lève. M’assois. Le carrousel brutal de Brutal. – Je vais y arriver, que je m’encourage doucement. N’ose pas loucher sur la pecnode, qui doit bien se foutre de moi. Oui mais toi t’as léché mon sang alors t’as rien à dire, pecnode. – Je peux rentrer à pied, maintenant. Je préfère devancer une nouvelle salve de décisions qu’elle pourrait me balancer. Des stupides et des sans choix, comme elle me l’a fait tout à l’heure. Ne m’écrase pas si tu me retrouves sur le bord de la route. Je me remets sur mes jambes. Titube un peu. Me pince l’arête du nez. Jette une œillade sur son 4x4 – sur l’emprunte de mes doigts sur le rebord de sa malle. – Faut que j’y aille, que je répète une ou deux fois supplémentaires en me débarrassant des restes de mon pull que je tente de fourrer en boule dans la paume de ma main. – Bonne chasse à l’ours, la Fauve.
Et je ne sais pas si elle me croit ou pas. Et je m’en fous. Et je m’éloigne. Me prend un arbre. M’enfonce dans l’obscurité, derrière les branches et les feuilles et les ronces. Essai de choper le chemin. Lutte pendant des heures, il me semble, pour ne pas m’écrouler et rejoindre la ville. Me rend compte que j’ai faim. Que j’ai soif. Un peu de flotte et beaucoup de binouse. Que j’ai envie de fumer mais que j’ai écrasé mon dernier briquet avant d’arriver. Le sommet de la godasse agresse un galet. L’envoi valser loin quand le vrombissement d’un moteur me fait relever le nez. Je ne réfléchis pas quand je presse un peu le pas. Me met en bordure du chemin. Fronce les sourcils pour voir à travers les phares agressifs. Me dis que personne ne va s’arrêter en me voyant – je suis à moitié à poil, plein de sang et je dois plus ressembler à un psychopathe qu’à un damoiseau en détresse. Mais ça ralentis. Un 4x4. La mâchoire se crispe quand je reconnais le véhicule – et la conductrice. Ca fait pas des heures que tu tournes, en fait, Brishen, t’es juste qu’une lamentable loque qui a besoin de sucre et de dormir pour te remettre. T’en a perdu la notion du temps. Je lève la main. Suis surpris quand la pecnode s’arrête à ma hauteur. Ouvre sa vitre. Je crois que je me suis paumé, en fait. – Yugus Motel, en périphérie de Mejdouretchensk, tu connais ? que je demande en me penchant prudemment. Elle acquiesce, la pecnode. – J’te donne ce que tu veux si tu m’y amène. Même si tu me le dois sans que je ne te donne rien. Parce que j’ai vraiment besoin de rentrer dans ma chambre de motel puante. Et minuscule. - Vraiment ce que tu veux, tu comprends ? que j’insiste en baissant le menton vers l’épaule saccagée.
Couleurs des Dialogues:
Dialogue en Rromani #715380 Dialogue en Russe #b16539 Dialogue en Serbe #3e5918 Dialogue en langage des signes russe #333333
J'en veux encore, que je pense, frémissante, quand sur les tiges il n'y a plus que ma propre chair. Ça me coûte de revenir vers lui, de ne pas lui sauter sur le râble pour étancher la soif. La soif de lui, de son hémoglobine, de sa chair que j'imagine tendre et goûteuse. Cabèche secouée pour effacer, gommer les délires interdits. Ça commence comme ça, et puis après ? Après, je tuerai des gens pour tout et pour rien, juste pour apaiser le monstre qui pousse à l'intérieur de moi, qui me change, qui me rend hideuse, qui m'affaiblit autant qu'il me rend monstrueusement forte. Ça me fait peur. Ouais, ça me terrifie, ça. Je ne sais pas comment le gérer, ça, ni même à qui en causer sans que l'on m'enferme dans quelque chose qui me rappelle d'où je viens. Ils parleront de folie, de mal, de mon bien. Ce bien qu'ils savent mieux que moi, qu'ils connaissent sur le bout des doigts. C'est pour ton bien, Kahsha, seulement pour ton bien. Foutaises. Ils n'ont fait que du mal. Ils ont esquinté, fragilisé, torturé, noyé et c'est comme s'ils étaient toujours là, dans un recoin de la boîte crânienne à dire et répéter c'est pour ton bien, Kahsha. J'inspire et expire, essuie les lippes d'un revers de mimine pour effacer les traces du presque crime. Les pas lui reviennent et les paupières closes inquiètent. Je me presse un peu, sans doute trop, me penche au-dessus de sa gueule, m'apprête à lui claquer le beignet pour m'assurer qu'il est seulement dans les vapes et pas tout à fait en train de crever. -Hey, est-ce que ça va ? Traits froissés, l'incompréhension se dépose comme un voile sur son visage devenu bien pale. Mais il respire, il respire et bouge et parle. Alors pourquoi ça me tord le bide ? Pourquoi ça m'inquiète ? Il va bien que je me dis et me répète. Ouais, il va bien, à un ou deux détails près. Je bouffe mes lèvres et l'intérieur de ma joue, pas vraiment à l'aise avec l'effet qu'il me fait, les sens qu'il éveille. Tu fais naître le pire de moi et ça me fait flipper, tu vois. J'ai pas envie de te buter, sans faire exprès ; pas envie que tu crèves parce que je t'ai touché, parce que je t'ai goûté et que j'ai aimé ça, ouais putain, j'ai aimé ça. J'ai honte de moi. Alors je m'exécute bêtement, ramène une aiguille et du fil. A nouveau le rouge hypnotise, son rouge à lui, son rouge qui dégouline. Son souffle me parvient, fait tourner la tête et la pupille se plante à la sienne dans une torsion de gueule. Les pourquoi se bousculent à ses lèvres, les pourquoi dont je ne détiens pas les réponses. Je ne sais pas. Je ne sais pas pourquoi ou peut-être que si, ouais, je sais. Un mélange de culpabilité et d'un truc que je n'explique pas, un truc qui vient de toi. C'est pas qu'une question de goût, c'est autre chose, mais je ne sais pas quoi. Les psys seraient probablement capables de te dire que ça a un rapport avec mon passif, mais moi, j'en sais rien. Je replonge dans ce rôle qui me sied mal, celui de la petite infirmière, pour refermer le trou qu'à laissé ma balle. J'essaye de ne pas trop le respirer, retiens même ma respiration à chaque fois que je pique et repique, l'écoute divaguer et ça me permet de me raccrocher à notre réalité, de ne pas sombrer, de ne pas laisser le monstre dominer. C'est terminé. Les dents s'emparent du fil et coupent. Mâchoires crispées face à sa remarque, je décide de l'ignorer, me contente de reculer pour maintenir une distance de sécurité. Il tangue, le mâle, peine à se redresser, à se lever. Je devrais lui proposer mon aide, lui parler, demander si ça va aller même si c'est con de demander. Ouais, con parce que ça ne va pas aller, je le sais, je le vois bien, je ne suis pas conne à ce point-là. Mais je ne fais rien, je ne parle pas, ne demande rien, ne l'aide pas. Je ne fais que le regarder en me demandant ce que j'ai fait. J'ai merdé parce que j'avais faim, parce que ça m'a aveuglé. J'ai jamais confondu un homme avec un ours, peu importe qu'il fasse jour ou qu'il fasse nuit. Nos chemins n'auraient jamais dû se croiser, pas comme ça. Et réaliser l'ampleur de la merde, de celle que j'ai posé, étalé et piétiné. Il dit qu'il peut rentrer. Il dit qu'il y va. Et moi, moi je ne le retiens toujours pas. Bras croisés sous la poitrine, je le regarde s'éloigner sans un mot quand je voudrais lui beugler attends, c'est bon, je vais te ramener. J'suis désolée. Silence.
Je récupère mon arme à quelques pas de là, loin de la route qu'il a emprunté sans même savoir s'il va être capable de se repérer. L'ours est toujours à terre, tiède, offert. Dans un mécanisme écœurant, la barbaque est avalée à la hâte dans une sorte d'état second que je ne contrôle pas. Et oublier. Oublier l'erreur, lui, son odeur, ses traits, son regard, son goût. Mais c'est difficile, difficile d'effacer quand tout paraît fade entre les crocs maintenant que je t'ai savouré. Pas vraiment rassasiée, la bedaine pleine pourtant, j'ai envie de dégobiller. Couteau en main, l'ursidé est défait de son épaisse fourrure en une quinzaine de minutes, la force de l'habitude. Carcasse abandonnée, laissée à la merci des charognards, des autres, des pas comme moi ou des tout à fait comme moi. La caisse démarre vite, si vite que les pneus dérapent sur l'amas de terre et de graviers. Une seule idée, mettre de la distance, éradiquer l'endroit de la mémoire et faire comme s'il ne s'était rien passé. On ne se reverra probablement jamais. C'est ce que je croyais les premières minutes, jusqu'à ce qu'une masse se dessine à l'avant de mes phares. Le 4x4 ralenti, s'arrête à sa hauteur. Toi. Toi si sauvage et puissant, ça donne envie tu sais. Envie de plus. Je repense vaguement à la tôle froissée qui empêche le coffre de bien se fermer. Et sans doute que je devrais le dépasser, remettre la première et me tirer, mais j'ai pas envie d'apprendre que tout ce que j'ai fait n'aura pas été suffisant pour te sauver. J'acquiesce une première fois, je connais l'endroit. Il marchande, le brun, tout ce que je veux si je l'emmène où il veut. Dans un motel crade, excentré de la ville qui fourmille. Je suis prête à lui faire un signe de la tête pour qu'il grimpe à mes côtés, mais il réitère la presque promesse en zieutant sur sa plaie. Ça me fait l'effet d'une décharge électrique, comme ces fois, allongée sur la table, où le jus parcourait chaque muscle et chaque tendon électrisant et défonçant la raison. Un frisson étrange parcourt l'échine, est-ce que c'est seulement possible qu'il se laisse faire ? Qu'il consente à nourrir la bête ? Pourquoi tu fais ça ? Est-ce que tu sais au moins ce que tu racontes ? Est-ce que t'as conscience de ce que je suis et de ce que je pourrais te faire ? Non, bien sûr que non, sinon, tu ne me proposerais pas ça, pas toi. Ou alors tu ne penses qu'à me claquer la porte sur le coin de la gueule ou à me tordre le cou une fois que tu auras obtenu de moi ce que tu veux. Les secondes s'égrainent et je le dévisage, cherche à comprendre le désespoir qui l'anime sans y parvenir. -Monte, soufflé-je, le cœur au bord des lèvres. Je remonte le son de l'autoradio pour couvrir les silences, pour empêcher les questions, ne pas l'entendre, pas même sa respiration, encore moins les battements de son palpitant. Je roule en fixant les kilomètres de bitume, chantonne sur un air de Nirvana jusqu'à ce que le panneau indique le motel. Ça me coupe la chique instantanément. Je me gare sur le parking, lui demande -Quelle chambre ? Avant de le suivre. Je me faufile à sa suite, la boule au ventre, la trouille tordant les boyaux. La trouille de lui, mais surtout de moi. Et je me dis fais demi-tour, Kah, te risque pas à flirter avec tes limites, tu ne sais pas si tu pourras t'arrêter, si tu pourras te contrôler avant qu'il ne se décide à te broyer. La porte s'ouvre dans un craquement, je cale mon épaule dans l'encadrement et le reluque un moment. Il fait déjà comme si je n'étais plus là, gigote et vit, s'affale sur le pieu dont les ressorts couinent. C'est petit et miteux, ça sent le tabac froid et un quelque chose que je n'explique pas. Je referme derrière moi, ai l'impression de me retrouver à mon premier rencard, les mains moites, le palpitant qui déraille. Respire. La charogne le rejoint, lorgne sur la carne à nue, s'installe sans préambule sur le matelas. -Ce que je veux, murmuré-je. Les doigts pianotent sur le buste mâle. Sa tête roule et roule. Il est claqué, ne pense sans doute qu'à se reposer pendant que je l'emmerde. La trogne se penche, le museau hume la plaie fraîchement recousue et le bout de la langue s'y égare, récupère le nectar qui aussitôt agite les papilles, réveille l'appétit. Les lèvres se plaquent entièrement, les crocs poussent et se plantent autour dans une morsure, un pincement brûlant. Les pupilles aiguisées, l'hémoglobine roule en bouche comme le plus goûteux des vins. Avides, les lippes aspirent et la bedaine se gorge de sa saveur. Lèvres rouges, je me redresse, comprends trop tard que je n'aurais pas dû faire ça, pas maintenant. Je recule brutalement, me casse la gueule, retombe le cul au sol. L'état second s'est envolé, ne reste plus que la culpabilité, encore, toujours cette putain de culpabilité. Les petons s'emmêlent, trouvent la salle de bains pour ressortir avec une serviette. J'éponge et compresse tandis que le monstre se tapit, s'endort, reput. Je crois qu'il pionce, m'allonge sur le flanc en le regardant. Les paupières clignent, s'égarent sur le faciès si calme et apaisé. Les phalanges explorent, front et arcades, arête et lèvres. J'aimerais connaître ton secret, pourquoi tu as ce goût si fort et puissant, pourquoi tu n'es pas comme les autres. Ces autres cadavres si fades. J'aimerais savoir, ouais, pourquoi tu apaises, sans que la chair ne roule sous les dents. Tu me fascines. Il est différent. Je voudrais qu'il se réveille, lui demander qui il est à mon tour, parce que je veux savoir, ouais, j'ai besoin de savoir.
Les minutes se transforment en heures, je crois que je m'endors, ouvre les paupières quand le jour agresse la trogne et défonce les pupilles. Je gronde et me redresse, trop vite, trop fort. Perte d'équilibre. Chute. Putain. Il est déjà debout, lui, et la masse paraît plus imposante encore que lorsqu'il fait sombre. Il semble plus frais que la veille, je comprends que j'ai dormi là comme une conne, trop hypnotisée par ce qu'il est et par ses traits. T'aurais dû te tirer après avoir obtenu ce qu'il te devait, ce que tu voulais. Ses cheveux humides et ondulés, je pense putain, t'es beau, marmonne un -faut que j'y aille peu convainquant. -T'es qui ? Que je me décide à demander. -T'es quoi ? Ajouté-je dans la foulée. Et on fera comme si c'était toi le différent, et pas moi. -T'es pas pareil. Pas pareil en dedans. Les prunelles se rivent aux siennes. -T'as pas le même goût chuchoté-je. T'es meilleur.
You alone have the power. You only hold the control. [...] One fleeting moment. Few short-lived seconds. Mere short flicker in time, for the shadow to grow and die.
Elle accepte, la pecnode. Je suis surpris, n’ai même plus la force de le cacher, ou d’en jouer. Je mets un certain temps à faire le tour de la caisse pour aller à la portière. Hésite. Piétine. Lui fais un léger signe de la tête comme pour lui faire comprendre qu’elle a pas ouvert – mais c’est juste que j’ai peur de te niquer la poignée. Elle semble pas s’en faire. Se penche pour me faire entrer. Je touche à peine le bordel pour le claquer – un peu fort mais sans dommage collatéral frappant. Rien ne péte. Tout résiste. Comme le silence pesant dans l’habitacle. La pecnode n’a pas l’air à l’aise. Gigote sur son siège trop grand, dans cette voiture trop grande. Je me demande vaguement comment elle fait pour atteindre les pédales. Louche sur les genoux qui se choquent chaque fois qu’elle enclenche une action ou qu’elle fait semblant de le faire pour que je regarde ailleurs. Par stresse ou facilité – si elle fait quelque chose elle n’est pas obligée de parler. De me parler. J’aimerais sourire – sourire jaune – lui dire qu’elle n’a pas besoin de s’en faire. Que je m’en fous, si on n’échange pas. Qu’on n’est pas là pour ça. Qu’on n’est pas là pour se connaître. Qu’elle ne doit pas en avoir envie, de toute façon. Tuer un inconnu c’est toujours plus facile que tuer quelqu’un qu’on connait. Si on en reste là elle ne saura jamais si mon nom sort ou pas dans le journal – dans la colonne des décès. Alors que ça va si ça reste comme ça. Que ce n’est pas grave. Que le son de l’autoradio ne résoudra pas son problème et, accessoirement, qu’elle chante faux parce que la musique est trop forte pour qu’elle entende son écho. Je dodeline du chef. Fini par laisser son profil tranquille. Le délaisse pour appuyer le dos au dossier du siège. La tempe à la vitre fraiche. Chaque respiration ravive la douleur, mais le gris du bitume qui circule et les lumières de la ville au loin, parviennent à me faire penser à autre chose. A la normalité d’une scène – de cette scène – qui fait passer tout le reste au rang de cauchemar étrange. Est-ce que ça a vraiment existé ? Et est-ce que demain ça existera pareil, dans ma tronche ? Et de quoi ils rêvent tous les gens de Mejdouretchensk ? De quoi ils rêvaient quand j’étais en train de mourir dans la malle de Fauve ?
Les pneus crissent sur les graviers du parking. La pecnode ne perd pas de temps, questionne avant même qu’on ait foutu un pied dans la poussière. La nuque roule pour lui jeter une œillade circonspecte. Pour étudier les mirettes qui ont visiblement décidées de ne plus me voir. Elle fixe le motel, la pecnode. Sa pancarte lumineuse qui déraille dans son vert pomme dégueulasse. Y a une lettre qui fonctionne plus, t’as vu ? Je ravale la remarque, parce que tout le monde s’en fout de ma remarque – de la lettre qui ne fonctionne plus et du fait que la pecnode, quand on s’approche un peu, à la gueule constellée de petites tâches de rousseurs. Ce n’est pas des traces de sang, ça, c’est juste des traces de toi. Il me faut quelques secondes pour ouvrir – dans la douceur et l’application d’un gamin de trois qui essaie de colorier sans dépasser des lignes. Peu importe le numéro de ma chambre, suis moi et ça suffira. Je me montre silencieux sans pourtant être austère. Monte les petites marches de bois qui craquent sous mon poids. Evite de passer devant l’accueil. Devrais peut être dire à la Pecnode qu’ici, tout le monde pense que je suis muet comme une tombe et sourd comme un pot. Ca évite les interrogations, les suspicions… Les gens n’aiment pas ma gueule, pas mes épaules… Ils disent qu’elles sont trop larges pour que je sois un homme de confiance. Mais ils me voient surtout comme un handicapé. Un sale handicapé pas d’ici, mais un sale handicapé assez diminué pour enlever une bonne part de méfiance pleine de préjugés. La porte de la chambre 314 s’ouvre sur une petite pièce mal éclairée. Les murs sont ternes, salis – avec des champignons dans les angles, au niveau du plafond. Ils mériteraient autant un coup de peinture qu’une bonne isolation. Le sol, une moquette dégarnie, est pleine de tâches. Recouverte, en majorité, de mes fringues, de sac de bouffe, de bouteilles, de bière, de paperasse. De mots qu’on m’écrit pour me faire passer des messages – Vous n’avez pas payer votre chambre la nuit derrière Monsieur Oleg. On a entendu des bruits provenant de votre chambre toute la nuit Monsieur Oleg, est-ce que tout va comme vous voulez, Monsieur Oleg ? Et pour cause : la plupart des poignées de portes sont explosées, celle de la fenêtre n’a pas plus bonne mine. Il y a des bris de verre. Des couverts en miette. Un pied du lit qui dit merde, la table de chevet ne qu’est pas en forme – blessée au niveau du tiroir. Réveil, téléphone… Tout est dans un état lamentable.
Je grogne. Jette mon pull sur un tas de fringues crades en sachant pertinemment que c’est vain. Cette serpillière va partir à la poubelle, mais j’ai comme besoin de l’avoir là, encore un peu. C’est un souvenir lointain du Nœud Vrai que je ne reverrais jamais. La pecnode reste un peu sur le pas de la porte quand je lui dégage un chemin – ou que je m’en dégage un, tu le prends comme tu le sens. Une bouteille d’eau est extraite du frigo en berne, bue à moitié avant que je ne vienne me poser sur le lit, attendant la sentence. Le résultat stupide d’un acte que je pourrais probablement remettre à plus tard – ou a jamais si je lui éclate la tête dans un mur. L’hésitation faiblarde se fait sentir. Secoue la carcasse avant que le cerveau ne trouve ça que parfaitement merdique. On ne tue pas les gens juste parce qu’on a pas envie de tenir nos promesses, quand bien même on les aurait faites pour nous sortir d’une situation complètement désespérée – et surtout là, j’imagine. La Pecnode bouge. S’amène. Se pose sur le matelas, près de moi. Glisse ses mains sur ma peau. M’arrache un frisson terrible. Improbable. L’un de ceux que je ne veux pas déterminer. Parce que tu es chaude et que je suis brûlant. L’épaule déconne. Pique et fait vriller le palpitant. La bouche redevient trop vite pâteuse quand le bide gargouille et s’auto digère. Je pense à me relever. A lui balancer attend, va crever. A la foutre dehors, parce que c’est bizarre. Que cette situation est bizarre. Dans un éclair de lucidité tardif, je constate qu’on ne propose pas à des gens qui viennent de nous tirer dessus de venir chez nous pour nous bouffer l’épaule. Malgré un service risible qu’ils nous auraient hypothétiquement rendu. Dans un éclair de lucidité fatigué, je me dis que j’ai été bien con de ne pas lui claquer la porte au nez. Dans un éclair de lucidité…Mais c’est trop tard, les lippes se posent contre la plaie. Gobe le trou noirci et recousu. L’englobe de cet arc de cupidon beaucoup trop rond pour être vrai. Et son nez. Son nez est beaucoup trop droit pour être vrai, aussi. Tout est faux chez toi. Sauf tes yeux. Sauf tes yeux. T’as un léger strabisme, je crois. Un truc tellement discret qu’il faut te fixer longtemps pour le remarquer. C’est comme un mirage. C’est selon comment tu regardes. Ca te rend vraie ça, ouais. Ca, ça te rend plus réelle que tes lèvres et ton nez. Plus belle aussi. Et les crocs se plantent à la peau. S’accroche comme une lionne à une antilope. Ma gueule s’ouvre. Mon corps se tend. Ma tête me hurle qu’il faudrait que je hurle quand le bide exulte un hoquet savoureux. Je me mords l’intérieur de la joue. Tord nuque et omoplates dans une contorsion qui rapproche. Mes paluches cherchent les draps pour ne pas palper la pecnode qui se goinfre. Et la carne retombe quand la cannibale me relâche. L’échine rebondit lourdement. Les points blancs reviennent quand la pecnode s’en va. Je la vois à peine passer la salle de bains. A peine revenir pour éponger l’hémoglobine. – Tu brilles, que je bafouille. Tu brille encore, que je répète comme si c’était une mélodie. Et les paupières se ferment. Je m’endors, bêtement. Sans lui faire confiance mais dans la certitude qu’elle n’a plus aucune raison de rester, la pecnode. Ni même de me faire du mal.
Dodo. Réveil. Sursaut. Tôt. La montre affiche 6 heures. La cafetière 14 et le téléphone de la piaule 09.
- C’est quelle heure ? que je me murmure doucement. La tronche en vrac. La tronche qui tire et l’épaule qui se rappelle à moi. Qui me renvoi en arrière. Qui me recouche sans presque faire frémir les draps, tant j’y vais délicatement. Parce que c’est une chaleur mortelle. Electrique. Qui s’étend du sommet de mon crâne à la plante de mes pieds, sans aucun scrupule. Et ça pulse, ouais, ça pulse de partout. Partout. Ca fait boum-boum derrière mes mirettes. Ca me fait même halluciner sévère. A coté de moi, dans le lit, la Pecnode. Qu’est ce que j’ai pris ? que je me pense en ramenant la gueule vers le par terre dégueulasse. Le regard s’égare. Cherche quelques comprimés discutables ou une bouteille de gnôle bon marché. Mais y a rien. Rien de tout ça. Que dalle. Juste les oiseaux qui chantent et la respiration de cette fille, dans mon lit. Cette fille que je n’ai pas touchée. Celle qui m’a juste bouffé. Bouffé pas comme les gens normaux l’espéreraient. Je me passe la main sur la face. Me lève. Me convainc que je rêve. Vais à la salle de bains pour une douche expresse. Met trop d’eau froide puis trop d’eau chaude. Fais grincer la tuyauterie et les manettes et les dérègle dès que je bouge un peu vite. Je fais gaffe. Souffre en silence mais aussi en grimace. Grogne en sortant de là, serviette aux hanches. Lève le museau dès que je reviens dans la chambre. La pecnode est toujours là. Et je souffre. Et je ne rêve pas. Il va me falloir un café et je me fais couler un café. Appuie sur les boutons de loin. Je me sers d’un truc déjà pété. Repousse le godet de côté en attendant que le tout refroidisse. Et je reste planté là, surtout. Droit comme un I au dessus de mon lit. Je mate la pecnode. Son haut à moitié déchiré. Son froc remonté au niveau des mollets. Ses godasses même pas quitter. Puis le sang. Le sang partout. Jusqu’à cette putain de bouche pas possible rehausser de ces piercings. Elle a un piercing sur la langue est la seule remarque intelligente qui réactive le cerveau. Je me rejoue vaguement la scène de la veille – reconnais que mon esprit fait quelques miracles pour que ça soit moins traumatisant que ce que c’était sensé l’être. On avait quand même vachement l’air d’une prostituée et de son mac hier soir.
Puis c’est à son tour de se réveiller. Un peu fort. Un peu vite. Elle bascule. Se redresse. Semble vouloir attaquer pour se donner contenance mais préfère l’assurance. Elle s’en va. – Je ne te retiens pas, que je crache comme pour lui donner la réplique parfaite. Beh ouais vas-y, dégage, personne ne t’as invité à rester après tout. Je fronce les sourcils dès que l’interrogatoire commence. La salve de questions indiscrètes. A la première je réponds – Quelqu’un ; à la seconde – Un homme ; à la troisième – Parce que t’en bouffe souvent des gens ? T’es plutôt du matin ou plutôt du soir ? Tu sales pas trop j’espère, pense à tes artères. – Heureusement que tu devais partir. Je hoquette d’un hoquet sans relief. D’un espèce de rire froid avant de me détourner pour aller récupérer mon café. Café que je lui cède en revenant vers elle, parce qu’elle a l’air d’en avoir vachement plus besoin que moi. – Bois ça et va prendre une douche. Si tu sors de ma chambre dans cet état et que quelqu’un te croise, ils vont croire qu’on s’est battu à mort toute la nuit… Et que je suis mort. Et que j’ai pas envie d’avoir les flics à ma porte si tôt dans la matinée. Ou si tard… Bordel, mais c’est quelle heure ? – Tu peux prendre des fringues là, et je lui pointe du doigt une chaise où y en a qui dégueulent, mais elles sentent au moins le propre. Un tee-shirt à moi devra te servir de robe à toi. Et après tu fais ce que tu veux la belle au bois dormant. Même si le deal c’était pas que je te tiennes chaud la nuit. Si tu te sens seule, n’oublie pas que c’est pas de ma faute. Elle se crispe, la pecnode, mais s’exécute dans une espèce de nervosité étrange… Ou de susceptibilité. Ou de nonchalance. Enfin, un truc pas content. L’eau coule. L’eau coule assez longtemps pour que je me refasse un café, que je le boive et que je fume une clope à la fenêtre entrebâillée – entrebâillée de travers. Il va te falloir beaucoup de verres pour oublier ça Brishen. Elle revient. Je ne me retourne pas. Refuse de la regarder comme elle refusait de me regarder hier dans sa voiture. Dans son 4x4. Peut être parce que c’était bizarre hier – peut être parce que j’ai encore la marque de ses doigts sur l’épiderme et que je vais penser à elle chaque fois que je vais me voir, que je vais avoir mal, et que ça me dérange parce que je ne la connais pas. Connais là. Ca aussi, c’est même pas en rêve. J’ai pas d’ami, j’aimerais que ça reste comme ça encore quelque temps. Genre tout le reste de ma vie. Je me décide à jeter une œillade par-dessus mon épaule, aperçois un bout de cuisse quand elle enfile le tee-shirt trop ample. La lorgne s’activer pour que ça prenne un peu de forme. Ou pas du tout. Elle enlève aussi peut être les centaines de plissures qui font négligés. Faut dire que je les repasse pas mes fringues et que je les mets en boule, surtout. – Tu es vraiment une trappeuse ? que je claque comme ça, sans préambule aucun. En la fixant ouais, en la fixant vraiment parce que si elle ment, comme ça, je le saurais. Mais peut être qu’elle ment juste très bien Brishen. – Comment ça confond un ours et un homme, une trappeuse dis moi ? Tu avais bu ? T’étais pétée ? Défoncée ? Ca expliquerait aussi pourquoi t’es partie dans un délire étrange avec ma plaie. – Ca veut dire quoi, en vrai, que je n’ai pas le même goût ? Le même goût que qui ? Que quoi ? T’es qui toi ? T’es là pour quoi ? Pour moi ? que j’ai envie de rajouter mais je le ravale. Sois pas paranoïaque Brishen, tu vois bien que cette fille, elle est juste paumée. Elle prendrait probablement du fric même si c’était pour te refroidir, mais elle ne fait partie d’aucune mafia. Elle est marginale et certainement un peu perchée, mais encore une fois elle n’aurait pas été embauché par les Tigres d'Arkan. – Pourquoi t’es restée ? Qu’est ce que tu fuis à Mejdouretchensk, Fauve ?
Couleurs des Dialogues:
Dialogue en Rromani #715380 Dialogue en Russe #b16539 Dialogue en Serbe #3e5918 Dialogue en langage des signes russe #333333
Et il ne dit pas, il ne révèle pas le moindre secret, les pourquoi et les comment sauvagement gardés. Il n'est qu'un homme qu'il assure, quelqu'un, sans doute personne. Ouais, il n'est personne puisqu'il n'a pas de nom ; juste un physique, une jolie gueule, des paluches énormes et une saveur ronde. À son tour il demande et j'ai envie de lui rétorquer un va te faire foutre, me contente de battre des cils. Et si je te répondais oui, tu ferais quoi ? Si je te disais que d'habitude je les prends fraîchement arrivés à la morgue, mais que j'ai plus l'habitude de la chair animale, parce que c'est facile et ça ne manque à personne surtout pas les chats, encore moins les chats errants. Est-ce que tu continuerais de poser le regard sur moi sans imaginer ce que je pourrais bien te faire avec mes petites dents ? Est-ce que tu me verrais comme un monstre, une tarée bonne à faire enfermer ? Je me planque derrière le silence, parce que c'est plus facile que de devoir formuler ce que je ne veux pas dire ou avouer. Je le mire, décortique ses traits qui se tendent et s'étirent à chaque fois qu'il bouge ou parle ou qu'il est pris de mimique. Heureusement que tu devais partir qu'il hoquette quand j'ai envie de lui claquer que nous n'en avions pas parlé et que techniquement, j'avais le droit de profiter d'un bout de matelas. Je prends le café, l'avale d'un trait, grimace parce qu'il est serré, m'enfonce dans la salle de bains pour échapper à ses orbes accusateurs. Le reflet que le miroir me renvoie me terrifie autant que lui. Le visage est sale, les lèvres d'un rouge pas vraiment naturel, les fringues dégueulasses et déchirées. Ça me fait l'effet d'une claque dans la gueule. Je retire frénétiquement ce que je porte, dans un tremblement difficile à contrôler. Les traces de lui partout, partout sur moi qui me rappelle ce que j'ai fait, ce que je lui ai fait. J'aurais pu te tuer, te tuer pour rien, juste comme ça, juste parce que je suis ce que je suis, mais j'ai réussi à ne pas te bouffer, ouais, j'ai réussi ça. Et c'est bien déjà, même si tu ne le sais pas et que tu ne le sauras probablement jamais parce que c'est pas comme si t'en avais quelque chose à cirer. Le jet de flotte est allumé et comme toujours, ouais comme toujours, le bruit de l'eau a un effet dévastateur sur la psyché. Je me revois, à la recherche de mon air, la vue troublée par les litrons de flotte qui me recouvrait. J'arrivais pas à respirer, alors j'avalais, m'étouffais, m'étranglais, dégueulais. Il me faut du temps pour ravaler les réminiscences, les recouvrir, les ranger soigneusement dans un recoin de la boîte crânienne jusqu'à ce que ça revienne, toujours, tout le temps. Je frotte et je frotte, retire la crasse de dessous les ongles et des doigts, la crasse que la bonde gobe. J'ai la sensation d'étouffer dès que ça dégouline sur la trogne, recule brutalement et heurte la paroi. Ça s'éternise encore un peu et je quitte la salle d'eau, enroulée dans une serviette à la recherche du tas de fringues que j'ai oublié de fouiller, trop soucieuse de disparaître. Je me dépêche d'enfiler un tee-shirt, profite qu'il soit de dos pour le faire, suppose qu'il n'a de toute façon aucune envie de me voir. Je tire et tire sur le pan de tissu, pour l'agrandir, regrette qu'il ne retombe pas jusqu'à mes chevilles pour recouvrir les guibolles. Ces guibolles que je planque, honteuse, qui sont un souvenir hideux de ce que j'étais, de ce que je suis probablement toujours et que les quelques tatouages ne suffisent pas à dissimuler. Cicatrices épaisses qui creusent le derme à l'en déformer. Des heures et des jours entiers, passés à rouvrir les plaies, à les gratter, empêchant la cicatrisation des traînées. Et il parle, se retourne et fixe, et le malaise se peint sur ma gueule. Les jambes que je cherche à cacher, derrière des frusques que je ne peux même pas enfiler. Les questions assaillent, font mouche. Elles forcent à redresser le museau, à le regarder, là, tout près de la fenêtre dont la lumière lui pousse dans le dos à le rendre irréel. J'oublie de me cacher, avance d'un pas, croise les bras dans une protection vaine. -Qu'est-ce que ça change, je l'ai fait, pas vrai ? Ouais, je t'ai tiré dessus, mais personne t'a expliqué que c'était dangereux de se promener dans la forêt en pleine nuit sans gilet ? Je rejette la faute sur son étourderie, après tout, c'est de sa faute, aussi. On n'a pas idée de se balader à une heure si tardive, sans signe distinctif accroché sur le dos et la poitrine. Je m'empourpre, de gêne et de colère. Les cheveux humides dégoulinent dans le dos, trempent le tee-shirt. Volte-face, je retourne sur mes pas, récupère mon tas de fringues crade et puant. Faut que je me tire que je n'arrête pas de me répéter en boucle. L'évidence, quand les questions deviennent trop personnels, qu'elles demandent une réflexion que je n'ai pas envie d'avoir. Tu crois que je fais ça parce que j'en ai envie, tu penses que c'est un mode de vie ? Que je bouffe des gens au détour d'une venelle juste pour le plaisir ? C'est toi qui as dit que je pouvais, que je pouvais le faire, te goûter. C'est toi qui as posé le deal, pas moi alors me regarde pas comme ça, me demande pas ce que je suis, putain. J'enfile mes rangers sans les nouer, me redresse, sens ma gorge vibrer, m'approche trop près, même si je suis plus petite et que ça me force à me contorsionner pour le regarder. Le linge tombe à mes pieds. -T'as envie que je te dise quoi ? Tu veux que je te dise que je suis un monstre, une prédatrice qui attaque les pauvres paumés dans ton genre à la nuit tombée ? C'est quoi que tu veux entendre ? Des mensonges ou la vérité ? Le myocarde bat si fort que je le sens pulser partout, sous mon front, dans ma gorge et jusqu'au bout de mes doigts et de mes pieds. Je recule un peu parce que je déraille, je le sais. Je le sens, ça vibre dans les naseaux. La colère crève dès que je le respire. -J'étais fatiguée, que je me décide à répondre, dans un haussement d'épaules. -Et je suis une fille, ajouté-je, dans la même lignée de ses propres réponses évasives.
Les phalanges effleurent son derme, l'empreinte de mes dents incrustée à sa peau. Il ne me laisse pas faire plus longtemps, parce que toucher offre une proximité qu'il n'a sans doute pas envie de partager avec celle qui aura été l'instigatrice de cette sale nuit. Moi. -C'était une mauvaise idée que je balbutie avant de me tirer. Il ne me retient pas, comme annoncé plus tôt. J'ouvre brusquement la porte, tombe nez à nez avec un type, le genre bouclé, brun, avec un petit air débile au regard lubrique. J'essaye de me glisser à droite, puis à gauche, mais il me barre le passage. -Excusez-moi, est-ce que monsieur Oleg est là ? Il a soudainement un nom, un nom qui lui va terriblement mal. Je lance une œillade par-dessus mon épaule, hoche la tête et tente encore de passer, mais ce connard m'en empêche. Je m'agace. -Tu vois pas que j'veux passer ou tu fais exprès d'être débile ? Ses yeux s'arrondissent. -Non, c'est que, en fait, vous voyez, peut-être que vous allez pouvoir m'aider à communiquer avec lui, ce serait plus facile. Je lâche un rire. -Communiquer ? Tu ne sais pas bien articuler ? Laisse tomber, ça m'emmerde déjà. Je le pousse, il me retient le poignet. -Il n'a pas payé et vous non plus qu'il siffle. J'ai l'air d'une brindille à côté. -C'est pas mon problème, ça. Il me reluque. -Je vais appeler les flics. Manquerait plus que ça. Je passe la tête à l'intérieur de la chambre. -Y a Ducon qui veut te parler, tu ferais mieux de te dépêcher. Je le regarde. -Voilà, le message est passé, si tu veux bien te pousser, maintenant. J'arrache mon poignet de sa pogne, lui fout un coup d'épaule maigrelet pour me frayer un chemin dans le couloir du motel. Je sens quelques regards, me presse, m'enferme dans ma caisse et démarre. Faut que j'oublie ça. C'est mon appartement que je retrouve au pas de course pour enfiler un slip et un froc et ça relâche la pression de sentir le tissu me recouvrir. Je respire à nouveau, c'est moins anarchique, moins chaotique. Je retombe mollement sur mon lit, glisse mes doigts sur mes lippes. Je me souviens encore de ton goût et de la texture de ton grain de peau. Et ça sent toi, ce tee-shirt, il sent toi. Et rester là, sans bouger, à ressasser encore et encore les événements qui se sont déroulés comme si je pouvais en changer les répliques et les gestes. J'arrive à tout refaire avec des si, à me dire que l'on aurait pu se quitter d'une manière plus agréable, avec des volets clos, et sa serviette en moins sur les hanches. Sois pas conne, Kah, arrête de penser comme ça. Je rêvasse un long moment encore, avant de me tirer parce que j'en ai marre d'entendre mes voisins s'engueuler. Je m'occupe de la peau qui est restée étalée à l'arrière de mon 4x4 pour lui éviter de pourrir, rejoins un vieux cabanon perdu dans les fourrés à plusieurs kilomètres de là. Faut dire que j'ai pas spécialement envie qu'on vienne me piller. Enfermée dans ma bulle, loin de l'agitation de la ville, je pense à lui, et ça me bute ça, ouais, ça me bute d'y penser. Tu ne lui dois rien, il ne doit même pas avoir envie de te revoir, encore moins de te croiser. C'est bon, tu ne vas pas t'en vouloir pendant dix plombes. Il est vivant et raccommodé. J'ai bossé pour oublier, pour pouvoir le ranger, lui aussi, avec le reste des trucs dont je ne veux pas me souvenir. Et ça marche, ouais, j'y pense plus pendant un temps, jusqu'à ce que ça me revienne en pleine gueule comme un foutu boomerang. J'ai avalé de l'alcool, beaucoup d'alcool, suffisamment pour que les sens soient embrumés et que je rentre non pas chez moi, mais que je me gare sur le parking de l'hôtel. Je ne me souviens pas vraiment du numéro de la chambre, sais juste où elle se trouve, vaguement. Toque à une première porte, me goure. -Ça va pas bien de déranger les gens à cette heure-là ? L'heure ? Je ne sais même pas qu'elle heure il est. que je me dis tout à coup. Je bafouille des excuses qui n'en sont pas, change de porte, personne. Je regarde les chiffres cette fois. 314, c'est celle-là, j'en suis sûre. Ce que je ne sais pas, c'est s'il est toujours là, s'il est rentré ou s'il est encore dans la forêt à se prendre pour un ours brun. Toc toc toc. J'insiste, encore, encore, suffisamment pour que ça devienne chiant. -C'est moi, que je hasarde, la gueule pâteuse. -Enfin, la fille t'vois, c'est la fille, vas-y sois pas chiant j'ai un cadeau pour toi. Entre mes bras, un fond de bouteille de whisky bon marché et une jolie descente de lit. J'me suis assise par terre, l'échine plaquée au mur. J'ai bu un peu, j'ai regardé en l'air. On voit que dalle dans le ciel parce qu'il y a trop de lumières artificielles.
Trou noir. Je ne sais pas bien s'il a fini par ouvrir sa porte, s'il est rentré et m'a trouvé sur le palier. Je ne me souviens plus trop. Ce que je sais, c'est qu'il est là, à se demander ce que je fous là. -Putain c'pas trop tôt ! Craché-je en me refoutant péniblement sur mes gambettes. -J'passais t'apporter de quoi... Bah tu vois, comment on dit déjà, m'excuser ? Voilà, un truc comme ça. Mais y a plus rien dans la bouteille, t'as été trop long, conclus-je d'une voix coupable. -Il y a un truc qui cloche avec toi, que je commence à dire, en pénétrant dans sa piaule sans même me demander s'il m'y a autorisé, à un moment donné. Sans doute pas. Je navigue entre ses fringues, pousse le tout du bout de ma godasse pour me frayer un passage jusqu'à la cafetière. J'ai besoin d'un putain de café. Pendant qu'il coule, je me retourne. -Ah ouais tiens, ça c'est pour toi. De la qualité, tu verras, ouais, de la qualité, ça vaut cher ce truc-là, c'est fait avec mes doigts et c'est pas de la merde, non, pas de la merde du tout. T'as trop bu Kah et tu te ridiculises. Je regarde la cafetière au moment où je m'en rends compte, après m'être débarrassée de la peau sur son pieu. Les ongles courts tapotent nerveusement sur le meuble. J'ai peut-être picolé, mais je sais encore ce que je fais. Ou presque. -Oleg, c'est bizarre Oleg, ça ne te va pas Oleg, que je souffle comme si je me parlais à moi-même. Je le mire, lui et sa carrure de géant. -T'es bon, que je commence dans un ronron. -Je veux dire, ton sang, il n'a pas le goût du sang, tu comprends ? Il y a un truc en plus, un truc différent et puissant. T'es puissant, pas vrai ? Ajouté-je, curieuse tout en m'approchant et en glissant la menotte sur son torse. T'es beau, tu sais ? Ouais, t'es beau. La trogne se penche de côté, analyse l'autre et ses traits et ses naseaux qui se dilatent à chaque fois qu'il expire. -T'es qui ? Question récurrente qui cherche sa réponse, encore, toujours. Parce que tu mens.
You alone have the power. You only hold the control. [...] One fleeting moment. Few short-lived seconds. Mere short flicker in time, for the shadow to grow and die.
Ca change tout que j’a envie de lui répondre. Ca change que t’avais peut être une raison. Une vraie raison. Une raison valable. Une raison humaine. Ca change que si t’étais bourrée ou défoncée tu me visais pas à moi ; tu visais personne. Ou tes démons ou autre chose. Quelque chose d’interne et de douloureux – aussi douloureux que ta balle dans mon épaule. Mais que tu ne me visais pas à moi. Non, pas moi. Pas moi personnellement. Ou moi parce que j’ai deux jambes, deux bras, que t’avais faim et que t’es juste fêlée. Parce que si t’es juste fêlée ça marche aussi. Si t’as un problème, une tare, un truc qui ne tourne pas rond dans ta tête. C’est une raison aussi. C’est une autre raison que : J’ai été embauché par ton père, je ne sais pas qui tu es mais je vais te tuer et te manger. Tu vois Pecnode ? Tu vois où est la différence ? La lame de rasoir sur laquelle on glisse ? Celle où d’un côté il y a mon pardon et l’autre mon instinct de survie ? Mais je ferme ma gueule ouais, je ferme ma gueule. M’attarde juste sur la contorsion de son corps quand elle se dresse sur la pointe de ses pieds. Comme pour me regarder dans les yeux. A une hauteur improbable pour sa stature. On ne m’a jamais rien expliqué, tu sais. Si ce n’est qu’on va pas chasser la nuit parce que tous les chats sont gris. Elle s’éloigne, la Pecnode. Récupère fringues et godasses. Le tee-shirt humide colle à ses omoplates. Ses cheveux dansent jusqu’à ses reins. Et elle continue de causer, s’énerve – peut être contre moi, plus probablement contre elle. Je crois que tu culpabilises de ce que tu aurais pu me faire. De ce que tu aurais pu devenir si tu l’avais fait. Je crois que tu t’en veux plus à toi que ce que tu m’en veux à moi de m'être déplacé sans gilet. Mais les mots claquent et piquent à la fierté. Titille la colère. Font bomber le torse et tendre l’échine, comme pour se donner une contenance dont je n’ai clairement pas besoin. Pauvre paumé ? T’es sérieuse ? Traite moi de connard tant que tu y es. – Sors de chez moi, que je vocifère. Et elle irradie, la Pecnode. Elle chauffe, la Pecnode. D’un sentiment presque palpable et brûlant – parce qu’elle est vexée et énervée. Mais sa colère me touche. Dans une empathie impulsive je pompe l’énergie dévastatrice. M’énerve à mon tour. Et nous sommes deux, bientôt, à souffler comme des bœufs et à déverser sur l’autre une connerie d’égo qu’on ne peut pas déverser sur nous-même. Elle me touche. Je comprends pas pourquoi. Elle touche l’épaule. Là où ça fait mal. Alors, j’imagine que c’est pour me faire mal. La menotte est doc repoussée d’un revers de paluche. Renvoyée dans un pincement à l’encéphale qui me fait grimacer. Ouais c’est ça, tire toi de là Pecnode. Les poings se serrent. La carne avance quand la porte s’ouvre. Les mirettes captent à peine l’hésitation. Les oreilles reconnaissent la voix – celle qu’elles ne sont pas censées connaître. Moment de flottement. Je me pense et merde quand je fais un pas en arrière. Cherche à m’échapper. Me rappelle que je suis en serviette et que c’est ma piaule merde. Et la Pecnode qui saisi pas la nuance, qui défonce des évidences. Je roule des yeux. Trépigne. L’entends enfin s’éloigner et le patron rentrer. – Elle est bizarre votre amie, qu’il me siffle en secouant sa main comme pour dire Aïe aïe aïe, un sacré gabarit . – Enfin vous comprenez rien le basané mais si je pouvais je me la taperais bien, qu’il rajoute comme un porc en se permettant un rire de circonstance – gras et plein de glaires. – J’me demande si vous vous la faites. Bref… Il soulève sa main devant ma gueule en me faisant comprendre qu’il veut ma monnaie. Si tu savais à quel point j’ai envie de te retourner les poignets.
Il a fallu une grosse demi-heure de négociations et d’explications écrites pour qu’on m’accorde un délai pour payer. Un délai de quelques heures mais un délai quand même – un délai avec des intérêts mais je ne vais pas extrapoler. Je m’habille rapide. Bois un nouveau café. Fume. Bois – de la flotte parce que les réserves d’alcool viennent à manquer, dernièrement, la faute à ma force qui foire. Sors de là. Me fait appeler un taxi qui m’emmène en centre-ville. Tourne et retourne. Fais des tentatives pour bousculer des gens. Attends, plutôt, qu’ils viennent s’écraser contre moi pour ne pas les envoyer péter dans un mur. Taxe des portes feuilles. Beaucoup de portes feuilles. Des montres et des bijoux aussi, pour les jours de galère. Laisse les doigts vagabonder avec l’hésitation du débutant. Il faut vraiment que je me trouve un travail. Fais ça des heures dans une promenade aveugle. Si on me demandait à quoi ressemble Mejdouretchensk, je ne serais pas foutu de répondre. Une ville comme une autre avec des gens… Des gens normaux et des gens qui tirent sur d’autres gens. Cerveau en berne. Bousculade désagréable, enraillée par le souvenir d’une balle, d’une face. De sa face. Fauve. Je la vois pas. Non. Pas vraiment. Juste dans ma tête quand l’éclat de la douleur d’un autre vient me péter derrière les œillères. Comme des synapses qui clampsent. Un faux mouvement merdique me tend l’épaule dans un angle improbable. Ravive une brûlure que j’avais pourtant réussi à taire pour ramasser du pognon. Et c’est le mec que je tentais de voler qui finalement s’inquiète. Me relève pour me demander si je vais bien. Voir si je ne vais pas crever. – Vo… Vous saignez… Monsieur ? qu’il insiste en me tendant sa pauvre main qui se verrait gober par la mienne si j’acceptais. Je me contente de lever un pouce. D’hocher la tête. D’acquiesce à je ne sais pas quoi quand je l’entends me proposer de m’amener à l’hôpital. Je trépigne. M’aide d’une poubelle pour me remettre d’aplomb. Droit sur mes guiboles – ou pas vraiment mais je fais ce que je peux avec ce que j’ai. Et je réitère le pouce levé. Me balance d’un pied à l’autre quand il insiste. Le dépasse pour me barrer. Ignore ses contre-indications. Me fait avaler par la foule pour le semer. Finis dans un bar. Un bar paumé. Un bar de camés. Un bar pour oublier et pour flamber quelques billets. Je fourre dans la poche de gauche tout ce qu’il faut que je me garde pour payer la piaule encore pendant un mois, remplis celle de droite des bouts de papiers qui me permettront de consommer.
Les heures passent. Je ne sais pas combien de temps je reste là et combien de fois je change d’établissement – probablement beaucoup, puisque je joue aux chaises musicales chaque fois qu’on commence à me regarder de trop. Finalement, tous les billets ne sont pas morts. Il me reste même des bagues et quelques colliers de valeur à échanger contre des minutes de beuverie. Je m’arrête dans une supérette pour compenser. Achète deux bouteilles que je cale habillement dans un sac en papier. Et je rentre, ouais, je rentre. Je me doute qu’il est tard au silence dans les rues et à la nuit qui pointe le bout de son nez. Je me doute qu’un truc foire quand les reliefs d’un 4x4 familier me sautent à la gueule dès que j’arrive sur le parking de mon motel. Je bug. Bouge plus pendant de longues secondes. Cherche de droite et de gauche quand je comprends que la Pecnode ne m’attend pas dans l’habitacle de sa caisse. Peut être que ce n’est pas toi qu’elle attend aussi, Brishen, tu n’es certainement pas le centre de son monde. Spontanément je regarde vers l’accueil. Allumé. Forcément. L’autre attend son pèze… Se tape peut-être celle qu’il pense être ma compagne – ou mon plan cul, on est pas allé dans les détails. Profite, que je rage sans bien savoir pourquoi. Refuse de le payer, dans l’incohérence d’une hargne improbable. C’est parce qu’il y en a qui peuvent s’amuser et pas toi Brishen ? Je serre la mâchoire. Tape fort des pieds quand je monte les marches et rêve déjà de la saveur qu’aura le whisky sur ma langue.
Stop.
Devant la porte de la piaule, la Pecnode. Vautrée. Acculée comme un animal blessée. Pourquoi t’es là ? que j’ai envie de lui cracher en la poussant du pied. Faudrait savoir ce que tu veux Brishen. Je me renfrogne. Opte pour l’option la plus délicate que j’ai. Me baisse pour lui pincer le tee-shirt. Le tâtonne un peu pour vérifier qu’elle n’est pas morte. Qu’elle n’est vraiment pas blessée. Elle ne semble rien avoir quand elle sursaute. Encore moins quand elle se remet sur ses petons. Je crois qu’elle a bu. Je suis sûr qu’elle a – beaucoup trop – bu quand elle m’engueule parce que j’ai trop tardé. Je lève les yeux au ciel. On avait rendez-vous peut-être ? Renvoi une œillade par-dessus mon épaule - vers l’accueil allumé. Me sens un peu fier et victorieux d’avoir gagné la visite de la Pecnode – me sens surtout débile la seconde d’après. Celle où elle s’excuse pour de vrai ; celle où je n’ai rien à ajouter – rien que je ne saurais ajouter parce qu’on m’a jamais demandé pardon. Celle où j’ouvre la porte pour la laisser rentrer. Et elle s’arrête pas de parler, la Pecnode – bon Dieu que j’ai jamais autant aimé qu’on me parle.. Elle fait comme chez elle. Traine jusqu’à la cafetière pour se faire couler un café quand je pose mes courses sur le frigo démis. Le cadeau qu’elle me fait me touche plus que ce que je ne le montre – plus que ce qu’elle me laisse le montrer. Elle enchaîne trop vite pour voir les mirettes troublées qui louche sur le dessus de lit. Les doigts qui le tâtent de la pulpe avant que la carcasse ne se retourne vers la Pecnode. – Pourquoi ça serait bizarre Oleg ? que je demande dans une surprise que je ne prends même pas la peine de cacher. – Tu trouves ça plus bizarre que Fauve peut être ? T’as pas le prénom le plus commun du monde je te rappelle. Elle m’écoute pas. Claque une remarque qui réchauffe de suite le regard. La pupille s’électrise quand elle s’avance. Le torse vibre quand la paume s’y pose. L’échine dodeline dans une inconscience tactile. Cherche machinalement le contact direct des doigts de la Pecnode. De la Fille. De Fauve. La tronche relais légèrement les questions qu’elle me pose à un plan abstrait – secondaire et précaire. J’ouvre et je ferme les lèvres comme un poisson hors de l’eau. Soupire douloureusement quand sa peau effleure la mienne. J’suis qui ? – Personne. Ou qui tu veux. – J’suis fort comme un homme. N’importe lequel. J’ai rien d’extraordinaire. Tu te trompes. Ouais tu te trompes parce que j’ai envie que tu te trompes. J’ai envie de pouvoir toucher qui je veux quand je veux. J’ai envie de faire toutes ces choses que je faisais avant sans réfléchir et qui, maintenant, me demandent une concentration excessive. Et je baisse le menton. Couvre la Fauve de mon empreinte. De mon ombre. La couve de mon torse dans une tension immonde. Parce qu’il n’y a que sa main qui nous lie. Même en me penchant vers elle pour respirer son odeur de vanille et de cacao et de café et d’alcool, je ne l’effleure pas. T’es bonne. – Tu as quel goût, toi, Fauve ? que je murmure si près de son oreille qu’une de ses mèches de cheveux palpite au rythme de mon soupir. Les bras se soulèvent. Se rebaissent contre les flancs. Je ne peux pas te toucher. Je ne peux pas si je ne veux pas te faire du mal. Me faire du mal. – Pousse toi. Tu as trop bu, que je l’incite. Que j’aimerais la prier avant que ça ne déraille et que je ne lui démette une hanche.
Toc toc toc. Je ne relève pas le museau. La laisse faire. Et son nez bouscule le mien. Et le bide se comprime. – Monsieur Oleg ? Il frappe, le patron, secoue la porte dans tous les sens pour me faire comprendre qu’il est là pour récupérer son argent. A la faire sortir de ses gonds. Les paupières clignent. La paume se love aux côtes de la Pecnode quand elle bouge pour s’échapper de là. Ou aller ouvrir. Ou je ne sais pas moi. Et quand c’est toi qui t’écrases contre moi personne n’a mal, pas vrai ? – Je suis sourd et muet, que je souffle. Ici, Fauve, je suis sourd et muet, ok ? – Attention je… Et il entre. Doit se dire que s’il termine ou pas sa phrase, je ne pourrais pas l’entendre. – Oh… Il est surpris, le connard. Ne s’attendait probablement pas à la revoir ici. Pas si tôt. Pas si vite. Ne semble toujours pas offusqué de s’être fait insulter par la belle et remet l’une de ses mèches de cheveux en place comme pour s’arranger. Comme pour lui plaire. – Comme on se retrouve, qu’il dit avec un sourire charmeur. Il bombe un peu le torse quand je me redresse. Sors l’enveloppe de ma poche arrière pour la lui tendre – et qu’il se barre. – Alors comme ça, vous ne saviez pas qu’il était sourd, qu’il lui balance en ricanant. Les pupilles changent. Perdent un peu d’humanité pour gagner en lubricité. Si elle ne le savait pas c’est qu’on avait pas parlé. Si on avait pas parlé c’est qu’on avait forcément fait autre chose. Elle est sortie d’ici avec un tee-shirt à moi sur le râble. Je fronce les sourcils. Il avance. Je lui montre la porte. Il m’ignore. J’avance. Il recule. Déconne pas mec. – Si vous voulez passer à l’accueil un de ces quatre, qu’il lui balance comme si c’était normal. C’est pas tous les jours facile de faire semblant de pas entendre ce genre de connerie. – On sera pas obligé de lui dire. C’est qu’il lui fait même un clin d’œil discret. Trop drôle connard. Et il s’en va, le patron, lui fait au revoir de la main quand il fait abstraction de moi sans vergogne. Ferme la porte. Je renifle un peu fort. M’agite un peu dans une grimace passagère. Vais me camper à côté de ma sempiternelle fenêtre. Aimerais démarrer ma chambre pour me barrer loin de là. Loin de tous ces cons qu’il y a en ville. – Y a du Whisky dans le sac, sur le frigo. Si tu veux en mettre dans ton café. Ou si tu ne veux plus de café… Comme j’ai pas bu mes bouteilles, moi, sur le trajet. Je sais que je ne devrais pas te parler. Qu’il faudrait plutôt que je te foute dehors, mais je veux être sûr d’en avoir vraiment envie, avant. Et elle fait ses trucs, la fille. Sans trop me regarder. Comme si tout était normal et classique. Comme si elle ne m’avait pas tiré dessus, la veille. Comme si je ne lui en voulais pas. Non. C’est bizarre en fait. Je vais te jeter dehors. – Comment tu m’appelles ? La demande est étrange. Autant que l’ambiance. Pète sans logique. Roule sur la langue avec un accent rond et chaud. – Quand tu penses à moi, dans ta tête, comment tu m’appelles ? Quand tu es venue ici, tout à l’heure, tu cherchais qui ? Le connard ? L’ours ? L’autre ? Le pecnot ? Le basané ? Henri, Fred, La Montagne ? Le fils de pute de la chambre 314 ? C’est quoi le nom qui me va bien ? Elle esquisse un mouvement. Je redresse le menton. Voudrais lui intimer de rester à sa place… Mais je ne sais pas bien si ça serait foutrement prétentieux – elle veut peut être juste seulement bouger ou fumer ou m’amener un godet – ou si ça serait clairement d’utilité publique – qu’elle arrête de poser ses mains sur moi quand je me sens prêt à exploser au moindre contact de sa part. Quand je devrais continuer à la haïr. Quand on était pas censé se revoir, jamais. – Merci. Merci pour la peau.
Couleurs des Dialogues:
Dialogue en Rromani #715380 Dialogue en Russe #b16539 Dialogue en Serbe #3e5918 Dialogue en langage des signes russe #333333
Et il ment. Me ment comme un arracheur de dents. Il n'est toujours personne, le mâle. Un homme parmi les autres, pas plus fort, pas mieux, pas pire. Et ça me blesse, ouais, ça me blesse, là quelque part au fond de moi. Ça fait un pincement, un truc pas cool, pas sympa ; un truc que je voudrais ne pas ressentir, ne plus jamais ressentir. Les phalanges se crispent et la gueule se froisse dans une déception étrange. Pourquoi tu ne dis pas la vérité ? Pourquoi tu ne veux pas me dire qui tu es ? C'est genre un secret, on te recherche, ta tête est mise à prix, t'as fait des trucs crades dont t'es fier ou pas fier ? Je ne sais plus, moi, je ne comprends pas, moi. Je ne pige pas pourquoi tu fais ça, pourquoi tu dis rien, pourquoi tu te contentes de me larguer de la merde du bout des lèvres. Ça changera quoi, si je le sais ? T'as peur qu'on soit trop intimes, que je m'accroche à toi comme une tique sur son chien ? Il se penche, trop, beaucoup trop, murmure à mon oreille et je crois que je ne respire plus, que mon cœur a raté un battement ou deux ou trois. Ça me fait frémir d'une manière indescriptible. Je voudrais qu'il me touche, lui susurrer qu'il n'a qu'à goûter à son tour pour se faire une idée, que c'est OK, que je veux bien, ça ou autre chose, c'est OK, ouais. Les lèvres entrouvertes, ça palpite entre les côtes, entre les cuisses. Il y a ce truc qui m'électrise, qui me rend encore plus chétive, quand tu me causes ou me regardes. Ça me file, des idées lubriques et animales. Je crois que je suffoque, incapable de respirer, l'air comme bloqué dans mes poumons. Je l'expire bruyamment pourtant, parce qu'il met un terme à l'échange, qu'il insinue que j'ai trop bu pour savoir ce que je fais. L'échine se tend et les muscles se raidissent. Désenchantement. Je m'apprête à le pousser, rageuse, vexée, peinée par ses propos. Tu penses que je suis bête ? Que je saute sur tous les mecs dès que j'ai un coup dans le nez, sans déconner ? Elle doit être belle, l'image que tu as de moi. Ouais, tu dois vachement m'estimer pour penser ça. Il ne bouge pas, ne se pousse pas et je tiens bon sur mes guibolles, bouge un peu quand quelqu'un toque à la porte. La providence. Ou pas vraiment. Il me semble vaguement reconnaître le timbre nasillard du type que j'ai croisé plus tôt dans la journée. Tu t'arrêtes jamais de faire chier les gens, toi, sérieusement ? Je crois que j'avais envie de cris, de heurts, qu'il me fasse mal, qu'il me blesse, comme pour rééquilibrer nos rapports, pour repartir sur un truc un peu plus droit avec des saluts et des présentations en règles comme n'importe quel consanguin du coin. Je fais un pas de côté pour rompre la proximité. Je n'ai pas envie de revoir sa gueule de débile, à l'autre, autant qu'il aille ouvrir. Mais il touche, effleure et ça fait remonter les pupilles vers les siennes dans une interrogation muette à laquelle il répond dans un murmure à peine audible. Hochement de tête docile. Je crois que je comprends mieux pourquoi ce débile pensait que j'allais pouvoir t'aider. Mais sourd et muet ? Vraiment ? C'est culotté, même moi je n'aurais pas osé. On n'a pas vraiment le temps de se détacher qu'il pénètre dans notre semblant d'intimité, éclatant notre bulle dans un ploc désagréable. Il semble surpris, sa bouche formant un O majestueux qui me force à le regarder avec un certain dédain. Le mâle tend quelque chose, la thune qu'il lui devait, je suppose et s'il la prend machinalement, il ne le remarque pas le moins du monde. Il a ses mirettes rivées sur ma silhouette, ignorant froidement la sienne. J'arque un sourcil à sa remarque, ne comprends pas vraiment où il veut en venir avec ses insinuations. Surtout que ça te regarde pas en fait, connard. Quelque chose se joue devant moi et je n'entrave pas le moindre accord. Puis je comprends tardivement, qu'il pense que je me le tape et qu'il aimerait bien lui aussi, son petit quart d'heure de délices. Ça me donne envie de rire, pas parce qu'il est drôle, ou pas vraiment, mais parce que t'es particulièrement con, comme gars. Il disparaît sans que je n'ai le temps de rétorquer quoi que ce soit, lance un -on devrait lui dire que tu lis un peu sur les lèvres. Je me surprends à utiliser ce mot, ce On. Parce qu'on est tous, sauf ça, sauf On. Il ne semble pas capter ce que je lui dis, se colle à sa fenêtre pour en étudier la nuit ou que sais-je. Le sac qu'il indique, les bouteilles d'alcool, de whisky, posées-là, à portée de bras. À mettre dans mon café ou à boire, peu importe. Je croyais que j'avais trop bu et maintenant, tu préfères que je boives un peu plus ? Tu penses que ça va me faire taire, que je vais me mettre à dégueuler ou à pioncer dans un coin et que tu pourras passer le reste de ta soirée tranquille, sans moi sur ton dos à te demander qui tu es, pour que tu me mentes, encore, encore et encore ?
Le papier se froisse sous les tiges, je récupère l'ambre, cherche un verre, un quelque chose qui s'en approche, ne trouve rien, rien qu'une tasse de café que j'ai déjà liquidé. J'en verse à l'intérieur, me fige quand la question passe la barrière de ses lèvres. Les sourcils se froncent dans une vague d'incompréhension. Je ne comprends pas, pense qu'il a déjà oublié mon prénom, qu'il s'est paumé dans les accords et qu'il a gerbé la mauvaise question. La suite me fait dérailler et j'ai envie qu'il se taise, qu'il me regarde, ouais, qu'il demande ça en s'approchant, en effleurant encore mes côtes pour que ça paraisse bien réel. J'avance et le museau se redresse, les petits pas me conduisent trop près, la tasse se tend tandis que j'accueille son merci d'un sourire tendre sur les lippes. Les phalanges se touchent et à nouveau, un frisson se propage. -Je ne t'appelle pas, avoué-je, le timbre plus grave. -C'est toi, ou lui, mais rien d'autre. Je me sens conne à la seconde même où les syllabes quittent ma langue. -Je veux dire, je n'ai pas envie de te filer un petit nom à la con qui ne serait pas toi, pas vraiment toi, qui ne serait qu'un fragment, pas toi pleinement. Mais tu préfères être personne, toi, et ça me dérange, moi, même si ça devrait pas, je crois. Et qu'est-ce qu'il s'en fout. Il doit certainement bien rigoler de te voir plonger dans son jeu alors que toi tu vois rien, rien du tout. Pense à te réveiller Kah, avant que ça ne te fasse mal. -Pourquoi tu me mens ? T'es un criminel recherché ? Tu penses que je pourrais te balancer aux flics ? Une inspiration. -Enfin bref, si tu veux rester personne, je ne peux pas te forcer à être quelqu'un, que je lâche, peinée. Je reprends mes distances comme pour respirer, comme pour anéantir tout ce qui s'agite sous le front. Ce n'est plus une question de culpabilité qui me fait rester, je ressens le besoin de savoir qui tu es et ça me rend dingue que tu me le refuses, que tu me le caches, même si t'as le droit, ouais, t'as le droit de me dire merde et de me dire casse-toi, aussi. C'est juste moi, moi qui ne suis pas prête à te l'entendre dire. Ma paume glisse sur les poils foncés du couvre-lit. -Je suis contente qu'elle te plaise, lâché-je dans un demi-sourire. On ne m'a jamais vraiment dit merci parce que je n'ai sans doute jamais rien eu à offrir jusqu'ici. Je crois qu'égoïstement, je voulais qu'il se souvienne de moi, comme je me souvenais de lui, de son goût, ouais, mais aussi de ses traits. T'es pas un morceau de bifteck en liberté que j'ai envie de bouffer, t'es autre chose, autre chose qui n'a pas de nom, que je n'ai pas envie de nommer en vérité. Parce que ça fout le vertige, cette alchimie, ce truc qui fait que tu m'électrises. Ça n'a aucun foutu sens, mais c'est là, probablement que dans un seul sens. Je ne peux pas vraiment t'en vouloir de ne pas ressentir les mêmes choses que moi. Perdue dans la contemplation des murs moisis et des meubles abîmés, je retrouve un verre un peu ébréché, me fous de connaître son niveau de propreté et décide d'avaler le liquide ambré qui danse dans la bouteille. Je réfléchis en avalant chaque gorgée, prétexte une envie de fumer pour m'approcher de la fenêtre et m'y accouder, propose une clope, allume la mienne qui passe plus de temps à se consumer qu'à se faire tirer sur le filtre. Le silence paraît lourd et gênant alors je le fuis dans un premier temps, l'harponne de mes deux billes claires l'instant suivant. J'imagine un nouveau prétexte ridicule pour pouvoir le toucher. -Montre-moi que je souffle en glissant mes doigts sur ses fringues, caressant la meurtrissure. Celle qui fait que c'est moi. Que c'est moi et que tu sembles t'en foutre quand n'importe qui m'aurait traité de folle à lier. -Est-ce que tu penses que je suis une cinglée ? La question me bouleverse et je crois que j'ai peur, peur de l'entendre dire oui, peur qu'il le dise de vive voix et que ça m'anéantisse. Alors je lui coupe l'herbe sous le pied, l'empêche de répondre en venant effleurer ses babines pour qu'il se taise. -Montre que je souffle à nouveau, relevant moi-même le pan de tissu pour l'aider à le retirer et à dévoiler la carcasse et sa musculature. L'alcool agissant comme un inhibiteur, les craintes sont lointaines, paraissent dérisoires, si ce n'est inexistantes. Des petites croûtes se sont déjà formées, rendent la plaie plus foncée, moins rouge, plutôt noire. Tout à ma contemplation, la langue se délie, omettant les filtres. -J'aime pas, j'aime pas ce que je t'ai fait et je n'arrête pas d'y penser. D'y penser pas comme tu crois, en me flagellant avec des orties blanches. Juste y penser, y penser différemment, comme si t'avais aimé ça et qu'on ne ce serait pas quitté comme ça. T'es en train de lui dire que tu fantasmes sur lui, Kah. -J'ai bu pour oublier, t'oublier, mais de toute évidence pas assez, parce que je suis là et que tu ne m'as pas encore renvoyé chez moi. Et même si c'était le cas, sans doute que je ne l'écouterais pas.
Je me balance d'une jambe à l'autre, ose le regarder dans les yeux, fixe mes pupilles aux siennes avec la trouille qu'il juge et repousse. La trouille que t'ouvres les yeux, que tu piges que c'est une connerie, que ça va mal finir. Et peut-être qu'il le sait déjà, que c'est la raison pour laquelle il s'obstine à être personne. Parce qu'on ne peut manquer à quelqu'un en étant personne. Il n'y a pas d'attache, pas de fardeau, juste l'inconnu et les possibilités infinies. Il ne sera qu'un visage, des traits qui s'estomperont au fil des années jusqu'à disparaître totalement. Je ne me souviendrai plus de sa voix, de son timbre grave et son accent qui roule sur le bout de sa langue. Son goût disparaîtra également, s'effacera de la psyché comme le reste. Je n'en connaîtrai plus la saveur pleine, n'en garderai qu'un souvenir, comme lorsque l'on goûte un fruit rare. Tu es rare que j'aimerais lui dire, si toutes les syllabes ne venaient pas de se coincer dans le fond de mon gosier. Je prends une inspiration ou deux, lance un -je ne voulais pas te blesser, j'te jure. Mais te goûter, ça putain que oui que je voulais. -Goûte-moi que le largue comme une bombe, d'une voix trop forte, comme si ça venait d'exploser dans ma boîte crânienne. -Tu voulais savoir, alors fais-le. Prends un couteau, ouvre ma peau, ce ne sera qu'une énième cicatrice parmi les autres, mais une qui me donnera la sensation qu'elle a été faite pour une bonne raison, un peu folle, mais bonne. Alors fais-le. La paume se tend entre nous sans trembler, bien trop décidée à le laisser me trancher un bout de viande, ici ou ailleurs. La requête est complètement dingue et sans doute que je ne lui aurais jamais dit de faire une chose pareille, trop honteuse d'être un sale monstre. -Fauve, ça sonne un peu plus comme un monstre, que je balbutie comme une note à moi-même.
You alone have the power. You only hold the control. [...] One fleeting moment. Few short-lived seconds. Mere short flicker in time, for the shadow to grow and die.
T’as pas envie de m’appeler pour ne pas tomber à côté mais est-ce que tu sais que je ne suis personne ? Ici ou ailleurs, j’ai pas de nom. Pas d’identité. Parfois je suis un fuyard, parfois un bâtard, parfois un tzigane… Parfois ces trois choses à la fois. Mais on m’appelle pas moi, non, on ne m’appelle pas. On me hèle, au mieux. On m’appelle Mec, le Basané ou le Sourd-Muet. On évite de me causer. On évite de me connaitre. Ma vie n’est faite que de rencontres furtives, de bout de vie que je vole aux gens sans jamais leur permettre de me voler, à moi. Ca m’effraye, je crois. Je suis l’inconnu. Le grand. Le bizarre. Je suis des dénominations décousues dans l’esprit des gens. Un souvenir sans savoir et parfois un peu Brutal. Je ne suis rien d’autre qu’une ombre qui ne se pose jamais. Qui divague dans le monde, sur des terres qui ne lui appartiendront jamais. J’ai pas le temps pour me présenter. On s’en fout que je me présente parce que je ne reste pas là où je vais. On pense souvent que je meurs. Que je suis mort. On m’oublie comme on oublie un cauchemar ou un rêve – pas plus que le soleil se lève. Je n’ai pas d’importance dans la vie des gens. Pas d’impact. Je passe avec ma caravane ou ma carcasse et c’est tout. Ouais. C’est tout. Je suis le mec qui passe et vous êtes les clébards qui jappent. C’est pas long. C’est pas intense. J’échange pas avec les pecnots et ils ont pas envie d’échanger avec moi. Puis généralement ils ne savent pas que j’en suis capable. Ils se moquent tu sais. Ils se moquent souvent quand je suis à côté parce qu’ils sont sûr que je n’entendrais jamais ce qu’ils pensent de moi. Ils font comme si je n’existais pas alors – peut-être, je ne sais pas – je n’existe pas. Et ça me va. Ca me va. J’ai choisi de vivre comme ça. Alors… Ouais. Fais comme les autres et oubli moi ; t’es même pas censée savoir que je peux communiquer. Tout ça c’est parce que tu m’as tiré dessus Fauve. Notre relation repose sur une balle et ta culpabilité. Mais t’as pas besoin de culpabiliser pour une balle. Elle est plus là. Je ne t’en veux pas.
La tasse est placée dans le creux de ma main quand les mots de Fauve continuent de se disperser dans la nuit. Puis les questions aussi. Les questions, toujours. Si je ne te donne pas mon prénom tu te doutes que je ne vais pas t’avouer que je suis un criminel recherché, sois pas conne. Le silence c’est bien, aussi. Le silence, ça protège. Je baisse un peu le menton. Me concentre sur le godet dans ma main. Le liquide qui y navigue dans les remous faiblards de ma respiration stable. Je l’avale cul sec quand elle approche. Refuse la clope parce que je ne suis pas certain de pouvoir en prendre une sans dégommer son paquet. Lui coule un regard indéfinissable quand elle me fixe avec attention. Qu’est ce que tu mates ? Tu crois qu’à un moment je ne vais plus en pouvoir et tout t’avouer ? Tout te dire sur moi et ma vie ? Tu crois que t’as un pouvoir magique ? Celui de la persuasion parce que t’es mignonne et sympathique ? Mais c’est pas ça qu’elle veut, Fauve. Fauve ce qu’elle veut c’est voir la blessure. La plaie. Celle qui a un peu rougie le tee-shirt et celle qui a affolé ce passant que j’essayais de voler. Elle veut se rendre compte, encore, de ce qu’elle fait – de ce qu’elle peut me faire ou de ce qu’elle veut encore me faire. Je résiste. Relève mon cul du rebord de la fenêtre pour ne pas qu’elle me touche. Pour ne pas qu’elle me donne envie de la toucher en retour. En quelle langue il faut que je te le dise que je n’ai pas envie d’être tactile ? Mais je ne suis pas assez vif ou assez grand. Ou pas assez convaincu moi-même de ce que je veux. Ses doigts me rencontrent. M’arrêtent dans l’élan de fuite qui anime la carne. Je bouge plus, parce que je ne pourrais pas me barrer bien loin de toute façon. On est chez moi et je viens de l’inviter à boire un verre. L’interrogation amère se perd sur la pulpe de ses doigts. Sur mes lèvres. Et je ne me défends pas quand elle me fait quitter mon haut. Je me dis juste T’es con, Brishen, qu’est-ce que tu essais de te prouver ? De lui prouver ? De vous prouver ? Je pose ma tasse je ne sais pas trop où. Quelque part d’où elle ne tombe pas. Ecoute les remords en masse. Capte une étincelle de désir, je crois. A la frontière de ce qu’elle aurait aimé que j’aime. – J’ai détesté me recevoir une balle, que je soupire plus que je ne le prononce. Comme un murmure étranglé dans ma gorge qui se serre. Je crois que personne n’aurait aimé ça. Mais elle s’en fiche Fauve. Elle veut qu’on soit à égalité. Tend la menotte entre nous pour que je puisse la gouter. J’ai du mal à saisir, d’abord, pourquoi c’est ça qu’elle me montre. Qu’elle me donne. Ai l’impression qu’elle veut mettre une certaine distance avant le coup fatal. Comprends au ralenti qu’elle veut que je la saigne. Pour qu’on soit tout pareil. Si tu veux un acte égalitaire faudrait d’abord que je manque de te flinguer, tu le sais, ça ?
Les genoux flanchent. Tombent devant elle. Ca va vite. Ca va fort. Les phalanges s’agrippent aux passants de sa ceinture. Cherchent le bouton de son jean. Le font sauter. Le pètent. Le dégagent quand les doigts roulent jusqu’à sa croupe pour baisser son futal sous le rebond de ses fesses. Et c’est là, sûrement, qu’elle comprend mieux, Fauve, de quelle façon j’avais envie de la goûter. De quelle façon je me posais la question. Alors elle inspire Fauve. Tente de choper avec la pogne un recoin de mur ou mes cheveux quand ma tête se perd entre ses cuisses. Quand son pantalon craque sur l’arrière de ses cuisses et que ma langue se montre inquisitrice. Elle lape l’intérieur de sa cuisse, d’abord. Ses lèvres, ensuite. Sens un sursaut. Saurais pas dire si c’est parce que je lui fais du mal ou du bien. Tente de lui soulever une jambe quand, je pense, elle se débat pour virer son bas. Récolte sa sève – la goûte vraiment dans la moiteur de son entrejambe. Grogne quand elle palpite. M’énerve sur son froc qui se déchire. Elle ondule sur ma gueule, Fauve. Me fait grogner quand j’aimerais hurler : J’peux pas te toucher Fauve. J’peux pas. Alors fais le pour moi Fauve. Fais le pour moi. Et je m’affaire. Et je lèche. Et elle se cambre. Et elle a bon goût Fauve. Un goût un peu sauvage. Un goût qui lui va bien. Et mes paumes se posent sur ses fesses quand elle se cambre un peu plus, Fauve. Quand je la fouille. – T’es bonne, Fauve, que je lâche plus pour moi. Recule à peine la gueule pour essayer de la voir, dans le noir. Mais il fait noir. Y a juste le néon vert, dehors, qui vomi sa lumière instable. Et j’y retourne. N’attend pas vraiment de réponse. Ou de Je sais, merci. Imagine qu’elle a pas le choix. Elle a proposé que je la goûte, après tout. Je n’avais juste pas précisé comment. Et je me dis Tant pis. Et je me dis J’ai envie de t’entendre crier. Brailler. De t’entendre gueuler. Gueuler des noms, des surnoms. Pas à moi, parce que tu l’connais pas, celui qui est à moi. Mais c’est l’intention qui compte paraît. J’ai envie que tu fasses du bruit, parce que je ne suis pas censé l’entendre. Que j’emmerde mes voisins mais j'ai envie de connaître au moins ça, de toi. Les nuances de ton goût et de ta voix.
Toc toc toc. Je suis sourd. Sourd. Vraiment. Ne pense et n’entend qu’elle. Me concentre sur son sang qui pulse là, dans son artère si près de mon oreille. Me concentre sur sa respiration et sur les mouvements de son corps. Sur mes mains qu’elle cherche et sur ses mains qui se caressent. On est cinglé tous les deux.
Toc toc toc. – Monsieur Oleg ? voix chevrotante du patron du motel. Porte qui claque. Elle saute de ses gonds, la connasse, quand on m’arrache à vive allure de l’entrejambe que je savoure. Qu’on me traîne – pas très loin. Chopé par l’épaule meurtrie. Balancé à terre sans que je ne puisse saisir. Je vois le plafond sombre. Des corps. Des ombres. La crosse d’un Colt qui frappe ma pommette et des connards qui beuglent Ta gueule ! Ta gueule ou on te flingue ! Les paupières papillonnent quand je ramène mes bras devant ma face. Tente de rouler sur le flanc pour comprendre mais le canon froid d’une arme me maintient à terre. Me fait lever les paluches au-dessus de la tronche. – Monsieur Oleg ? qu’un timbre grave balance sur le ton de l’humour en se penchant au-dessus de moi. C’est un mec. Un grand blond aux yeux très bleus et aux cheveux gominés en arrière. Il a des cernes. Des cernes gris et l’orbe si terne que j’en mettrais ma main à couper, qu’il s’en envoi sévère dans les veines. Je fronce les sourcils. Capte que je ne connais pas ce type. Qu’il est trop bien zappé et trop armé et probablement trop organisé pour être un pecnot comme les autres. – On vous dérange, peut-être ? qu’il continue, d’un calme olympien, en virant ses gants et en faisant un signe vers l’entrée défaite. Un peu ouais. Ca bouge. Ca fait du bruit. Je suppose qu’on tente de refoutre les bouts de bois en place pour qu’on ait tous un peu plus d’intimité. – Qui c’est ? Il demande, le mec, toujours aussi placide. Je n’ai pas besoin de relever la nuque pour savoir qu’il parle de Fauve. – Il est sourd et muet, que balbutie le patron qui a vachement perdu de sa superbe. Et la remarque fait rire. Il pouffe, le blond, dans une exagération psychotique. – Sourd et muet ? qu’il répète en se tapant la paume contre la cuisse. Provoque l’hilarité générale chez ses compères – ils sont quatre. – Il est aussi sourd que ce qu’il s’appelle Oleg. Il revient vers moi, arrange sa chemise blanche. Semble plus crispé, tout à coup, à en déformer ses traits si parfaits. Sa gueule de con. – Où elle est ? qu’il demande en reniflant bruyamment. Je pense à mon père. Je pense que, ça y est il m’a retrouvé. Silence. – Où elle est ? Silence. La chaussure cirée percutent les côtes. M’extrait une expiration forcée. – T’es ni sourd ni muet, alors dans quelle langue il faut que je te le demande ? C’est à son tour d’expirer. Il baragouine un truc qui ressemble à des mantras zen. Déclare un tic nerveux qui fait tressauter son arcade sourcilière. J’étais occupé. Tu m’as dérangé, ne t’attends pas à ce que je sois coopératif. – On va quand même te tuer, qu’il annonce comme s’il m’annonçait qu’il allait se marier, faisons en sorte que ça soit sans te torturer Oren. – Oleg. – TA GUEULE ! le patron baisse le menton. – Alors ? Où-est-la-ma-lle-tte ? articule-t-il la mâchoire crispée. J’ai bien envie de répondre dans ton cul, mais je doute que le trait d’humour te fasse sourire. – OK. Redressez le. Des paluches me chopent les biceps pour m’asseoir. Elles pincent plus forts quand je tente de me relever entièrement. Me demande vaguement si je peux encaisser autant de souffrance d’un coup si je me mets à tous les tarter. Me cède que je ne veux pas savoir parce qu’il n’y aurait pas que ma vie ne jeu. – Qui c’est, elle ? qu’il demande en pinçant le menton de Fauve. – Une amie, il lui fait dodeliner la gueule, une petite amie ? Elle est pas trop banche et trop jolie pour toi ? Il lui fait dire oui. Je me disais bien aussi. Puis il claque des mains. Fait sursauter un peu tout le monde. – Bien ! Tu ne veux rien nous dire Ozen ? Tu me les auras tous fait. – On va faire un deal, alors, tu veux bien ? Non. – On va te laisser 24h pour la mallette. Si t’es pas trop débile elle ne doit même pas être ici. Si dans 24h tu ne nous l’a pas donné – parce qu’on va revenir – on tue ta copine. Il se décale. Se dégage un passage jusqu’à la porte d’entrée. – Inutile de te préciser qu’on te retrouvera si tu décides de te barrer. Je suis un vrai limier. Il baisse la poignée. – Quoi que si, fuyez, ça pourrait être drôle une vraie chasse à l'homme. Ah… Et… Son arme se tend. La détente se fait maltraiter par l’index. Le coup part. Les yeux se ferment. Le corps du patron du motel tombe dans la chambre. Il lui a tiré dans la tête. – A demain ! chantonne-t-il en sortant de la piaule.
Couleurs des Dialogues:
Dialogue en Rromani #715380 Dialogue en Russe #b16539 Dialogue en Serbe #3e5918 Dialogue en langage des signes russe #333333
La main entre nous, pour qu'il prenne, déchire le derme, goûte à son tour, le sang qui pulse à travers veines et artères. C'est presque euphorisant, trépigne à l'idée qu'il tranche et appose sa jolie bouche sur ma peau. Ça me fait sourire, ouais, d'un sourire tendre, un peu fou, sans doute parce que j'attends beaucoup. Et après, après tu pourras me dire, m'expliquer ce que ça fait, ce que ça te fait à toi d'avoir ma vitae en toi. Il ne tranche pas, le mâle, ne touche pas non plus la paume offerte comme une putain d'offrande. Ses genoux se choquent au sol, la surprise tire mon visage dans un mélange d'excitation et de déception. Je ne comprends pas tout de suite, perchée dans l'innocence de ma demande. Ça me foudroie quand ses phalanges s'agitent sur la ceinture, arrachent fermeture et froc dans un craquement qui enfle dans la nuit entre les cloisons humides. Je chancelle, cherche l'appui d'un pan de mur ou d'un meuble, le trouve en emmêlant ma menotte à ses cheveux. Et je défaille quand il enfonce le museau entre les cuisses et que la langue se fait inquisitrice. Je gronde d'un désir qui m'électrise. C'est fort, violent et brutal, ça comprime l'air de mes poumons et ça embrase les reins et le bide à m'en faire mal. Les guibolles bougent, prisonnières du tissu qui les empêchent de s'ouvrir un peu plus. Le dos s'arque, cherche à épouser sa bouche pour qu'il en donne toujours plus. Qu'il suce et lape, qu'il touche aussi, mais il ne touche pas, lui. Et ça me bute qu'il ne le fasse pas, parce que j'ai besoin de ça, de lui tout entier, de ses doigts fouillant ma fente à mesure qu'il lampe. Je le cherche sans le trouver, mes phalanges se heurtent au vide, à son crin et ses épaules, mais pas ses mains, non, pas ses mains. Ça me contrarie assez pour que les tiges se glissent à l'entrecuisse, écartent les lèvres, écrasent et pincent la chair. -Touche-moi que j'implore d'une voix étranglée, comme muselée par sa chaleur enivrante. -Putain, touche-moi grondé-je, plus autoritaire. Mais il ne fait rien, toujours rien et ça me rend dingue, ouais, au point que je bouge, que je bouge dans l'idée de le repousser pour mieux l'encercler de mes cuisses et le défroquer à mon tour. Un râle s'extirpe des babines, résonne dans le gosier devenu aussi sec qu'une flaque en plein désert. Je chavire. Je chavire, pas parce que je l'ai décidé, pas parce qu'il l'a décidé, mais parce que des types sont entrés et qu'ils nous ont bousculé rompant le contact, le lien physique qui nous unissait. J'ai tout juste le temps de rassembler mes esprits, imagine qu'ils viennent pour moi, qu'ils m'ont retrouvé et qu'ils veulent me ramener, m'enfermer, me buter, finir ce qu'ils ont commencé. Je cesse de respirer quand un type me planque contre le mur si sèchement que j'ai la sensation que la cage thoracique se referme. Je ferme les yeux dans une tentative débile de tout faire disparaître, de remonter le temps. La lumière reste éteinte et ils ne sont que des silhouettes et des ombres. Ça cause, mais ça ne semble pas m'être destiné. Une paupière s'ouvre, comprends que ce n'est pas à moi qu'on en veut, mais à lui. Lui qu'on maintient, qu'on retient, qu'on tient en joue de suffisamment près pour que le pruneau craché fasse des dégâts considérables. Les billes grandes ouvertes, je décrypte la scène de mes mirettes. Le elle qui me pince, qui éveille une jalousie malsaine. C'est qui, elle, que j'ai envie de beugler à l'assemblée ? Le elle que j'imagine jolie fille bien roulée, planquée quelque part dans la ville, dans ce motel ou ailleurs. Et tu fais quoi avec elle ? Et c'est qui elle, bordel ? C'est pour ça que tu ne veux pas dire ? Dire qui tu es ? C'est parce que tu planques une nana, le genre pas facile à cacher parce qu'elle resplendit de beauté, que t'es marié ? J'arrive à me monter la gueule toute seule en l'espace d'un poignée de secondes ou minutes. Je rumine, perds le fil de ce que le grand blond raconte, m'y accroche soudainement parce qu'il pince le menton, me sort de ma torpeur. La trogne se tourne prestement pour s'arracher à ses pattes, mais il tient fort. Trop fort. Une grimace se peint sur mes traits. Il n'y a que du dégoût qui luit dans mes pupilles et de la haine, aussi. Je n'aime pas qu'on me touche sans que je l'autorise. Je n'aime pas qu'on me contraigne, qu'on m'immobilise. Les souvenances afflux à la vitesse d'un volcan en fusion. Ça éclate sous le front, lave brûlant les synapses, carbonisant ce qui reste de raison. Je claque des dents au moment où il claque des mains et s'éloigne. C'est que son attention est tournée vers lui. Lui qui ne bronche pas, ne pipe pas un mot ni même une insulte. Il est sourd et muet que j'ai envie de cracher bêtement quand je sais que ça ne servirait qu'à le faire rire. J'ai les joues en feu et l'entrejambe toujours humide de mon miel et de sa salive.
Un tir. La gueule se tord dans une impulsion qui me dérègle le myocarde. Je crois que c'est sur lui qu'il a tiré, lui qu'il a buté quand un corps s'étale sur le sol de la petite piaule. Je bouge et le molosse m'en empêche, plaque mes omoplates qui se sont détachées du mur pour le rejoindre. C'est quand ils partent que je pige que ce n'était pas lui. Lui l'inconnu, celui qui n'a pas de nom, mais une langue divine. Je m'approche un peu trop vite, bute sur le cadavre de bouclette, baisse les mirettes. Une mare carminée se diffuse tout autour de sa tête, dans un halo divin. Je tombe, paumes vers l'avant, éclaboussant mes bras de son sang. Ce rouge, ce rouge noir et cette odeur de fer qui enfle et enfle si fort que ça me tord la bedaine. Ça me fait mal de résister, de ravaler le monstre, si mal que ça me fait relever la gueule dans une complainte muette à la recherche de ses prunelles. Je le cherche et le cherche à travers la pénombre, le trouve, m'y ancre. Les phalanges bougent, c'est épais et encore chaud. Je les soulève une à une et les laisse retomber, j'ai l'air d'une gamine en train de jouer dans une flaque d'eau. Mais je ne regarde pas, ne veux pas baisser le museau parce que je sais. Je sais que ça va réveiller l'instinct, parce que le rouge est rouge et que c'est joli, le rouge. Ouais, c'est beau, ça roule sous les doigts et ça teinte l'épiderme. Et c'est bon le rouge, une friandise, une sucrerie. Les pupilles s'aiguisent, deviennent inhumaines. Je crois que je le supplie du regard pour que ça s'arrête, pour qu'il me tire de là, qu'il ne me laisse pas patauger dans l'hémoglobine de ce pauvre type. Un couinement. Je ne sais pas s'il pige quoi que ce soit, mais il est là, ouais, il est là, je crois ou je me l'imagine parce qu'il m'obsède, lui aussi, d'une autre façon, pas plus saine. Je me hisse plus loin, essuie mes mimines, m'arrache à la viande fraîche, salope mes genoux et mes jambes pour l'atteindre. Il se redresse, m'échappe. Je crois que j'ai dessaoulé vitesse grand V. Faut dire que les montagnes russes émotionnelles, ça aide. J'étais parfaitement installée sur mon petit nuage et on m'a poussé si fort que je me suis écrasée, encastrée six pieds sous terre. Et ça fait mal et c'est pas sympa. -C'était qui ? Que je demande comme si je n'avais que cette question à la bouche pour tout et tous. -C'est quoi cette mallette ? Que je sache pourquoi on menace de me tuer moi, sous prétexte que ma mort pourrait t'affecter quand on sait tous les deux que ce ne sera pas le cas. -Je pourrais les tuer, si tu veux, que j'ajoute d'un ton détaché en le retrouvant pour glisser ma main sur son torse dénudé. Je dois lui paraître totalement déconnecté de la réalité, perchée à des hauteurs invraisemblables, voguant vers d'autres strates. -On doit s'en aller, que je me surprends à ronronner. Ce on, toujours ce on bizarre en bouche. -Et on doit, on doit se débarrasser de lui. Parce qu'il y a tes empreintes, ouais, mais aussi les miennes alors ça devient tout autant mon problème. J'ai dans l'idée de repasser mon pantalon, comprends trop vite qu'il est niqué et que je ne pourrais pas le réutiliser. Ses fringues à lui sont trop amples et trop larges, alors j'abandonne, ouais, j'abandonne l'idée de couvrir mes guibolles même si ça me rend soucieuse, anxieuse. Je ne veux pas qu'on voit. Par chance, il fait toujours nuit et je m'active comme une fourmi après avoir volé encore un de ses tee-shirt pour que ça me recouvre le derche. Le silence nous entoure, la concentration dans chaque geste. Je peine à réprimer l'envie de croquer ce connard, parce que la bête est toujours là, qu'elle attend le moment où je vais baisser la garder et qu'elle va pouvoir prendre toute la place. Le rouge m'hypnotise quand il gorge les draps qui le recouvrent. Je m'arrête, me fige, comme absente à cette réalité, propulsée ailleurs. Dans cet ailleurs où le rouge, le rouge est partout, partout, partout. Je me remets en branle quand il faut déplacer le corps. C'est lui qui s'en charge, déplace le corps jusque dans mon 4x4. Ça résonne quand il le colle à l'intérieur et fait vibrer la caisse. Les vitres teintées dissimulent le méfait, nous permet de remonter pour nettoyer les traces que ce bâtard a laissé. Il a l'air gauche, le mâle, alors je glisse un -laisse, je vais le faire, attends-moi dans la caisse. Je le boute en-dehors de la piaule, sous prétexte qu'il doit surveiller que personne ne vole notre précieux paquet. Et dès qu'il s'est tiré, je me suis jetée sur la flaque d'hémoglobine pour la lécher, à même le sol. Je tousse et je crache. Toi, t'es dégueulasse, inbouffable, de la putain de barbaque avariée. Dans la salle de bains, j'avale la flotte à même le robinet pour éradiquer le goût insupportable qui me reste dans la bouche.
Je le retrouve, m'installe au volant sans rien dire, conduis loin, plus loin encore que l'endroit où je l'ai trouvé, presque abattu. L'endroit est désert, méconnu du public et abrite mon bien le plus cher. Un vieux cabanon que j'ai racheté une bouchée de pain à un vieil alcoolique pendant qu'il descendait des litres et des litres d'alcool, un soir tard ou un matin très tôt à mon bar. Il faut marcher un peu, en dehors des sentiers balisés. Il apparaît, avec ses vieilles planches recouvrant les deux petites fenêtres en guise de volets. À l'intérieur, trône un fauteuil datant probablement de l'antiquité. L'assise est abîmée, le cuir s'est fendu de partout, ne reste que sa couleur, son vert dégueulasse recouvert d'un plaide à carreaux, tout aussi dégueulasse. Il n'y a qu'une peau sur ce qui me sert de lit de camp pour les fois où j'ai besoin de me retrancher de la population. Assez souvent, donc. Un réchaud à gaz, des boîtes de conserves, Et c'est tout. Une peau sèche dans le fond, ce qui donne une odeur un peu fauve, mais pas désagréable, dès qu'on rentre à l'intérieur. Ça me laisse le temps de prendre une pelle, d'attraper un plan et de le scruter d'une lampe torche pour trouver l'endroit parfait. Là, à quelques kilomètres. Ça doit nous prendre une heure pour s'y rendre, moins longtemps pour revenir. Je creuse. -Comment tu voudrais que je t'appelle ? Parce que machin, c'est pas génial et Hercule, c'est bizarre en bouche, que je lance à la volée, fracturant notre silence. Et tant pis pour la vérité, tant pis pour les mensonges. C'est étrange, nous, paumés au beau milieu des bois, un fusil en moins entre mes doigts. Marche retour, j'ingurgite de la flotte, tends la bouteille, constate qu'il saigne. -Merde. Ça imbibe le tee-shirt dans une trace qui dégouline jusque son ventre. Je le déshabille sans rien demander, plaque mes lèvres à sa plaie, sans rien demander non plus. Je lape les traces, bute sur son jean, relève les prunelles dans un désir qui me transperce. C'est toi qui me rends comme ça, même si j'essaye de ne pas penser à ce que tu me faisais, là, entre les cuisses. J'aime ta façon de marcher, de serrer les poings quand tu sembles hésiter et le tressautement de ta paupière quand t'es en train de réfléchir à la façon de me mentir. -Il faut refaire les points, murmuré-je, ailleurs, perdue dans ma lubricité. Et j'appose la paume sur le haut de son froc, titille le bouton de mon pouce avant de le faire sauter. Il ne me retient pas ou peut-être que je ne le vois pas. Je me relève, ronronne à son oreille en glissant ma menotte en dedans dans une caresse chaude, - dis-moi comment t'appeler, dis-je d'un timbre suave. Hissée sur la pointe des pieds, la joue se frotte à la barbe, s'échauffe à son contact. -Dis-le moi, que j'insiste, en effleurant ses lippes des miennes. Je le quitte et les doigts entrelacent les siens, forcent le contact qu'il n'a pas offert la première fois. Ils se font guide, glissent le long de la cuisse pour remonter à l'antre de nouveau brûlante. Je le bouscule malgré ma corpulence, tire sur le tissu pour le libérer. Les phalanges s'enroulent autour de sa queue, branlent sans plus attendre dans la moiteur d'un désir qui m'étreint. Les lippes se choquent et se mordent dans une brutalité qui m’exalte. Je le touche, touche chaque parcelle de peau que je peux dérober, piller. Je réclame encore et toujours -touche-moi, ajoute -s'il te plaît, m'embrase entre ses mains qui ne touchent pas vraiment, qui ne palpent pas. Je crois que ça me frustre, que ça me donne envie de lui faire mal, d'appuyer sur sa plaie pour le voir gesticuler, mais je ne fais rien, me contente d'errer sur son derme pour y lécher son sel. Je me pourlèche les babines, les humidifie, l'avale sans y foutre les dents. La langue et son bout de métal caressent son membre. Et j'en veux plus, toujours plus. je veux te sentir, moi, te sentir vraiment, tu comprends ? Les joues se creusent dans une aspiration puissante et le libèrent pour qu'il retrouve le fond d'air frais qui nous entoure, quand bien même tout me semble brûlant à cet instant. Je joue de ma bouche, titille les sens, lape et aspire. Je ne pense qu'à ce moment où il me possédera pleinement, percute que je n'ai plus de pantalon et que je n'amène personne ici. J'ai pas de putain de préservatif. -Dis-moi que t'as un préservatif, quelque part, dans tes poches que je miaule douloureusement en le pressant entre mes tiges.
You alone have the power. You only hold the control. [...] One fleeting moment. Few short-lived seconds. Mere short flicker in time, for the shadow to grow and die.
Ce mec n’est qu’un amas de chair fraiche et demain ça sera potentiellement moi. Potentiellement elle. Et ça me fait un truc au bide. Un truc au cœur. Un truc qu’il ne faudrait pas que ça me fasse. Pas parce que j’ai peur – je n’ai pas peur, pas peur pour moi – mais parce que j’ai toujours fait en sorte que mes emmerdes ne touchent personne. Alors peut être que j’ai merdé ouais, une ou deux fois, dans ma vie. Que j’ai impliqué des gens dans des plans dangereux, sans vraiment le vouloir, dans un recours désespéré. Mais c’était pas prévu là. Je n’avais aucune envie que ça le soit. J’imaginais pas ma soirée comme ça. Tu vois Fauve pourquoi je ne veux pas ? Pourquoi je ne veux pas que tu connaisses mon nom ou mon prénom ? Pourquoi je ne veux pas que tu m’humanise ? Parce que tu humanises forcément quelqu’un quand tu le nommes. Ce n’est pas l’anonyme du coin ou tous ces gens qui meurent en nombres dans des pays dont tu connais à peine l’existence. Ce n’est pas l’anonyme d’un meurtre atroce, qui te ferait à peine plisser le nez avant de zapper ou de tourner la page de ton journal à scandale. Ce n’est pas l’anonyme qui te fait hausser une épaule en te disant que c’est dommage. Quand tu humanises quelqu’un, il gagne une infime particule d’importance dans ta vie. Et cette infime particule d’importance dans ta vie peut être utilisée contre toi pour te faire du mal. Et de mon côté… De mon côté je me protège, tu vois. Si je n’ai d’importance pour personne et que personne n’en a pour moi, alors on ne peut pas me faire de chantage affectif. On ne peut pas tuer les gens que j’aime. Si je n’ai d’importance pour personne et que personne n’en a pour moi je suis seul pour gérer mes problèmes et ça, ça me va. Sauf que là ça va pas. Non. Ca ne va pas. Fauve est impliquée. Elle est impliquée pour une histoire de timing à la con. Parce que j’ai voulu qu’elle reste boire un verre – qu’elle n’avait pas l’intention de partir. Que je l’ai retenu en me perdant entre ses cuisses. Qu’est ce qu’il se serait passé si tu étais partie quelques minutes avant ? Qu’est ce qui se serait passée si tu n’étais juste pas venue pour m’amener ton cadeau ? Les divagations se perdent. Se paument. Ne ressentent pas plus d’indignation pour ce qu’il vient de se passer qu’une sincère peur – peur pour l’avenir et mon désir de vengeance. Le patron du motel et sa gueule décharnée finissent par bouger. Probablement plus vite que le court de mes pensées – ou plus lentement. C’est Fauve qui y bute. Qui s’écroule. Qui semble complètement perdue au milieu de cette mare de sang et je ne sais pas… Je ne sais pas si elle éprouve un flot de dégoût ou une tempête de fascination morbide. Mais elle cherche mes prunelles Fauve. Elle les cherche quand je me dis que je l’ai mise en danger. Que je l’ai mise en danger et que je devrais m’en foutre. Que je devrais me lever, maintenant, faire mes affaires et ne pas me préoccuper d’elle. Qu’ils vont probablement venir la chercher mais, qu’elle ne sait rien, encore, et qu’elle ne pourra pas leur dire. Même sous la torture, Fauve, elle ne pourra qu’inventer. Elle ne connaissait même pas l’existence de la mallette jusque là – elle ne connait pas ces gens et ce qu’ils me veulent et pourquoi ils ont tiré une balle dans la tête d’un patron innocent. Parce que sinon il aurait pu les reconnaitre. Ils n’avaient plus besoin de lui. Je mets quelques secondes à me rencontre compte que Fauve patauge. Que Fauve est paumée au milieu de sa mare de sang. Je me demande pourquoi elle ne se relève pas. Me rappelle qu’elle a un sacré problème quand il s’agit d’hémoglobine. C’est quoi ton putain de problème ? T’es une trappeuse, tu en vois tous les jours, tu vas pas me dire que ce soir ça te choque plus qu’un autre. Je suis de mauvaise foi. Me redresse trop vite. Elle se redresse pas loin derrière. Comme si j’avais été son impulsion. Et ça m’arrange parce que je ne sais pas comment je l’aurais faite sortir de là, sinon. En lui arrachant un bras, peut être. Ce bras qu’elle tend pour venir me toucher le torse dans une proposition foutrement étrange. Je suppose que le contact la rattache à la réalité ; qu’il la lie à quelque chose de plus puissant encore que la mare de laquelle elle vient de s’extraire. Mais moi tu me salopes du sang d’un autre et, on va pas se mentir, ça me plait moyen bof. Surtout que ce n’était pas mon grand pote, tu vois ? – Les tuer pour moi ? que je répète dans une surprise presque tangible. Pourquoi tu ferais ça pour moi ? Parce que t’as manqué de me tuer la veille et que je me suis glissé entre tes cuisses et que du coup tu me dois quelque chose ? Parce que c’était convenable et que tu tues des ours, alors des Hommes… Je capte pas. Vois pas pourquoi cette fille – cette Fauve – ferait quelque chose comme ça pour moi. Sans me connaitre. Me rassure en supposant que c’est parce que sa vie à elle est aussi en danger. Que ce n’est pas personnel. Qu’on ne peut pas proposer ça comme ça. Pas à un mec qu’on a rencontré comme on s’est rencontré nous. Aussi rapidement. Aussi spontanément.
On finit par se mettre d’accord sur le fait qu’il faut se débarrasser du corps – se barrer d’ici même si je ne suis pas certain que ça servirait à grand-chose. Le chef des opérations avait l’air assez sur de lui pour me faire penser que ça fait un moment qu’il me suit. Qu’il connait mes habitudes. Qu’il a dû foutre des putains de mouchards dans la plupart des trucs que je garde avec moi. Alors je m’affole. Regarde un peu partout en enfilant un tee-shirt. Trouve rien de probant. Ramasse des affaires. Les fourre dans un sac. Récupère les bouteilles de gnoles. Jette le tout sur mon épaule quand je soulève le mort pour l’amener dans le 4x4 de Fauve. Je le fourre dans la malle, cherche pas à faire des miracles, les vitres teintées s’en chargent à ma place. Fais un détour rapide à l’accueil du motel. Fais mine d’aller aux toilettes. Celles que j’avais prétexté vouloir utiliser de toute urgence quand j’étais arrivé. Bifurque à gauche à un moment. Soulève un tapis. Dans un angle, les lames de planchers ont été démises pour pouvoir y glisser une mallette. Ma mallette. Je reviens à la caisse pour la planquer plus ou moins maladroitement dans l’habitacle. Retourne à l’intérieur pour aider Fauve. Suis une plaie. D’une maladresse peu commune. Ai peur de péter un truc. De déchirer un truc. De faire paraitre un truc encore plus suspect que ce que ça ne l’est – alors que ce n’est même pas notre faute. Ca m’énerve. Je m’agace. Fauve me propose d’aller l’attendre dehors. Ce que je fais sans franchement insister pour lui faire changer d’avis Oh mais non, mais à deux ça ira plus vite puis ça sera moins glauque. Je descends. M’allume une clope. Puis deux. Puis nique le briquet et m’aperçois que je suis vraiment excédé. Que je suis à deux doigts de la rupture. Que je suis à deux doigts de ne pas attendre les 24h indiquées pour les retrouver moi et voir ; ouais, voir combien de personnes en souffrances mon cerveau est capable de comprendre et d’encaisser. Surement pas plus de deux. Mais bon, quitte à crever. Parce que c’est ça qu’il a dit. Que quoi que je fasse j’allais y passer.
Fauve revient quelques minutes après. Se fout derrière son volant. Cale son dos à son siège. Encore un tee-shirt à moi, que je me dis quand elle démarre comme pour me sortir de mon état de nerfs. Me concentre sur elle. Un peu. Mais ça finit par m’énerver aussi. M’énerver sans raison. Parce qu’elle ne devrait pas être là et que j’ai juste envie qu’elle parte. Qu’elle me laisse gérer ça mais elle ne le fera pas. Elle ne le fera pas parce qu’elle ne me fera pas confiance et qu’elle aura toujours peur que je me barre et qu’on vienne la récupérer elle et qu’elle crève pour que je puisse vivre. Alors je me mords la gueule. Ou peut être que ce qui m’énerve c’est que j’aimerais que tu te barres mais que j’ai peur que tu le fasses. Regarde le bitume. La route. Les lignes blanches sur le bas-côté et les lumières de la ville au loin. Je monte le son de la radio et le baisse. Gigotte sur mon siège. Réprime l’envie de lui demander quand est-ce qu’on arrive. On arrive. Faut marcher. Faut marcher avec le corps sur l’épaule et l’épaule qui brûle et qui tire et qui flingue. Je râle pas. Assume le fardeau quand les points lâchent un par un. J’ose pas demander à Fauve si le cabanon est le sien. Présume que oui à la voir y naviguer avec aisance. Rêve de me poser dans le fauteuil vieilli mais il faut déjà repartir. J’ai la mine base, quand je la suis. Suis trop tendu pour avoir la réminiscence de notre rencontre, qui ne date pas de longtemps. Mais on enterre déjà un corps ensemble. Un truc qu’on aurait du dire à la police si on avait un semblant d’âme de gens honnêtes. Est-ce qu’il a une famille, ce mec ? Est-ce que quelqu’un va l’attendre, ce soir, chez lui. Est-ce que quelqu’un va s’inquiéter qu’il ne rentre pas ? Est-ce que quelqu’un va appeler les flics et est-ce qu’il va y avoir une battue ? Est-ce qu’ils vont retrouver le corps et, s’ils le font, est-ce qu’on est sur qu’on ne sera jamais suspectés ? Parce qu’on a des allures de suspect parfait là. Elle creuse, Fauve. Avant que je ne prenne la relève ; pendant qu’elle fume une clope ou qu’elle boit de la flotte. L’air souvent pensive, souvent absente. Je suppose toujours que c’est le cadavre qui l’intéresse plus qu’une quelconque discussion qu’on pourrait avoir. Pourtant elle tente un sujet Fauve. Ou peut être même qu’elle le retente vu le nombre de fois dans cette soirée où elle me l’a demandé. Et encore une fois je fais semble de pas entendre. De pas écouter. D’être trop concentré. Moins tu en sais, mieux tu te portes. Puis on rentre. Peut être en trainant un peu plus le pied. Une œillade est jetée à mon montre. Annonce qu’on est en plein milieu de la nuit et que je ne suis toujours pas bourré. Relève le menton. Prend machinalement la bouteille qu’elle me tend même si ce n’est pas vraiment ce que je veux. M’arrête net quand elle devient vulgaire. Qu’est ce qu’il y a, merde ?
Tournée vers moi Fauve fixe mon bide. Et peut être qu’elle n’a pas tort. Le tee-shirt gris est tâché de rouge. De rouge partout. Ce rouge qu’elle m’ôte sans que je ne lutte. Elle lape quand je bouscule ridiculement – un comble pour un mec qui est censé avoir une force extraordinaire qu’il est incapable de maîtriser. Elle cause de points qu’il faudrait refaire. J’ai envie de lui répondre qu’il faudrait déjà retourner à la cabane pour me faire des points. Que qu’est-ce qu’elle fout là ?! et que qu’est ce qu’elle essaie de se prouver ? Mais sa paume sur ma queue bloque ma respiration. C’est rapide. C’est pressé. C’est pas tendre et c’est comme j’aime. Mais tu ne peux pas, Brishen. Encore une fois je veux lui expliquer. Lui dire que c’est compliqué. Que c’est jamais comme je veux et que ça peut être dangereux, ce qu’elle fait. Que je peux lui faire autant de mal que ce que je peux m’en faire. Que je ne suis pas certain d’être aussi agréable qu’elle semble le penser. Mais toi tu l’es, Fauve, agréable. Ta voix. Tes ronrons. Tes voyelles et tes consonnes qui roulent sur ta langue. Qui donnent envie que ta langue elle roule sur moi tout pareil. Je soupire quand elle achoppe la paluche. Qu’elle l’amène à l’entrejambe. Qu’elle la fait passer sous le tee-shirt trop grand. Qu’elle ondule pour que je la sente. Moite de désir. De désir de moi. Déconne pas, Brishen. Comment ne pas déconner ? Là, maintenant. Quand est-ce que j’ai loupé le coche ? Celui où il aurait été bon de ne pas faire le con et de la pousser ? De la pousser entièrement pour lui dire d’aller se faire foutre par quelqu’un d’autre ? – Brutal que je balance très vite. J’m’appelle Brutal.
Je vibre. Dérive. Balance un peu la tête en arrière mais la ramène quand elle se baisse. Quand je sens ses lèvres autour de moi. Quand elle me gobe. Quand je voudrais pousser dans sa gorge mais que je ne peux pas. Le supplice m’arrache un grondement sauvage. L’aspiration m’en arrache un plus proche de la jouissance. J’veux emmêler mes doigts à sa tignasse. Réprime l’action. Fais un petit bruit sec quand je ne sens plus les lèvres de Fauve. Manque de m’étouffer quand elle me cause d’un truc auquel je ne pensais pas. Je dodeline du chef, de droite et de gauche. Non, désolé, je ne prends pas de préservatif dans mes poches quand je vais enterrer des morts… Mais tu devrais plutôt trouver ça rassurant. Ca devrait même être une prérogative pour toutes tes conquêtes. – On peut pas, que je me tente avec la voix égarer au fond de la gueule alors que Fauve a sur sa face, une expression peu satisfaite. Fini moi. Mes hanches se tendent. Ses tiges me quittent. Elle se redresse Fauve. J’sais pas pourquoi. J’sais pas pour me dire quoi. Et je crois que c’est par là, que moi je dégoupille. De nerfs. De rage. De colère et peut être un peu d’actes manqués. Que je me dis que cette fille, de toute façon, je ne la reverrais jamais. Qu’elle va peut-être me faire mal à la tête mais qu’elle me fera du bien au corps. Que je peux au moins gagner ça sur ma soirée. Je crache un – Je vais te faire mal , qui n’a rien de rond ou d’engageant. Ca ne semble pas être un mensonge – juste un constat froid dans une atmosphère chaude. Et je balance nos fringues. Craque surtout les siennes – mon tee-shirt – quand je la ramène contre moi. Me refuse à l’embrasser quand elle tend la nuque. Lui palpe une fesse. Grimace quand je semble lui faire mal – dose la caresse à la douleur qui pulse dans ma tête. Trouve rapidement la nuance agréable. Glisse mes mains derrière ses cuisses. Soulève la carne de la Fauve. Lèche les seins. Les mord un peu fort. La laisse un instant onduler contre mon bide. La décale encore. Assez pour nous voir. Nous regarder quand je la prends d’un mouvement ample. Quand j’emplis la fente avec une facilité déconcertante. Que ça me donne envie d’y aller avec plus de vigueur. Quand je me contente de lâcher légèrement la prise que j’ai sur ses hanches pour qu’elle donne les premiers coups de reins. Quand le premier que j’envoie lui coupe la respiration dans une décharge qui se mêle à mon propre plaisir. La mâchoire se referme sur un de ses bras. M’balance une nouvelle décharge. Je pousse plus fort en elle. Nouvelle décharge. Mes lèvres se perdent à l’angle de sa face. Cherche son regard. Cherche à savoir quand ça va et quand ça va pas. Mais c’est compliqué parce que tout semble aller bien.
On bascule. On se vautre dans les feuilles mortes. On se bat, quelque part par là. Contre nous-même et contre l’autre. J’agrippe son poignet. Le maintiens au sol. La puissance est dissuasive. Nouvelle décharge explosive. – Bouge. Bouge Fauve, que je répète au rythme de nos coups de butoir. Elle me chope l’épaule. Me fait cracher une insulte. Puis deux. Plus plusieurs autres quand nos corps s’entrechoquent. Vibrent l’un contre l’autre dans les heurtes, les cris et les feulements incertains – dans ce mélange étrange de douleur vive et de sexe pur, animal. Elle me griffe. Je la pille. Fais claquer nos chairs dans une mélopée humide. Remonte en elle à lui en faire soulever les reins. La touche dans la certitude que sa peau aura des bleus demain. Aimerais y aller plus vite. Plus fort. Mais je la sens se tendre quand je me tends – les crocs accrochés quelque part sur moi. On s’active. On se cherche. – Cris. On jouit. Et elle se cambre dans les feuilles mortes Fauve quand je passe une main entre ses seins. Que je flatte l’orgasme dans une contemplation admirative. Quand autour de sa tronche y a le halo lumineux de ses cheveux et ses paupières closent et qu’on dirait presque qu’elle est morte alors que ça veut juste dire qu’elle est en vie. – T’es belle , que je crache comme un badaud du dimanche. Comme tous ceux qui ont été à ma place surement. Au dessus d’elle et encore en elle. Je bouge encore un peu dans le bruit trempé et moite de son entrejambe. Mate le spectacle sans vouloir retrouver la fraicheur du monde extérieur. Sors. La laisse. Me relève presque de suite. Titube. Cherche de droite et de gauche les fringues éparpillées et complètement déchirées. Je crois qu’il n’y a que mon pantalon qui a échappé au pire. Mais j’imagine qu’elle a de quoi s’habiller dans son cabanon. Lui ramène mon tee-shirt esquinté pour ne pas qu’elle ait le bout de foret qu’il nous reste à traverser à poil. – Ca va ? que je me décide à débiter quand elle tend la main vers le vêtement. – Fauve ? Ca va ? Je t’ai rien casé ? Au moins je t’aurais vacciné de moi. -Ce sont des hommes des Tigres d'Arkan, qui nous suivent, soufflé-je doucement en la regardant se rhabiller comme elle peut. Je crois que je culpabilise un peu, de ce que je t’ai fait… Même si je ne culpabilise pas de ce que nous avons fait. Je lui tend une main pour l’aider à se relever. – C’est une mafia Serbe. J’ai des trucs à eux qu’ils aimeraient récupérer. Court silence. Reste ici, Fauve. J’veux dire, reste dans ta cabane, là, jusqu’à demain au moins. Le temps que je leur rende ce qu’ils veulent. Que je tente de les buter et qu’ils me tuent et qu’ils récupèrent ce qu’ils veulent. Voilà. Là nous sommes sur scénario plus cohérent.
Couleurs des Dialogues:
Dialogue en Rromani #715380 Dialogue en Russe #b16539 Dialogue en Serbe #3e5918 Dialogue en langage des signes russe #333333
La négative me pète un truc entre les côtes. C'est douloureux en dedans et la frustration me donne envie de cogner et hurler. Il dit on peut pas, je pense t'as des doigts. Pourtant l'idée ne semble pas l'effleurer un millième de seconde et ça me fâche, ouais, ça me fâche, alors mes phalanges le quittent, j'ai besoin de respirer, de me calmer parce que sa présence me bute et que j'ai envie. Envie de lui tout entier. La douche froide, ça n'a jamais rien d'agréable. Une main passe dans mes cheveux, n'ai pas le temps de terminer mon geste qu'il retient et attrape pour déchirer nos fringues dans un constat qui ne me fait pas tiquer. Je m'en fous d'avoir mal si je t'ai toi, à l'intérieur de moi, ouais, je m'en fous. Ma raison saute dès qu'il n'y a plus rien pour recouvrir les carnes, dès qu'il touche dans un pincement qui me tire une grimace dans un mélange de douleur et de plaisir. Les guibolles remontent à ses hanches tandis que sa bouche s'entiche de ma poitrine, lèche et mordille ou mord, ouais mord parce que ça pince là encore. Il s'arrache et je voudrais qu'il continue, continue encore parce que j'aime sa bouche sur mon corps. Je bouge et ondule, amplifie le frottement de nos chairs, voudrais l'embrasser, ouais, l'embrasser, mais il nous éloigne, force le recul. Et je peux le voir, nous voir, mon entrecuisse flirtant avec son bide. Je ne m'attends pas à la suite après l'avoir pourtant espéré, parce qu'on ne couche pas sans se protéger, après c'est la merde, après ça peut créer des problèmes il paraît et pas que du genre en couche-culotte, mais on s'en fout, pas vrai ? Je devrais dire qu'on ne peut pas, à mon tour, me contente d'expirer bruyamment dans un grondement qui résonne à la cage thoracique. Les hanches s'agitent dans un va-et-vient inefficace. Pas assez d'angle, pas assez profond. Il prend dans un claquement de chair, la respiration se coupe et ça irradie à l'entrejambe. Ses dents sur mon bras, son corps contre le mien, sa gueule que je caresse et sa mâchoire que je mords. Les tiges se plantent à ses joues, glissent sur sa barbe et la tirent pour qu'il ne se dérobe pas, pour que les lèvres se scellent aux siennes et que les langes se lient et se délient. On se vautre sur le sol et son tapis de feuilles mortes. L'impulsion ne suffit pas à me faire passer sur lui. Il retient, le mâle, d'une poigne trop ferme qui martyrise le poignet et me cloue à terre dans un couinement fauve. Et je bouge, ouais, comme il l'a demandé, forçant la rencontre qui se fait plus vive et mordante. Ça claque et claque, m'arrache des cris qui se perdent ici et là. La peau brûle, les muscles se tendent et la respiration se déglingue. Mélodie des corps désordonnée qui trouve son rythme malgré l'anarchie. Les quenottes se plantent et l'hémoglobine gicle dans la gorge. C'est comme une drogue puissante et euphorisante, ça annihile la douleur et il n'y a que le plaisir qui se répand comme une traînée de poudre, prête à toute faire péter. Les reins se creusent, le dos s'arque pour toujours mieux le recevoir et ça ne fait plus mal, plus vraiment, ce n'est qu'un mélange satisfaisant, pire que ça, jouissif, ouais, jouissif. Je veux que tu me possèdes, que tu me possèdes entièrement, sans retenue, parce que t'es à moi. Pendant quelques minutes ou quelques heures, il n'y a que moi, que toi, que toi et moi. Ça enfle en dedans dans une brûlure insane, un fourmillement qui s'étend, un feu qui se propage. La gueule se tord, achoppe l'avant-bras entre les dents pour taire le cri qui voudrait s'échapper d'entre les lippes. Et ça vient trop vite et trop fort quand il parle, Brutal, qu'il ordonne plutôt. C'est comme si je n'attendais que ça, que lui, qu'une autorisation factice. Paupières closes, la carcasse tremble et se crispe dans un feulement puissant. Envahie de spasmes, je le sens qui palpite à l'intérieur de moi, emporté par sa jouissance. La tête plongée dans une boule de coton, les membres aussi détendus que douloureux. Et il va et il vient, encore, toujours, dans une lenteur qui me donne envie de lui souffler un encore alors que je suis à bout de force, au bout de lui. Il se détache, force les mirettes à chercher les siennes pour s'y loger dans une interrogation muette. Qu'est-que tu fous, pourquoi tu te lèves ? Pourquoi tu veux qu'on se rhabille déjà ? C'est que j'ai oublié l'endroit et le pourquoi et le comment. Le cadavre à quelques pas de là. On peut recommencer, encore une fois ? Il me rapporte mon bout de fringue et si je ne me sentais pas aussi bien, je crois que j'arriverais à lui en vouloir de s'écarter comme il vient de le faire. Tu regrettes déjà ? Tu penses que c'était une connerie et que nous n'aurions jamais dû faire ça ? T'as pas aimé ça, toi ? C'est parce que je t'ai mordu, deux fois, que tu ne veux plus de moi ? Ouais, ça doit être ça, t'as pas aimé autant que moi. Les muscles m'apparaissent soudainement douloureux, à moins que ce ne soit que ma tête et ce truc qui me sert de cœur qui ont mal. Il demande si ça va en me tendant le tissu et je ne sais pas ce qu'il veut que je lui réponde, ni même pourquoi il me demande ça. Tu veux savoir si j'ai autant détesté ça que toi, peut-être? Silence. La question qu'il réitère, accompagné d'une précision cette fois. Alors c'est ça le problème, tu crois que tu m'as cassé un truc, que tu m'as fait si mal que je ne te le pardonnerais pas ? Un sourire fatigué étire mes babines rougies. -Bien sûr que ça va, on peut recommencer si tu veux que je lance dans un ronron doux.
Je l'écoute distraitement, parce que ça s'écoule entre les cuisses, foutre dévalant le derme dans un chatouillis désagréable ; agrippe la main qu'il me tend pour que je me redresse, ressens quelques petites courbatures, rien de bien méchant. Je tique pourtant dès qu'il cause de mafia, redresse les pupilles dans un battement de cils. -Quoi ? Lâché-je comme si je n'avais rien compris. C'est que je n'ai pas encore récupéré, moi, que j'ai les connectiques engluées et que j'ai du mal à tout capter. -Non, rétorqué-je, vexée, choquée. -C'est ça, ton plan ? Je me cache, je me fais toute petite en espérant qu'ils arrivent à m'oublier alors qu'on sait toi et moi qu'ils n'y arriveront jamais et tout ça pendant que toi, tu te feras trouer la cervelle ? Je le regarde, atterrée. -Il a dit qu'il allait te tuer, que tu lui rendes ou que tu ne lui rendes pas sa mallette à la con, rappelé-je, au cas où il aurait oublié. J'expire dans un souffle sec, passe mes mains sur mon visage comme pour me réveiller. Et je me mets en marche pour retourner au cabanon, je n'arrive pas bien à penser, là, avec sa présence, son odeur, le souvenir encore très présent de toi entre mes jambes. Je crois que j'aurais aimé qu'il ait la décence de me laisser dans ma bulle de plaisir avant de la faire éclater trop vite. Parce que c'était bon, nous deux, non ? A l'intérieur, je choppe une bouteille de flotte, en descends une bonne partie avant de la lui tendre. Et c'est là que je remarque. Les traces et le rouge. Je me demande si c'est à cause de ça, si c'est pour ça qu'il s'est arraché à moi sans même nous laisser le temps de reprendre nos esprits. Les phalanges glissent sur la peau abîmée. -Je suis désolée, murmuré-je, prenant soudainement conscience de ce que j'ai fait. T'es désolée, mais ça change pas ce que tu as fait, ce que tu lui as fait. Ça change pas ce que tu es, Kah. La bête, c'est toi, pas un autre truc en toi, c'est toi tout le temps. Y a jamais eu que toi. Je m'active, sors de sous le pieu, une caisse dans laquelle il y a tout le nécessaire de survie. J'insiste pour nettoyer, réparer, sors de la gnôle pour qu'il puisse s'anesthésier la gueule pendant que je couds, encore, ce putain de trou et que je panse les morsures après les avoir désinfectées. -Reste là, je reviens, dis-je avant de passer le pas de la porte. Je vais chercher de la flotte, plus loin, dans un petit cours d'eau qui traverse la forêt. Je lave mes guibolles, efface ses traces, mais conserve son odeur, parce que je l'aime bien sur moi. Les cuisses ont des marques plus foncées, tout comme le bide, que je remarque en soulevant le pan de tee-shirt déchiré. Ça me tire un sourire béat. Le saut de flotte est rapporté et je le retrouve en train de fumer. -Tiens, si t'as besoin de te rafraîchir. Je rentre, soulève un vieux coffre pour en ressortir des fringues qui sentent comme les vieux. Je me rhabille au beau milieu de l'unique pièce à disposition. Quand il rapplique, je me détourne presque emmerdée, me mords la lèvre une seconde avant de lâcher -j'ai rien pour que tu puisses te changer. Mes fringues ne pourront pas avoir la prétention de lui faire une jolie petite robe informe. -J'ai réfléchis, que je commence en foutant mes cheveux en ordre et en retirant les restes de feuilles mortes coincées à la crinière. -Demain, tu poses la mallette dans ta piaule, on s'assurera qu'ils la prennent bien, mais tu resteras en retrait et je pourrais toujours te couvrir en cas de problème. Ouais voilà, et après ça, ouais, après ça, ils vont te lâcher et tu pourras toujours te tirer où t'auras envie. Et je capte que ça pourrait être loin d'ici, de cette foutue ville de merde. Et ça veut dire que je ne te reverrais pas, moi, plus jamais. Machine arrière. -Tu pourras toujours venir ici, y a pas l'eau courante, ni l'électricité, mais tu vois, la lampe à huile ça fait son petit miracle. Ce sera juste le temps de te faire oublier, tu vois. Ouais, ça, c'est déjà vachement mieux comme proposition, plus supportable, aussi. J'avance, pose mes paumes sur son poitrail, parce que j'aime bien sentir le myocarde qui palpite sous mes doigts. -Je suis une trappeuse, la traque et la chasse, c'est mon gagne-pain, je peux t'aider. J'ai conscience que les ours ne répliquent pas à coup de balles, que ces gens-là sont bien plus dangereux que ce que je peux croiser tous les jours dans ces bois. Ou tu pourrais l'écouter, te planquer ici comme tu as l'habitude de le faire et attendre une semaine ou deux avant de refaire surface. Lui, il aura disparu en même temps que ces types, tu ne sauras jamais s'il s'est tiré ou si on l'a buté, mais peu importe, pas vrai ? C'est faux. Il y a ce truc inexplicable qui me pousse à aller vers lui, à le voir, à lui parler, à le toucher, à le goûter. Alors je ne veux pas qu'on le tue, pas plus que je ne veux rester là, seule, sans lui. C'est plus fort que moi, je ne veux pas que tu t'en ailles. Pas encore, pas maintenant.
-Reste ici cette nuit, Brutal, ils ne pourront pas te trouver dans un coin aussi paumé que celui-là. Les tiges s'entichent de son bras dans une caresse tendre, pour qu'il reste, ouais, qu'il reste. Les peaux sont posées au sol, forme un large tapis doux et moelleux. Je voulais lui laisser le pieu, mais il a préféré dormir là. On s'est couchés après une clope ou deux ou trois, je l'ai regardé s'endormir, ai décidé de le rejoindre peu après. La pulpe des doigts cavale sur la carcasse, les monts et les creux, en redessine les pourtours avec une infinie patience. L'obsession enfle, j'aimerais savoir à quoi il pense quand il me regarde ou quand il ne me regarde pas ; s'il rêve et de quoi. Je voudrais te connaître par cœur, toi, tes secrets et ton corps. Parce que tu es différent, ouais, tu l'es d'une manière que je ne saurais définir et j'ai besoin de savoir ce que c'est pour le préserver. Je me glisse sur lui et je crois qu'il ne dormait pas vraiment, qu'il faisait semblant, qu'il espérait que je me tire probablement. Son tee-shirt que je relève à ses épaules pour glisser la langue entre les pectoraux, mordiller un téton, embrasser ses abdominaux et flirter avec ses cicatrices. Je prends le temps de le découvrir, d'imprimer ses contours à la psyché comme si j'avais peur d'oublier, de l'oublier. Parce que tu vas t'en aller, je le sais. Tu le feras parce que notre rencontre n'a rien d'une belle histoire et parce que je ne suis qu'une fille parmi tant d'autres. Je ne suis pas spéciale, juste un peu barge. Toi, tu l'es. Tu l'es pour moi, spécial. Je le déshabille sans rien arracher, sans rien péter, le prends en bouche pour en graver sa saveur, avaler sa longueur, là, tout au fond de la gorge. J'embrasse sa peau, me hisse sur son bide après avoir quitté mes fringues. -Je te veux, Brutal, et sans doute qu'il n'a pas conscience à quel point c'est vrai. Et je m'empale sur lui, jusqu'à la garde, reste un moment comme ça, sans bouger, juste pour le sentir, le sentir enfler entre mes chairs humides. Et je bouge, amorce les va-et-vient dans une rythmique saccadée qui me tire grondements et cris. Il emplit la fente toute entière, la trogne s'échappe vers l'arrière et je gronde et je feule. Prénom qui s'échappe d'entre les babines, crié puis murmuré à son oreille comme une de ces promesses éternelles. J'ondule et frémis, balance des hanches, cherche le bon angle, celui où je pourrais le sentir parfaitement. Ses mains à lui que je contrôle des miennes, poussent à pincer le derme, qu'importe la couleur dont se teintera la peau demain. J'aime ça, tu sais. J'aime ça que tu marques le derme, que tu laisses une trace de toi sur moi. J'aime quand tu pinces, que ça pique, que ça brûle, que ça fait mal. Ça me donne la sensation que c'était quelque chose, pour toi aussi. Ouais, que c'était quelque chose et pas rien. Je pince à mon tour, maltraite sa chair de mes ongles et de mes doigts. Un frisson remonte l'échine, électrise la nuque à en faire trembler les bras. L'entrecuisse frotte et claque, c'est plus fort et plus intense dès qu'il accompagne le mouvement. Je beugle et gueule mon plaisir, ne retiens aucune note et je suis putain de bruyante. La pogne porte la sienne à mes lèvres, je lèche son pouce puis mords sa main, me gorge de sa vitae qui me pousse à la jouissance. L'orgasme est violent et me transcende. Je retombe mollement sur lui, ne veux pas quitter sa carne, roule sur le côté pour continuer de le regarder tout en laissant nos jambes entrelacées. Je glisse ma joue dans sa main dans une caresse tendre comme pour répondre à ses questions, celles dans ses yeux. Et je crois que je m'endors à un moment donné, sans même aller boire ou pisser, sans même retirer son odeur, notre odeur. Je dors mal. Les cauchemars en poison qui flinguent les nuits, irritent la psyché. Réminiscences de ce qu'ils ont fait, encore et encore et encore ; les gestes et les mots gravés au fer rouge à la mémoire. Je me lève, pose mon cul dehors, sur un vieux tronc mort. Je m'allume une clope, vois le jour percer au-dessus de la cime des arbres. C'est beau et c'est calme. C'est pour ça que j'aime être ici, sans personne, sans tous ces connards qui gueulent dès le matin parce que le café est trop chaud ou trop froid, parce qu'il pleut ou qu'il vente. Nature vivante qui grouille tout autour, je fume avec un étrange picotement dans les entrailles. Il va peut-être crever ce soir. Je prépare du café, des dosettes en stick avec un peu d'eau chaude, c'est pas fameux, mais ça réveille son homme. Je lui tends dès qu'il se redresse, ne parle pas, ne bouge pas vraiment, reste plantée là sans moufter, réfléchissant à l'après. Il vit et j'attends, reprends un café, le troisième ou le quatrième, je ne sais plus, je n'ai pas vraiment compté. -Tu vas me laisser venir avec toi, ce soir, Brutal ? Que je lance après trop de silence. -Tu sais que je vais venir, même si tu me dis non, ajouté-je avec un sourire d'emmerdeuse accroché aux babines. Et s'il ne voulait plus te revoir, Kah ? Et si hier c'était bien, mais qu'aujourd'hui, c'était fini ?