Il n'y a que le sang. Que cette saveur profondément ancrée sous sa langue. La sensation d'avoir poignardé trop assidûment sa propre chair. D'avoir fait infusé trop longtemps la dentition d'autrui dans sa porcelaine. Lorsqu'elle pénètre dans la chambrée de Titus, quelques heures après l'incident, Orphédia s'immobilise. L'endocarde s'agite prématurément, tandis que le deuxième ventricule tente désespérément de suivre la cadence désordonnée. Le monde suspend sa souplesse. Le monde se tord et s'affaisse. Quelques balbutiements jaillissent de la gorge engourdie, aucun n'a cependant de sens. Il y a seulement les larmes, qui émergent sans muraille, sur les monts de ses joues. Titus est mort. Là, dans ce lit. Seul avec la Faucheuse, il s'est endormi. Le chaos creuse l'oesophage avec tendresse et acharnement. Finalement, il y jette la haine, la culpabilité, la tristesse et la faiblesse, s'amuse de regarder le bouillon crever les veinelles de sa propriétaire. Titus est mort. Son petit corps est guidé contre son sein, tandis qu'elle ferme les yeux, qu'elle s'isole d'un Moscou décharné, dévasté, dont elle préfère ignorer les autres fardeaux. La paume soulève le petit têtiot, l'accueille tout contre sa poitrine, ultime câlinerie avant le dernier adieu. Titus est mort. Et sur les épaules, les ombres viennent se promener. Sur les vertèbres, sur les hanches, sur tous les os. Lorsqu'elle hurle sa détresse, les ténèbres crèvent l'atmosphère, s'étirent partout dans la pièce pour mieux dévorer tout ce qui s'y trouve. Commode, lit, couvertures, habits, jouets, s'envolent en charpies noirâtres, qui s'étiolent dans le néant d'une réalité abjecte.
Lorsque Orphédia ouvre de nouveau les yeux, quelques minutes plus tard, son regard patiente sur le visage de Titus. Petit bambin trop jeune, trop innocent et surtout trop téméraire, que Moscou lui a ôté violemment. La mort, de toute sa splendeur, survole les rues avec l'âme-enfant, le guidant vers les sombres paradis promis. « Je suis désolée... Tout est de ma faute... » Eclats de sanglots se dispersent entre les épis désordonnés du cadavre miniature.