1. mon nom dans les airs.
Kaj. Son précieux. Son ancre. Son ultime vestige d'une vie depuis longtemps trépassée auquel, désespérément, il se raccroche et s'écorche. La dernière poussière d'une existence de mortel calcinée, puis soufflée par les trop nombreuses décennies passées qui lui laissent en bouche comme un arrière goût d'inachevé.
Kaj. Qui lui rappelle chaque jour ses origines tirées d'Islande. Kaj. La preuve d'un héritage familial, une appartenance qui le rattache à une humanité morcelée qu'il ne peut guère plus rafistoler. Kaj, pour ne pas oublier sa condition originelle. Kaj, pour ne pas sombrer d'avantage. Kaj, pour qu'une part de lumière ne laisse jamais les Ténèbres le consumer pleinement. Kaj, pour s'allier à des identités qui changent au gré du vent et des saisons, qui se métamorphosent à chaque ravage laissé dans son sillage. Kaj, et seulement Kaj; son prénom n'est plus que néant, un oublié qu'il a remplacé récemment par un certain Mikaël, un étranger auquel il devra de nouveau s'accoutumer.
Mais finalement, qu'est-ce que ce fameux Kaj qu'il se refuse d'abandonner, si ce n'est qu'un nom qui n'a plus la moindre signification. Un nom qui ne s'accompagne plus du moindre souvenir, si ce n'est d'une vague idée des plaines islandaises, un foyer qu'il ne considère plus comme tel. Une bouée dans son océan déchaîné qui l'empêche de couler. Un leurre. Un fardeau qui le tire vers le fond chaque fois que ses pensées le harcèlent. Qui es-tu ? Kaj... Pourquoi ne te rappelles-tu pas qui tu es ? Kaj... Pourquoi t'obstines-tu à vouloir le découvrir ? " Pour ne pas laisser le pire m'envahir, quand je me trouve déjà au bord du précipice "... Pour que l'Homme ne cesse jamais de résister aux tentations du monstre qui sommeille. Trop tard, ne le sais-tu pas ?


2. mes cris sur la terre.
Mille six cent quatre vingt dix, l'année de sa naissance. Dix sept cent trente, celle de sa mort. Ces dates sont des bribes qui n'ont même plus la force d'effleurer sa mémoire. Quarante ans d'existence lambda avant que la créature ne s'éveille, c'est ce que semble lui refléter son miroir, dans chacun des traits de son visage un peu blafard. Ils lui paraissent à la fois mûrs, mais à peine marqués par les aléas du temps passé. Aléas qui n'ont plus le moindre effet sur lui; éternelle jeunesse étrangement figée qui le hante et l'obsède.
Il est né Islandais, au sein d'une fratrie disparue qui lui est devenue étrangère. Il mourra... Pardi ! Il est déjà mort, une première fois, sur cette île qu'il n'aura jamais quitté. Il décédera, une dernière fois, un jour certainement. Peut-être, ou peut-être pas. Anglais ? Américain ? Canadien ? Qui sait, tant d'identités aux différentes sonorités et nationalités ont déjà été adoptées, avant de s'en délester. La seule certitude, présentement, c'est qu'il est Russe. Russe dans ses tripes quand la vodka laisse comme un sentiment désagréable de nausée ou de lourdeur. Russe quand il s'abreuve du sang des catins et des débauchés, des coupables ou des innocents. Russe quand tout déraille, quand tout va mal, quand tout s'embrase. Russe quand tout s'arrange, quand tout va bien, quand le feu s'éteint. Russe, provisoirement, néanmoins dans l'âme. Russe, que ça te plaise ou que ça te débecte.

3. mes tourments ventriculaires.
C'est un célibataire chevronné, un collectionneur de conquêtes qui lui offrent charmes et luxure, à qui il dérobe l'élixir de jouvence. Décadence. Irrespect. L'amour s'apparente à une idée bien trop abstraite depuis qu'il est devenu créature ni morte ni vivante, ne demeure qu'un instinct primaire et sauvage qui lui susurre seulement l'assouvissement de ses désirs, de ses besoins, de ses caprices. C'est un sentiment qu'il n'a plus éprouvé depuis que la fascination pour celle qui l'a transformé s'en est allée avec sa mortalité. Malsain. Passionnel. Obsessionnel. Ephémère. La beauté de cet état a chaviré. La sensation qu'elle est sensée lui faire éprouver n'existe plus, consumée par la noirceur et la débauche, accaparée par une bête qui s'approprie les corps puis les rejette au gré de ses humeurs. L'amour a fait de lui le monstre, le monstre se gausse aujourd'hui de l'amour. Fautif. Destructeur.

4. mes espoirs éphémères.
Lorsque les décennies se succèdent, sans grand intérêt, il faut savoir combler le vide et tromper l'ennui. Plusieurs diplômes décrochés sur le fil ou avec mention, plusieurs carrières à son actif, pour amasser la connaissance et la richesse, pour que le temps lui semble moins long, pour épouser un semblant de normalité réconfortante dans ce monde aux teintes surréalistes qui le minent. De l'officiel, de l'officieux, un peu de tout sans se préoccuper du légal ou de l'illégal, avant d'accepter un poste à l'université de Moscou, en tant que professeur d'Histoire médiévale. Un métier comme un autre, sans passion, sans ambition. Une banalité. Une couverture qui paye ses factures, sans qu'il n'ait besoin de dépenser ses trésors sans compter, ou qu'il ne doive  justifier une vie trop aisée.
Cette place, dans cette société, ne lui convient plus; il suffoque, il s'emmerde, il aspire à plus. Beaucoup plus. De plus grands desseins s'esquissent, comme une envie de pouvoir qui dégueule sur une page vierge. Un désir obscur, de bas-fonds et de possession, de sordide et d'argent facile. D'envoyer tout ce semblant de sagesse et de quiétude valdinguer, pour faire tomber les masques, et se fondre dans cette ombre tentatrice qui lui tend les bras. Une occasion, c'est tout ce qu'il attend pour un énième tournant décisif, et il se pourrait que cette dernière lui soit déjà livrée sur un plateau d'argent...

5. mon cocon mortifère.
Menteur de talent - Charmeur invétéré et beau parleur - Fin stratège - Observateur - Opportuniste - Égoïste - Fier - Désillusionné - Secret - Obsessif - Intelligent - Raffiné - Peu impressionnable - Manipulateur - Prédateur - Patient - Caractériel - Confiant mais pas forcément de confiance - Directif -  Colère froide - Impitoyable - Déterminé - Capricieux - Inventif - Brisé - Joueur - Moqueur - Persuasif - Borderline - Provocateur - Arrogant - Monstre dans la peau d'un homme

« C'est l'oeil du Diable qui garde le Diable à l'oeil !
- Je ne comprends pas, j'ai toujours trouvé que c'était un homme courtois et agréable.
- Certes, il semble raffiné et porteur de belles paroles, mais je m'en suis toujours méfié comme la peste !
- De ce que j'en ai vu il paraît très charmant.
- C'est pour mieux te faire écarter les cuisses, il prend, il jette !
- Ne raconte pas n'importe quoi, il n'a jamais cédé à tes avances.
- Un prof qui se taperait son élève serait contre la déontologie, peut-être s'en tient-il à la bienséance, tout simplement, mais je suis certaine que c'est pas l'envie qui lui manque...
- Ca en fait un séducteur compulsif, pas le Diable pour autant non ?
- Il ne m'a jamais inspiré confiance...
- De ce que j'en sais, mieux vaut ne pas le mettre en colère !
- Je le trouve bien trop mystérieux pour le cerner, il pourrait être n'importe qui... N'importe quoi...
- Il me glace le sang, il a cette lueur dans le regard qui t'angoisse »