Des mots sur des maux.

« Bonjour, Heather. Savez-vous pourquoi vous êtes là ? »

Un rire étouffé s'échappe à cet instant de ses lippes typiquement féminines, ce genre de rire moqueur et sans intérêt émotionnel qui prouvait une certaine ingratitude envers son interlocuteur.

« Parce que mon très cher père l’a décidé. »
« Mais encore ? »
« Elle est morte il y a deux mois. »
« Et comment le vivez-vous ? »
« Comment pensez-vous que je devrais le vivre ? Bien ? Non pour sûr. Vous savez ce que je déteste chez les psys ? Ils posent des questions en sachant pertinemment la réponse juste pour tirer les vers du nez de leurs patients. Sauf que je n’ai aucune envie de vous parler. Elle est morte, et personne ne pourra panser cette blessure mieux que moi-même. »

Elle avait été dévastée et son géniteur l’avait forcé à prendre une séance chez le psychiatre le plus réputé de Moscou par crainte qu’elle ne finisse par devenir complètement folle, déprimée, voir pire. Cela aurait pu la toucher, si elle avait su que les intentions de son père avaient été prédites pour son bien-être, sa santé. Pour SA fille. Mais la réalité en était toute autre. Heather n'avait pas le droit de déshonorer leur famille en déviant du droit chemin, elle devait garder la tête sur les épaules et ne pas entacher l'image de son père, ainsi que la future image de son frère.

Pourtant, ce n’est pas ce qui chagrinait réellement la jeune femme...

Il y a cinq phases dans le processus du deuil, le déni, la colère, la négociation, la dépression et l’acceptation. En général, les trois premières étapes passent très vite, et la dépression devient la phase la plus longue et douloureuse pour chaque individu perdant un jour un être cher. Heather était restée bloquée à la seconde étape du processus. Ce qu’elle savait ne lui permettait pas de franchir le cap et d’avancer dans sa vie. Sa mère avait été assassinée. Voilà la raison de sa rage. La mort est la suite logique du long périple qu’est la vie. Mais l’assassinat change la donne en empêchant la personne de vivre ce qu’elle avait encore à vivre en forçant son destin jusqu’à sa chute. Douce et cruelle décision prise par quelqu’un qui n’en avait en aucun cas le droit.

« Votre père… »

Le psychiatre sorti Heather de ses songes, vraisemblablement, il n’avait pas osé prononcer le moindre son depuis la débâcle de la petite brune face à lui. Et il aurait mieux fait de garder son silence encore un peu. Car son humeur et ses états d'âme ne s’étaient pas amélioré. Bien au contraire.

« En fait… Je n’ai plus de père, Mr Thomov. »

La frêle Heather avait grandi, elle avait évolué. L’innocence s’était transformée. Elle se leva de son fauteuil avant de s'en aller sans réclamer son reste. Son psy fut la dernière personne à l’avoir vu ce jour-là à Moscou, avant un long, très long moment qui lui sembla durer une éternité.

Dear Dad, my whole life, I've been told I was destined for greatness based solely on the virtue of my name. I was taught sacrifice was for the foolish. Survival was all that mattered. But now I find myself at a crossroads, and I must decide what I believe to be true. There is no such thing as destiny. Legacies must be earned by the choices we make. I now know that we write our own endings, and we can either choose to hide as villains or live as heroes.

Flashback, la vérité.

« Frappe ! »
« Plus fort. »
« Plus vite. »

La sueur perlait sur son front, alors que ses poings frappaient de toutes ses forces sur le punching-ball se trouvant face à elle. Les directives venaient de gauche et de droite, et Heather semblait les suivre, les unes après les autres sans rechigner en gardant une seule et unique chose en tête. La vengeance.

« Pause de cinq minutes. »

Elle baisse les bras en relevant le regard, face à elle, une femme et un homme. La blonde lui offrit un sourire avant de passer un bras autour de ses épaules tandis qu’Heather se mit à relâcher la pression d’une respiration qui se voulait saccadée par l'effort.

« Je suis fière de toi, demain on attaque une séance de tir. Encore quelques semaines et tu seras prête. »
« Elle est loin d’être prête. Trop lente, pas assez précise. Si on la lâche dans la nature, je lui donne même pas trois jours de survie face à ces bêtes. »

Ces bêtes, comme il aimait les appeler n’étaient autres que les créatures de la nuit, surnaturelles et détestables. Indéfinissables, étaient-elles pour de simples mortels, mais dangereuses demeuraient-elles. Les sourcils de la brune se froncèrent aux propos tranchants du quinquagénaire, tandis que la blonde à ses côtés se mit à rouler des yeux. Lui ? C’était John. Grand gabarit, autoritaire, armoire à glace et biker à ses heures perdues. Il était le véritable cliché du boxeur professionnel et pourtant… sa vie était mouvementée de toutes autres choses. Il connaissait les risques qu’encouraient les humains dans ce monde qui n’était plus le leur, pour les avoir plus d’une fois affrontés. Depuis, il enseignait, et il était du genre assez pet sec avec ses élèves, il ne laissait strictement rien passer, la moindre erreur risquait d’être fatale. Une pompe ratée et la série devait recommencer. Un véritable tirant, qui pourtant avait de l’ambition. Personne n'avait envie de le décevoir. La blonde ? C’était Olga. Sa douce et tendre épouse, sa femme. Elle semblait bien plus tendre et ouverte que le dur à cuir, malgré son caractère plus ou moins difficile. Puis, il y avait également le fait qu'elle l’accompagnait dans chacun de ses délires telle une groupie accrochée au cou de sa célébrité favorite. Ce couple ? Ils avaient sauvé la vie à de nombreuses personnes déjà. Et Heather en fait partie.

Un sombre soir de décembre, alors que la neige épaisse et le froid remplissaient les rues des villes de Russie. Heather avait enquêté, sur sa mère, sur l’affaire qui avait été bouclée sans suite. Elle avait appris que son cher paternel avait payé un pot-de-vin aux flics du comté pour étouffer l’histoire du décès de son épouse. Personne ne devait savoir. La famille Ivanov se devait d’être intouchable. Et si cette information n’avait que confirmé les doutes parfaitement fondés d’Heather quant au fait que son père n’était qu’une ordure sans suite, elle avait appris bien d’autres choses. Elle avait même obtenu un nom. Sans savoir pourquoi, ni comment les forces de l’ordre en étaient venu à cette conclusion, elle avait un nom, un potentiel tueur et c’est précisément chez cet homme qu’elle allait chercher des réponses. Ce jour-là, elle s’était livrée à une guerre solitaire et stupide pour retrouver l’homme qui avait éteint sa mère, et si elle s’était avérée excellente enquêteuse par toutes ses recherches, sa capacité à venir à ses fins, elle, semblait obsolète. Elle s’engouffra ce soir-là dans les méandres d’un club, agitant la photo de l’homme du jour devant les regards inébranlables des acolytes de ce dernier. Sans le savoir. Elle venait de commettre l'erreur du débutant.

Puis John l’avait sauvé en l’extirpant de ce pétrin. L’existence des créatures lui fut révélée à ce moment précis. Et de là, débuta un long périple rempli d’embûches. Le ménage lui apprit tout ce dont elle devait savoir, qui ils étaient, de quoi ils étaient capables, les dangers qu’ils représentaient. Comment les combattre. Elle se mit alors à consacrer l’ensemble de sa vie à cette cause qui devenait désormais la sienne. Venger la mort de sa mère. Le but ultime d’une vie. Le cercle vicieux qui l’empêchera certainement de réaliser ses propres rêves. John la prendra sous son aile, et plus qu’un mentor, il deviendra le père qu’elle n’a jamais réellement eut.

True freedom requires sacrifice and pain. Most human beings only think they want freedom. The truth is they yearn for the bondage of social order, rigid laws, materialism. The only freedom man really wants is to be comfortable.

Aujourd'hui, à Moscou.

Le moteur de sa bécane éteinte, elle ouvre le regard sur une immense demeure qui semblait être la sienne, se dégageant de son siège, elle place la béquille de son bolide pour ensuite se défaire de son casque en le retirant avec une certaine aisance dans le geste. Encore un transfert de savoir de la part de John. Beaucoup de choses avaient changé en huit mois et désormais, elle savait conduire une Harley. Elle savait se battre, et la jeune femme fragile qu’elle avait été à la mort de sa mère n’était qu’un lointain souvenir enterré à six pieds sous terre.

Un sourire certain s’appuie sur ses lèvres lorsque son regard croise celui de son frère, qui se tenait là, à l’entrée du manoir. Elle venait de vivre un long voyage physique et mentale, plus de huit mois sans remettre les pieds à la maison. Sans nouvelles, elle savait cependant que sa relation avec son frère allait demeurer intacte, et ce même après ce silence radio incertain. Ce sentiment de plénitude la rapprocha ainsi de son but.

Mais jusqu’à quand ?

« J’ai des projets qui risquent de te plaire, Elias. »

S’en suivi d’une étreinte brève envers son frère, elle s’évapore ensuite à l’intérieur, prête à lui dévoiler d'innombrables secrets qu'elle lui devait, à lui seul.

No matter where you are, whether it's a quarter-mile away or halfway around the world, you'll always be with me and you'll always be my brother.