Sacha assistait parfois aux violents combats nocturnes qui contentait la Drioma, vieille femme-enfant avide de violence et de sang, un peu à la manière des sales gosses qui arrachent les pattes des sauterelles. Sacha elle-même n'était pas super fan de ce genre d'endroits, mais elle taisait ses désirs lorsqu'il s'agissait d'accompagner un des hommes qu'elle appelait ses « petits amis » dans un criant & ironique euphémisme.

Pour avoir le droit à la compagnie de la dame sombre, le type qui ce soir-là se l'était adjugée avait dû payer la superbe robe qu'elle arborait comme une reine de conte : une jolie parure avec une fente qui remontait si haut qu'elle découvrait presqu'entièrement la cuisse de la donzelle.
Et elle l'avait longue, la cuisse. Sacha fumait une cigarette bien trop légère sur un porte-cigarette taillé dans la défense d'un innocent éléphant, le regard rivé sur un partenaire d'affaires de son amant, qui lui expliquait quelque chose de si aride que ça lui donnait soif et la poussait à vider son cocktail plus vite – comme si ça allait couper la conversation assommante du gars.
Elle réussit à s'excuser et s'esquiver sous le prétexte de se repoudrer le nez – alors que tout son contouring et ses fards étaient parfaits – glissant dans la foule comme une anguille brillante après s'être libérée d'un mouvement souple de la prise de son amant sur sa taille cintrée. Elle chercha du regard un bookmaker, attira l'attention d'un en levant la main et claquant des doigts.

« Je voudrais parier sur le blond. »

L'homme rit, lui fit remarquer qu'il était donné perdant à dix contre un, et Sacha posa sur lui un regard froid où la Drioma tutoyait directement son âme en lui demandant si vraiment il voulait la contrarier.
Le bookmaker baissa les yeux sur son carnet précipitamment, gribouillant ses abréviations absurdes, alors que Sacha relevait le regard et constatait une présence connue qu'elle n'aurait pas vu dans les parages.

« Oh, comme on se retrouve ! » fit-elle de sa voix profonde, joueuse, et parée de ténèbres.

Elle eut un sourire charmant à l'audition de son prénom trafiqué auquel il semblait s'accrocher même s'il n'y croyait sans doute pas tant, alors qu'elle récupérait un petit ticket garant d'un pari risqué, et s'approcha de lui dans un froufrou de tissus écarlates et toujours ce claquement de talons qui rehaussait tous ses gestes princiers.

« Pas vraiment, j'ai été invitée. Et vous que faites-vous là ? Ça me fait plaisir de vous croiser. »

La Drioma projeta l'ensemble de ses cauchemars sur les épaules osseuses de Sacha tout en reniflant avec mépris, cherchant à bien faire comprendre ce qu'elle pensait de la situation, alors qu'à son grand dam son hôte n'y prêtait aucune attention. Sacha eut un geste vague de ses doigts ornés ce soir-là d'un vernis argent du plus bel effet qui captait la moindre lumière pour la renvoyer d'où elle venait sans oublier au passage d'accrocher l'oeil.
Elle eut un geste de dénégation élégant.

« Pas vraiment, je venais parier sur le résultat des combats, mon cavalier est là-bas. Vous le connaissez peut-être d'ailleurs », il fréquentait peut-être les brillantes soirées d'Alas, ou bien celles plus privées de son appartement, elle ne savait pas vraiment, habituée à être discrète en sa qualité de femme entretenue. « Je le connais oui. Je ne l'ai pas vu ce soir, mais si je le croise, je ne manquerais pas de lui dire que vous le cherchez. Je peux vous offrir quelque chose ? » proposa-t-elle sans paraître se soucier de son cavalier qui riait aux éclats sans se soucier de son absence outre mesure pour le moment.

Sacha eut un délicat haussement d'épaules qui dérangea à peine les fibres de cauchemars qui y pendaient, sensibles seulement pour les plus émotifs de ses congénères ; ici une femme s'écarta sans que son mouvement ne soit explicable aux yeux de son compagnon, qui crut que c'était dû à la taille de cette femme sur talons dans sa grande robe rouge. Elle avança la jambe, dûment revêtue d'un porte-jarretelle du plus bel effet.

« J'ai mes entrées », concéda-t-elle modestement, flattée qu'il lui fasse la grâce d'un compliment, à vrai dire, assez vainement. La Drioma ne manqua pas lui faire remarquer, la faisant légèrement grimacer.

« Vous ne me gênez absolument pas », fit-elle impérieusement, tout à fait comme une reine en sa cour alors que la clameur montait juste après ses paroles, annonçant l'arrivée des deux gladiateurs destinés à se foutre sur la gueule devant le monde amassé. « Tant pis pour vous », conclut-elle alors qu'elle acceptait un verre d'un des deux hommes fort musclés qui se présentaient, dont l'un – le blond – réclama une offrande.

Souriante, la maîtresse des cauchemars lui concéda l'une de ses dentelles prélevées sur l'une de ses longues cuisses, en ceignant son biceps telle une princesse des temps anciens un peu dévoyée, sans là non plus déclencher la jalousie de son homme d'affaires de cavalier du soir. La robe rouge se referma sur le bas débarrassé ainsi d'un peu de frivolité et sans doute d'un peu de solidité, alors que le regard sombre de Sacha se portait de nouveau sur Alas.

Le combattant hurlait ainsi qu'un nordique promis aux dieux absurdes dans lesquels il avait placé toute sa foi, la dentelle toute féminine nouée autour de son bras.

« Je n'essaierai pas de vous empoisonner, j'ai plus efficace que ça. Mais je suis très curieuse de la manière dont vous vous promenez en telle compagnie sans défenseur. »

Le comportement de Sacha conjugué à celui de l'homme au bras duquel elle était parvenue dans les recoins du bas monde me rappelle que la territorialité des hommes s'arrête à la frontière de ce quartier, comme s'il fallait atteindre la Ruelle Rouge et ses veines adjacentes pour admettre que de toute façon ici toutes les femmes étaient des putes, donc qu'elles appartenaient à tout le monde. En l'occurrence mon interlocutrice avec ce geste suranné qui aurait été compris tantôt comme une insulte, tantôt comme une demande en mariage entre mes murs, donne naturellement un bout de sa personne sans que ça ne paraisse la déranger le moins du monde. Je me décale avec un réflexe au passage du guerrier du Nord, me demandant en considérant la ligne de ses épaules et de son dos, comment un homme de sa carrure a pu tomber si bas ; une remarque que ferait sans nul doute mon défunt père.

-Vous n'avez ni besoin de me menacer, ni besoin de me rappeler à quel point vous êtes douée pour faire le mal, je l'assure.

Je me doute parfaitement qu'elle peut mettre en œuvre diverses techniques pour me tuer ou pire encore, si j'en crois les quelques recherches que j'ai fait à son sujet une fois qu'elle a fui hors de l'appartement. Elle n'a pas eu besoin de s'asseoir sur ma poitrine pour provoquer des horreurs au creux de mon esprit, non ; je me suis torturé tout seul avant que la fatigue ne vienne à bout de mon corps épuisé.

-Je n'ai plus de nouvelles de Lys depuis votre passage. L'auriez vous mangée ?

Mon rire meurt dans la clameur qui enfle dans l'arène improvisée. Je grince des dents en entendant déjà quelques os craquer. Non loin de là, une aura millénaire se faufile et j'entrevois mon client qui s'éloigne lui aussi des effusions de sang, attendant son dû. Est-ce un bon moment pour aller lui soutirer la thune qu'il me doit ? Les hurlements provenant de la foule après un coup apparemment bien porté achèvent de me convaincre que oui, je n'ai décidément rien à faire ici.

-Je n'en ai pas besoin.

Et c'était pour le coup parfaitement vrai, mais je n'allais pas lui révéler mes secrets maintenant..

-Veuillez m'excuser je viens d'apercevoir la raison de ma présence, à tout à l'heure peut-être.

Elle doit se dire que j'ai l'habitude de fuir et de créer le manque et elle aurait parfaitement raison. En tout cas je m'éloigne rapidement, loin de la violence et près du fric.

Le regard à la fois sombre et chaud de Sacha se porta sur Alas qui parlait de sa manière de faire le mal ou de faire des menaces, ce qui n'avait pas été le cas, à vrai dire. C'était un simple constat, mais elle soupçonnait qu'il y avait plus que ce qu'elle n'avait déclenché la première fois qu'il s'était vue, chatte sans griffe qu'elle était une fois la lumière du jour levée. Elle eut un léger sourire.

« Je n'ai pas mangé Lys, elle devrait réapparaître, et si elle ne le fait pas ce n'est pas de mon fait. »

Il l'intrigua en déclarant sans fard qu'il n'avait pas besoin de garde du corps dans une foule avinée et avide de sang, ce qui était tout à fait inédit dans ce genre d'endroit, mais elle n'eut pas le temps de poser plus de question qu'il décida de s'esquiver à sa manière agaçante d'homme du monde. Le regard d'encre de Sacha suivit sa silhouette qui s'éloignait entre les corps de la foule pour rejoindre un homme avec qui vraisemblablement il avait des affaires en cours, et elle sortit de sa contemplation quand la Drioma pour une fois d'esprit pratique, lui fit remarquer qu'elle n'était pas là pour s'amuser, pour discuter avec le public ou échauffer le sang d'un guerrier nordique dans lequel elle croyait.

Vingt minutes plus tard, le viking sur lequel elle avait parié et auquel elle avait confié un bout de son sous-vêtement avait largement gagné sur son adversaire, lui laissant la gueule en sang, déclenchant à la fois l'admiration de la foule qui aimait les victoires surprises, et la grogne des parieurs qui venaient de perdre de l'argent.
Sacha, elle, était on ne peut plus heureuse on s'en douterait facilement, et plantant définitivement son cavalier qui n'avait qu'à faire des efforts pour garder dans son entourage une créature comme elle, fila féliciter – et récompenser – son champion du jour après avoir ramassé les gains auprès d'un bookmaker particulièrement grognon.

Chancelante, un peu brusquée, et la mâchoire quasiment décrochée, elle se redressa sur ses talons, les jupes longues enveloppant pudiquement ses jambes interminables, décidant d'aller trouver de quoi boire pour chasser de son palais la saveur aussi âpre que ses coups de poings du champion du jour.
Comme de par hasard elle arriva dans la proximité d'Alas, pas encore enfui de cette antre de la luxure, salua son apparition d'un rire sombre & grave.

« Oh vous êtes encore là. Un bloody mary, s'il te plaît Henry », commanda-t-elle à un barman trop jeune pour être dans le coin à cette heure-ci. « Les affaires se sont bien passées ? »

Les clameurs surprises interrompent régulièrement mes affaires jusqu'au feu d'artifice final qui va décidément finir par faire descendre la garde de nuit, si tant est qu'elle en ait encore quelque chose à foutre de cette plèbe qui ne sait plus quoi faire pour se distraire (la réponse est non, bien entendu). On laisse donc les sauvages s'écharper, exactement comme des animaux mais sans classe, jusqu'à ce que l'un des deux demeure incapable de porter le moindre coup. La surprise nimbe l'avenue étroite d'une allégresse avide ; contrairement à mes soirées l'intimité ne prend pas place à une certaine heure de la nuit, ourlée de son calme magique et de sa délicate tension charnelle. Ici l'effervescence dure jusqu'à ce qu'on la tue, car les créatures surnaturelles et les légendaires tiennent debout grâce à un sang plus chaud que le nôtre et des synapses à moitié mortes qui ne quémandent point le sommeil.
Sauf pour Yasha Tarr qui une fois nos affaires terminées s'éclipse pour aller prendre soin de sa femme restée seule à la maison ; je dois dire que je ne sais pas si je l'envie ou s'il attire ma méprisante compassion.

La poche plus légère je ne crains alors aucun vol mais reste sur mes gardes habituels. J'entame une conversation… animée qui me guide jusqu'au bar pour donner le change par la suite, où je m'arme d'un verre que je fais semblant de boire.

-Vous revoilà. Je vais finir par croire que vous tenez à me hanter.

Je lève mon verre dans sa direction en signe d'invitation, reculant de quelques petits pas le long du bar pour laisser la place à ses toilettes affriolantes qui me semblent plus froissées que tout à l'heure. Je réfère attribuer la brume orageuse de ses prunelles à une infecte aura de luxure plutôt qu'à une encore plus terrifiante aura de terreur noire. Le souvenir de ses longues jambes à bas sombres marchant vers moi fait encore courir de très longs frissons le long de mon échine.

-Vous avez perdu votre compagnon de la soirée ? Voulez-vous que nous partions à sa recherche ?

Je lui propose ce service avec bienfaisance tout en observant qu'elle ne semble pas se formaliser de son effective absence. Mes yeux suivent du regard la préparation pathétique du cocktail bien connu chasseur des aigreurs alcooliques pesant sur l'estomac le matin venu. Jamais je ne me serais risqué à boire la sculpture de verre bancale et un peu trouble qui se glisse ensuite sur le bar de fortune.

-À merveille, je vous remercie. Agitées comme je l'aime.

Je termine sous couvert de recherche de mitraille d'effleurer par réflexe le relief d'un coup de couteau planté dans ma hanche jusqu'à ce que les chairs terminent de se reconstituer et que je ne sente plus rien hormis ma peau désespérément fade.

-Vos paris vous ont-ils satisfaits ? je lui demande en glissant quelques pièces sur le bois pourri du comptoir de fortune.

En revanche mes vêtements ne se reconstituent pas et c'est bien dommage. Je rabats le pan de ma veste avec habitude tant pour cacher le méfait que donner l'impression de me prémunir du froid mordant qui en ce qui me concerne ne mord rien du tout.

Les bruits de la foule & leurs actes souvent brusques, voire dangereux avec un peu d'alcool, faisaient grommeler la Drioma peu satisfaite de la tendance de son hôte à se plaire dans ce genre d'ambiance crasse ; elle trouvait ça peu sage, elle, mais on ne l'écoutait pas. Les mauvais rêves tissés entre eux servaient de protection mince pour les épaules non moins minces de Sacha et ça devrait suffire.
Sacha rit une fois retrouvé le charmant homme de la rue Richesse, qui ne paraissait pas apprécier sa compagnie autant qu'elle, elle le faisait – elle s'en fichait totalement.

« Je vous aime bien », déclara-t-elle sans fard, avant de porter son regard sombre vers la foule, comme pour y chercher ce fameux compagnon qui lui avait permis de parier sur un des gagnants du soir.

Comme une grande bête, la foule se rassemblait pour le combat suivant, auquel Sacha ce coup-ci ne porta pas attention, rassasiée de chance, et de coup rapide contre un mur, pour ce soir-là. « Oh c'est très gentil à vous, mais non je lui ai dit au revoir. »

Elle récupéra d'un geste distrait le cocktail orné d'une paille noire qui eut l'avantage de ne pas flinguer le frais raccord de son rouge à lèvres foncé, rit légèrement, très chatte, à la réflexion d'Alas ; allez savoir ce qu'il entendait par là, elle n'était pas femme d'affaires et passait beaucoup d'énergie à se faire passer pour quelqu'un de frivole.

« Oui, j'ai gagné ! »

Elle ne le dit toutefois pas trop fort, ne voulant pas tenter qui que ce soit à lui faucher ses gains ; ça pouvait toujours arriver.
Un accroc dans les gestes de son compagnon de la soirée attira son regard inquisiteur, et aussitôt l'inquiétude bondit en elle. Sacha passait très bien pour une grande salope imbue d'elle-même, ce qu'elle était certes, mais ne cachait pas des élans de générosité qui pouvaient surprendre quand on ne la connaissait pas.

« Mais vous êtes blessé ? Laissez-moi vous aider », ordonna-t-elle en déposant son cocktail.

Sacha trouvait assez indélicat qu'on lui rappelle la présence de la monstrueuse créature qu'elle gardait en son sein, déjà rappelée par les 4 points tatoués sur son poignet, sa présence ici, sa vie entière en fait – et depuis longtemps, vraiment longtemps. Elle eut un léger froncement de sourcils de ceux qui ne risquent pas de marquer le visage de rides, un rien contrariée :

« Non, ça n'a rien à voir. »

Elle avait bien du mal à cacher lorsqu'une réflexion la saoulait, ça se voyait sur son visage. Toutefois ça n'était pas si méchant qu'elle décide de rassembler ses jupes comme une reine et de se barrer en maudissant le petit peuple que représentait Alas – un peu de force, certes, il ne cadrait pas tout à fait avec le rôle avec ses airs de maître des lieux qu'il se traînait un peu partout, semblait-il.

« Oh, non, il était très occupé avec ses associés, je n'ai pas voulu le déranger plus longtemps. »

Sacha était volontiers plus discrète qu'elle ne l'affichait, plus volage aussi et il était hors de question de perdre son temps avec quelqu'un qui ne faisait pas attention à elle. Elle arqua un sourcil à la question sur le cocktail :

« Vous me feriez un Efrit ? Henry a sans doute ce qu'il faut, hmm ? »

Le garçon rougit légèrement, acquiesça, muet devant l'attention de Sacha – il n'avait sans doute pas tout à fait compris la nature de la grande dame, innocente âme. A la vision du trou dans la chemise d'Alas, Sacha se contenta de froncer des sourcils, un peu interloqué : elle savait ce que c'était elle vivait depuis si longtemps dans le coin que c'était pas dur à comprendre, c'était un coup de couteau.
Mais il n'était pas blessé.
Hmm. Elle jeta un regard sombre interrogatif sur la physionomie d'Alas, n'y trouva pas grand-chose, resta dans ses interrogations. Henry sursauta et piailla des excuses, peu satisfait de se faire reprendre devant Sacha, laquelle le considéra d'un regard doux, la Drioma encore bien disposée envers lui au vu de son jeune âge.

Pour chasser son mécontentement manifeste, Sacha lissa soigneusement les grands pans de sa jupe froissée, alors que la Drioma faisait remarquer qu'il n'avait pas tort, après tout, ce jeune homme, ce qui n'arrangeait clairement rien.
Assez vulgairement, Sacha lui conseilla de la fermer immédiatement, et la vieille dame eut un rire méchant dans un coin de son hémisphère droit, décidée à observer la suite des événements, la saloperie. La superbe robe rouge un rien défroissée, un bon quart de cuisse visible, la très belle Sacha releva son regard sombre sur le barman qui résumait avec talent la situation.

« C'est un peu ça », admit-elle sans expliquer sur quoi portait le peu qu'elle évoquait, sentit une écharde de sensations aiguë alors qu'il lui souriait avec cette expression qui n'appartenait sans doute qu'à lui.

En grande dame, elle ne commenta pas ce qui ressemblait à une fuite derrière le comptoir d'où elle ne verrait plus le trou dans la chemise dont elle était vraiment presque certaine qu'il s'agissait d'un méchant coup de surin ; et un visé pour ne pas tuer mais simplement faire souffrir.
Une signature d'un gang du coin dont elle ne remettait pas le nom là-de-suite. Ses longs cils chargés de mascara tremblèrent à peine sous le compliment, alors qu'Henry se décalait dans un glapissement surpris, avant de galoper servir un autre client.
Il valait mieux s'exécuter rapidement dans le coin, sans quoi on se prenait assez vite son comptoir dans le nez...
Sacha n'avait absolument pas l'air de vouloir coller le nez d'Alasaïas contre le bois du comptoir, le considérant avec attention, l'enveloppant presque de son regard sombre, chaud et doux, cherchant à comprendre ce qu'elle manquait.

« Tu es bien trop pintade pour ça ma pauvre, on ne fera pas de toi un détective hors pair » commenta la Drioma en regardant ses ongles cassants, dans l'indifférence totale de Sacha.

Les cris dans l'arène reprirent, couvrant agréablement les méchants caquètements de la Drioma, et Sacha se laissa aller à admirer le spectacle que formait un vrai barman, pas comme ce pauvre Henry qui avait deux mains gauches dont une atteinte de polyo en sa présence, due à son extrême nervosité.

« Vous êtes très doué, je comprends pourquoi vous en avez fait votre métier. »

La situation devint très vite dangereuse, glissante, et ce fut confirmé par l'éclat d'une balle qui...

« Oh, ça ne serait pas entré dans son bras, par hasard ? » caqueta la Drioma, curieuse comme une vieille chèvre et mauvaise comme la gale. Sacha se redressa en faisant une cible parfaite vêtue de rouge comme elle l'était – putain Henry allait l'entendre, aller lui faire tirer dessus, franchement ? Tout ça pour un peu d'alcool frelaté volé ? Et elle n'avait pas eu le temps de toucher à son cocktail ! La robe large se drapa autour du corps mince de la Drioma alors qu'elle se laissait embrasser le bout des doigts par le Mandrin-barman qui fichait le camp à une vitesse irréelle pour quelqu'un blessé par balle.
Elle avait quelques questions à lui poser, décidément, et fila à son tour.

Elle avait plus à faire pour se dissimuler dans une foule, vêtue de rouge éclatant comme elle l'était, immense sur ses talons & belle comme une nuit noire, mais heureusement le tenancier de la gargote était vraiment trop beurré même pour traquer une cible aussi facile.

Quant à Henry, peut-être bien qu'il le ralentit pour ne pas qu'il suive une de ses dames de cœur, l'encourageant plutôt à réparer les dégâts avec lui. Sacha se fit remarquer, bien sûr, ne serait-ce qu'avec sa taille, ses tatouages, ou ses atours affriolants, mais elle parvint à rattraper Alasaïas qui fuyait.

Elle avait l'avantage de connaître le terrain, familière du quartier depuis longtemps, et parvint juste avant lui devant un poste de garde de l'armée rouge qui se réalignèrent en claquant des talons – dans un registre tout à fait différent du sien. Le souci avec le fait d'être une créature légendaire comme elle, c'est qu'on devenait vite connu, surtout avec une hôtesse telle que la Drioma qui la parait des ténèbres des nuits angoissantes dès qu'elle la sentait un peu en danger.

« Venez par ici. »

ça n'était pas une question, pas exactement un ordre ; une espèce de demande teintée d'un rien d'autorité.

« Vous êtes blessé, il faut s'occuper de ça, je connais un médecin. »

Elle avait l'assurance d'une bête à longs crocs, et sa détermination propre.