Bien enfoncée dans mon fauteuil, je regarde attentivement ce qu'il se passe de l'autre côté de la pièce. Ici, c'est chez moi. Je connais tous les recoins de ce putain d'endroit, et tous les minois qui s'y trimbalent cul nu toute la journée. La fille que je regarde, c'est Tatiana. Elle est là depuis pas longtemps, une des dernières recrues de notre enfoiré de directeur, qui l'a chopée dans la rue, sans vraiment lui proposer d'autres options. Parfois, j'ai l'impression qu'il ne pense qu'avec son fric. Ou sa bite, ça dépend des jours.
Pour Tatiana, c'était certainement la bite.
Parce qu'il faut le dire, elle a quand même un sacré cul, Tatiana.

Près du bar, à côté d'elle, il y a un type que j'aime moyennement. Un client particulier qu'on voit quasiment toutes les semaines.
Kristof, qu'il s'appelle.
Kristof, c'est le portrait type d'un client lambda. 50 piges, mal rasé, la bedaine gonflée par les bières de la dernière décennie, et surtout, un porte-feuille rempli de l'héritage de sa femme.
Kristof, il est seul toute la journée, et quand il vient ici, c'est même pas pour baiser. Il paie pour une heure de discussion. Comme quoi, y'a pas que de cons.

Kristof, c'est l'un des derniers clients de la journée, enfin, plutôt de la nuit.
Il est 3 heures du matin, l'heure où les mecs se barrent pour éviter de se lever trop cernés le lendemain.
Comme tous les soirs, vers 3 heures du matin, je me chope une bouteille de vodka derrière le bar, je m'installe dans le canapé, je sors mon matoss, et je me fais péter le cerveau.
« Oh, chéri ! Viens voir un peu ce que j'ai de beau ce soir ! »
J'interpelle le beau gosse qui fait le videur ici. Viggo. Tout le monde connait Viggo. C'est celui qu'on ne doit pas emmerder, au risque de se prendre une bonne torgnole dans la gueule.

En général, les gens pensent que Viggo est un connard qui n'a pas de vie, qui ne s'amuse jamais et qui fait la gueule toute la journée.
Haha, qu'ils sont cons, putain.
« Un bout de gazon venu directement d'Amsterdam ! Cette herbe, elle a parcouru toute l'Europe pour venir se foutre dans mon putain de joint, haha ! Assieds-toi, c'est le plus beau jour de ma vie ! »
Il faut savoir que dans la vie, j'ai trois passions. Mes filles, ma bouteille et ma came. Et comment vous dire qu'en Russie, faire pousser de la beuh, c'est pas le plus simple, ni le plus palpitant. Vous avez déjà entendu un pote vous dire « C'est de la super came de Russie, mec ! » ? Non ? Parce qu'en Russie, la beuh, c'est de la merde sèche ! Autant fumer de l'herbe.
« Regarde cette petite merveille, je devrais l'encadrer ! »
J'suis bien contente, en roulant mon joint. En l'allumant aussi. En tirant une latte si longue que j'enfumerais limite la maison.
« Je suis au Paradis. T'en veux ? »

En m'affalant dans le canapé, j'observe Kristof et Tatiana de loin. On fait toujours gaffe, à la fermeture, qu'un mécontent vienne faire sa justice tout seul comme le dernier des trous du cul. C'est arrivé tellement de fois que j'ose même plus les compter.
« Tu sais que j'ai croisé un de tes copains poulet l'autre jour ? Un plaisir, j'ai cru qu'il allait m'abattre avant même d'avoir ouvert la bouche. »
ça me fait marrer, cette vocation de vouloir protéger tout le monde avec un gun. Alors qu'on a limite plus besoin maintenant, avec toutes les créatures qui rôdent.
« Tu sais quoi ? J'suis quand même bien contente que tu sois plus chez eux. On se serait jamais blairé sinon. Oh, putain, et l'uniforme ! »
Je me relève, la belle image en tête, le sourire sur la tronche.
« Si un jour je me marie, je veux te voir danser sur le bar avec ton ancien uniforme ! »
Oh oui !
« Je te jure que juste pour voir ça, je me marie demain ! »
Grosse latte sur grosse latte.
« Je te jure que je le fais ! »

Je vais te tuer. Et lorsque ceci sera fait, je danserai sur ton cadavre en écoutant du métal, en piétinant tes boyaux et en festoyant sur ta gueule. Et je me défoncerai, si bien que je finirai par faire un petit somme avec ton corps froid. Et ce sera le meilleur souvenir de toute ma putain de vie.

Pando