Aut omnia, aut nihil

Agnès était si fière de son raisonnement et de la pertinence de celui-ci qu’elle ne pouvait concevoir tourner la page, juste comme ça.

« Non, dis moi. Qu’est-ce que j’ai mal compris ? »

Ce disant, elle referma les doigts sur la tasse si gentiment mise à la disposition de Lycaon pour la ramener bien en sécurité au centre de la table, là où elle ne risquait aucun sort funeste, en renâclant la certitude qu’il n’y aurait pas eu d’incompréhension s’il s’était mieux exprimé. Bonne joueuse, elle tenait toutefois à savoir ce qu’elle avait raté pour ne pas mériter la connivence de son cousin et lui montra qu’elle était tout ouïe en s’avançant vers lui, le menton planté sur ses doigts joints.

Aussi crispée qu’elle puisse être de leur échange, son air ravi lui tira un grand éclat de rire. Des deuils nationaux, voilà de quoi faire le bonheur de son cousin ! À le regarder, on aurait pu le prendre pour un gamin découvrant que Noël était dans une semaine. En temps que Deuil, ce genre d’événement faisait le pain béni de son cousin. Un peu comme le serait une déclaration de guerre pour Guerre ou l’effondrement des banques pour Anarchie. Ce qui n’arriverait pas dans une bonne raison tant que celui-ci serait aux commandes.

« Pour un tsar ? Sûrement. C’est même l’occasion de toute une vie, tu tombes bien ! »

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Tu agites une main. « Une autre fois. » Si elle voulait être difficile, tu pouvais tout aussi bien l’être. Chaque chose en son temps et chaque information délivrée au bon moment était une affaire fructueuse. En te penchant en avant, tu prends la même pose que ta cousine, un sourire toujours ornant tes lippes d’un air ravi. « Il y aura auffi une intronization de zon héritier. » Cela t’intéressait moins mais ce serait l’occasion pour les régisseurs d’entrer dans les bonnes grâces du nouveau dirigeant de la famille impériale. Igor n’avait pas été spécialement populaire les derniers mois de sa vie et ses décisions n’étaient sûrement pas au goût de tout le monde. Est-ce que l’héritier serait un réformateur, voire quelqu’un de prêt à faire avancer la Russie vers un système autocratique ou se renfermerait-il dans les heures de gloires passées des Romanov ? « Fe ne fera pas ton moment. » On ne pouvait pas même compter sur les plus pauvres, il y allait sûrement avoir des distributions de bons ou de biens pour fêter le changement de tête, si on en restait à cette vieille image du souverain bienfaiteur. « V’efpère que les z’embaumeurs ont fait du b-b-bon b…boulot. »

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Quel agaçant personnage. Tout comme elle. À eux deux, ils auraient pu illustrer la définition de « contrariété » dans le dictionnaire.

« Non, en effet… »

Une moue assombrit son visage. Il avait raison même si ça lui coutait de l’admettre. Les cérémonies d’intronisation étaient généralement l’occasion de prouver aux voisins que « tout va pour le mieux du monde pour nous, merci beaucoup ». Personne ne pouvait se permettre d’avoir l’air pauvre et radin pour commencer son règne. Tout passait mais elle devrait quand même l’endurer. Cette idée était tout à fait déprimante. Un mois au moins de faste pour éclipser son plaisir. Elle trouverait de quoi la satisfaire dans les boites de nuits, certaines choses ne changeaient pas, mais quand même. Pourquoi devrait-elle supporter ça quand Lycaon serait au comble de la joie avec les funérailles du grand Igor.

Ses yeux tombèrent sur une petite bouteille de liqueur près de sa main, contre le mur et celle-ci l’attira inexorablement. Ses doigts coururent sur la bouteille hors de prix de liqueur de prune, lissant l’étiquette, la jaugeant du regard. Si elle l’ouvrait, il lui faudrait partager par politesse, ce qui la poussait à bien évaluer son envie d’alcool pour l’heure du thé.

« Tu devrais ouvrir tes propres pompes funèbres, cousin, tu aurais tout ton lot de cérémonies mortuaires, de familles endeuillées et de cadavres… »

Fit-elle remarquer en remplissant sa tasse de thé de liqueur de prune. A y réfléchir, elle ne comprenait pas qu’il se soit lancé dans le viager alors que les funérariums grouillaient de gens en deuil. Sans avoir à attendre.

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Tu pousses ta tasse qu’elle a sauvé d’une fin terrible vers elle, faisant tinter la sienne en la heurtant pour qu’elle ne puisse pas faire mine de ne pas avoir vu. Tes yeux s’étrécissent du sourire que tu offres à ta cousine, pour lui être agréable, pour attirer peut-être ses faveurs après les quelques coups de pattes que vous vous êtes mis mutuellement depuis que tu es arrivé. « Z’ai des parts dedans mais… Ve penfais attendre. La refponfable funéraire fait partie d’une des fectes donc y a des ssansses que ze puisse récupérer le tout. » Penché en avant, les mains entourant ta tasse en attendant qu’elle y verse de la liqueur. Tu as des parts dans beaucoup de sociétés, tu inondes des scientifiques et des chercheurs pour pousser au vice et à la mort, tu te mêles de tout ce qui peut mener et découle de la mort et tu peux difficilement te concentrer à un seul endroit à force de t’éparpiller partout. « Fes arreftations font un bonus incroyable, tu n’trouves pas ? » Que tu ronronnes. « Mais ve regarde auffi pour les notaires. Ve ne fais pas comment les droits notarials, l’héritage, tout za fe déroulent izi, quelle part touffe l'Etat, les héritiers... »

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S’il continuait à ne montrer aucune considération pour sa vaisselle précieuse, Agnès l’obligerait à utiliser ses doigts. Un peu réticente, la brune accepta toutefois de faire couler une rasade de liqueur dans la tasse voisine, trouvant une joie cruelle à regarder le liquide rosé se mêler au marc de café.

« Ooouh, C’est intéressant en effet ! »

Roucoula-t-elle avec un sourire, les yeux pétillants de malice. Elle hocha de la tête, un sourire fleurissant sur ses lèvres en sentant les arômes de sa boisson lui chatouiller le nez. Avec beaucoup plus de précaution que Lycaon, elle fit tinter sa tasse contre la sienne – selon un rituel bien à elle – et sirota une petite gorgée, piquante et sucrée comme elle l’aimait.

Quant aux plans de son cousin, ils accompagnaient parfaitement sa boisson. Savoir qu’un membre de sa famille avait l’opportunité de faire un bon profit était aussi doux qu’un morceau de sucre.

« Tu n’aurais même pas à le payer à la vraie valeur... »

Sa voix était du même ton appréciateur qu’elle aurait eu si son cousin avait choisi et apporté la bouteille qu’ils savouraient tous les deux.

« C’est sûr... »

Doucement l’air de rien, leur conversation reprenait un chemin moins houleux, plus agréable. Du moins jusqu’à ce qu’il parle de notariat. Elle ne pouvait rien imaginer de plus assomant.

« Je vois que tu as de quoi t’occuper en attendant que tes vieux locataires passent l’arme à gauche.. »

Commenta-t-elle avec un sourire.

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Une fois satisfait de ce qu’elle consent à t’offrir, tu te retires vers ta chaise, attirant avec toi la tasse qui tinte doucement en glissant sur la table. Un clin d’œil pour toute réponse, tu prends une gorgée de la prune mêlée de marc de café. Ta langue passe pensivement sur tes dents pour chasser les particules insupportables, sans une plainte pourtant pour ta cousine qui en aurait été que trop ravie. « Fi un a été notaire, fe f’rait mieux. Qu’y en profite pour me raconter za fie et toute la paperaffe. » Tu n’avais cependant pas attendu pour compulser les obscurs manuels juridiques et si tu pouvais te mettre quelques juristes dans la poche, ce ne serait qu’à ton avantage pour l’avenir. Tu préfères le côté sentimental du deuil, les dépenses compulsives, les gens faibles qui cèdent à la moindre pression, les actes irréfléchis, la douleur, la colère, le mélange d’émotions qui vibrait et tournoyait autour des gens qui en lâchaient trop, persuadés que plus rien n’avait d’importance. « Z’ezpère réuffir à m’oufrir un acfès aux arssives avec les Cohen, ze vais bientôt pouvoir faire un tableau généalozique et démographique du Boulevard à force de les z’entendre parler. »

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La brune se fit un devoir ne pas lâcher un ricanement méprisant au visage de son cousin. Ecouter des petits vieux pour le plaisir… Agnès était bien contente de ne pas avoir à se mêler de la vie de ses victimes pour que fonctionne son don. Certes il en retirait quelque chose – en l’occurrence il faudrait quand même qu'il parvienne à dénicher un notaire parmi ses victimes – mais pour une exception, ce n’était, pour l’essentiel, qu'une contrepartie assommante. La brune aurait préféré faire l'impasse sur son son don plutôt que de consacrer volontairement des heures entières au babillage sénile de grabataire alors qu’il y avait tant à faire.

« Tout ce qu’on pourrait te dire serait inutilisable et obsolète. Quitte à perdre ton temps, autant le faire pour quelque chose d’actualité… Trouve un professeur ou un petit jeune pour trafiquer avec sa vie. »

Fit-elle remarquer avec un haussement d’épaules pour appuyer son conseil plein de sagesse. Pour se récompenser d'être une cousine si bien intentionnée, elle humecta ses lèvres dans le liquide brûlant, esquissant un sourire face à ses projets d'écumer des siècles de paperasse, de traces de vie, de preuves d'existence.

Lycaon était un cas perdu. Point final. Elle voulait le croire quand il lui disait qu’il l’accompagnerait mais à moins de le convier à une veillée funéraire, elle doutait qu’il se couche plus tard que ceux à qui il pompait de l’argent. Quand aurait-il le temps avec ce genre de projets ?

« Tu comptes t'en faire un nouveau passe-temps ? »

Se moqua-t-elle sous le couvert d’une politesse impassible. Raison de plus de croire que son don était supérieur à celui de Lycaon. Elle au moins n'avait pas retracer toute la vie de sa victime, elle devait seulement être assez près pour les effleurer. Et se tenir prête à subir une hypoglycémie éclair. Ce qui tout compte fait n'était pas si mal quand on y pensait.

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« Za ne m’étonne pas que tu t’fasses encore afoir fi tu écoutes aussi peu. » Que tu réponds avec un sourire derrière ta tasse. La colère d'Agnès résonnait encore, comme un écho, dans le cortex. Avec un peu d'imagination, tu pourrais même voir son fil de vie vibrer sous les coups des impulsions rageuses précédentes. « Le fiager est plus zimple, un fieux qui meurt, on troufe ça normal. » Le tout était de ne pas tuer trop de grabataires pour qu’on commence à réellement se méfier de toi et de tes attentions. Cependant, les anciens étaient souvent tellement en manque de sociabilité qu’ils faisaient fi de leur disparition pour peu qu’ils puissent s’épancher quelques heures sur la haine que leur inspirait un de leurs voisins. « Mais ton inquiétude pour moi me tousse. Tu n’as pas à tant t-t-t-t’en faire. Ze vais dézà foir ailleurs que tes co-locataires. » Tu reposes délicatement la tasse désormais vide et te passe l’ongle de l’index sur les dents pour frotter les éventuelles traces laissées par le marc. « De ? Les z’archives ? Ze ne sais pas. » Tu aimais lire mais tu avais trop la bougeotte pour envisager de passer des jours au fond de salles peuplées uniquement de vieux et d’archivistes prématurément vieillis. « Ze ne penze pas. » Tu écartes les mains pour appuyer avec emphase ton amusement, un sourire toujours aux lèvres et les paumes levées vers le ciel. « Ze croyais que tu foulais me faire zortir. »

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S’il voulait se prendre de la liqueur de prune dans les yeux, Lycaon était très bien parti. La seule réponse qu’elle lui fit fut un regard méprisant, avant de tourner son nez en épine dans une autre direction pour ne plus le voir en sifflant :

«  Ca n’arriverait pas si tu t’exprimais mieux. »

Ce n’est pas parce qu’elle avait tellement l’habitude de déchiffrer ses pensées à travers les zézaiements s’échappant de sa bouche qu’elle n’y pensait presque plus qu’elle comprenait tout. Mais si dans le cas présent, elle constatait, piquée au vif, avoir cru comprendre. A force de se montrer pénible, il allait réussir à la désintéresser de tout ce qui pourrait le toucher de près ou de loin. Déjà que le viager ou le notariat n’entraient pas dans ses centres d’intérêts. Correction : ils entraient dans ses centres d’intérêts si elle voyait le bénéfice qu’elle tirait. Là, à part un après-midi gâché, le retour n’arrivait pas à hauteur de satisfaction.

Sentant comme une menace en demi-ton dans sa phrase – elle aurait enragé de le savoir en train de démarcher ses voisins – même si jusque-là, il lui semblait qu’aucun n’atteignait d’âge intéressant pour que son arnaque au viager fonctionne sans attirer l’attention, elle se contenta d’un demi-sourire sec.

« J’en suis ravie pour toi. N’oublie pas de m’en informer si ta bonne fortune venait à tourner. »

Mais non pas les archives, enfin !

« La généalogie. »

Répondit-elle avec un rapide coup d’œil au ciel.

« C’est toi qui t’entête à passer tes journées avec des petits vieux ou perdu dans des archives sombres. Je suis à ta disposition pour aller s’amuser un peu. Mais mes soirées commencent après le coucher du soleil. »

Son ton guindé se tinta d’ironie à la dernière phrase. Si Lycaon lui demandait de sortir – à condition qu’il soit resté suffisamment éloigné d’elle pour qu’elle oublie son embarras et son agacement –, bien sûr qu’elle l’emmènerait. Il faudrait sans doute qu’elle l’oblige à revoir sa tenue mais elle le lui avait proposé, il n’y avait pas de raison pour qu’elle se dédise.

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Tes paupières s’abaissent un instant, lourdes de rancœur. Tu n’as pas pour habitude de beaucoup parler, pour justement éviter ce genre de remarques et si tu es souvent au-delà des mots avec ta mère et Chagrin, les membres de ta famille font partie des rares personnes avec lesquels tu te risques à discuter normalement. Les insultes et les sourires mesquins – ceux cachés derrière des mains, les yeux fuyants – venant de l’extérieur ne te soutirent généralement qu’un bref regard méprisant et un sourire mauvais, puis tu passes à autre chose, notant le nom dans un coin de la tête. Venant d’Agnès par contre, tu y vois un manque parfait de savoir-vivre et surtout le besoin enfantin d’avoir le dernier mot d’une manière ou d’une autre. « Ze t-t-te penfais c-c-capable de fizer plus haut mais faut croire q-que tu reftes à ton n…n…niveau. » Tu retrouves un léger sourire, les épaules à nouveaux relevées comme si l’insulte n’avait jamais été prononcée. Agnès t’a irritée dès son arrivée, prise sous l’aile d’Ambroise, parvenue fière alors qu’elle n’avait pour elle rien de plus que sa sale tronche rendue comique par son handicap visuel, tu avais rapidement cherché à la fuir. Pour mieux lui briser le nez lorsqu’elle était allée trop loin. « … oui bravo. Z’est ze q..q..qu’on troufe dans les z’archives… la zénéalozie. »

Un peu calmé, tu croises tes doigts derrière ta nuque, évitant tout de même d’heurter le fil de ta cousine. « Donc rien ne m’empêffe d’aller dans mes arssives sombres et de sortir a…a..avec t-t-toi. » L’idée te semblait moins avenante mais piqué au vif par ses remarques et ses sous-entendus, tu ne peux t’empêcher de courir après elle.

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Touché coulé. Avec soin, Agnes arrondit deux yeux en billes étonnées. Dans son ventre, son âme ronronna de contentement, ravie d’avoir fini de lécher ses plaies, ravie d’avoir touché juste et de voir le sourire suave de Lycaon faire un instant défaut à sa face tordue. Elle n’en laissa rien paraitre, enfouissant son rictus de chat bien profondément entre ses côtes, pour son seul plaisir.

« Pas la peine de s’énerver, cousin... »

Tempéra-t-elle d’une voix candide, ricanant in petto. La suite n’eut pas le temps de se dessiner pour approbation dans son crâne que les mots glissaient déjà sur ses lèvres.

« Si c’est pour se mettre dans cet état-là, mets-toi au yoga plutôt qu’à la généalogie. »

Malheureusement, Lycaon n’était pas de ce arbre qui plient ou se laissent abattre. Déjà le plus crispant de ses sourires retrouvait son chemin sur son visage.

Sentant que sa tournure de phrase cachait des pièges dans ses coordinateurs logiques, la brune décida de sortir du chemin et de les contourner. Hors de question qu’elle se laisse attirer dans un après-midi scrapbooking dans les archives. La poussière la tuerait si l’ennui de la poussait pas à s’ôter la vie avant cela.  

« Non, bien sûr. »

Confirma-t-elle, les yeux éclairés d’un sourire moqueur rentré. Rien à faire, elle avait toutes les peines du monde à l’imaginer arpentant les soirées mondaines – n’importe quelle soirée à vrai dire – à ses côtés.

« Si tu vas dans tes archives sombres et que tu me rejoins ensuite pour sortir. Et que tu troques tes allures de croque-mort reconverti en bibliothécaire pour tes plus beaux atours. Ou que tu me laisses les choisir pour toi. »

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« Pas énervé, défu. » Ton sourire s’agrandit, pour répondre à l’excitation que tu ressens chez elle, qui monte en toi également par à-coups. L’unicité qui vous lie faisait parfois rebondir les émotions, les propagent, les mélangent parfois pour créer quelque chose de plus fort. Tu es particulièrement poreux à certains ressentis et la proximité d’Agnès ne rend pas aisé le calme que tu tentes de présenter. Tu ne comprends pas comment Agnès peut être un élément important de la famille puisque tout ce qu’elle sait faire se résume à aboyer comme un petit chien et dépenser inutilement son argent en faveurs qu’elle aurait pu utiliser d’une bien meilleure façon. « Ze fois que tu p-p-prends que fe qui t’arranze en Orient. » Tu abaisses tes yeux vers le kimono d’un air appuyé, puis relève les yeux pour lui offrir un clin d’oeil. Agnès est un pique-assiette, une voleuse à l’imagination aussi peu fertile que son choix en nourriture ; elle était bien incapable de saisir les subtilités et se contentait d’arriver tel un bulldozer pour prendre et détruire autour d’elle selon ses impulsions. « Te laizzer ssoizir ? » Tu demandes, plus moqueur que méfiant. Tu étais bien capable de t’habiller tout seul mais autant lui laisser l’impression qu’elle aurait le loisir de jouer à la poupée, rien ne plait plus aux femmes que de pouvoir choisir la garde-robe de leurs proches. « Tu ne deffais pas m’emmener f…faire du..du ssopping ? »

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Bien sûr, c’était évident, songea-t-elle avec la plus intense satisfaction. Son visage prit la nuance de la contrition, ne faisant apparaitre quelques secondes entre ses sourcils un froncement désolé qui s’effaça aussi vite qu’il était apparu. Lycaon ne valait pas qu’on se fasse des rides pour lui.

« Déçu ? Oh, c’est encore pire alors ! »

Enfin… C’est ce qu’elle avait cru comprendre. Agnès dut se mordre l’intérieur de la joue pour ne pas ciller mais se laissa vite entraîner par la suite logique de la conversation.

Sa remarque lui tira un sourire et la rassura : elle n’aurait pas à se coltiner la moindre excursion dans ces recoins inhospitaliers et pires que la mort qu’étaient les archives. Non qu’elle en ait eu l’intention à aucun moment mais l’idée même d’y aller resterait désormais loin de ses tracas quotidiens. Elle s’éviterait de penser à ces activités dignes de mourir d’ennui loin de la lumière du soleil et du reste de la population normalement constituée que s’infligeait son extravagant cousin. Même si son ton de tête à claques ne justifiait pas son inquiétude à son sujet. Evidemment qu’elle allait choisir pour lui. Ils étaient déjà passés par là, il fallait avancer.

« Je vérifie juste que tu l’as bien noté dans ton agenda. »

Sa tasse était vide, son ventre chaud, alors elle se redressa en déposant la porcelaine sur la table et se leva pour détendre ses jambes. Elle traversa la salle à vivre pour consulter son agenda posé sur la desserte, tournant quelques pages avant d’obtenir l’information qu’elle cherchait. La présence de Lycaon commençait à l’écraser, il était grand temps de s’en débarrasser.

« Jeudi, je peux te prendre. Et nous trouver quelque chose à faire dans la foulée. »

Dit-elle en restant debout près du miroir, décidée à lui faire comprendre subtilement qu’il était temps de partir.

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Pas que tu t’attendais à grand-chose de plus venant de ta cousine, la déception, la colère, le mépris, parfois un soupçon de roulements d’yeux étaient l’essentiel des interactions que vous échangiez. Tu restes tranquillement assis, observant la tasse encore pleine de mixture, ta cousine, le froufroutement de son kimono alors qu’elle se déplaçait dans son antre. Une fois éloignée, tu attrapais la porcelaine qu’elle avait abandonné en te redressant sur ton siège et te reglissais dedans en soupirant d’aise. L’invitation précédente d’Agnès, autant pour aller faire du shopping que celle présente qui te permettait de rester un bon hôte étaient en train de s’étioler.

Tu étais un homme rancunier, encore vexé de sa remarque facile, de son manque d’imagination pour t’insulter et te faire du mal, tu restais vautré dans ton siège, les deux tasses posées en équilibre près du bord de la table. Ton index frottait avec une fausse délicatesse les rebords de l’une d’entre elle alors qu’Agnès faisait semblant de compulser son agenda. « Zeudi ? Dommaze, moi ze ne peux pas. Trizte avec ton emploi du t-t-temps de m..ministre. » Tu ne faisais même pas mine de vouloir bouger de ta place, préférant hausser la voix, les jambes bien campées sur les appuis-pieds. Tu faisais bien exprès de ne pas saisir l’irritation croissante de Famine, te vautrant dans l’irritation que tu sentais monter. Tu poussais doucement les deux tasses vers le bord de la table.

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Oui, enfin les chances pour que sa vie de dilettante ne coïncide pas avec les rares moments de liberté que son « emploi du temps de ministre » lui laissait étaient assez minces pour qu’elle suspecte de faire preuve de mauvaise volonté. Certaine de découvrir son mensonge sur ses traits, la brune coula un regard vers son cousin pour se redresser d’un geste vif, piquée de voir son manège avec les tasses.

Un « Arrête ça », sec et coupant comme du verre menaça de franchir ses lèvres mais Agnes le ravala – avec beaucoup de mal, comme lorsqu’on prend une gorgée d’eau beaucoup trop importante et qu’on la sent descendre le long de son œsophage. Laisser les mots s’échapper revenait à lui donner ce qu’il voulait. Qu’on lui coupe une main si les deux tasses n’avaient pas dégringolé du plan de travail à l’instant même où elle aurait ouvert la bouche. Lycaon lui tapait sur le système. Elle fit le chemin inverse à grands pas et s’arrêta pour s’accouder sur le plan de travail, debout près du visage de Lycaon et posa un doigt sur la structure de porcelaine.

« C’est de ça dont tu rêvais depuis tout à l’heure ? »

Sans le quitter du regard, elle fit glisser lentement – très lentement – les tasses jusqu’à l’extrême limite de la surface puis s’arrêta pour le jauger du regard. Puis elle esquissa un sourire et les précipita par-dessus bord avec la même lenteur. Les deux tasses tombèrent au sol dans un éclatant bruit de porcelaine qui la déchargea d’une petite partie de sa tension. Son regard contempla les dégâts de céramique mêlée de café et de liqueur qui constellaient jusqu’aux placards tout près avant de retrouver celui de Lycaon. Après ce bruit, la cuisine paraissait exsangue de bruits, malgré le chant de Donna Summer assurant qu'elle assurait se sentir amoureuse.

« Bien, si on a fini de faire mumuse, cousin, j’ai à faire. »

Trancha-t-elle en glissant un bras autour de son coude pour relever son cousin et l’attirer à sa suite en devisant gentiment. Son pied dessina une haute arche au-dessus des dégâts pour ne pas se planter dans un éclat de porcelaine.

« On se voit ce soir. Compulse ton agenda et tache d’avoir en tête quelques dates à me proposer, que l’on puisse se caler ça, d’accord ? D’accord ! »

Implacable, la brune l’avait entraîné jusqu’à la porte d’entrée qu’elle tenait désormais ouverte après en avoir fait passer le pas à son cousin, faisant rempart de son corps pour l’empêcher de retourner à l’intérieur.

« Alors on fait comme ça. »

Conclut-elle avec un grand sourire qui n’atteignit pas ses yeux en poussant la porte pour la claquer.

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