Histoire

Souvenirs engourdis, d’une vie qu’il a oublié, vague mémoire d’une sœur qui doit ne plus avoir aucun intérêt pour lui, le penser mort à présent. Il pensait avoir sauver sa triste vie à cette gamine lorsqu’il était môme, avant de réaliser que c’était lui qu’on voulait.

10 ans lorsqu’on force ton corps à rentrer dans une voiture. Il parait que l’on a 7 sosies dans le monde, tu étais l’un des gamins, un comme lui. Tu sers de remplacement à un môme mort pour une famille plus tarée que jamais. T’es forcé de rentrer dans la voiture, écoute les pleurs de ta sœur sur le trottoir tandis que tu te débats, tente de la récupérer, de sortir, de courir. On te souffle une gifle, une autre, l’envie de te débattre te passe. T’as exactement le même visage que le gamin sur la photo, t’as des frissons en regardant une image de toi qui n’est pas toi. On te parle dans une langue que tu ne comprends pas, t’apprendras seulement plus tard que c’est pas si simple de rentrer dans le pays ou d’en sortir lorsque tu n’as pas l’argent qui coule à flot.

On lui apprend dans les années qui suivent à devenir quelqu’un qu’il n’est pas. Fils décédé d’une famille riche, sa place est maintenant d’être ce garçon qu’on ne voulait pas oublié par ici. On lui apprend d’abord la langue, en ayant espoir qu’il sera docile. Et le lavage de cerveau ne fonctionne pas. Il est terrifié, quotidiennement. Alors on le met dans une pièce, dans l’idée qu’un jour peut-être il comprendra ce qu’on essaie de faire de lui. Pièce fancy, couleur bleue au mur, inoubliable lorsqu’il rencontre Dimitri pour la première fois. Aux allures gentilles, lui offre la nourriture, le soutien, rentre sous sa peau, sous ses ongles, dans son esprit. Quatre points à son poignet, apprend rapidement ce que vaut la condition. Propre poignet vierge, pas encore marqué de petits points. On lui rajoutera quelques années après. Mal nutrition, on l’oublie plus ou moins dans cette chambre, la présence constante c’est Dimitri. Vient gratter la peinture, vient manger la terre des pots, la fibre des coussins, la cendre des cigarettes. Ne voit du monde que Dimitri un an durant.

T’as 12 ans lorsque tu réponds vraiment au nom de Kaleb, que tu n’as plus de problèmes à comprendre la langue, que t’appelles plus ta mère ou ta soeur chaque nuit qui passe. T’es devenu Kaleb, devenu ce gamin qu’ils voulaient pour eux. T’as foutu Matthew ailleurs, oublier au fond de ta mémoire, trop peur qu’on te frappe pour avoir oser dire quelque chose. On te laisse sortir de la chambre, on te laisse vivre dans la maison, on te laisse grandir un peu. Dimitri est toujours là, l’homme à tout faire, tout paraître dans cette maison, toujours proche de toi, une main sur ton épaule, une main quelque part.

Temps qui passe, habilitation de l’esprit, instinct de survie qui l’oblige à oublier l’enfance et cette autre vie. On lui force différents instruments entre les mains, cherche le plus agréable, le mieux. T’es un violoniste hors paire, les gens s’accordent. Quitte très peu la maison, à part pour se produire, découvre le monde à travers des bouquins, devient quelqu’un derrière les barreaux.
A 21 ans il fait brûler la maison. Avec les habitants dedans. Main de Dimitri sur ton épaule, comme si ça lui faisait plaisir. Pas d’évidence, fausses larmes qui coulent à la mise en terre. On lui lègue la fortune, personne n’a idée. Les morceaux de violons sont dramatiques.

Décès, qu’il ne cesse de répéter involontaire mais Kaleb sait, avec le temps il sait. Fini mort, une aiguille dans le bras pour une dose trop forte. Traîne autour de son tueur de longues années encore, sous la peau et dans le crâne, il y est lorsque Kaleb vit ses premières années de terreur, qu’on marque les trois points sur son poignet. Il y vit lorsqu’il voit sa première tête, qu’il comprend réellement ce monde qu’il n’avait lu que dans les livres. Il y vit jusqu’à ce que la rage remplisse le corps de Kaleb. Fait exploser le violon sur son visage avant de disparaître dans la rue, disparaît pour que l’autre ne le retrouve pas, vit de déchets lorsqu’il était autrefois roi, tombe dans le désarroi d’une vie malsaine poussée à l’extrême.
Personne ne sait vraiment à quel point un séjour à l’hôpital aurait pu être utile. Mais séjour douloureux, bien trop long. On fourre une nouvelle fois le violon entre ses mains, comme si un fou pouvait produire. Et il produit. Entre sa colère et son déni, les morceaux s’allongent, se couchent entre deux papiers. Partage une névrose involontairement, s’excuse comme une personne folle, se confond en excuse, disparaît derrière la créature qu’il est devenu. Honte d’être cette chose.
Rencontre Keith quelques dernières années, rencontre quelqu’un qui veut du mal sans chercher à le faire se haïr. Manipulation qui se veut réciproque sans avoir peur du prochain coup. La relation devient vitale, presque comme une dose qui lui manque quotidiennement. Morceau qui parle de l’âme impur du dernier.

12 ans derrière les murs avant qu’Il ne vienne te chercher, signer les papiers comme si tu étais dépendant. Maudit l’autre, apprentissage intensif de ce que tu es, créature plus ou moins maîtrisée. Tristesse apparente lorsque tu joue de l’instrument seul face à la ville. Un séjour en hôpital qui ne semble même pas avoir entachée ta réputation. Gamin plus paumé, plus adulte, plus maudit. Créature qui joue des cordes comme il joue avec sa vie. Monstre qui possède un talent particulier.