La colère. Parfois, elle monte sans prévenir. Elle devient incontrôlable, ingérable, si bien que Daeho explose, littéralement, propulsé par ses nerfs enflammés. Cette fois, quelle en est la raison? Des mots piqués au vif. Une allusion mal placée, lancée à la volée par un gars qui ne le connait même pas. Un regard. Un regard que le coréen n’a pas souhaité. Un regard peut-être avide, intéressé, très vite rejeté par son aversion pour ce désir inavoué. Une insulte lancée à sa personne dont le terme peu élogieux “PD”. Une fierté touchée, brisée, le poussant à frapper dans les rues même de ce quartier.
- Répète un peu connard?

Poings qui saignent, se brisent, se déchaînent sur le visage de son adversaire. Oui. Colère qui monte, toujours plus, le mettant en danger. Car l’homme sous lui à présent n’est pas seul. Il est accompagné. Ses potes l’encerclent, lui rendent la pareille et le jeune Oiseau de feu se retrouve alors coincé. A son tour d’être frappé. A son tour d’être propulsé à terre sous les coups de pied de son bourreau. Poignets entravés. Difficulté de mouvement. Joue qui s'enfle, s’érafle, lui faisant même lâcher des gémissements plaintifs. Bagarre au premier abord normal et pourtant. Bagarre sauvage, violente entre deux espèces bien différente.

Hors de question d’implorer pitié. Hors de question de s’agenouiller. Daeho lutte, défie son ennemi. Sa condition est encore tout nouvelle pour lui et c’est pour cette raison qu’il peine à utiliser ses facultés. Il ne sait pas encore bien les maîtriser. La preuve ici. Il n’a cependant pas le temps de répliquer, d’en faire usage, même à moitié qu’une ombre apparaît. Une femme d’après ce qu’il peut apercevoir de ses yeux plissés. Elle le sort de ce mauvais pas et très vite, le calme revient dans la ruelle. Ses assaillants sont déjà partis. Le jeune barman se redresse alors difficilement et murmure un :
- Merci…

A peine audible, dissimulé derrière sa fierté cassé. Oui. Condition si difficile à assimiler. Sa tête lui en fais mal. Il saigne. Physiquement mais aussi mentalement, à l’intérieur de lui. Tout a tellement changé depuis le jour où il est mort dans cet incendie. Tout a radicalement changé depuis la nuit où l’Oiseau la réveillé. Arrivera-t-il un jour à s’y faire? Arrivera-t-il un jour à l’accepter? Comme accepter cette tentation vile quand il pose les yeux sur un homme dont le physique l’interpelle? Tant de rancoeur dans son coeur déjà brisé, enivré par une vive colère. Lentement, il déglutit, titube, essuie sa bouche fendue et s’incline avant de prendre la poudre d'escampette.
- Je dois y aller.

Fuir. Unique solution qui s’offre à lui. Il ne veut pas craquer devant l’inconnue, celle pourtant qui la aidé. Sans jeter un oeil en arrière, il court, s’enfuit dans le crépuscule. Des perles salées s’installent au coin de ses iris et il les rejette subitement, hâtivement, se mordant les lèvres pour ne pas crier. Oui. Fuir. Fuir et ne s’arrêter une fois seulement qu’il sera seul.

Ses pas le mènent instinctivement sur son lieu de travail et il s’immobilise. Il essaye de reprendre son souffle. Sa respiration est tellement hachurée qu’il en mal à la poitrine. De nouveau, il déglutit et cherche à se redresser malgré une douleur fulgurante perçant ses chairs malicieusement. Foutaise. Il aurait dû se montrer plus fort, plus violent. Tandis qu’il titube, boite, tient d’une main sa hanche meurtrie par les coups infligés, il repasse la bagarre en boucle et il peste, ronchonne, finit par appuyer son dos contre le mur. Là, il se laisse glisser, tomber au sol. Le mot “PD” lui revient à l’esprit et il se mord la bouche, les fait légèrement saigner, secouant la tête en répétant à plusieurs reprises :
- N’importe quoi.

Refus de voir la réalité. Refus d’en douter une seule seconde de peur d’être prisonnier. Doucement, il ramène ses genoux écorchés contre sa poitrine. Sa tête vient se poser entre les deux et il sanglote, se laisse pénétrer par la tristesse, la rage, la rancoeur et les regrets sans apercevoir cette silhouette s’approcher.

AVENGEDINCHAINS

Colère. Amertume. Rage intérieure. Les larmes coulent et ne s’arrêtent pas. Il profite de cet instant de solitude pour déverser toute la peine accumulée. Il a mal. Ses muscles le font souffrir. Il saigne mais ce n’est rien en comparaison à ce qu’il éprouve à l’intérieur de lui. Il se sent souillé, sali, bafoué. Il refuse la réalité et il se replie, pour ne pas avoir à supporter davantage cette douleur perçante, dévastatrice. Pourquoi? Pourquoi cela lui arrive? Pourquoi est-il devenu comme ça et pourquoi ressent-il ce désir, cette attirance envers son propre sexe alors que cela le répugne au plus haut point?

Pourquoi. Oui. Pourquoi. Pourquoi se sent- il faible? Pourquoi est-il mort? Pourquoi est-il revenu à la vie et pourquoi sa dernière famille d’accueil reste à ce jour introuvable alors qu’ils n’avaient rien fait pour mériter ça? Des questions sans réponse. Un brouillon indescriptible dans son esprit. Tout s’entremêle dans sa tête. Tout se brouille, se déchaîne, s’enchaine, attisant toujours plus la flamme de la colère dans son coeur tiraillé, brisé, éclaté en milles morceaux par toute les afflictions accumulée.

Il n’entend pas cette silhouette approcher. Ancré dans des émotions aussi fortes que dévastatrices, l’Oiseau de feu ne voit pas ce garçon s’agenouiller, s’accroupir à ses côtés. Silhouette étrangère et pourtant mensongère. En un sens. Apparence trompeuse et dissimulée. Individu inconnu et pourtant, présent quelques minutes plus tôt en une ombre royale, princière aux cheveux rougeoyants.
- T'es qui toi?

Haussement de sourcils à ses dires. Pincement de lèvres à sa question. Daeho relève le menton et regarde le garçon à présent. Il est méfiant. Aux premiers abords. Ses muscles se tendent. Son front se plisse et il enlève d’un revers de main ces larmes, sa peine qu’il ne tient pas à montrer. Il se remet droit sans pour autant se redresser. L’arrière de son crâne vient à se poser contre le mur et l’asiatique reste assis, jambes recroquevillées, légèrement écartée, à observer l’individu qui s’enquit de son état, le faisant légèrement soupirer.
- Ouai, ça va. Je vais survivre.

Fierté. Sa langue claquant sauvagement contre son palais. Puis surprise entremêlée. Car quand son interlocuteur fait mention de la princesse, ses paupières papillonnent. Ses yeux s’agrandissent. Il se sent soudain mal à l’aise et se pince les lèvres, les mordille, les perce à sang en une attitude nerveuse comme frappé par une révélation qu’il ne s’attendait pas vraiment. En vérité, il ne l’avait jamais vu auparavant et son coeur palpite, bat rapidement contre sa poitrine en espérant, en un sens, de ne pas s’être montré trop impétueux en s’enfuyant. Mais il est trop tard pour reculer. Il ne se voyait pas rester cela dit et il claque à nouveau sa langue contre son palais. Il prend une inspiration, grimace devant ses muscles endoloris qui le tiraillent d’autant plus, s’amusent à le tourmenter.
- La princesse? Rien que ça?

Il lui doit la vie. Quelque part. De plus belle, la pensée de la bagarre le traverse et il ferme les yeux. Il passe une main fébrile dans ses cheveux pour les repousser en arrière. Ses doigts tremblent encore sous le poids de la pression. Lentement, il referme ses poings et les serrent, si fortement que ses ongles entrent, pénètrent sa peau déjà à vif. Il aurait tellement aimé avoir le dessus. Ne pas se laisser mettre à terre aussi facilement, aussi bêtement. Regret. Culpabilité derrière sa rage à peine dissimulée. Intérieurement, il espère. Il espère qu’elle ne le retrouve pas sans savoir qu’elle est juste là, sous son propre nez.
- T’es pas obligé tu sais? Je ne sais même pas si tu pourras vraiment m’aider…

Ton rauque, à peine audible. Reniflement et secousse interne. Soupir. Nouveau tremblement qui parcoure ses membres. L’asiatique laisse un silence planer, traverser la ruelle déserte. Il repousse une fois de plus ses cheveux en arrière, fait lentement claquer sa langue contre son palais et il poursuit, osant enfin le regarder :
- Tu t’appelles comment? Si la princesse me cherche, comment toi tu m’as trouvé?

Oui. Méfiance mais pas désagréable pour autant. Daeho cherche juste à comprendre. Sa respiration devient plus calme à présent mais il se sent toujours aussi nerveux, bataillant avec lui-même tandis qu’il triture ses doigts, les griffent presque pour trouver de l’apaisement à ses tourments.

AVENGEDINCHAINS