clepsydre de minuit.
Sourire en coin se glisse aux lèvres de la rousse. Igor Romanov aurait sans doute eu bien moins de problèmes s’il n’avait éduqué sa fille qu’à la couture et à l’art de se tenir bien droite en société. « Catherine II a fait ce dont Pierre III, tout mâle qu’il était, aurait été parfaitement incapable. » Depuis combien de temps n’avaient-ils pas eu de vraie conversation, tous les deux ? Plus de deux ans. Elle n’est même pas certaine d’avoir déjà manifesté d’opinion aussi directe, sans en passer par une question. Et des questions, elle en avait eu longtemps, elle avait voulu connaître chaque nom sur chaque portrait, en savoir toujours plus sur l’aristocratie, valse compliquée entre le savoir et son rôle. Aleksandra n’avait plus de questions, elle avait des opinions. Tragique. « Ne vous prétendez pas plus misogyne que vous ne l’êtes. Nous savons tous que mère saurait tenir ce pays en respect. » Même si le reconnaître ne l’enchante guère. « Qui plus est, à nous cantonner à des rôles de parade, je crains que les hommes rendent les femmes sournoises. » Ce n’est pas vraiment un reproche, elle semble constater.
Le peuple n’a pas le temps d’avoir de l’intérêt pour l’art. Quelque chose hésite, dans les yeux d’ambre. Elle ouvre la bouche puis se ravise. Elle ne le juge pas encore prêt à entendre tout ce qu’elle a à dire et sa rancoeur l’empêche de passer outre son sentiment d’abandon. S’il se détournait ? Elle ne veut pas passer pour un rapace ambitieux, pas auprès de son père. Des autres, qu’importe, s’ils la craignaient un peu, peut-être se mettraient-ils à la respecter. Elle laisse les secondes glisser, ne sait pas plus comment apaiser la tension dès lors qu’il s’agit de ses choix. « Qu’aurait-il fallu que je fasse ? Les médecins étaient formels. » Le verre tourne entre ses doigts. « Après Dimitri, je ne devais plus être capable d’avoir un enfant. » Ca l’avait peinée, un peu. Puis elle s’y était faite. Après tout, la glace la privait du reste et elle avait un fils en bonne santé, inutile d’être trop capricieuse. « C’est arrivé, c’est tout. Et si j’avais décidé d’y remédier, je ne me le serais pas pardonnée. » Fracture visible, ombre de regrets, de culpabilité, nombre d’émotions dans son air pensif. « Rassurez-vous, c’en est terminé. » Rire amer. « Je suis désormais parfaitement inutile à la dynastie Romanov. » L’inutilité et l’échec, les éternelles peur d’enfant. Dites papa, est-ce que je sers à quelque chose, moi ? « Pourquoi avoir choisi Feodor si vous avez si peu d’estime pour lui ? »
Yulian. Ombre d’amusement sur le minois de la princesse qui finit son verre. « Ca n’a plus d’importance. » Le nom du fossoyeur. Ca n’a plus de raison d’être prononcé, parce qu’ils ont raté l’opportunité. « Je ne suis qu’une princesse de Russie, après tout. » Mots d’une violence incroyable pour celle qui avait toujours été réfractaire à être définie par ce seul titre et si la dispute n’avait pas duré entre Aleksandra et Yulian, elle en restait marquée par les paroles. « Personne n’a jamais eu d’amant platonique, je veux bien admettre mon petit côté progressiste mais ça va trop loin comme concept. » Elle tente l’humour mais ne trouve pas franchement cela drôle, la petite grimace le prouve.
Réfugiée entre ses bras, d’une affection dont elle a cruellement besoin. Le baiser sur le front la pousse à se serrer un peu plus tout contre, comme la gamine ayant besoin de se dissimuler au monde. « Je consens à admettre le mensonge, Votre Majesté. Et dans ma grande mansuétude, je vous pardonne de tourmenter mon garçon. » Son précieux. Pour lui aussi, elle tuerait. Propension contenue à une violence qui couve parfois.
Enterrer Sasha. Le coeur se serre un peu. Aleksandra ne répond pas, elle reste lovée à la sécurité paternelle, pensive. Bien sûr, elle a parfois rêvé de faire disparaître celui qui lui faisait tant d’ombre pourtant elle avait continué, même sans Igor, même sans celui pour qui le gamin était né. « Je ne suis personne sans Sasha.. » Et elle y croit, le ton ne ment pas, le fait qu’elle se serve un autre verre trahit le malaise. « Il est ma liberté. Et personne ne parle jamais près des quartiers de la princesse. Le bâtard du Tsar, en revanche, peut toujours écouter aux portes.. » Rumeur récemment arrivée à ses oreilles via ses domestiques, murmures qui l’ont faite sourire. « Si j’effaçais le garçon, alors je devrais me taire à chaque seconde entre ces murs. » Une gorgée avalée. Amertume du silence, des convenances, de son incapacité à agir sans froisser une tripotée de mâles. « Vous faites vraiment confiance à ce Karenine ? »
COULEUR DIALOGUE : # 6496A0
CODAGE PAR AMIANTE